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Esclave amoureuse/02

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L’Éden (p. 15-26).


LA DEUXIÈME FLAGELLATION


Tous les hommes sont fous, il faut
pour n’en point voir
S’enfermer dans sa chambre et
briser son miroir.
Marquis de Sade.


Lorsque Lucette se trouva seule, dans sa chambre, elle se laissa tomber sur son lit, et se mit à sangloter.

Le remords, la honte, la peur, agitaient son esprit tourmenté et provoquaient ses larmes.

Elle se remémorait les instants qu’elle venait de passer dans les bois, en compagnie de Max, et ces pensées qu’elle ne pouvait chasser, lui semblaient être des blessures aussi vives que celles dont sa chair avait été marquée.

Ah ! ce crépuscule, elle ne l’oublierait pas !

Il resterait le souvenir des audaces et des violences subies impunément.

La révolte se dressait dans son cœur, et la révolte, c’est la haine quand ce n’est pas l’amour.

Inexpérimentée, elle ne pouvait prévoir jusqu’à quel point un homme peut être téméraire et sa souffrance se composait plutôt de vexation que de regrets.

On ne regrette pas le mal qu’on vous a fait.

On le redoute et il vous humilie.

Il humilie parce que l’on a conscience de sa faiblesse et qu’on se sent domptée, vraiment, obéissante à celui qui fut brutal pour son plaisir et cette brutalité qui rend les femmes serviles les rend quelquefois, souvent sinon toujours, amoureuses et même passionnées.

Elle sanglotait, oui, et elle était honteuse aussi.

Elle avait beau chasser le souvenir récent de la scène qu’elle venait de vivre, il revenait ce souvenir, comme un démon moqueur, comme un faune ironique, dont les pipeaux modulent une chanson de volupté.

Si ses parents savaient !

Mais ses parents ne sauraient pas.

Ce n’est point elle qui avouerait une faute qu’elle n’avait point commise, mais dont elle était la complice, par force.

Puis, peu à peu, ses pensées s’avivèrent.

Elle songeait à Max, au Max volontaire et railleur, méchant et câlin à la fois, audacieux, violent… barbare.

Elle n’avait pas de haine.

Elle avait de la peur.

Seule sa pudeur était révoltée.

Autrefois, en pension ; la maîtresse lui relevait les jupes et la fouettait, en public, devant les élèves, mais elle était plus jeune, elle n’était qu’une enfant.

Elle est maintenant jeune fille, à l’âge où les désirs tourmentent la chair et l’esprit.

Elle sait que l’amour a d’autres armes, elle se doute du moins.

Mais de telles humiliations, elle ne les redoutait point.

Lentement elle se dévêt.

Elle quitta blouse et corset, et laissa glisser à ses pieds ses jupons froissés, sa chemise…

Elle est nue, toute nue, jusqu’aux genoux…

Et devant sa glace, elle s’admire.

Elle contemple ce corps charmant qui tressaille… sa poitrine aux seins petits et fermes, ses bras harmonieux, ses jambes fines… ses cuisses encore meurtries de la flagellation, cette croupe frémissante…

Oui, elle est belle, et elle excuse les fous qui le lui disent.

Mais la vraie folie n’est-elle point d’embrasser au lieu de battre, n’est-elle point de tenir dans une étreinte la chair de la femme et de la couvrir de baisers.

Elle n’a certes point lu, cette enfant, ces phrases qui l’édifieraient et lui feraient comprendre pourquoi Max agit de la sorte envers elle :

« L’idée seule de sentir un être à vous, comme le cheval que vous achetez, vous fait du bien. Le cheval, on l’a, on le monte, on le frappe, on le cravache, on lui tourne le mors dans les dents, on pèse sur lui de tout son poids, en lui faisant sentir sa supériorité, on le martyrise, il ne peut que gémir, s’emporter, se plaindre en son langage, et puis… il faut bien qu’il obéisse… »

Instinctivement lascive, elle caresse sa chair tressaillante.

Elle sait maintenant pourquoi les hommes perdent la raison et deviennent brutaux et lâches.

Les romans qu’elle a feuilletés lui paraissaient invraisemblables et aujourd’hui elle les comprend.

Un jupon, une chemise soulevée sont les excitants du désir, mais frapper ces formes graciles est, à ses yeux, inexplicable barbarie.

Elle va, dans sa chambre, cambrant ses reins, levant la tête, jouissant de sa splendide nudité, comme une vierge prête à se donner comme une déesse triomphante.

Voici la nuit qui vient…

C’est l’heure des lumières… Il faut qu’elle se rhabille en hâte, car on trouverait son absence trop longue.

Et prestement, elle refait sa toilette.

— Et bien, Lucette, que fais-tu donc ? lui demande sa mère.

— Je m’arrangeais avant de descendre, maman.

Sans autre explication, on passa à table.

Lucette ne pouvait s’empêcher de penser à Max, et redoutant qu’on ne s’aperçut de ses distractions et de son trouble, elle s’efforçait de rire lorsque son père plaisantait.

Elle avait peur qu’on prononçât le nom de Max son camarade de jeux, car elle n’aurait pu s’empêcher de rougir, et elle aurait alors intrigué la perspicacité de sa mère. Mais on ne parla pas de lui.

 

Les du Harlem étaient très aimés dans le pays, à cause de leur bonté généreuse.

Ils possédaient un domaine à deux pas du village de P… en Gascogne.

Le domaine voisin appartenait à Madame Ramières, veuve d’un officier, tante de Max Darvel, qu’elle avait élevé, car il fut orphelin de bonne heure.

Les deux familles étaient en relations depuis longtemps, et les deux enfants avaient grandis ensemble.

M. du Harlem était ingénieur et possédait une fortune respectable.

Au contraire, Max n’avait eu de ses parents que de faibles revenus, suffisants cependant pour lui permettre de vivre plus tard indépendant.

Mais il fallait qu’il acquit une situation.

Il voulait être avocat.

Il avait dit à Lucette : « Vous viendrez m’entendre, quand je plaiderai ».

Il est regrettable que les supplices n’existent plus en France, car si j’étais procureur général, je vous assure bien que les criminels n’y échapperaient pas et que je me délecterai à ce spectacle.

Vous me faites peur, Max, vous êtes terrible, vous ne prenez plaisir qu’à voir souffrir les autres.

— J’ai du sang de sauvage dans les veines, sans doute. Chacun prend son plaisir où il le trouve.

— Vous appelez ça du plaisir ?

— Oui, Lucette, et vous comprendrez plus tard que je ne suis pas si fou ni méchant que vous croyez.

— Vous êtes un méchant, si, un méchant, oui… vous m’avez battue l’autre jour… ce n’est pas bien, c’est mal… très mal… oh ! ne dites pas, Max, que vous n’êtes pas méchant.

— Lucette, écoutez-moi, et gardez ce secret pour vous. Je vous aime, je vous l’ai dit. Je veux vous avoir à moi, à moi tout seul. Et je vous aurai. Votre pudeur est charmante, savez-vous, et c’est cette pudeur que j’ai offensée. Mais vous ne pouvez vous figurer le plaisir que j’ai éprouvé à vous torturer de la sorte et à frapper à pleines mains cet endroit charnu et blanc, devenu rose par les coups.

— Oh ! ne dites pas ces choses… vous me rendez confuse.

— Candeur ! Ne vous a-t-on pas fessée, jadis, en pension ? La maîtresse de classe n’a-t-elle point, pour vous punir d’une espièglerie, fait jaillir du pantalon ces jolies fesses, devant les élèves, vos compagnes, pour les cingler ?

— Oh ! si, je me rappelle… mais je n’étais pas seule à subir ce supplice, et puis nous étions toutes des petites filles.

— Ça, c’est une raison, mais alors pourquoi acceptez-vous de venir avec moi vous promener… Si je vous effrayais tant…

— Mais Max, j’espère que vous ne recommencerez plus.

— Pourquoi non ?

— Mais je ne veux pas, je ne veux pas…

Et elle trépignait, les mains tendues, les poings fermés, haletante…

Ils se regardaient en face, et se bravaient…

Lui, moqueur et calme.

Elle, vindicative déjà…

— Non, je ne veux pas… je crierai plutôt… je… ne veux pas.

— Vous me résistez avant que j’aie fait un geste… vous êtes folle, Lucette.

— C’est vous qui êtes fou, Max.

Elle regardait autour d’elle… Il n’y avait personne.

Elle était à la merci de ce jeune garçon nerveux et fort, volontaire et vicieux.

Elle se sentait perdue, et elle le détestait à ce moment-là.

Comme il s’approchait, elle recula.

Courir, il la rattraperait.

Crier, ferait du scandale.

Se défendre, elle ne le pourrait longtemps.

Lucette n’a point connu l’amour. Elle ne connaît donc point, sans doute, les préceptes d’Ovide.

« La violence plaît aux femmes.

« Toute femme prise de force dans un mouvement passionné, s’en réjouit et rien ne lui est plus doux.

« Mais, si lorsque vous pouvez la prendre d’assaut, vous la laissez se retirer intacte du combat, son visage exprimera de la joie, mais la tristesse est dans son cœur. »

L’affection agit chez l’individu autant que dominé, ou dominateur, en matière d’amour, naturellement.

En un mot, le masochiste, qu’il soit homme ou qu’il soit femme, entend être dominé par l’être aimé, dominé despotiquement, ou prétend le dominer avec la même tyrannie.

Dans le récit que j’ai entrepris de vous faire, le masochisme a sa part, car en même temps que la maladie de domination, il implique la volonté de faire souffrir. De là vient qu’il tombe fatalement dans la flagellation.

Max sait-il que cette douleur imposée procure la sensation voluptueuse ?

D’instinct, il veut imposer sa volonté, sa force, à l’être faible qui est femme.

Lucette entre ses mains est une pauvre chose, il veut qu’elle lui soit soumise, qu’elle lui appartienne, et c’est pour cela qu’il agit envers elle comme le bourreau avec sa victime.

— …Vous ne m’aimez pas, Lucette ?

— Je ne vous aime pas ainsi.

À mesure qu’elle recule, il avance.

Il s’amuse avec sa proie.

— Vous ne m’échapperez pas, Lucette.

Il la contemple et la détaille.

Sa grâce l’enchante, ses yeux l’attirent… il ne sait plus ce qu’il va faire… il ouvre les bras pour la retenir, mais elle a prévu le geste et s’enfuit tout à coup.

Il la poursuit, et c’est la course à travers les chemins… sans bruit, sans paroles, sans cris…

Il la rejoint, la rattrape…

— Ah ! cette fois, vous ne m’échapperez pas…

Il a saisi sa taille, et les efforts qu’elle fait pour se débattre sont vains.

Elle est la plus faible.

Il la tient, tout contre lui, palpitante, tiède, comme une oiselle effarouchée.

Elle lui répète, bouche contre bouche :

— Je vous en supplie, Max, ne me touchez pas…

Mais il ricane, il reste sourd à ses supplications…

Desserrant l’étreinte, il la soulève, et la tenant par la ceinture horizontalement, de sa main libre, il relève à nouveau, pour la deuxième fois, les jupes de Lucette. Il met à nu ce derrière que le pantalon à dentelles cachait, et le gifle, et le claque, à bout de bras.

À mesure qu’elle gémit, il frappe plus fort, et non content de faire ainsi, il arrache d’un arbre voisin une branche flexible, souple comme une lanière, et la fustige, sans arrêt.

La branche, instrument de torture, laisse des marques roses sur les fesses nues, comme des virgules de sang.

Il la cravache comme s’il avait devant lui un cheval indomptable.

Il n’entend que des sanglots étouffés… « Assez… assez… je vous en supplie… »

Il a jeté la branche qui lui servit de verge… et rabaissé les jupons de la jeune fille.

Mais il ne veut pas qu’elle s’en aille si vite.

Il a relevé les longs cheveux de son amie qui masquaient son visage, ce visage bouleversé de honte et de rage.

Elle est debout, toujours entre ses bras… il approche ses lèvres des siennes et l’embrasse violemment.

Oh ! ce baiser brûlant ! Il lui laisse une morsure…

Pâmée, elle se laisse aller au hasard du crime, consentante à tout, au viol, aux brutales blessures au massacre de sa féminité, mais ce n’est pas le plaisir de l’amour que désire Max…

Elle n’ose lever les yeux, regarder son tyran… et dents contre dents, elle murmure : « C’est trop… c’est trop… je vous aime… oui… oui… mais j’ai peur… »

Mais elle ne voulut pas rester davantage près de lui… et comme il la laissait libre… elle s’enfuit sans se retourner.

Elle était titubante, et fit halte un instant pour se remettre de tant d’émotions.

La campagne autour d’elle jetait son resplendissement.

Elle s’harmonisait avec l’éclat de sa jeunesse.

Les mains sur sa gorge, elle hésitait à reprendre sa course.

Il ne fallait pas qu’on la vit revenir, car de voir sa mine défaite, ses yeux rouges, sa chevelure en désordre, on se demanderait pourquoi elle est ainsi.

Un frisson délicieux, inconnu à ses sens, parcourait son corps meurtri.

Quelle aventure !

Elle n’en peut concevoir la réalité et il lui semble qu’elle vient de vivre un cauchemar. Mais une frayeur nouvelle s’empare de son esprit, car elle se rappelle le cri d’amour qu’elle a, dans un instant de complète folie, laissé échapper.

— Qu’ai-je fait, qu’ai-je fait ! murmure-t-elle.

Elle se promettait bien d’éviter Max le plus possible, mais elle savait d’avance qu’elle serait la première à vouloir lui parler.