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Esclave amoureuse/03

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L’Éden (p. 27-34).

UN SOIR D’ÉTÉ


Mon frère vous a frappé avec de simples verges, quant à moi je vous frapperai avec des scorpions.
Le Roi Rubsam.


La vie continua plus monotone pour Lucette, car elle fuyait la compagnie de Max, mais elle le rencontrait fatalement, ce qui la remplissait d’effroi.

Ils se parlaient, mais elle faisait en sorte qu’il ne l’entraînât pas dans des endroits où ne passait personne.

Max s’apercevait bien de ce manège et des précautions qu’elle prenait pour rester sur la défensive.

Il était pour elle aimable et prévenant et ne faisait allusion à rien qui la pût effaroucher.

Les parents, confiants, ne s’inquiétaient pas d’eux, et ne leur posaient jamais de questions qui les eussent quelquefois fait balbutier.

Lucette devenait chaque jour plus gracieuse.

Et de ce corps charmant dont il avait découvert les appâts secrets, se dégageait une fièvre sensuelle que Max avait éveillée d’une étrange façon.

Sa taille se formait, ses hanches se dessinaient plus parfaitement, faisant ressortir davantage cette croupe qu’il aimait tant flageller.

Il ne paraissait pas honteux d’avoir usé de son autorité pour humilier à tel point sa compagne.

Au contraire, ses regards, lorsque sur elle ils se posaient semblaient la narguer, lui dire « Vous rappelez-vous ? ». Et ils la provoquaient encore.

Lucette baissait les yeux car elle se sentait être aux prises de ce séducteur.

Ne lui avait-elle pas en somme, appartenu, n’avait-il point vu, contemplé, frappé cette partie de son être que, seule, elle était autorisée à voir et à toucher ?

Et lui, il pensait sans doute :

« J’ai relevé vos jupes, et je vous ai fessée… »

Un soir, il lui remit une enveloppe, et lui dit :

— Vous l’ouvrirez quand vous serez seule, mais promettez-moi de la lire.

— Je vous le promets.

Elle cacha ce billet dans son corsage, entre ses seins.

Et, il faut le dire, c’est avec impatience qu’elle attendit d’aller se coucher pour le lire, afin que son frère ou sa mère puissent la surprendre.

Cette lettre lui brûlait la poitrine.

Que pouvait-il lui dire… des choses insensées, des menaces ou un pardon.

Et lorsqu’elle fut dans sa chambre, à l’abri de toute indiscrétion et de tout espionnage, elle retira de sa cachette l’enveloppe qu’elle déchira.

Et elle lut :

« Amie Lucette,

« Si je savais que vous me détestiez, je ne vous écrirai pas cette lettre pour vous dire et vous répéter que je vous aime. Ce ne sont pas ceux qui sont câlins et tendres et qui vous parlent doucement qui aiment le plus, ce sont, Lucette, ceux qui, au risque de se faire mépriser, usent de violence envers l’être aimé. Oh ! Lucette, vous êtes si jolie, si captivante et attirante, que je ne puis assez vous exprimer ce que je voudrais que vous fussiez pour moi.

« Je voudrais vous considérer comme mon bien, comme l’esclave d’un amour qui ne finirait pas, esclave qu’on ne dédaigne ni ne repousse. Vous sentir à moi aujourd’hui, demain et toujours, serait mon plus grand rêve. Que vous importe une pudeur dont les caresses et les coups ont raison. Si vous souffrez quand je vous bats, cette souffrance est du plaisir et vous le comprendrez plus tard. Vous êtes révoltée pour l’instant, car j’ai meurtri votre chair et je l’ai vue, et je suis le premier et je ne puis oublier le spectacle de ces formes blanches, rondes et fraîches.

« Je vous vois rougir en lisant ces lignes, et je sais que vous ne cessez de penser à nos combats… où j’étais vainqueur, mais votre bouche sur la mienne, a dit votre consentement, votre passive obéissance.

« Si je vous frappe, c’est que je vous aime, et je vous aime de vous frapper.

« Oh ! laissez-moi vous frapper, amie. Il viendra un moment où vous-même me demanderez le châtiment.

« Il ne faut pas que la vie nous sépare… il faut, Lucette, que vous fassiez abandon de vous-même, quoi qu’il vous en coûte.

« Amie, n’ayez point peur de moi, je ne vous veux pas de mal, car de vous battre n’est point qu’un martyre, c’est une joie aussi, et laissez-moi, aux instants où nous nous comprendrons mieux, vous le procurer.

« Adieu, amie, j’embrasse votre cher visage et je flagelle votre corps, en pensée… votre corps qui est, devant mes yeux, toujours présent.

« Max. »

À la lecture de cet épître, elle frémit.

Elle le jugeait audacieux, de lui avoir écrit de telles choses, mais elle était flattée aussi, car elle disait à mi-voix : « Il m’aime ! »

Il y en a donc qui aiment en frappant.

Les enfants, pour les punir, on les bat, on les fesse aussi, oui, on les fesse, et ils n’en sont que plus aimants.

On ne déteste donc pas ceux qui vous frappent.

Max aurait-il raison ?

Mais cela n’est pas la coutume de se rendre barbare pour conquérir la femme qu’on aime.

Oh ! non, elle ne pourrait pas endurer ce supplice.

D’ailleurs, les vacances allaient finir.

Max repartirait pour Paris afin de suivre les cours de droit.

Mais à Paris, il la retrouverait. Que tenterait-il pour la voir, pour la voir seule ?

Une jeune fille, ce n’est pas une femme seule à qui on peut donner des rendez-vous…

Chez ses parents, elle serait à l’abri, loin de toute attaque.

Elle oublierait… il oublierait aussi… peut-être…

Mais échappe-t-on aux hommes comme cela ?

Oh ! son esprit était tourmenté, assailli de pensées terribles, de craintes, de pressentiments.

Il lui avait dit : « Je vous aurai, à moi… vous serez mon bien ».

Mais si elle ne l’aimait pas, pourtant.

À seize ans, réfléchit-on ?

Il fallait qu’elle se défendît, qu’elle décourageât Max.

Et elle froissait sa lettre entre ses doigts crispés.

Dix heures sonnaient.

Il faisait beau, ce soir…

La nuit était remplie d’étoiles.

On voyait la lune rouler dans le ciel et ses rayons remplissaient l’espace.

La campagne était endormie.

Comme tous les soirs, orgueilleuse et peu chaste, elle contemplait sa jeune beauté nue.

Quel beau soir d’été.

Lucette commença à se dévêtir.

Elle s’enveloppa d’un peignoir et ouvrit la fenêtre.

Puis sur le balcon s’accouda.

Elle respirait le clair de lune et tous les parfums qu’exhalait la campagne.

Elle aspirait la brise qui passait et lui caressait le visage.

Tout à coup, au-dessous d’elle, une voix murmura : « Lucette ! »

Cette voix ! C’était la voix de Max.

Il était devant elle, en bas, sous le balcon, et l’appelait : « Lucette ! »

Ne voulant pas répondre de peur d’être entendue des siens, éperdue, grisée de l’ambiance, elle envoya à Max un baiser qu’il rendit, mais dans le mouvement qu’elle avait fait pour détacher ses bras et poser ses mains sur sa bouche, son peignoir s’entrouvrit et dans le clair de lune, Max put contempler Lucette toute nue.

La nuit qu’elle passa fut hantée de songes licencieux qui troublaient son sommeil.

Oserait-elle reparaître devant Max ?

C’est malgré elle, poussée par une invincible puissance, qu’elle avait envoyé ce baiser et qu’elle avait laissé voir ce que les vierges cachent.

Oh ! oui, sa chair devait être flagellée en mortification de ce péché ainsi qu’en usent les religieux.

Il faut chasser le démon de ce corps — le malin n’aime pas les coups.

En pénitence, elle accepterait bien le châtiment, mais elle ne sait pas discerner encore le degré de plaisir qui existe dans la fustigation.

Elle est énervée, torturée… la chair brisée, ressentant plus vivement encore les blessures qu’elle a supportées.

Elle bégaie dans la nuit, des mots dont seul Max pourrait comprendre le sens.

Il ne lui a pas écrit « Je ne vous frapperai plus », il lui a dit « je vous frapperai encore » et lui fait pressentir que les coups seront plus forts, oui, plus forts que jamais.