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Esclave amoureuse/05

La bibliothèque libre.
L’Éden (p. 41-46).

DE L’UN À L’AUTRE


Ah ! si le monde connaissait ce qu’il y a de bonheur à se laisser flageller par celui qu’on aime.
Lacordaire.


Flageller l’être aimé, c’est vouloir le dominer et lui imposer un éternel esclavage.

Celui ou celle qui est l’objet de cette flagellation subit de la sorte un châtiment qu’il demande, qu’il accepte ou qu’il redoute.

La flagellation est une pénitence. Et il n’est pas surprenant de voir certains de ces martyrs la désirer et la provoquer, car l’amour qu’ils ont dans le cœur et la surexcitation de leurs sens les aide à supporter cette douleur qui atteint, suivant les cas, à une volupté rare et étrange.

Le flagellant, jaloux de celle qui est là, lui appartenant, la retient, la subjugue, la garde. De tous temps et dans tous les pays, la discipline, la verge et le fouet furent en honneur. Que de pécheurs, que d’esclaves, que de criminels furent martyrisés ainsi, mais aussi que d’amants et que de femmes !

Une histoire typique à cet égard est celle que l’on raconte d’un Français marié à une jolie femme russe qui, au bout d’une quinzaine de lune de miel passée dans les joies suprêmes, devint tout à coup triste et se mit à donner les signes du plus violent désespoir. Son mari, inquiet de cette tristesse, lui en demanda la cause ; il finit par obtenir cette réponse : « Voici plus d’un mois que nous sommes mariés ! Or, vous ne m’avez pas encore infligé une seule correction. Comment puis-je croire que vous m’aimez ? »

Le mari fut tout heureux d’apprendre que le chagrin de sa femme était si facile à guérir et, sans perdre de temps, il se procura une flexible et élégante vergette avec laquelle, quand l’occasion s’en présentait, il infligeait à son épouse les preuves tangibles de son amour.

Certains voyageurs racontent qu’un fouet, en Russie, est considéré comme faisant obligatoirement partie du trousseau d’une femme mariée, au même titre que tout objet familier.

La femme est la proie du plus fort qu’elle et elle admire et elle adore la puissance du mâle. Et quand on frappe à cause de l’amour, le supplice en est diminué. Et ce supplice, lorsque l’on aime, on arrive à le demander, qu’on soit homme ou femme.

Ah ! quel voluptueux insensé écrivit : « Ô femme, reine incompréhensible, que j’ai essayé de comprendre, quelle puissance vous avez sur moi. Combien j’aspire à vous voir, à vous contenter, et à souffrir vos caprices !

« Ému et lâche, je vous sens sur moi, dominant de toutes vos forces, usant de l’esclave à votre volonté, frappant, exigeant, brisant la résistance par votre voix, votre sourire et… les coups.

« Ce n’est pas que je suis fort de la souffrance matérielle ainsi comprise, mais je suis dévoré du désir de sentir un être me mépriser, je veux arriver à vous donner la plus grande joie que vous puissiez avoir, c’est là mon bonheur et je souffrirai autant que vous voudrez pour cela. »

Lorsqu’on voit des enfants comme Lucette et Max engagés dans cette aventure, on a peur pour eux, du péril qui les guette.

Leurs natures ne s’accordent pas, leurs sentiments ne se rejoignent qu’au point où l’amour les partage, où la passion lie un homme à une femme.

Mais Lucette est ardente, sa jeunesse promet toutes les joies et si elle livre ses joies, elle abdiquera toute volonté.

Max a rencontré sa victime. Il l’aime véritablement, et comme il l’aime et qu’il ne veut pas qu’un autre la lui prenne, et que plus tard elle se détache de lui, il veut l’asservir pour toujours.

Et c’est un besoin pour lui de faire souffrir de la sorte, et il en ressent du plaisir, et tous les autres plaisirs lui seront accordés s’il le veut.

Oh ! il pense à elle, à sa Lucette !

Il la revoit comme si elle était près de lui, tremblante, se défendant, serrant ses jupes de ses mains pour l’empêcher qu’il les soulève.

Il revoit cette partie secrète de son corps, ses fesses potelées comme des joues de gros bébé, ses fesses que ses mains caressaient et frappaient à la fois.

Et l’absence lui est cruelle. Une rage l’envahit.

Que n’est-elle ici, seule avec lui, dans ce Paris qui cache les vices clandestins.

Ce souvenir l’obsède, le rend fou… il ne peut lui écrire ni lui parler. Que fait-elle ? Pense-t-elle à lui ?

Ne se sera-t-elle point ressaisie et ne lui fera-t-elle pas visage hostile quand il la reverra ?

Mais non, il a fait serment de la conquérir et il l’aura.

Dans quinze jours elle sera ici. Ils se parleront, il fera en sorte qu’elle s’attache à lui comme il le veut. Il ne la brusquera pas d’abord, puis peu à peu il reprendra son ascendant sur elle, et la rendra fidèle et docile.

Mais Lucette…

Lucette ne peut s’empêcher de songer à Max.

Quand elle se promène dans la campagne et qu’elle passe dans les endroits témoins des corrections qu’elle subit, elle est prise de cette mélancolie qui la rend moins triste, car elle se sent en paix.

Elle n’a plus cette joyeuse vivacité, pour courir les chemins et marcher sur les fleurs.

Elle est plus paresseuse aussi, n’ayant pas le courage de lire ou de broder.

Le diable est parti, mais le diable lui manque, et le diable c’est Max.

— Qu’as-tu, ma fille ? lui demande sa mère.

— Mais rien… maman.

— Tu as quelque chose que tu ne veux pas dire à ta mère.

— Oh ! maman…

— Est-ce que le départ de Max ?…

— Que veux-tu que ça me fasse ?…

— Eh ! eh !… on ne sait jamais, mon enfant, le cœur a ses raisons…

— Oh ! mon cœur !

Et elle fait un geste qui signifie qu’il ne se fait même pas entendre.

Son cœur !

Elle y a pourtant introduit des sentiments d’étrange amour que ne découvrira personne ; seul celui qui les a fait naître pourra deviner et comprendre jusqu’à quel point ils sont sincères et de quelle nature ils sont.

Non, sa mère ne saura pas.

Elle ne saura pas qu’elle n’a pu se défendre, malgré ses sanglots et sa lutte, contre le sauvage désir de ce Max qui la fessa.