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Esclave amoureuse/04

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L’Éden (p. 35-40).

SÉPARATION


Quand Lucette a vu Max, le lendemain, elle a mis ses mains sur ses yeux, pour cacher sa honte.

— Pourquoi ne voulez-vous pas me regarder ? demanda-t-il.

— Oh ! mon ami, que devez-vous penser de moi ?

— Je pense que vous êtes belle, aussi belle que je croyais. Je n’oublierai pas cette nuit d’été.

— Dites que vous n’avez pas vu… dites que ce n’est pas vrai.

— Si, j’ai vu, et c’est vrai Lucette. Vous avez exaspéré davantage le désir que j’ai de vous rendre mienne.

— Où m’entraînez-vous, Max, sur quelle pente me faites-vous glisser ?

— Sur une pente délicieuse… Ah ! que ne sommes-nous libres tous les deux !

— Il ne faut plus nous voir.

— Vous seriez aussi punie que moi, car depuis l’autre jour et hier davantage, je sais que pour moi vous n’avez pas de haine.

— Ne parlons plus de tout cela.

— Tout cela nous fait plaisir à répéter. Vous êtes femme. Un compliment ne peut vous déplaire. Vous êtes si jolie !

Lucette avait les yeux brûlants, la gorge sèche, elle vivait dans une perpétuelle fièvre de volupté.

— Les vacances sont finies, amie. Il va falloir nous quitter, mais nous nous verrons à Paris, il ne faut pas que vous ne songiez plus à Max, qui, lui, ne vous oubliera pas.

— À Paris, on ne fait pas ce que l’on veut !

— Je vivrai dans votre ombre et vous suivrai pas à pas dans la vie. Je vous ai dit, d’ailleurs, mes intentions dans ma lettre… L’avez-vous lue ?

— Je l’ai lue.

— Qu’y répondez-vous, Lucette ?

— Je ne peux pas y répondre, Max.

Il sourit. Une sorte d’orgueil ironique s’emparait du jeune homme.

— Puisque vous l’avez lue, cela me suffit.

— Il ne faut pas que vous continuiez à m’écrire… on pourrait s’en apercevoir.

— Je ne veux pas vous compromettre, Lucette.

À cet instant, M. du Harlem apparut sur le perron.

— Eh bien, mes enfants, vous jouez aux confidences ? Il est bien temps d’en faire, profitez donc de cette belle journée de soleil…

— Mais, papa…

— Oui, je sais, on aime mieux bavarder à l’ombre… Allons, je vous emmène avec moi… On va faire des kilomètres pour vous dégourdir les jambes.

« Demande à Max la permission d’aller te préparer… et puis, pas de coquetterie, n’est-ce pas ? Ton chapeau de paille, et ça suffit. »

Et il embrassa sa fille en riant.

 

Les vacances étaient finies… et le jour du départ de Max arrivé. Il fallait se séparer, pour se revoir qui sait quand.

Ce pénible moment attristait ces deux amoureux, car, peut-on appeler autrement, des êtres qui se connaissant depuis l’enfance, avaient partagé les mêmes jeux et s’étaient dit beaucoup de ces choses qui quelquefois engagent les destinées.

Même s’ils se fussent sentis l’un pour l’autre indifférents, leur tristesse n’en eût pas moins existé. On ne se quitte pas ainsi sans un regret, petit ou grand, sans une certaine mélancolie, sachant bien que la nostalgie s’emparera d’eux du jour où ils seront éloignés.

— Nous nous reverrons à Paris, Lucette.

Elle ne répond pas, car elle sait le but de Max.

Elle sait qu’elle n’échappera pas à son emprise, à sa tyrannie.

Qu’adviendra-t-il d’eux dans l’avenir ?

Déjà, elle subit cet envoûtement qui pousse aux pires désirs, aux plus extrêmes sensations, aux délires des voluptés les plus diverses.

Elle est ivre, ivre d’être à la fois protégée et battue.

Ivre d’une longue caresse et de souffrance répétées.

Mais ces émotions-là disparaîtront sans doute.

Lorsqu’elle sera à Paris, absorbée par les cours, les thés, les bals, elle sera plus apaisée.

Ici, elle n’a pas de compagne.

Elle a vécu ces mois d’été avec Max, un jeune homme.

L’influence de la saison resplendissante, l’intimité de la jeune fille et du grand garçon, cette vie, toujours la même, calme et douce, reposante, prenant à la nature en joie sa sensualité, à cause de tout cela elle ne pouvait que trébucher dans les pièges tendus sous ses pas.

Sa vertu, sa pudeur, sa faiblesse étaient en danger, mais ce danger n’était plus redoutable puisqu’elle y pensait, sans verser de larmes, à présent.

Le soir descendait peu à peu, enveloppant la campagne d’obscurité.

C’était triste partout autour d’eux.

Max lui dit, la prenant dans ses bras : « Embrassons-nous… n’ayez pas peur… je ne veux pas vous frapper… ».

— Je ne crains plus vos mains…

— Ah, ah ! Lucette, vous êtes convertie…

— Non, je ne suis pas convertie, mais je ne sais pourquoi, je ne peux l’expliquer, si vous me frappiez maintenant, je ne dirais pas : « Arrêtez ».

— C’est parce que je m’en vais, que vous parlez ainsi. Si mes mains vous sont douces, nous emploierons le fouet, dit-il en riant.

— Le fouet ?

— Oui, amie, le fouet. Ce n’est qu’un martinet, après tout. Le martinet qu’on emploie pour les enfants pas sages.

— Mais je suis sage.

— Vous ne l’êtes pas quand vous me résistez. Nous emploierons le fouet, vous dis-je : Quand on sait s’en servir, cela ne fait pas si mal qu’on le suppose. Il faut être assez habile pour donner aux souffrances un goût de plaisir.

— Où avez-vous appris ces choses ?

— On ne les apprend pas. Allons, Lucette, disons-nous adieu et à bientôt. Je vous reverrai à Paris, quand vous y serez revenue.

— Nous partons dans quinze jours.

Serrés l’un contre l’autre, ils s’étreignirent violemment. Il la meurtrissait de ses mains accrochées à ses reins, et il la fit cette fois crier, dans un râle étouffé. « Bats-moi… frappe-moi… fais-moi mal… »

Mais il ne frappa point la vierge domptée qui, sans force, implorait.

Il partait le soir même pour Paris.