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Esprit des lois (1777)/Eclaircissement

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ÉCLAIRCISSEMENT
SUR
L’ESPRIT DES LOIS.



I.


Quelques personnes ont fait cette objection. Dans le livre de l’esprit des lois, c’est l’honneur ou la crainte qui sont le principe de certains gouvernemens, non pas la vertu ; & la vertu n’est le principe que de quelques autres : donc les vertus chrétiennes ne sont pas requises dans la plupart des gouvernements.


Voici la réponse : L’auteur a mis cette note au chapitre V du livre troisieme : Je parle ici de la vertu politique qui est la vertu morale, dans le sens qu’elle se dirige au bien général ; fort peu des vertus morales particulieres ; & point du tout de cette vertu qui a du rapport aux vérités révélées. Il y a au chapitre suivant, une autre note qui renvoie à celle-ci ; & aux chapitres II & III du livre cinquieme, l’auteur a défini sa vertu, l’amour de la patrie. Il définit l’amour de la patrie, l’amour de l’égalité & de la frugalité. Tout le livre cinquieme pose sur ces principes. Quand un écrivain a défini un mot dans son ouvrage ; quand il a donné, pour me servir de cette expression, son dictionnaire ; ne faut-il pas entendre ses paroles suivant la signification qu’il leur a donnée ?


Le mot de vertu, comme la plupart des mots de toutes les langues, est pris dans diverses acceptions : tantôt il signifie les vertus chrétiennes, tantôt les vertus païennes ; souvent une certaine vertu chrétienne, ou bien une certaine vertu païenne ; quelquefois la force ; quelquefois, dans quelques langues, une certaine capacité pour un art ou de certains arts. C’est ce qui précede, ou ce qui suit ce mot, qui en fixe la signification. Ici l’auteur a fait plus ; il a donné plusieurs fois sa définition. On n’a donc fait l’objection, que parce qu’on a lu l’ouvrage avec trop de rapidité.



II.


L’auteur a dit au livre second, chap. III : La meilleure aristocratie est celle où la partie du peuple qui n’a point de part à la puissance est si petite & si pauvre, que la partie dominante n’a aucun intérêt à l’opprimer : Ainsi, quand Antipater[1] établit à Athenes que ceux qui n’auroient pas deux mille drachmes seroient exclus du droit de suffrage, il forma la meilleure aristocratie qui fût possible ; parce que ce cens étoit si petit, qu’il n’excluoit que peu de gens, & personne qui eût quelque considération dans la cité. Les familles aristocratiques doivent donc être peuple autant qu’il est possible. Plus une aristocratie approchera de la démocratie, plus elle sera parfaite ; & elle le deviendra moins, à mesure qu’elle approchera de la monarchie.

Dans une lettre insérée dans le journal de Trévoux du mois d’avril 1749, l’on a objecté à l’auteur sa citation même. On a dit-on, devant les yeux l’endroit cité, & on y trouve qu’il n’y avoit que neuf mille personnes qui eussent le cens prescrit par Antipater ; qu’il y en avoit vingt-deux mille qui ne l’avoient pas : d’où l’on conclut que l’auteur applique mal ses citations ; puisque dans cette république d’Antipater, le petit nombre étoit dans le cens, & que le grand nombre n’y étoit pas.


Réponse.


Il eût été à désirer que celui qui a fait cette critique eût fait plus d’attention, & à ce que dit l’auteur, & à ce qu’a dit Diodore.


I°. Il n’y avoit point vingt-deux mille personnes qui n’eussent pas le cens dans la république d’Antipater : les vingt-deux mille personnes, dont parle Diodore, furent reléguées & établies dans la Thrace ; & il ne resta, pour former cette république, que les neuf mille citoyens qui avoient le cens, & ceux du bas peuple qui ne voulurent pas partir pour la Thrace. Le lecteur peut consulter Diodore.


2°. Quand il seroit resté à Athenes vingt-deux mille personnes qui n’auroient pas eu le cens, l’objection n’en seroit pas plus juste. Les mots de grand & de petit sont relatifs. Neuf mille souverains, dans un état, sont un nombre immense ; & vingt-deux mille sujets, dans le même état, sont un nombre infiniment petit.


Fin de la Défense.

  1. Diodore, livre XVIII, page 601, édition de Rhodoman.