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Esprit des lois (1777)/L31/C26

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CHAPITRE XXVI.

Changement dans les fiefs.


Il n’arriva pas de moindres changemens dans les fiefs que dans les aleux. On voit, par le capitulaire[1] de Compiegne, fait sous le roi Pépin, que ceux à qui le roi donnoit un bénéfice donnoient eux-mêmes une partie de ce bénéfice à divers vassaux ; mais ces parties n’étoient point distinguées du tout. Le roi les ôtoit, lorsqu’il ôtoit le tout ; & à la mort du leude, le vassal perdoit aussi son arriere-fief : un nouveau bénéficiaire venoit, qui établissoit aussi de nouveaux arriere-vassaux. Ainsi l’arriere-fief ne dépendoit point du fief ; c’étoit la personne qui dépendoit. D’un côté, l’arriere-vassal revenoit au roi, parce qu’il n’étoit pas attaché pour toujours au vassal ; & l’arriere fief revenoit de même au roi, parce qu’il étoit le fief même, & non pas une dépendance du fief.

Tel étoit l’arriere-vasselage, lorsque les fiefs étoient amovibles ; tel il étoit encore, pendant que les fiefs furent à vie. Cela changea, lorsque les fiefs passerent aux héritiers, & que les arriere-fiefs y passerent de même. Ce qui relevoit du roi immédiatement n’en releva plus que médiatement ; & la puissance royale se trouva, pour ainsi dire, reculée d’un degré, quelquefois de deux, & souvent davantage.

On voit, dans les livres des fiefs[2], que, quoique les vassaux du roi pussent donner en fief, c’est-à-dire, en arriere-fief du roi, cependant, ces arriere-vassaux ou petits vavasseurs ne pouvoient pas de même donner en fief ; de sorte que ce qu’ils avoient donné, ils pouvoient toujours le reprendre. D’ailleurs, une telle concession ne passoit point aux enfans comme les fiefs, parce qu’elle n’étoit point censée faite selon la loi des fiefs.

Si l’on compare l’état où étoit l’arriere-vasselage, du temps que les deux sénateurs de Milan écrivoient ces livres, avec celui où il étoit du temps du roi Pépin, on trouvera que les arriere-fiefs conserverent plus long-temps leur nature primitive, que les fiefs.

[3]

Mais lorsque ces sénateurs écrivirent, on avoit mis des exceptions si générales à cette regle, qu’elles l’avoient presque anéantie. Car si celui qui avoit reçu un fief du petit vavasseur l’avoit suivi à Rome dans une expédition, il acquéroit tous les droits de vassal[4] : de même, s’il avoit donné de l’argent au petit vavasseur pour obtenir le fief, celui-ci ne pouvoit le lui ôter, ni l’empêcher de le transmettre à son fils, jusqu’à ce qu’il lui eût rendu son argent. Enfin, cette regle n’étoit plus suivie dans le sénat de Milan[5].


  1. De l’an 757, art. 6, édit. de Baluze, p. 181.
  2. Liv. I. chap. i.
  3. Au moins en Italie & en Allemagne.
  4. Liv. I, des fiefs, chap. i.
  5. Ibid.