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Esprit des lois (1777)/L31/C7

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CHAPITRE VII.

Des grands offices & des fiefs, sous les Maires du Palais.


Les maires du palais n’eurent garde de rétablir la movibilité des charges & des offices ; ils ne régnoient que par la protection qu’ils accordoient à cet égard à la noblesse : ainsi les grands offices continuerent à être donnés pour la vie, & cet usage se confirma de plus en plus.

Mais j’ai des réflexions particulieres à faire sur les fiefs. Je ne puis douter que, dès ce temps-là, la plupart n’eussent été rendus héréditaires.

Dans le traité d’Andeli[1], Gontran, & son neveu Childebert, s’obligent de maintenir les libéralités faites aux leudes & aux églises par les rois leurs prédécesseurs ; & il est permis aux reines[2], aux filles, aux veuves des rois, de disposer, par testament & pour toujours, des choses qu’elles tiennent du fisc.

Marculse écrivoit ses formules du temps des maires[3]. On en voit plusieurs[4] où les rois donnent à la personne & aux héritiers : & comme les formules sont les images des actions ordinaires de la vie, elles prouvent que, sur la fin de la premiere race, une partie des fiefs passoit déjà aux héritiers. Il s’en falloit bien que l’on eût, dans ces temps-là, l’idée d’un domaine inaliénable ; c’est une chose très-moderne, & qu’on ne connoissoit alors ni dans la théorie, ni dans la pratique.

On verra bientôt sur cela des preuves de fait : & si je montre un temps où il se trouva plus de bénéfices pour l’armée, ni aucun fonds pour son entretien ; il faudra bien convenir que les anciens bénéfices avoient été aliénés. Ce temps est celui de Charles Martel, qui fonda de nouveaux fiefs, qu’il faut bien distinguer des premiers.

Lorsque les rois commencerent à donner pour toujours, soit par la corruption qui se glissa dans le gouvernement, soit par la constitution même qui faisoit que les rois étoient obligés de récompenser sans cesse ; il étoit naturel qu’ils commençassent plutôt à donner à perpétuité les fiefs que les comtés. Se priver de quelques terres étoit peu de chose ; renoncer aux grands offices, c’étoit perdre la puissance même.


  1. Rapporté par Grégoire de Tours, liv. IX. Voyez aussi l’édit de Clotaire II, de l’an 615, art. 16.
  2. Ut si quid de agris fiscalibus vel speciebus atque præsidio pro arbitrii sui voluntate facere aut cuiquam conferre voluerint, fixâ stabilitate perpetuò conservetur.
  3. Voyez la 24 & la 34 du livre I.
  4. Voyez la formule 14 du livre I, qui s’applique également à des biens fiscaux donnés directemenr pour toujours, ou donnés d’abord en bénéfice, & ensuite pour toujours : Sicut ab illo aut à fisco nostro suit possessa. Voyez aussi la formule 17, ibid.