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Esprit des lois (1777)/L5/C11

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CHAPITRE XI.

De l’excellence du gouvernement monarchique.


Le gouvernement monarchique a un grand avantage sur le despotique. Comme il est de sa nature qu’il y ait sous le prince plusieurs ordres qui tiennent à la constitution, l’état est plus fixe, la constitution plus inébranlable, la personne de ceux qui gouvernent plus assurée.

Cicéron[1] croit que l’établissement des tribuns de Rome fut le salut de la république. « En effet, dit-il, la force du peuple qui n’a point de chef est plus terrible. Un chef sent que l’affaire roule sur lui, il y pense : mais le peuple dans son impétuosité ne connoît point le péril où il se jette. » On peut appliquer cette réflexion à un état despotique, qui est un peuple sans tribuns, & à une monarchie où le peuple a en quelque façon des tribuns.

En effet, on voit par-tout que dans les mouvemens du gouvernement despotique, le peuple mené par lui-même porte toujours les choses aussi loin qu’elles peuvent aller ; tous les désordres qu’il commet sont extrêmes : Au lieu que dans les monarchies, les choses sont très-rarement portées à l’excès. Les chefs craignent pour eux-mêmes, ils ont peur d’être abandonnés ; les puissances intermédiaires dépendantes[2] ne veulent pas que le peuple prenne trop le dessus. Il est rare que les ordres de l’état soient entiérement corrompus. Le prince tient à ces ordres ; & les séditieux qui n’ont ni la volonté ni l’espérance de renverser l’état, ne peuvent ni ne veulent renverser le prince.

Dans ces circonstances, les gens qui ont de la sagesse & de l’autorité s’entremettent ; on prend des tempéramens, on s’arrange, on se corrige ; les lois reprennent leur vigueur & se font écouter.

Aussi toutes nos histoires sont-elles pleines de guerres civiles sans révolutions ; celles des états despotiques sont pleines de révolutions sans guerres civiles.

Ceux qui ont écrit l’histoire des guerres civiles de quelques états, ceux mêmes qui les ont fomentées, prouvent assez combien l’autorité que les princes laissent à de certains ordres pour leur service, leur doit être un peu suspecte ; puisque dans l’égarement même, ils ne soupiroient qu’après les lois & leur devoir, & retardoient la fougue & l’impétuosité des factieux plus qu’ils ne pouvoient la servir[3].

Le cardinal de Richelieu, pensant peut-être qu’il avoit trop avili les ordres de l’état, a recours pour le soutenir aux vertus du prince & de ses ministres[4] ; & il exige d’eux tant de choses, qu’en vérité il n’y a qu’un ange qui puisse avoir tant d’attention, tant de lumieres, tant de fermeté, tant de connoissances ; & on peut à peine se flatter que d’ici à la dissolution des monarchies, il puisse y avoir un prince & des ministres pareils.

Comme les peuples qui vivent sous une bonne police, sont plus heureux que ceux qui, sans regle & sans chefs, errent dans les forêts ; aussi les monarques qui vivent sous les lois fondamentales de leur état sont-ils plus heureux que les princes despotiques, qui n’ont rien qui puisse régler le cœur de leurs peuples ni le leur.


  1. Liv. III des lois.
  2. Voyez ci-dessus la premiere note du liv. II. chap. IV.
  3. Mémoires du cardinal de Retz, & autres histoires.
  4. Testament politique.