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Histoire abrégée de l'île Bourbon/II

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 11-18).
DEUXIÈME ÉPOQUE — DE 1665 À 1710
Enfance de la Colonie. — Organisation presque arbitraire des gouverneurs.

CHAPITRE II

Étienne Regnault et De la Hure — Chapelle de Notre-Dame des Anges — Louis de Matos et Jourdié, prêtres — Fondation de Sainte-Suzanne, Saint-Denis, Sainte-Marie — Les premiers colons — Caractère de la Hure — Interdiction de la chasse — Complots des noirs — Fuite des blancs — 4me prise de possession — Déposition de la Hure.
Étienne Regnault — 1665 à 1671

1. Louis XIV, voulant étendre le commerce de la France, créa en 1664 la Compagnie des Indes Orientales, et lui céda à perpétuité Madagascar et ses dépendances. Quatre navires partirent de Brest, le 16 mars 1665, avec un effectif de 520 hommes pour Madagascar et l’île Bourbon. Le Saint-Paul, ayant à bord M. de Bausse, gouverneur général, fit voile sur la grande île ; les trois autres : l’Aigle-Blanc, le Taureau et la Vierge-du-Bon-Port relâchèrent à Bourbon. Ils y déposèrent Regnault, nommé commandant par le roi, vingt ouvriers, un marchand du nom de Baudry, et 200 malades qui recouvrèrent promptement la santé.

Regnault et ses ouvriers s’établirent sur les terres cultivées autrefois par Thaureau : ce choix de résidence fut l’origine du quartier longtemps appelé le Vieux Saint-Paul.

Saint-Paul était habité en 1647 par les déportés de Pronis ; en 1654 par Antoine Thaureau et ses compagnons ; en 1662 par Louis Payen, son serviteur et 6 malgaches ; il le fut définitivement par les colons confiés à Regnault qui fit des bords de l’étang la première localité de l’île.

Le nom de Saint-Paul est attribué à différentes causes : les uns le font remonter à la prise de possession par de Pronis, le 29 juin, fête des saints Apôtres Pierre et Paul ; les autres, en mémoire du navire le Saint-Paul qui avait débarqué Regnault et ses compagnons.

De Flacourt, dans sa carte de l’île Bourbon, dressée à Fort-Dauphin, en 1654, cite Saint-Paul habitation des Français. Il est donc certain que ce nom a été donné par les déportés.

La carte dressée par les Portugais en 1645 ne contient pas d’autres noms que Sancta Apollonia et Mascarenhas ; ceux que l’on trouve sur la carte de Flacourt désignant les rivières, les étangs, les golfes, les habitations et les caps, proviennent évidemment des déportés qui les ont donnés eux-mêmes.

2. Grâce à l’intelligente initiative et à l’activité du chef de la petite colonie, chacun se mit au travail avec ardeur. Les semis des graines apportées de France ayant parfaitement réussi, on vit bientôt les hauteurs du Bernica et de Saint-Gilles couvertes de plantations.

3. Les noms des premiers colons méritent d’être notés, comme étant la souche des familles qui colonisèrent l’île Bourbon, et l’origine de la population blanche actuelle. Ce sont : François Ricquebourg, Pierre Hibon, Fontaine, Macé, Baillif, Léger, Payet, Robert, Gruchet, Mancel, Cadet, Técher, Mollet, Auber, Dennemont, Michel, Esparon, Béloni, Mussard, Hoareau, Nativel, Launay, Touchard. D’autres noms tels que ; les Déguigné, Gonneau, Laroche, Malet, Panon, Robert, Roulof, sont à peu près de même date que les premiers.

François Ricquebourg, le seul qui sut écrire, devint secrétaire du commandant.

4. En 1667, une flotte française, venant du Brésil, laissa 200 malades aux soins du commandant Regnault. Parmi eux se trouvait le père Louis de Matos, religieux portugais, qui exerça le saint ministère durant trois mois. À son invitation, Regnault et les habitants s’empressèrent de construire sur les bords de l’Étang la modeste chapelle de Notre-Dame des Anges, qui se voyait encore eu 1860[1].

Un voyageur, M. Dubois, visitant l’île en 1669, dit dans ses récits : On recueille à Bourbon, riz, blé de Turquie, fèves du Brésil, antacques, haricots, voèmes, ambérics, cambarres, songes, oumimes, bananes, figues d’Adam (raquette) ananas, acajou, citrons doux et aigres, orangers, vangassecs, limons, orge, avoine, blé, raisins, canne à sucre, tabac, indigo, etc. Les mouches à miel et les poules y sont importées depuis cinq ans ; on y trouve aussi des scorpions et des lézards ; les chats seraient inutiles, vu qu’il n’y a ni rats ni souris.

5. Le père Jourdié lazariste, malade à Fort-Dauphin, arriva en Octobre de la même année. Il tint registre des baptêmes, mariages et enterrements, et ne rejoignit sa mission de Madagascar qu’après un séjour de trois années à Bourbon,

6. Regnault profita de l’augmentation des habitants pour transporter quelques familles sur divers points. C’est dans ce dessein qu’il avait exploré plusieurs fois les côtes de l’île[2], voulant reconnaître par lui-même les lieux les plus favorables à l’établissement des quartiers. Il fonda Sainte-Suzanne en 1667, Saint-Denis en 1669, Sainte-Marie en 1671 ; Saint-Gilles avait eu des habitants dès le commencement des travaux agricoles.

Saint-Gilles tire son nom de la Ravine qui sillonne une partie de son territoire. La concession qui en avait été faite à Gil ou Gilles Launay, en 1670, est la première dont il soit fait mention dans l’histoire de la Colonie. Cette localité a fourni d’abondantes récoltes de légumes, de tabac, de blé, le meilleur café après celui de Saint-Leu, et les plus riches cotonneries du pays. L’avalasse de 1806 a réduit en savane toute la partie primitivement cultivée.

Depuis l’érection de la Colonie en Diocèse (1851) la population est divisée en deux paroisses : Stella Maris sur le bord de la Mer, et Saint-Gilles dans les hauts.

7. En établissant le quartier Saint Denis, Regnault y fixa sa résidence, « parce que, disait-il, son ancrage étant le meilleur, ce lieu est destiné à devenir le centre du commerce et du Gouvernement. » Cette idée fut réalisée par le célèbre Labourdonnais, en 1738.

La résidence de Regnault était située sur la place qui est devant l’hôtel du Gouvernement. Un peu au-dessus, étaient une paillotte destinée au culte divin, le presbytère et trois autres maisons[3]. La même année, le marquis de Mondevergue vint faire escale sur la rade ; il fut accueilli par le chef de l’île qui le retint plusieurs jours. C’est dans cette circonstance que la nouvelle localité reçut le nom de Saint-Denis, de l’un des navires de la flotte. Deux ans après, 1671, l’escadre du vice-roi des Indes y jeta l’ancre ; la supériorité, de Saint-Denis était dès lors admise en principe.

À cette époque, le Butor (les Bitors d’après M. Pajot) formait une station distincte occupée à son origine par quatre familles ; ce point acquit bientôt la même importance que Saint-Paul et Sainte-Suzanne.

La culture comprit dès le principe les plantes potagères, le blé dont le premier boisseau mis en terre en rendit soixante ; le seigle, la pomme de terre, le tabac, la canne qui servait à faire le vin de flangourin. Le Commandant avait planté 2000 pieds de vigne qui rapportèrent longtemps encore après son départ.

La salubrité du climat de Bourbon était devenue proverbiale parmi les navigateurs ; ils se plaisaient à qualifier cette île fortunée des noms d’Eden, de Paradis terrestre. Aussi venaient-ils, sans distinction de nationalité, y déposer leurs malades. Ceux-ci y trouvaient, avec la santé, un accueil si cordial, que plusieurs renonçaient à leur carrière maritime pour partager la vil paisible des habitants. Des forbans, des flibustiers même, touchés des mœurs simples de leurs hôtes, quittaient leur vie d’aventure ou de brigandage et devenaient des colons sérieux et honnêtes.

Sous les successeurs de Regnault, on vit la colonie se composer d’éléments les plus disparates. Portugais, Anglais, Danois, Hollandais se confondirent pendant quelque temps avec les Français ; il en résulta bientôt un esprit d’indépendance et de mutinerie qui rendit l’œuvre de colonisation d’autant plus pénible que les gouverneurs n’avaient aucun moyen de répression ni d’autorité que celle que les colons voulaient bien leur déférer.

8. De la Haye, vice-roi des Indes, arriva à Bourbon le 1er mai 1671. Après avoir fait reconnaître ses pouvoirs, il prit possession de l’île pour la quatrième, fois, laissant à ce sujet une pierre commémorative sur laquelle sont gravés un manteau avec fleurs de lys et cette inscription : Jacob de La Haye, vice-roi des Indes. Cette pierre se voit dans le vestibule de l’hôtel du gouvernement.

Certains auteurs admettent trois prises de possession, d’autres, deux seulement. Il nous paraît plus exact d’en admettre quatre, attendu qu’on en connaît la date précise :

lre. — En août 1633 par M. Gaubert, capitaine du Saint-Alexis.

2e. — En juin 1642, par de Pronis, sur le Saint-Louis capitaine Coquet.

3e — En octobre 1649, par de Flacourt, navire le Saint-Laurent, capitaine le Bourg.

4e — Le 6 mai 1671, par de la Haye, vice-roi des Indes.

9. Le vice-roi rendit ensuite quelques ordonnances, défendit la chasse ; puis il remplaça Regnault par de la Hure, et le 17 mars son escadre, composée de dix vaisseaux, reprenait la route de Madagascar.

De La Hure — 1672 à 1674

10. D’un caractère dur, emporté, violent, ce gouverneur détruisit en peu de temps ce qu’avait édifié son prédécesseur. Il donnait ses ordres d’un ton impérieux et en exigeait l’exécution avec rigueur. Il interdit la chasse au lieu de la réglementer. Un employé de la Compagnie, Véron, fut fusillé et écartelé pour s’être permis de lui adresser quelques observations. Ces rigueurs convenaient peu à des gens qui ne comprenaient ni l’obéissance ni la soumission ; aussi le plus grand nombre d’entre eux, abandonnant leurs plantations, s’enfuirent dans les bois.

11. Les noirs n’étaient pas mieux traités que les blancs ; en retour, le gouverneur n’en était pas moins détesté. Malgré l’absence de chemins, de La Hure se faisait porter d’un lieu à l’autre ; cette exigence inusitée acheva d’exaspérer les noirs qui résolurent de précipiter le gouverneur du haut d’une ravine profonde, à la première traversée qui serait faite de Saint-Denis à Saint-Paul. Le complot fut découvert et les noirs mis à mort. Leur exécution a fait donner à la ravine en question le nom de Ravine-à-Malheur.

Cet état de choses dura trois ans, pendant lesquels plusieurs colons parvinrent à regagner la France ; d’autres sollicitèrent vainement leur retour par les navires de la Compagnie ; ils préférèrent alors vivre isolés plutôt que de rejoindre leurs habitations.

12. Cependant le roi, informé des souffrances de la colonie, y renvoya de La Haye, avec ordre de remplacer le gouverneur. À son arrivée, Gil Launay fut dépêché vers les fugitifs. Il parcourut toute la côte Sud en sonnant de l’encive. Les colons descendaient de tous côtés sur le rivage, pour voir ce que c’était. Le nom de de La Haye, en qui ils avaient confiance, fit tomber leur mécontentement, et ses promesses les déterminèrent à se rendre auprès de lui. Launay rentra donc à Saint-Denis, accompagné de tous les colons déserteurs.

De La Haye les reçut avec bonté ; il leur distribua du linge, des outils, du fer, et autres menus objets qu’il apportait de France. D’Orgeret fut mis à la place de La Hure qui partit pour France, après quoi les colons regagnèrent leurs habitations et reprirent le travail avec une nouvelle ardeur ; mais la tranquillité dura peu.

  1. « Regnault voulut être parrain du premier enfant blanc né dans la Colonie, lequel fut aussi le premier baptisé dans la chapelle qui venait d’être construite. Cet enfant fut Étienne Beau, fils de Pierre Beau. » (Pajot)
  2. Le voyage pouvait être effectué en 18 jours.
  3. Occupées par Manuel, Martin, Huet.