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Histoire abrégée de l'île Bourbon/I

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 4-11).

HISTOIRE ABRÉGÉE DE L’ÎLE BOURBON

PREMIÈRE ÉPOQUE — DE 1513 À 1665
L’île est inhabitée ; elle sert comme point de relâche aux navigateurs. Différents maîtres se l’attribuent. Elle reste définitivement à la France.

CHAPITRE Ier

Découverte de l’île — Noms qui lui furent donnés — Les Anglais comptent l’île au nombre de leurs colonies — Prise de possession pour la France — Deuxième prise de possession — Les révoltés de Fort Dauphin — Lieux de leur établissement — Troisième prise de possession — Antoine Thaureau et ses compagnons — Louis Payen — Origine des noirs marrons

1. La Réunion est une colonie française située dans la mer des Indes, à l’Est de Madagascar ; c’est la plus grande des îles Mascareignes[1]. Elle fut découverte par des Portugais le 8 février 1513 : ils la nommèrent Sancta Appollonia, et plus tard (1545), Mascareigne, du nom de Mascarenhas, leur chef.

L’île n’avait pas de port ni même de rades sûres ; cependant la beauté des sites, la fertilité du sol, la douceur et la salubrité du climat, l’abondance des eaux, auraient pu déterminer les Portugais à s’y fixer ; mais ces navigateurs aspiraient aux richesses des grandes colonies de l’Inde. Ils abandonnèrent donc Santa Apollonia, après y avoir laissé des cochons et des chèvres.

2. En 1613, les Anglais relâchèrent à Mascareigne, et l’appelèrent Forest d’Angleterre.

Cette simple dénomination leur parut suffire pour ajouter un pays de plus à leurs faciles conquêtes. En effet, Mascareigne a figuré dans leurs archives comme colonie anglaise.

5. La première prise de possession eut lieu en 1638 par le capitaine du Saint-Alexis, Gaubert, qui, trouvant l’île inhabitée, y arbora les armes de France.

4. En 1642, le Saint-Louis, capitaine Coquet, partit pour la mer des Indes ; il avait à son bord de Pronis, représentant la Compagnie de Lorient, et le personnel nécessaire pour fonder la colonie de Madagascar. De Pronis, nommé commandant des nouveaux établissements, fît relâche à Mascareigne dont il prit possession au nom du roi de France. La même cérémonie fut renouvelée peu de jours après à Nossi-Hibrahim (Sainte-Marie de Madagascar) en présence des insulaires. Le Saint-Louis continuant sa route arriva le 7 septembre à Manghafia (Sainte-Luce), sur la côte Sud-Est de Madagascar, par le 24° 50’ de latitude.

Huit Français occupaient ce lieu depuis l’année précédente ; leur navire, capitaine Gaubert, ayant échoué non loin de là, une partie de l’équipage s’était construit une barque avec les débris du naufrage, pour retourner en France ; les autres préférèrent vivre sur la côte plutôt que de courir les chances d’une mort imminente. Manghafia, reconnu insalubre et n’offrant pas d’ailleurs les avantages désirables à l’établissement d’une colonie, fut abandonné en 1643 pour le port de Tholangharen, situé par le 25° 6’. Cette nouvelle occupation reçut le nom de Port ou Fort-Dauphin.

5. Les colons fatigués des duretés du commandant de Pronis, se révoltèrent : douze des principaux mutins furent saisis, jugés, condamnés et déportés à Mascareigne, dont ils devinrent les premiers habitants (1646).

De Pronis commit deux fautes qui eurent les conséquences les plus opposées : la première, en compromettant l’autorité et les propres intérêts du commandant, fut le principe de la colonisation de Bourbon ; la seconde entraîna la perte des établissements français à Madagascar.

Soit tempérament, soit dissidence religieuse, de Pronis traita les Français avec dureté et mépris ; il détourna ensuite quantité d’objets à l’usage de la Colonie, du bétail et surtout le riz, pour satisfaire aux exigences de son inconduite. Deux requêtes présentées par les colons ne leur attirèrent que des menaces ; les Français exaspérés se saisirent du commandant, le mirent aux fers, et l’enfermèrent dans une chambre noire durant six mois.

Sur ces entrefaites arriva le Saint-Laurent, capitaine Roger le Bourg, selon d’autres, Royer du Bourg, à qui les Français remirent de Pronis pour être emmené en France ; mais le Bourg se laissa toucher, il céda aux insinuations du commandant qui fut réintégré dans son poste.

Les colons, indignés de cette trahison, se révoltèrent de nouveau. Trente d’entre eux dirigés par la Fontaine, Beaumont, des Roquettes, la Forge, Saint-Martin, du Mont, occupèrent l’extrémité des retranchements du Fort, bien résolus à s’y maintenir indépendants. Cet état de choses nuisait d’autant plus à la Colonie, que les insurgés interceptaient le bétail et les vivres.

Cependant, à force de stratagèmes et de promesses, de Pronis et le Bourg parvinrent à obtenir la soumission des révoltés et la reddition de leurs armes ; mais, au lieu du pardon promis, on garrotta les douze principaux qui Furent jetés sur le Saint-Laurent à destination de France[2]. Le Bourg, se souciant peu de tels hôtes pour une traversée de cinq mois, les conduisit à Sainte-Marie, d’où, les ayant mis dans une barque voilière, il les fit diriger sur Mascareigne.

Après cet événement, le capitaine Vandremester, gouverneur de l’île Maurice pour la Hollande, vint à Fort-Dauphin acheter les travailleurs dont il avait besoin. Jusque-là les naturels, hommes, femmes, enfants, libres et esclaves, venaient au Fort sans la moindre défiance, pour y travailler, trafiquer, ou même par curiosité. De Pronis fit faire main basse sur tous ceux qu’il rencontra, puis on donna la chasse aux fuyards et aux habitants des villages environnants jusqu’à ce que le gouverneur hollandais eut complété sa cargaison.

Cette perfidie fut une faute capitale contre la prospérité d’une colonie naissante qui avait besoin de toute la bienveillance des naturels du pays. Ceux-ci, voyant ravir leurs parents, leurs chefs, leurs esclaves, résolurent la perte des Français et la destruction de leurs établissements.

À partir de ce moment les rapports des naturels avec les colons ne furent plus que feintes, embûches, escarmouches, trahisons, vols, grands combats : tous les moyens imaginables furent employés durant 27 ans, pour arriver au dénoûment tragique de 1674.

Plus heureux que leurs frères de Fort-Dauphin, les déportés trouvèrent à Mascareigne la santé, une nourriture abondante et les charmes d’une vie paisible. Ils stationnèrent non loin du lieu de leur débarquement, lequel s’était opéré en octobre, à l’embouchure d’une rivière de la côte orientale ; cette rivière reçut le nom de Saint-Jean.

La saison des grandes pluies les obligea bientôt à se créer des abris ; ils élevèrent trois cases au moyen de pieux et de feuillages, et ce fut l’habitation de l’Assomption (aujourd’hui Quartier-Français,) en mémoire de ce premier séjour.

Leur nourriture consistait en foies de tortues, cabris, poissons, oiseaux, cochons, auxquels ils ajoutaient les fruits variés de la forêt.

La culture se réduisait nécessairement à deux sortes de plantes, les melons et le tabac, seules graines qui eussent été apportées de Madagascar.

Voyant partout la même abondance d’animaux et de fruits, les déportés résolurent d’explorer le pays. Tout porte à croire qu’ils pénétrèrent peu dans les gorges de la partie orientale ; mais le volume d’eau considérable de la rivière du Sud les détermina à en découvrir la source ; ils arrivèrent en effet à un plateau encaissé à la base du massif le plus élevé de l’île. Ce plateau, limité au Sud par une chaîne de remparts moins élancés que le grand massif, était un immense réservoir que l’action dévastatrice des cyclones a fait disparaître[3].

De là, les explorateurs regagnant le littoral, débouchèrent dans la plaine occidentale. L’étang qui la fertilisait, la douceur du climat, la pureté du ciel, une mer habituellement calme, contribuèrent au choix de ce lieu, pour une résidence que les déportés pensaient ne jamais quitter.

Ils construisirent au Nord-Est de l’Étang une nouvelle habitation avec les dépendances nécessaires ; au centre s’élevait un piédestal surmonté d’une croix près de laquelle ils accomplissaient les devoirs religieux qui leur étaient possibles. C’est là que le capitaine le Bourg vint leur donner communication des ordres qui mettaient fin à leur exil.

D’après les données des déportés, de Flacourt dressa en 1653 une carte du pays de Bourbon ; elle contient les noms suivants : G. R. du Galet, Possession du Roy, C. Saint Bernard, Habitation de L’Assomption, R. Saint Jean, R. du Mast, R. des Roches, B. du Marsouin, R. de l’Est, la Montagne Rouge, (aujourd’hui le piton de Sainte-Rose) Païs Bruslé, Islet, (la petite-île) Poincte des Grands Bois, R. de Saint-Estienne, Étang du golfe, Petit Étang-Salé, Trois grands Bassins, R. Saint-Gilles, Saint-Paul habitation des Français.

6. De Flacourt ayant succédé à de Pronis en 1648, envoya l’année suivante à Mascareigne le capitaine Roger le Bourg, avec ordre de ramener les exilés de Fort-Dauphin.

7. Aux récits merveilleux que les déportés faisaient sur les productions et le climat de Mascareigne, de Flacourt résolut d’en prendre solennellement possession et de la coloniser. À cet effet, le capitaine Roger le Bourg s’y rendit une seconde fois, emmenant avec lui un taureau et quatre génisses qu’il y déposa[4].

Suivant les ordres de Flacourt, l’acte de prise de possession fut attachée avec les armes du roi à un arbre de la côte Nord-Ouest, et le nom de Mascareigne changé en celui de Bourbon (15 novembre 1649)[5].

8. Cependant les éloges incessants que faisaient de Mascareigne les exilés de Pronis, déterminèrent plusieurs colons à quitter Fort Dauphin pour l’île Bourbon. Antoine Thaureau, sept autres Français et six nègres partirent avec l’autorisation de Flacourt. Ils débarquèrent sur la côte Ouest, dans la baie située près de l’étang, et construisirent leurs cases au pied de la montagne (7 septembre 1654.)

Les premiers essais de culture furent si satisfaisants qu’au bout de 18 mois la petite colonie se trouva en état de fournir d’abondantes provisions, quantité de tabac et d’aloès préparé au navire le Saint-Georges qui vint relâcher à la côte. Ces heureux débuts furent bientôt suivis de tristes revers.

En 1656 un ouragan renversa les cases, et l’eau inonda les terres cultivées. Au mois de janvier de l’année suivante, un nouvel ouragan détruisit toutes les plantations. Un troisième cyclone, en février 1653, enleva tout espoir de prospérité.

9. Thaureau et ses compagnons se voyant privés de communications avec Madagascar, sans secours du commandant, n’ayant aucune nouvelle de leurs compatriotes, découragés par les désastres qui venaient de les frapper, profitèrent du Thomas-Guillaume, capitaine Gosselin, pour se rendre dans les Indes, laissant Bourbon inhabité (juin 1658).

10. Louis Payen et son serviteur, dix Malgaches (sept hommes et trois femmes) partirent de Fort-Dauphin dans l’espoir de rejoindre la colonie d’Antoine Thaureau. Ils s’établirent dans l’anse de Saint-Paul, non loin des habitations récemment abandonnées (1662).

Forts de leur supériorité numérique, les Malgâches se révoltèrent ; ils se retirèrent dans des lieux inaccessibles, et formèrent le premier noyau des noirs marrons.

Payen et son compagnon s’adonnèrent à la culture du tabac et des plantes potagères ; à l’élève des cochons et des cabris qu’ils fournissaient aux navires dépourvus de provisions. À l’arrivée d’Étienne Regnault et de ses ouvriers, Payen s’embarqua pour la France, et son serviteur s’engagea au service de la Compagnie.


  1. Les Mascareignes comprennent la Réunion, Maurice et Rodrigue.
  2. La Forge et Beaumont ne furent point compris dans les douze.
  3. Certaines cartes, copies infidèles de celle de Flacourt, établissent au sommet de l’île « un grand lac d’où sortent sept rivières. » La carte de Flacourt imprimée en 1661, ne décrit point ce lac fameux, ni la dénomination ci-dessus. Celui que les déportés mentionnent, figure exactement le plateau de Cilaos ; or il n’est pas improbable que les terres cultivées aujourd’hui aient été jadis couvertes d’eau. En 1875, l’éboulis du Grand Sable, interceptant la Rivière de Fleurs Jaunes, a fait surgir un lac qui a disparu trois ans après. Un phénomène semblable au Cap Noir était sans aucun doute la cause du lac indiqué par les déportés.
  4. On débarqua un troupeau semblable en 1654. Après cinq, ans les premiers avaient plus que décuplé.
  5. Le lieu où se fit la cérémonie est appelé la Possession.