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Histoire abrégée de l'île Bourbon/IX

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 54-61).

CHAPITRE IX

Conseil disséminé — Atelier — Corvée — Le café — Boutiques — Saint-André — Manioc — Plan — les Seychelles — Plantation de café — Théâtre — Ordonnances sur les noirs.
André d’Héguerty — 1739 à 1743.

12. M. de Labourdonnais savait que la proximité de résidence des membres du Conseil était un obstacle à l’affaiblissement et à l’infériorité dans lesquels il voulait maintenir cette assemblée ; la réussite de ce double projet ne pouvait résulter que de la distance, il en profita. Saint-Denis conservait trois conseillers ; les autres durent se fixer : un à Sainte-Suzanne, un à Saint-Paul, un à Saint-Pierre. Ces trois derniers se dédommagèrent de leur éloignement du chef-lieu en s’arrogeant le titre de commandant. Celui de Saint-Pierre eut la prééminence sur les autres à cause de la grande quantité de céréales dont il faisait le trafic au nom de la Compagnie pour l’île de France.

13. L’ouverture des chemins, et, par suite, leur entretien, venaient de faire surgir un nouveau besoin : la création des ateliers de la Compagnie pour les travaux publics.

Leur mode d’entretien fut basé sur l’impôt de capitation établi en 1737 : chaque propriétaire payait 20 sous par noir. Il en fut ainsi jusqu’après la rétrocession anglaise. Cet impôt varia selon l’urgence des besoins ; en 1770 on payait 3 livres par tête de noir, 20 sous en 1771, 40 sous en 1773 ; soit 1.50, 0.50, 1 franc de monnaie française.

On ne s’en tint pas à la capitation ; les hommes des ateliers n’étant pas assez nombreux, on y suppléa par la corvée. Cette nouvelle charge consistait à imposer par habitant un certain nombre de journées de noirs pour l’année. Les habitants firent la sourde oreille et l’on s’abstint. Mais la Compagnie avait le privilège exclusif de vendre les aliments et autres marchandises indispensables ; or Mahé de Labourdonnais défendit de vendre à quiconque n’aurait pas fourni son contingent de corvée (1739) ; ce moyen eut un plein succès, tout le monde s’exécuta de bonne ou mauvaise grâce, et les corvées subsistèrent à l’aide du triage et du rebut des bandes des habitations jusqu’en 1834 que les conseils municipaux n’en voulurent plus absolument.

14. Quelques mois après, Mahé de Labourdonnais plus décidé que jamais à concentrer les forces de colonisation sur l’île de France, arracha au conseil supérieur de Bourbon une déclaration solennellement inscrite, portant que l’île était assez peuplée et qu’elle produisait trop de café.[1]

« À la place du café dont on se dégoûta (sans doute avec intention) on poussa à la culture du coton, à celle de l’indigo, qui ne produisit pas de résultat.[2]

15. En 1740, la mort de Mme Labourdonnais obligea le Gouverneur général à faire un voyage en France ; les mécontents, alors très-nombreux, en profitèrent pour se soulager du poids qui les oppressait ; ils voulaient plus de liberté, moins de charges ; on crut prudent de les apaiser par rétablissement des boutiques dans les quartiers. Cette faveur était relativement grande, puisqu’elle dispensait les habitants de se rendre au chef-lieu aux jours et heures préindiqués pour l’achat des objets qui leur étaient nécessaires. Les colons de Saint-André eurent pour leur part une faveur d’un autre genre : l’érection de la localité en paroisse ; néanmoins le registre curial ne date que de 1741.

La première occupation de cette localité paraît remonter au gouvernement de la Hure : le chevalier de Ricou visitant l’île en 1681, aperçut plusieurs cases auprès de la rivière du Mât, laquelle, au dire des vieillards, débouchait dans l’Étang du Champ Borne.

Vingt ans plus tard, les défrichements entrepris dans les environs, donnaient à cet endroit un aspect moins solitaire.

En 1725 le territoire comptait vingt-trois concessionnaires, dont sept dans les hauts, et seize disséminés sur l’étendue qui comprend aujourd’hui le Quartier-Français (partie de Saint-André), le Champ-Borne et le Village proprement dit. Parmi ces concessionnaires laborieux que l’on doit considérer comme les fondateurs du quartier et ses premiers propriétaires, on cite les Robert, Martin, Damour, Delâtre, Natz, Lebeau, Royer, Dromann, Maureau, Picard, de Verdières, de Palmaroux, Roudié ; et dans les hauts, Clain, Robert, Perrault, Richard, Gilbert, etc.

M. Teste, curé de Sainte-Suzanne, forma pour ces familles une section distincte, la 3e de sa vaste paroisse, et la mit sous le vocable de Saint-Joseph. En 1735 il acheta de MM. Argo et de Palmaroux le terrain occupé actuellement par la mairie, le cimetière, l’église, les écoles et les maisons adjacentes. L’église bâtie aux frais de la mission fut terminée en 1740 ; mais M. d’Ure de Beaumetz ne prit possession de la cure que l’année suivante.

Aussitôt après la séparation de la nouvelle localité, le Gouvernement s’y fit représenter par un officier, M. André Hocquart. À cette occasion, la paroisse changea son nom de Saint-Joseph en celui de Saint-André, patron du commandant.

En décembre 1746, Saint-André, privé de pasteur, rentra sous l’administration de la cure de Sainte-Suzanne, mais cette situation ne dura que deux ans.

Depuis 1744 jusqu’à la rétrocession, l’accroissement des familles fut peu sensible ; sous M. de Bellecombes la population s’élevait à peine au chiffre de 1,800 habitants.

Lors des troubles de 1793 les principaux du quartier constituèrent la société des Amis de l’Ordre en opposition aux Chaumières[3] ; peu après ils affirmèrent avec un enthousiasme blâmable leur attachement à l’ancien régime. L’effigie d’un sans-culotte coiffé du bonnet phrygien, fut pendue à l’arbre de la liberté et fustigée. Les Chaumières de Saint-Denis, de Sainte-Rose et de Saint-Louis réclamèrent une punition exemplaire pour un aussi grand crime. En conséquence le Quartier fut rayé du livre de vie, mais seulement par forme de jugement, car les actes civils ne cessèrent pas d’être enregistrés et signés par le citoyen Moreau, premier maire de la commune. Cette apparence de châtiment ne pouvait satisfaire les Chaumières ; aussi celle de Saint-André prit à tâche de les venger et c’est sur les objets du culte qu’elle porta ses coups. Le bénitier de l’Église servit d’abreuvoir, l’église elle-même fut découverte, puis détruite… Les choses demeurèrent en cet état jusqu’en 1819 époque à laquelle M. l’abbé Minot construisit l’Église qui se voit aujourd’hui.

16. 1741. Retour de Mahé de Labourdonnais qui apporta le manioc franc du Brésil. Les colons des deux îles le reçurent avec indifférence, car on savait que cette plante était un poison violent pour les Américains et qu’elle ne pouvait être utilisée qu’avec de minutieuses précautions, même pour les animaux. La culture du manioc ne prit une véritable extension qu’en 1820 par l’introduction du Camanioc ou manioc doux de Cayenne.

17. Les Marattes poussés par les Anglais avaient attaqué Pondichéry ; Labourdonnais envoya d’abord un corps de volontaires de 80 hommes au secours de la ville assiégée. L’année suivante 400 noirs et 236 jeunes gens de famille allèrent avec le Gouverneur rejoindre le premier détachement.

« C’est avec ce total de 710 hommes que Mahé de Labourdonnais remporta ses brillants avantages sur les Anglais bien supérieurs en nombre, et qu’il /prit Madras le 21 septembre 1746. » [4]

18. 1742. Levée du plan de Saint-Denis, lequel fut homologué, puis détruit deux ans après par Labourdonnais lui-même. L’établissement des douanes date de la même époque ; Saint-Denis et Saint-Paul eurent un poste dont l’inspection fut confiée au sieur Sornay.[5] On vit également la première assemblée des notables consultée sur les divers besoins du pays.

19. L’événement le plus remarquable de l’année 1742 fut la prise de possession des Seychelles. Quelques familles de Bourbon et de France en commencèrent la colonisation, et la ville principale reçut le nom de Mahé, en mémoire du célèbre Labourdonnais. Une autre ville de la côte Coromandel porte le même nom en souvenir des glorieux faits d’armes de ce grand homme.

20. « Le 8 août 1743 le Conseil présidé par Mahé de Labourdonnais déclara que la Compagnie n’achèterait désormais que 10,000 balles café (la production totale était alors de 30,000 balles). On défendit de planter de nouveaux caféiers et même de remplacer ceux qui avaient péri. Une commission chargée de visiter les lieux faisait arracher les jeunes plants et quatre fois autant des anciens par manière de pénalité ; de plus, imposition de 200 piastres d’amende aux contrevenants. Si la Compagnie s’est trouvée gênée dans ses ventes, elle a eu le tort d’avoir refusé le commerce avec la Perse qui s’offrait d’acheter le café Bourbon. » [6]

Didier de Saint-Martin — 1743 à 1745 et 1748.

21. Comme ses deux prédécesseurs, M. de Saint-Martin n’occupa le gouvernement de Bourbon que sous les ordres de M. de Labourdonnais ; mais les guerres de l’Inde ayant distrait celui-ci de son administration, de Saint-Martin gouverna alternativement avec MM. Azéma et de Ballade.

22. En prévision de la guerre, M. de Labourdonnais réorganisa les milices — 1743 — afin de faire face aux dangers de l’intérieur et aux attaques des Anglais : ceux-ci ne parurent que vers 1748.

23. Le 8 janvier 1745, le Conseil de l’île de France, présidé par le Gouverneur général, décida que Bourbon fournirait un noir sur vingt, et que, en cas de refus, « on userait d’autorité. »

Jean-Baptiste Azéma — Mai 1745 à octobre 1745.

24. Chargé de l’intérim à l’île de France pendant la campagne de M. Labourdonnais, M. Azéma se fit remplacer par Didier de Saint-Martin pour occuper le siège de Saint-Denis ; il mourut le 31 octobre, après six mois d’administration. De Saint-Martin vint reprendre le poste qu’il avait quitté six mois auparavant.

Gérard de Ballade — 1745 à 1747 et 1748 à 1749.

25. Didier de Saint-Martin avait fait construire un théâtre où de Ballade organisa des représentations dans lesquelles il jouait les rôles principaux. Devenu gouverneur, il crut pouvoir continuer à se donner en spectacle aux habitants ; mais ; ceux-ci, le jugeant trop peu digne de les commander, le firent déposer. Il reprit néanmoins son poste l’année suivante, signa quelques actes d’administration, l’affranchissement des esclaves de son prédécesseur, et mourut en fonctions (mai 1749).

26. Le château du Gol avait été bâti en 1748 par M. Desforges Boucher fils, ingénieur, et qui fut plus tard gouverneur général.

  1. L’année précédente (1738) l’île avait produit sept mille balles de café, et l’on faisait difficulté de l’acheter, sous prétexte qu’il y en avait trop. En 1805 ou en exporta trente-cinq mille balles, et il n’y en eut pas assez !…
  2. Pajot.
  3. Clubs des partisans de la révolution.
  4. Voïart.
  5. En décembre 1879, l’effectif qui était de 80 hommes, a été réduit à 72.
  6. Pajot.