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Histoire abrégée de l'île Bourbon/XIV

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 95-100).

CHAPITRE XIV

Jacob de Cordemoy, gouverneur — Baco et Burnel — Enregistrement fiscal — Cantons — Tipoo-Saëb — Belleville — Conseil général — Districts — Papier-monnaie — Insurrection Burgala, Descreux — État du pays — Droits — Indépendance.
Jacob de Cordemoy — 1795 à 1803

55. Dès 1794, l’Assemblée constituante avait prononcé l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises ; l’idée était bonne, mais prématurée. Le plan mal conçu de Burnel, avait été imprudemment communiqué à un ami, qui s’empressa d’en donner connaissance aux Îles-Sœurs.

D’autre part, le vice-amiral Sercey accompagnait Baco et Burnel avec 2,200 hommes. Quelques paroles échappées à Baco, firent deviner ses intentions. À peine entré dans le Port-Louis, car il s’était d’abord dirigé sur l’Île de France, l’amiral fit avertir secrètement les habitants du danger qui les menaçait.

C’était donc deux ennemis que la Colonie allait recevoir, mais des ennemis dont elle connaissait les desseins. Cependant Baco et Burnel ne perdirent pas de temps ; ils entreprirent de dissoudre l’Assemblée qui résista ; des mandats d’arrestation demeurèrent sans effet. Le Gouverneur général, accusé par eux de favoriser l’attitude de l’Assemblée, fut déposé ; mais Malartic avait su se rendre populaire : en quelques heures, la ville de Port-Louis était pleine d’hommes en état de porter les armes. L’hôtel du Gouvernement où étaient logés les commissaires du directoire étaient naturellement le point de réunion. Baco et Burnel voulurent haranguer la foule, mais pendant que les cris, les menaces et les huées couvraient leurs voix, un coup de pistolet tiré sur eux leur découvrit tout le danger de la situation ; ils consentirent à se laisser expulser. Trois jours après leur débarquement, Baco et Burnel voguaient sur Manille où le capitaine avait reçu ordre de les déposer.

L’île de la Réunion, ne voulant pas décliner sa part de responsabilité dans une affaire qui touchait de si près ses intérêts, envoya deux députés, MM. Ozoux et Sainte-Croix, à l’île de France pour donner sa pleine adhésion à tout ce qui avait été fait, 1796.[1]

54. En 1797, imposition par l’Assemblée de l’enregistrement fiscal des actes civils ; ces nouveaux impôts produisent la première année un revenu de 67,000 francs, environ. La division territoriale de l’île occupa également les membres de l’Assemblée. Des onze communes alors existantes, on forma cinq cantons : celui du Nord comprenant Saint-Denis et Sainte-Marie ; celui du Nord-Est, Sainte-Suzanne et Saint-André ; celui de l’Est, Saint-Benoit et Sainte-Rose ; celui de l’Ouest, Saint-Paul et Saint-Leu ; enfin celui du Sud embrassait Saint-Pierre, Saint-Louis et Saint-Joseph.

55. L’année suivante, Tipoo-Saëb, sultan du Mysore, déclare la guerre aux Anglais pour le maintien de son indépendance ; il s’allie avec la France, envoie des ambassadeurs demander du renfort aux Îles-Sœurs qui lui accordent 800 volontaires.

À l’occasion de ce recrutement, le sergent Belleville, commandant les gardes nationales de Saint-Louis et de Saint-Pierre, fit comprendre aux hommes placés sous son commandement qu’ils avaient à combattre les ennemis du dedans plutôt que ceux du dehors. Le plan du chef leur faisait entrevoir le pillage et l’indépendance ; c’en était assez pour des hommes encore tout enivrés des doctrines de la Chaumière ; le mouvement fut donc résolu, et Belleville marcha sur Saint-Denis à la tête de ce qu’il appelait son armée. Arrivé à Saint-Leu, il rencontra les gardes nationales de Saint-Denis et de Saint-Paul commandées par le Gouverneur. Celui-ci voulant éviter l’effusion du sang, amusa Belleville dont la troupe se débandait peu à peu. Pendant ce temps, les gardes nationales de Sainte-Suzanne, Saint-André et Saint-Benoit débouchèrent par la Plaine des Cafres, plaçant ainsi Belleville entre deux feux ; la débâcle devint générale.

Cette vaillante armée songea plus à sa sûreté personnelle qu’à l’honneur de son digne chef ; elle le laissa ainsi que douze de ses principaux complices, entre les mains du Gouverneur. Le navire qui devait les transporter aux Indes alla les déposer aux Seychelles, sur l’île de la Digue, d’où plusieurs revinrent chercher des occasions de désordre, et par suite, un nouvel arrêt de bannissement.

56. (1798) Création du Conseil général élu pour un an, à raison d’un représentant par cent individus, ayant droit de voter. Le territoire de l’île est divisé en deux sections : partie du Vent et partie Sous-le-Vent, ayant chacune un tribunal de première instance.

57. En 1799, nouveau complot contre les pouvoirs constitués, contre l’Assemblée elle-même. Cette entreprise, appelée la conjuration du 25 pluviôse, menaçait la Colonie d’une ruine totale.

Les révoltés, partis de Sainte-Suzanne, de Saint-Louis et de Saint-Paul, se rendirent à Saint-Denis au parc de l’artillerie qui leur fut livré par Burgala, exalté de 1795. Leur chef, Descreux, se disposait à cerner l’Assemblée, lorsque le Gouverneur les fit arrêter et mettre en prison.

L’Assemblée prit à leur égard les mesures les plus rigoureuses ; les frais du procès furent à la charge des coupables, leurs biens confisqués. « La peine de déportation perpétuelle ne parut pas suffisante à un membre : selon lui, tous méritaient la mort, et le lieu le plus convenable de la déportation était l’île de l’horizon. » [2]

La rencontre inattendue de la frégate anglaise avec le navire qui les transportait à Foulpointe au nombre de soixante-deux, réalisa le terrible vœu émis sur leur sort !… D’autres, moins coupables, demeurèrent sous la surveillance de la police jusqu’à l’arrivée de la nouvelle du Consulat. Ces diverses agitations, jointes à l’abandon de la Métropole, augmentaient les embarras financiers de la Colonie.

58. La disette du numéraire et la difficulté des transactions commerciales déterminèrent l’émission d’une somme de 750,000 francs en papier-monnaie, que la population ne jugea pas prudent d’accepter. On brûla tous les billets trois mois après, l’essai de mise en circulation.

59. En 1795, le gouvernement de la Terreur avait fait prélever un impôt forcé de 4,000 piastres sur le numéraire appartenant aux familles, mais rien n’avait pu combler les déficits, ni satisfaire aux besoins les plus pressants de l’Administration locale. « Il faut le dire à la louange de l’Assemblée : elle manœuvra si bien, que le pays, réduit à ses propres ressources, s’en tira néanmoins à la satisfaction générale des habitants. Ainsi, en 1798, les revenus en espèces n’étant que de 430,000 francs, présentaient un déficit de 170,000 francs. On put heureusement dégager le pays de cette situation en frappant d’un droit d’entrée les marchandises destinées à la consommation et d’un droit de sortie les productions venant du crû de la Colonie. » [3]

60. (1800-1801) Le parti royaliste se divisa en deux, fractions dont la plus enthousiaste proposa l’indépendance absolue, puis l’appel au protectorat anglais. Le changement de nationalité déplut ; le Gouverneur Malartic avait protesté au nom de la France, l’Assemblée délibéra dans le même sens, mais le Gouverneur refusa la sanction requise. Aussitôt treize membres se retirèrent ; la population s’indigna, les députés démissionnaires rentrèrent tous à l’Assemblée par la voie du scrutin, les ultra-royalistes de Saint-André se portèrent de nouveau sur Saint-Denis, et Jacob dut se hâter de sanctionner la délibération ; les principaux agitateurs subirent à l’Île de France une déportation de trois ans.

  1. Pajot.
  2. Voïart.
  3. Pajot.