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Histoire abrégée de l'île Bourbon/XIII

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 88-94).

CHAPITRE XIII

De Cherimont, Duplessis, Roubaud, gouverneurs — Garde nationale — Réformes de l’Assemblée — Drapeau — Saint-André — Lazaret — Guillotine — Réunion — Tribunaux — Biens du clergé — Registres civils — Députés — Chaumières — Arrestations — De Saint-Félix — Médaille — La Terreur.
De Chermont — 1790 à 1792

36. L’administration de Chermont offre peu de particularités remarquables : les esprits s’agitaient, se disposaient à entrer dans la voie de l’indépendance métropolitaine. L’Assemblée coloniale visait au pouvoir absolu dans toutes les questions administratives ; enfin, une loi du 1er avril donna force de loi du royaume à ses délibérations. Après l’institution des municipalités, on s’occupa de modifier le régime des milices, et, par imitation de la métropole, on leur donna le nom de gardes nationales.

37. L’Assemblée se conformait à l’esprit du temps, mais en conservant dans son sein un esprit d’ordre qui préserva le pays des horreurs de la révolution. Tout en veillant à la tranquillité générale, elle révisa la législation, établit les registres de l’état civil, organisa les services judiciaires, le jury, les justices de paix. Grâces à ces louables efforts, la Colonie, sans finances et sans approvisionnements, parvint à se suffire pendant près de treize ans.

38. En juillet 1791, le drapeau blanc fit place au drapeau tricolore. La même année vit encore surgir des troubles à Saint-André ; ils furent jugés si graves que l’Assemblée détruisit comminatoirement la localité et morcela le territoire au profit des communes de Sainte-Suzanne et de Saint-Benoit. L’église fut rasée ; elle supporta ainsi toute la peine qu’on ne jugea pas opportun d’appliquer aux coupables ; toutefois la commune, reconstituée en 1797, perdit le territoire du Bras-Panon, qui continua d’appartenir à Saint-Benoit.

39. (1792) Création de deux conseils de santé à Saint-Paul et à Saint-Denis, et d’un lazaret à la Ravine-à-Jacques. Le gouverneur Duplessis, venant de l’île de France, fut le premier soumis à la quarantaine.


Duplessis — 1792 à 1794

40. Proclamation de la République le 16 mars 1793. À cette nouvelle, l’île de France, toujours plus avancée que sa voisine, crut devoir imiter les Montagnards en élevant une guillotine. En somme, on guillotina un… cabri, et l’instrument fut aussitôt démoli. Bourbon eut la louable réserve de ne pas singer les excentricités sanguinaires de la Convention.

41. Les conventionnels décrétèrent que le nom de Bourbon serait remplacé par celui de l’île de la Réunion(*) ; ce décret ne fut appliqué que l’année suivante (1794), à la suite du coup de main des patriotes de l’île de France.

(*) Nous conserverons le titre de Réunion, bien qu’elle ait porté le nom d’île Bonaparte, de 1806 à 1815, et celui d’île Bourbon, de 1815 à 1848.

42. En 1793, l’Assemblée coloniale décida que les tribunaux de première instance et d’appel seraient électifs.

43. D’après un décret des États-généraux de 1789, les biens du clergé, tant de la France que des colonies, étaient mis à la disposition de la nation. L’année suivante, quelques membres réclamèrent l’expropriation et la vente de ces biens, l’Assemblée éluda la question en attribuant un jardin au citoyen curé ; mais, en 1793, l’intolérance ne connut plus de bornes et la vente eut définitivement lieu pour 1,393,463 francs, somme réduite à 699,731 francs, par la dépréciation du papier-monnaie, qui perdit successivement de 30 à 99 %. Les biens curiaux étaient expropriés et vendus à la charge par le gouverneur « de pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres. » [1]

44. Des officiers ayant été nommés pour la tenue des registres civils (actes de naissance, de mariage et de décès), les livres furent retirés des mains du clergé qui en avait établi et maintenu l’usage depuis 1665.

45. Trois députés sont élus pour la représentation coloniale à l’Assemblée nationale, ce sont d’Etchévéry, Lemarchand et Bénard ; le premier seul se rendit à Paris et siégea au Conseil des Cinq Cents jusqu’en 1798.

46. Cependant la terreur étendait son voile de deuil sur toute la France ; les Girondins, conservateurs de quelques vestiges d’ordre, avaient péri sur l’échafaud ; aucun frein n’arrêtait plus les massacres de Robespierre, qui s’était mis à la tête du gouvernement provisoire révolutionnaire. Les deux Assemblées coloniales, ne recevant pas de nouvelles de la mère-patrie, crurent un instant que les passions politiques touchaient à leur période de décroissance, lorsqu’un navire vint faire connaître la réalité de la situation. Aussitôt, les Chaumières, établies sur tous les points habités des deux îles, reprirent une nouvelle activité. Celle de Saint-Denis fit passer à l’Île de France ses griefs contre les amis de l’ordre. La Chaumière de Port-Louis obtint de M. Malartic un ordre d’arrestation contre les royalistes de Bourbon. Soixante patriotes, montés sur la Minerve commandée par Daussère, débarquant à Saint-Denis, firent main basse sur le Gouverneur, le lieutenant-colonel Fayolle, Marceney, major ; Brunot, capitaine de port ; Tyrol, commissaire civil ; Navailles et Montmorin, officiers de marine et Grangier, propriétaire.

47. Fiers d’un si brillant début, les patriotes résolurent de continuer les arrestations ; mais la commune de Saint-Denis s’y opposa énergiquement et réclama la liberté de Grangier. Le Gouverneur en fut quitte pour quelques heures d’insultes et une détention de plusieurs jours ; il rentra en France en 1795.

48. Le marquis de Saint-Félix, vice-amiral, commandant les forces navales de la Mer des Indes, avait des opinions royalistes trop manifestes pour n’être pas l’objet des violences révolutionnaires. Ses équipages, son secrétaire même, unis aux patriotes, méconnurent son autorité. Il se réfugia à Bourbon avec deux officiers, Decrès et de Villèle, qui voulurent suivre sa destinée. Tous trois rencontrèrent une bienveillante hospitalité auprès de M. Désorchères, député de Saint-Benoit. Celui-ci les tint cachés plusieurs semaines dans une caverne du rempart de la rivière du Mât ; mais, trahis par un nommé Michel, esclave chargé de les nourrir, puis traqués, découverts, ils furent réduits à errer dans les caféeries et les ravins du Bras-Panon.

Déclaré ennemi de la Colonie, mis hors la loi, sachant d’ailleurs que sa tête avait été mise à prix, de Saint-Félix se constitua prisonnier ; ses deux fidèles amis le suivirent et on ne les épargna, pas plus que leur chef.

Enfermés provisoirement dans les caves de l’hôtel du Gouvernement, puis transportés à l’île de France, où les attendait une détention de 16 mois, les prisonniers allaient subir le jugement du peuple, lorsque la mort de Robespierre mit un terme à leurs souffrances en les rendant à la liberté.

49. De Saint-Félix et de Villèle revinrent se fixer à Bourbon, celui-ci jusqu’en 1807, et de Saint-Félix jusqu’en 1810.

Decrès fut plus tard ministre de la marine sous l’empire, et de Villèle devint le célèbre ministre de la Restauration.

50. Les sans-culottes de la Minerve et ceux de Bourbon ne se séparèrent qu’après avoir fait frapper une médaille commémorative de leurs exploits ; elle portait d’un côté l’arbre de la liberté et de l’autre cette inscription : République française, réunion des sans-culottes, 15 germinal 1794.


Roubaud — 1794 à 1795

51. Le colonel Roubaud, envoyé par M. de Malartic, ne professa pas personnellement des opinions exaltées et subversives, mais il fallait plaire aux partisans de la Convention, car la Terreur, comme les autres formes de gouvernement, devait trouver faveur dans les idées vagues des exaltés de la Réunion. « On s’agita, pour s’agiter ; on fit du bruit sans savoir pourquoi, ni à quel résultat devait aboutir un état de choses si instable, si nuisible aux affaires, si fatigant pour tout le monde[2]. »

La Société des Amis de l’Ordre constituée pour faire contre-poids aux Chaumières, disparut, et avec elle les dernières espérances royalistes.

52. « Au total, l’élan franchement révolutionnaire fut sensiblement amorti par le bon sens de notre population et par sa modération. Tout se borna à beaucoup d’effroi du côté des honnêtes gens et aux incarcérations pour cause de royalisme. Celles-ci même ne tardèrent pas à s’arrêter, par la connaissance de la chute des terroristes, au 9 thermidor ; des élections nouvelles donnèrent dans l’Assemblée coloniale une grande majorité au parti modéré, et le 23 août 1795, Ozoux aîné demande et obtient la mise en liberté de tous les détenus politiques. Quant à Roubaud, il dut quitter son poste aussitôt que le parti des ultra-patriotes eut perdu son influence.[2]

  1. Pajot.
  2. a et b Pajot.