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Histoire abrégée de l'île Bourbon/XVII

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 112-119).
SIXIÈME ÉPOQUE — 1815 À 1848

L’île Bourbon, affranchie de sa dépendance, acquiert une grande importance maritime. La culture de la canne en fait une colonie industrielle.

CHAPITRE XVII

Bouvet de Lozier, de Lafitte du Courteil, baron Milius, gouverneurs — Clergé — Commune de Saint-Joseph — Sucreries — Les cent jours — Icendie — comité d’agriculture — Mémoire — Les Frères et les Sœurs — Lycée — Charrues — Thé, vanille — Jardin de l’État — Mémoire — Baracuois, Cilaos, routes, choléra — Découragement.
Bouvet de Lozier — 1815 à 1817

1. Les qualités personnelles de M. Bouvet de Lozier, jointes à la renommée de ses ancêtres, lui valurent la confiance du roi Louis XVIII. Sa Majesté le chargea spécialement de transmettre aux Bourbonnais les sentiments de bienveillance de son Gouvernement ; cette marque d’intérêt fut accueillie avec une satisfaction d’autant plus vive, que la colonie avait grandement souffert de l’abandon métropolitain.

2. M. Bouvet songea tout d’abord à la situation du clergé et à l’éducation de la jeunesse des deux sexes ; à cet effet, il s’adressa au supérieur des Lazaristes qui se trouva dans l’impossibilité de fournir les prêtres et les sœurs de charité dont on avait besoin. Alors, le Gouverneur adressa une demande au séminaire des Missions étrangères ; il eut aussi recours aux supérieurs des Frères des écoles chrétiennes et des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. L’appel fut entendu, mais les sujets n’arrivèrent à Bourbon qu’en 1817.

3. Les intentions de M. Bouvet ne pouvaient être plus conformes aux besoins des paroisses, car le clergé, non recruté depuis 1789, était réduit à huit prêtres, tous vieillards, et dont trois seulement en état de travailler.

4. Du côté de l’instruction, les besoins étaient plus grands encore. Depuis la spoliation du collége des Lazaristes, le pays était resté sans maisons d’éducation.

En 1794, un essai de collège national, dirigé par M. Bellon, missionnaire lazariste, n’eut qu’une existence éphémère. Un certain Dupond tenait une autre institution qui disparut au moment où son chef fut embarqué pour l’île de l’horizon. En 1803, M. Decaen avait érigé un Lycée au Port-Louis pour la jeunesse des deux îles, mais le déplacement des enfants de Bourbon n’était guère possible à la plupart des familles ; ce moyen ne réussit pas. Alors MM. Royer, Frippier, instituteurs, et Augustin Maniquet, professeur de mathématiques, s’adonnèrent à l’enseignement, mais ayant refusé le serment d’allégeance exigé en 1811, le gouvernement anglais les fit reconduire en France.

M. Galet, homme respectable, intelligent et dévoué, ouvrit, en 1812, une institution dont les succès lui méritèrent plus tard d’être reconnu comme annexe du collège royal. Toutefois, l’instruction ne profitait qu’à une quarantaine d’élèves et ce nombre était loin de répondre aux besoins de la jeunesse du pays.

En 1815, les demoiselles Philibert, sœurs du commandant de la station, ouvrirent pour les jeunes filles un externat qui dura quelques années seulement ; les deux sexes en étaient donc réduits à se contenter de l’éducation de famille.

5. M. Bouvet était arrivé à Bourbon dans des circonstances assez difficiles ; la tourmente révolutionnaire, l’organisation Decaen, les guerres que les deux îles avaient eues à soutenir aux dépens de leurs propres ressources, la disette du numéraire, l’abandon de la mère-patrie, l’occupation étrangère, tout avait contribué à disloquer la législation, à jeter les esprits dans l’incertitude et le découragement. Le Gouverneur se mit promptement à l’œuvre ; il fit le tour de l’île, aux mêmes fins que la plupart de ses prédécesseurs ; la commune de Saint-Joseph l’intéressa spécialement en raison de la culture du girofle et de la muscade qu’il encouragea fortement, ainsi que l’agriculture en général.

6. Tandis que M. Bouvet luttait avec énergie contre mille obstacles pour ranimer la confiance, le travail et le mouvement commercial, MM. Ch. et Joseph Desbassayns inauguraient l’industrie sucrière, et posaient, par ce moyen, les bases de la plus grande prospérité coloniale. Ces deux hommes, non moins honorables par leur dévouement au bien du pays que par leur naissance, construisirent la première sucrerie au Chaudron ; la même année 1815, ils produisirent 461,600 kilos de sucre.

7. Les Cent-Jours fournirent, à M. Bouvet l’occasion de faire apprécier son énergie et son attachement à la famille des Bourbons, il refusa de reconnaître le gouvernement de Napoléon et maintint le drapeau blanc. Cette attitude excita les récriminations de la plupart des habitants encore tout imbus de bonapartisme ; il allait être déposé et sans doute jugé, lorsque Waterloo et Sainte-Hélène vinrent changer la face des choses.

8. En 1816, les habitants de l’Île-Sœur furent soumis à une épreuve terrible. Un incendie s’étant déclaré à Port-Louis, des rues entières, des quartiers même devinrent en quelques heures la proie des flammes. La perte fut évaluée à 6,000,000 de francs ! Bourbon envoya tous les secours dont les habitants purent disposer et s’empressa d’accorder une généreuse hospitalité à un certain nombre de familles que le désastre avait réduites à l’indigence.

9. 1816. Création d’un comité d’agriculture, qui fut représenté à Paris par un député jusqu’en 1825.

De Lafitte du Courteil — 1817 à 1818

10. M. du Courteil demanda son retour en France presqu’aussitôt après son arrivée ; il eut néanmoins le temps de se rendre compte de l’état des affaires et de la situation des familles. Un mémoire adressé au ministre parle de l’épuisement des terres, du trop plein de la population, surtout de celle qui refusait le travail, et dont la vie sans frein n’avait ni morale, ni honnêteté ; il signale la maladie sur le café et le coton, propose d’insister sur la culture des céréales et des légumineuses. Laffitte revient, comme plusieurs de ses prédécesseurs, sur la nécessité d’un port, ou au moins d’un barachois à Saint-Denis, le port de Saint-Gilles indiqué par M. Bouvet n’étant pas reconnu possible.

La culture de la canne est aussi l’objet des observations du Gouverneur ; il propose de la placer sous la protection du gouvernement, dans le but d’assurer son développement.

11. À cette époque la Colonie reçut les missionnaires demandés par M. Bouvet, ainsi que les Frères des Écoles chrétiennes et les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Le corps de gendarmerie reparut pour la troisième fois.

La Maréchaussée, établie en même temps que la constitution régulière de la Colonie, était chargée de maintenir en toute circonstance la sûreté et la tranquillité publiques ; elle fut supprimée, ainsi que les corps de police, par l’Assemblée nationale. On y substitua une gendarmerie composée de plusieurs brigades, qui rendit d’incontestables services ; elle dut néanmoins disparaître avec le régime directorial. Decaen la rétablit en 1808 sur le pied de quatre brigades. Sous le régime anglais, les gendarmes se trouvèrent compris dans la mesure qui désarmait la garde nationale. De Lafitte du Courteil reconstitua les brigades le 7 septembre 1818 ; leur contingent fut élevé à 80 hommes sortis des rangs de l’armée.

12. En 1825, le gouvernement de la Métropole rappela les gendarmes ; mais sur la demande de l’Administration coloniale, ils vinrent en 1840, réoccuper définitivement leurs anciens postes. Au 6 août 1859, l’effectif était porté à 120 hommes ; en 1860, il s’élevait à 166 nommes dont : 1 chef d’escadron, 1 capitaine, 1 lieutenant, 1 lieutenant-trésorier, 154 gendarmes, plus 5 enfants de troupe.

Milius — 1818 à 1821

13. Le baron Milius avait été désigné au ministère par M. de Richemont Desbassayns, pour succéder à M. Bouvet de Lozier ; les espérances de l’Ordonnateur furent pleinement justifiées ; M. Milius se montra ardent, infatigable, animé des meilleurs intentions, zélé protecteur de l’agriculture et de tout ce qui pouvait contribuer au bien du pays et des habitants. Les utiles travaux accomplis durant son administration de trois années, l’ont fait passer à bon droit pour un des meilleurs administrateurs de la Colonie.

14. L’élan donné à l’instruction par M. Bouvet se développait sur des bases durables ; M. Milius fit aux diverses institutions le plus chaleureux accueil, il leur accorda gracieusement sa protection, les encouragements nécessaires et compléta le système d’éducation par la création du Collège royal, aujourd’hui le Lycée, dont la direction fut confiée au colonel Maingard et à un professeur distingué, M. Rabany (1819).

15. La charrue, ayant donné à Sainte-Suzanne d’excellents résultats comme moyen de labour, le duc Decaze, ministre de la marine, en envoya trente qui furent confiées à MM. Fréon, Desbassayns frères et Bellier Montrose. Malheureusement ces instruments, qui épargnaient tant de bras, durent céder au mode de culture que l’on croyait alors seul propre à la canne.

16. M. Milius insista spécialement sur l’introduction des plantes exotiques de toute provenance et sur le maintien de la petite culture ; il fut puissamment secondé par MM. Charles et Joseph Desbassayns, Joseph Hubert, le continuateur du système Poivre ; par M. Philibert, commandant et propriétaire, Bréon, jardinier-botaniste et premier directeur du Jardin d’acclimatation.

Entre autres spécimens de plantes introduites à cette époque, on cite le thé, apporté par le capitaine Roquefeuil et la vanille, tirée de Cayenne par le capitaine Philibert (1819).

17. Mais rien ne prouve mieux le dévouement de M. Milius à la prospérité du pays que ses rapports détaillés sur la valeur des productions de chaque localité et les espérances fondées sur les récoltes prochaines ; il s’étend même jusqu’à spécifier le caractère, le défaut de certains habitants, en un mot, c’est l’attachement du propriétaire, la sollicitude du père de famille qui se font sentir bien plus que l’autorité de l’administrateur.

18. La même année 1819 vit commencer les travaux du Barachois, la découverte des sources thermales de Cilaos, les routes améliorées, le canal de Saint-Étienne, le parc d’artillerie, la caisse de réserve, le service des pompes à incendie ; on eut de brillantes récoltes de sucre, de girofle, de café et de blé ; mais le choléra, importé de Maurice, vint troubler un instant cet état de prospérité qui allait croissant d’année en année. Il apparut au commencement de 1820, sévit avec intensité pendant les mois de janvier, février et mars ; Saint-Denis, en particulier, compta un grand nombre de victimes.

19. Cependant, les travaux entrepris par M. Milius avaient altéré sa santé ; de plus, il était dégoûté d’un pays où ses efforts et son dévouement ne rencontraient que cabales, opposition, mécontentement, murmures. Son découragement, si regrettable d’ailleurs, le porta à demander à rentrer en France ; il disait dans sa lettre au ministre : « Qu’un ange envoyé du ciel était seul capable de gouverner le peuple, de Bourbon. »