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Histoire abrégée de l'île Bourbon/XVIII

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 120-126).

CHAPITRE XVIII

De Freycinet, de Cheffontaines, gouverneurs — Travaux — Subventions — Progrès de l’Industrie — Épidémie — Ponts suspendus — Frappier — Le Baril — Ordonnance de 1835 — Loi du 10 mars — La Possession — Travaux — Routes — Canal — Église — Cazeau — Ouragan — Salazie.
De Freycinet — 1821 à 1826

20. M. de Freycinet n’eut, pour ainsi dire, qu’à favoriser l’impulsion donnée par son prédécesseur à l’agriculture, à l’instruction et à divers travaux en faveur de l’industrie ; il acheva le Barachois et le collège royal. Plusieurs autres institutions reçurent des subventions du gouvernement, et à dater de cette époque, l’instruction suivit graduellement la voie de prospérité dans laquelle le pays était définitivement entré.

21. En 1821, M. Frappier de Montbenoit établit à Saint-Pierre une saline. Cette création nouvelle, toute modeste qu’elle était, causa plus d’impression que la mort de Napoléon, pour qui l’enthousiasme avait disparu en même temps que sa puissance.

22. Au commencement de 1822 on put constater que l’exportation de Bourbon fournissait pour l’année précédente une balance supérieure de près de cinq millions de francs à l’importation. Ce progrès était dû à l’industrie sucrière et à la culture du girofle dont il avait été embarqué 300,000 kilos à Saint-Denis.

23. Une nouvelle épidémie vint, comme en 1820, répandre la terreur parmi les habitants ; ceux de Saint-Denis désertèrent la ville une seconde fois. On crut au retour du choléra, mais la différence des symptômes et du caractère de la maladie, les cas moins foudroyants, firent reconnaître la présence du typhus.

24. L’usage des ponts suspendus allait s’établir en Europe, lorsque le Gouverneur devança même les Anglais dans l’application de ce nouveau système ; il en fit venir deux que l’on plaça plus tard, l’un sur la rivière du Mât, au lieu dit la Savanne, et l’autre sur la rivière des Roches : ce dernier fut enlevé par l’ouragan de 1844.

26. La traite des noirs prohibée en 1817 continua néanmoins aux risques et périls de ceux qui se hasardèrent à la faire.

26. En 1822, M. de Freycinet alla poser la première pierre du puits de Baril, destiné à fournir l’eau potable aux habitants de Saint-Joseph qui iraient s’établir dans les environs. Telle fut l’origine de la commune de Saint-Philippe[1].

27. Une loi de 1825 révisa la forme du gouvernement colonial ; en conséquence, un Directeur de l’intérieur fut chargé de l’administration intérieure de la Colonie, et les pouvoirs du gouverneur cessèrent d’être sans contrôle. Le premier qui remplit ce poste fut M. Betting de Lancastel, qui entra en fonctions l’année même de sa promotion (1825). Il imprima une vive impulsion aux travaux publics, dont il fit son occupation favorite ; sa mémoire mérite d’occuper un rang distingué parmi les hommes qui ont acquis le titre de bienfaiteurs du pays.

De Cheffontaines — 1824 à 1830

28. De Cheffbntaines a laissé peu de souvenirs qui lui soient personnels ; néanmoins, son administration a été une des plus fécondes en améliorations utiles ; elle rappelle aussi le dévouement de son ardent auxiliaire, M. Betting de Lancastel. On doit au Gouverneur le bâtiment principal du Collège et l’ordonnance du 10 mars 1829, qui régla les cours du Lycée suivant le programme de l’Université de France.

29. En 1822, la Possession comptait une seule maison appartenant aux sieurs Bastide et d’Aubigny, et une échoppe, tenue par une femme nommée Geneviève. Quelque temps après, 1824, M. de Fondaumière fit construire une chapelle pour satisfaire la piété des habitants et dans le but d’en attirer un plus grand nombre ; il y réussit, et, en 1826, la Possession, considérée comme section particulière de la commune de Saint Paul, reçut un adjoint pour administrateur.

La Possession a conservé le nom de l’acte accompli par de Flacourt en 1649. Dès 1670, une habitation y servait de point de relâche aux voyageurs qui traversaient la forêt de Saint-Paul à Saint-Denis. Ceci dura sans augmentation d’habitants jusqu’en 1699. Aussi, le terrain situé entre la ravine à Malheur et la ravine à Marquet, puis jusqu’à la Grande-Chaloupe, fut concédé à Emmanuel Técher.

En 1675, la Possession figurait parmi les lieux les plus habités de l’île ; sa prospérité augmenta jusqu’en 1730, époque à laquelle les marrons incendièrent la plus grande partie des maisons après les avoir pillées. À la suite de cet événement, les terres cessèrent peu à peu d’être cultivées, les habitants allèrent se fixer dans divers quartiers, et la localité demeura déserte jusqu’après la rétrocession de l’île par les Anglais.

30. La Commission d’instruction publique, établie par M. Milius, fut investie de la direction administrative et de la surveillance de l’instruction ; mais peu après, l’administration des écoles rentra dans les attributions du Directeur de l’intérieur, conformément à l’ordonnance de 1825. Cet état de choses dura jusqu’à la création du vice-rectorat en 1880.

En 1825, le pays eut à regretter la mort de M. Joseph Hubert, lieutenant colonel des milices de Bourbon. Né à Saint-Benoit en 1747, il n’eut pas l’avantage de cultiver son intelligence sur les bancs de l’école ; jusqu’à un âge avancé, son livre unique fut la nature, et pour l’étudier, il n’eut d’autre maître que lui-même.

Judicieux observateur, Joseph Hubert rechercha en chaque objet les causes productrices et les transformations qui en ressortaient comme conséquences. C’est par une pratique constante qu’il devint botaniste distingué, minéralogiste recherché des savants, agriculteur émérite. Les secrets de la météorologie ne restèrent point au-dessus de sa pénétration ; en découvrant la théorie des cyclones, il dota la France d’un honneur que la Prusse a revendiqué sans droits 40 ans après.

Les sociétés savantes s’honoraient des relations de M. Joseph Hubert ; plusieurs d’entre elles, notamment la société académique des sciences de Paris, lui octroyèrent le diplôme de membre correspondant.

En 1769, M. Bouvet de Lozier le fit enseigne de vaisseau ; Bouvet fils lui obtint en 1816, le titre de chevalier de Saint-Louis. Le roi Louis XVIII l’honora de l’une des dix médailles accordées en 1821 aux cultivateurs qui, dans toute l’étendue de son royaume, avaient rendu les plus éminents services à l’agriculture.

31. De 1826 à 1830, la Colonie vit l’exécution des plans du Directeur de l’intérieur touchant les travaux publics. Police, canaux, routes carrossables, travaux agricoles, rien ne fut négligé ; ajoutons que les membres du Conseil colonial, MM. Desbassayns, Fréon, Élie Pajot, secondèrent habilement l’infatigable Directeur ; ils contribuèrent, ainsi que M. Schneider, ingénieur, au bon résultat qui a couronné toutes les entreprises de Lancastel.

Parmi les travaux à entreprendre, le plus important était sans contredit la route carrossable autour de l’île. La voie était pratiquée depuis que MM. Beauvollier, Dumas, Labourdonnais, de Lozier et l’Assemblée souveraine en avaient ébauché ou élargi le tracé ; mais il n’y avait de pont que celui de la Ravine des Chèvres, et le sol n’était pas empierré, ce qui rendait difficiles les communications en temps de pluie. Une largeur plus que doublée, des ponts sur les ravines et les rivières, le macadam et une pente accessible aux voitures à travers la montagne de Saint-Denis, tel était le plan que M. de Lancastel entreprit de réaliser avec la confiance qui caractérise ordinairement les hommes d’une réelle valeur. Son exécution, qui a coûté trente années de persévérance et plus de 17,000,000 de francs à la Colonie, fait le plus grand honneur à l’homme éminent qui en a conçu l’idée et commencé l’exécution.

De Lancastel se mit à l’œuvre en 1827 ; à son départ de la Colonie en 1830, Saint-Paul, Saint-Leu, Saint-Pierre avaient des parties notables de routes achevées ; les cinq premières rampes de Saint-Denis balisées sur une largeur de huit mètres ; la distance de Saint-Benoit à Saint-Denis comptait vingt kilomètres de travaux terminés, plus les ponts de la rivière des Hoches, du Mât, de Saint-Jean, de Sainte-Suzanne et de Sainte-Marie.

À ces travaux et à d’autres encore, le Directeur de l’intérieur ajouta l’encaissement de la rivière de Saint-Denis, le canal qui donne l’eau à la ville, des encouragements à la construction de l’église de Saint-André et une somme de 80,000 francs pour commencer celle qui sert aujourd’hui de cathédrale.

32. En 1831, M. Théodore Cazeau alla se fixer sur les bords de la Mare à Poule d’Eau, au centre, pour ainsi dire, du vaste entonnoir de Salazie. En 1829, une catastrophe atmosphérique reproduisit en partie les désastres et les calamités de 1806 : entre autres pertes considérables, on compta vingt-deux navires brisés sur les côtes ou disparus dans les flots. Au rapport de M. Cazeau, la pluie tomba durant 48 jours sans interruption dans le cirque de Salazie. La crue d’eau fut telle, qu’après avoir épuisé leurs dernières provisions, les habitants furent réduits à se nourrir pendant trois semaines de jeunes pousses de citrouille.

Les noms qui désignent les principaux points du cirque de Salazie, attestent que de nombreux malgaches avaient établi une sorte de souveraineté sur ces lieux, alors inaccessibles aux colons. Tels sont par exemple : les Salazes de Sahala-hàzou, grand comme un arbre) ; — le Cimandef (de Tsi-Mandèfa, qui retient et ne laisse pas partir) ; — la plaine de Bélouve (de Beloùva, grand héritage ; le piton d’Anchaing (de An-tsaìna, caprice, idée fondée, avoir raison).

Salazie doit son origine à la source thermale découverte au pied des Salazes en 1815, par d’intrépides chasseurs de cabris marrons. Sur l’initiative de M. Fréon, riche propriétaire de Sainte-Suzanne, plusieurs habitants se réunirent pour solliciter la concession de ce cirque ; le gouvernement colonial accueillit favorablement cette démarche et accorda un premier secours de 9,000 francs. Une société de concessionnaires fut alors formée ; elle comprenait entre autres, MM. Théodore Cazeau, Pierre Cazeau, Adam de Villiers, Diomat, ingénieur, Fontbrune. Après bien des fatigues et des dangers, après avoir traversé soixante-huit fois la rivière du Mât, M. Théodore Cazeau alla, lui et sa famille, prendre possession du cirque au nom de tous les concessionnaires.

La réputation des taux thermales se répandit bientôt ; de nouveaux concessionnaires vinrent s’y établir et le village du Petit-Sable constitué en agence, sert de station aux nombreux voyageurs qui vont jusqu’à la Source.

Aujourd’hui Salazie est le Royal des Îles-Sœurs et du personnel administratif des colonies de Madagascar.

  1. Ce puits avait été creusé par les noirs de M. Joseph Hubert. Le modeste commandant déféra au Gouverneur l’honneur de la pose de la première pierre.