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Histoire abrégée de l'île Bourbon/XXIII

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 152-157).

CHAPITRE XXIII

Delisle, gouverneur — Ses qualités — Son programme — Censure — Tournée — Fancy-Fair — Bethléem — Recrutement — Exposition — Revenus — Vanille — Chambre d’Agriculture — Mesure sanitaire — Route du Brûlé — le Tunnel — Interdiction du recrutement — Décorations.
Henri-Hubert Delisle — 1852 à 1859

18. M. Doret eut pour successeur M. Henri-Hubert Delisle : pour la première fois la Colonie allait être gouvernée par un de ses enfants.

Né à Saint-Benoit en 1810, M. Hubert Delisle partit de bonne heure pour la France. Après de brillantes études terminées à Paris, la Gironde devint sa patrie d’adoption. Sa participation remarquée dans les travaux du Conseil municipal de Bordeaux, diverses publications sur des questions d’économie politique, les bienfaits qu’il répandait autour de lui attirèrent l’attention et lui valurent l’honneur d’être appelé à représenter la ville de Bordeaux à l’Assemblée nationale.

Réélu après l’arrivée au pouvoir du Président de la République, il défendit avec talent les intérêts des colonies. Après le coup d’État du 2 décembre 1851, un sentiment de haute délicatesse, fort apprécié de l’Empereur, le porta à se retirer dans le calme de la vie privée ; sa retraite ne devait pas être de longue durée. Le décret du 17 mars 1852 lui confia les destinées de son pays.

19. M. Delisle se voua au bonheur de ses chers compatriotes ; il fit comprendre à ses amis de la capitale que son administration porterait l’empreinte du patriotisme et de l’énergie. Ces deux mots affirmaient déjà son intention de se placer au-dessus de toutes les influences ; ils lui tracèrent une ligne de conduite invariable, un programme dont il ne s’écarta jamais.

20. Le 8 août, la frégate la Belle-Poule rendait M. Delisle à son pays natal. M. Élie Pajot, maire adjoint, le reçut avec les honneurs dus à son rang. M. le Gouverneur termina sa réponse par ces remarquables paroles : « Si mon bon vouloir n’est pas entravé, si mon patriotisme n’est trahi, permettez-moi de croire que l’enfant du pays laissera quelques traces de son passage dans l’administration de cette belle île. C’est du moins ma plus chère espérance, celle que je tiens à déposer sur le seuil de la Colonie où vous me faites l’honneur de me recevoir. »

21. L’Administration si féconde de cet homme éminent commença par l’abolition de la censure, se réservant d’autres mesures de répression si la tranquillité du pays l’exigeait. Vint ensuite sa tournée que l’on put considérer comme une ovation ; le Gouverneur profita de l’excellente disposition des esprits pour réhabiliter le travail agricole aux yeux des populations affranchies.

22. Pendant que de nombreuses réformes ou des institutions nouvelles étaient élaborées, Mme Delisle établissait dans les salons du Gouvernement le Fancy-Fair, bazar où se vendent chaque année de charmantes bagatelles au profit des pauvres.[1]

Le premier essai produisit la somme de 13,700 francs, répartie entre la maison de Charité, la Salle d’asile, la Léproserie et autres établissements de bienfaisance. Plus tard, la paroisse, la chapelle dite de Bethléem, et l’Ouvroir des Filles de Marie, à l’îlette de Saint-Benoit, durent leur création à l’inépuisable charité de Mme la Gouvernante.

25. Les intermédiaires chargés du recrutement des travailleurs dans l’Inde, tenaient la cession du contrat de travail des immigrants à un prix trop élevé pour les ressources d’un grand nombre d’habitants ; le Gouverneur remédia à cet excès en autorisant une société anonyme, qui cédait les contrats au prix de revient.

24. En 1853, l’Exposition coloniale des produits agricoles était avantageusement substituée à la fête annuelle du travail. Ce puissant moyen d’émulation, renouvelé les années suivantes, contribua dans une large mesure au développement de l’agriculture et de la prospérité du pays.

25. L’industrie caféière avait presque disparu, mais la canne à sucre et la vanille donnaient des résultats bien autrement satisfaisants. L’impôt sur les spiritueux qui rendait 300,000 francs en 1848, dépassait, dix ans plus tard, la somme de 2,000,000, et cela sans augmentation de taxe.

La vanille produisait, en 1851, 156 kilos de gousses vendues 5,439 francs. Grâce à l’émulation entretenue par le Gouverneur, la production augmenta d’année en année jusqu’en 1861, où la Colonie en exporta pour 1, 517,800 francs.

26. Pour mieux assurer les progrès de l’avenir, M. Delisle jugea nécessaire d’obtenir l’appui spécial du Gouvernement ; à cet effet, il institua la Chambre d’agriculture, chargée de communiquer directement avec le Ministre de la Marine et de lui faire part des besoins et de la situation du pays.

27. Le choléra, introduit à Maurice par les Indiens, faisait chaque jour de nombreuses victimes ; à cette occasion, le Gouverneur imposa des mesures sanitaires qui excitèrent le mécontentement des intéressés ; mais le résultat prouva bientôt que les intérêts privés bénéficiaient du bien général ; la Colonie fut entièrement préservée du fléau.

28. Tandis que l’honorable M. de Rontaunay exécutait à ses frais la route du Brûlé, M. Delisle posait la première pierre du bassin de carénage à Saint-Pierre ; puis, après s’être convaincu de la possibilité d’y creuser un port, il poussa activement les travaux de la route de la Plaine, afin de la rendre carrossable depuis Saint-Benoit jusqu’à Saint-Pierre.

29. En 1854, on acheva la route de ceinture à travers les laves du Brûlé. Cette entreprise, délaissée par Labourdonnais, de Lozier et l’Assemblée souveraine, fut conduite par M. Delisle qui, lors de ses fréquentes visites, constatait lui-même, chaque soir, la tâche accomplie par les travailleurs.

30. La route de Saint-Denis à la Possession n’offrait pas tous les avantages désirables ; M. Delisle conçut le hardi projet de la rendre courte et facile, en perçant le Cap Bernard. À cet effet, on ouvrit le tunnel ; toutefois, l’honneur de l’inauguration de cette route devait revenir à M. Cuinier, l’un des successeurs de M. Delisle.

31. Dans le but de développer dans la population le sentiment de l’épargne domestique, le Gouverneur créa la Caisse d’épargnes et la Caisse de prévoyance où les valeurs, placées à un faible intérêt, pouvaient être retirées en tout temps. Il fit paraître aussi un arrêté concernant les gens de travail qui s’autorisaient de leur nouveau titre de citoyen français pour vivre sans engagement et sans occupation régulière. L’arrêté fixait à la fin de l’engagement un délai à l’expiration duquel le délinquant était passible d’une punition.

32. Le Gouvernement de l’Inde anglaise opposait de sérieuses difficultés au recrutement des travailleurs. M. Delisle réclama immédiatement l’intervention diplomatique de la Métropole, en même temps qu’il traitait avec le Gouvernement de l’Inde. Plusieurs navires, envoyés aux frais de l’Administration pour prendre des travailleurs, témoignèrent hautement de la sollicitude du Gouverneur à donner satisfaction aux besoins de la Colonie.

33. L’infatigable activité de M. Delisle pour la prospérité de son pays natal ne s’exerçait que depuis deux années, et déjà l’Empereur le décorait du titre de chevalier de la Légion-d’Honneur. Le Souverain-Pontife l’avait nommé commandant de Saint-Sylvestre, en récompense des éminents services rendus à la religion. M. Hubert-Delisle savait, en effet, imprimer une impulsion irrésistible à toutes ses entreprises ; aussi deux années lui avaient suffi pour placer la Réunion à la tête des colonies françaises.

  1. Actuellement, le Fancy-Fair est installé au Jardin colonial.