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Histoire des églises et chapelles de Lyon/II

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H. Lardanchet (tome Ip. 23-71).

CHAPITRE II

célestins, saint-bruno des chartreux, frères prêcheurs de confort et des brotteaux, saint-denis de la croix-rousse, chapelle de l’hôtel de ville, minimes


T out le long de son histoire notre ville a bénéficié de l’existence d’un grand nombre d’ordres monastiques que son antiquité religieuse, l’importance de sa position, la bienveillance et la cordialité de ses archevêques avaient attirés dans ses murs. On va le voir dans ce chapitre, où l’on s’occupera de plusieurs familles religieuses : Célestins, Chartreux, frères Prêcheurs, Augustins déchaussés, dont l’église est devenue Saint-Denis de la Croix-Rousse, Feuillants ou Cisterciens réformés qui desservaient la chapelle de l’Hôtel de Ville, enfin les Minimes.


CÉLESTINS

Il est peu d’ordres qui aient une histoire aussi merveilleuse que l’ordre des Célestins. Tout y est empreint d’une singulière fortune : l’origine, les premiers développements et jusqu’au nom même. Ce dernier est à peu près oublié aujourd’hui, quoiqu’on rencontre nombre de villes qui possèdent une rue, un quai, un pont des Célestins. La Révolution a si vite détruit et l’on a si promptement oublié, qu’il faut être érudit pour se rappeler ce que fuient les Célestins, les Feuillants, les Prémontrés, les Augustins et tant d’autres instituts religieux qui contribuèrent, pour une large part, à la foi et à la prospérité de notre patrie.

C’était au mois de mai de l’année 1274, le grand pape Grégoire X venait d’ouvrir à Lyon le concile où se réunirent les Grecs et les Latins. On prêtait à ce sage pontife la pensée de résoudre certains points de discipline ecclésiastique en supprimant tous les ordres religieux nouvellement fondés. Un moine napolitain d’une extraordinaire austérité, Pierre de Mouron, ou à mieux dire de Mourrone, né à Izerna dans la province de Pouille, avait établi, sur le mont Moroni, un monastère où il avait soumis la règle cénobitique à la règle primitive de saint Benoît. Sur la nouvelle qu’on lui donna de Naples des desseins

Le Couvent des Célestins au xvie siècle. (Restitution de M. R. Lenail.)
du concile, il se rendit à Lyon à pied ; il n’y parvint que rompu de fatigue, et se logea dans une maison qui avait appartenu aux Templiers. Une vision le réconforta aussitôt : le ciel lui révéla qu’il obtiendrait du pape ce qu’il voulait et qu’un jour le lieu où il dormait serait une possession de son ordre. Selon les auteurs de V Année bénédictine, si Grégoire X accorda à Pierre de Mourrone, non seulement l’autorisation d’instituer sa congrégation réformée mais encore des privilèges, c’est qu’ayant assisté à sa messe, il le vit suspendre son ample manteau blanc à un rayon de soleil. Ceci est de la légende, respectons pourtant la croyance des simples. Grégoire X accorda la bulle confirmative le 11 avril 1275. Dès le 19 mai, Pierre de Mourrone reprit la route de l’Italie, et fut secondé par des miracles manifestes.

L’histoire apprend que le 5 juillet 1294, le Saint-Siège étant vacant depuis plus de deux années par la mort de Nicolas IV, un cardinal, irrité des ambitions puissantes qui partageaient le conclave, jeta, comme par défi, le nom de l’ermite parmi tous ceux que l’on discutait. On crut à une inspiration divine ; on alla aux voix et Pierre de Mourrone fut élu. Il quitta, non sans regret ni larmes, sa cellule effroyable du mont de Margella et fit son entrée solennelle dans la ville d’Aquila, monté sur un âne dont la bride était aux mains de Charles II le Boiteux, roi de Sicile, et de son fils, roi de Hongrie, le futur Robert le Sage. Il prit le nom de Célestin V, en s’asseyant sur le siège de Saint-Pierre. Son pontificat qui ne dura que six mois ne tint pas les promesses que l’on en avait conçues : il s’avoua impropre à gouverner les hommes, abdiqua la tiare en décembre 1294, et mourut le jour de Pentecôte 1296. Son successeur Boniface VIII accabla d’honneurs son humble mémoire ; Clément le canonisa et le roi Philippe le Bel, en 1300, appela son ordre en France ; les successeurs de ce monarque, particulièrement Charles V, ne cessèrent de favoriser les Célestins.

Entre temps l’ex-commanderie du Temple, où Pierre de Mourrone avait discerné en rêve l’avenir de son œuvre, avait passé aux chevaliers de Malte : puis les ducs de Savoie l’avaient échangée pour l’une de leurs propriétés et y faisaient parfois leur résidence. Le 22 février 1407, Amédée VIII, des princes de Savoie, lequel n’en eut pas moins le malheur de devenir l’anti-pape Félix V, « la céda à ses bien-aimés pères, les fils de Pierre de Mourrone » pour qu’ils y construisissent un monastère et une église, qui seraient dédiés à Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. Par l’une des clauses de l’acte de donation, il se réservait, dans le monastère, un logement à perpétuité. Un des premiers prieurs du nouveau couvent fut Jean Gerson, frère du célèbre chancelier de l’Université de Paris.

Louis Ier, fils d’Amédée VIII, hérita des sentiments de son père pour les Célestins de Lyon. Il leur accorda une grosse somme pour édifier une seconde église qui remplaça promptement la première, trop exiguë ; son cœur y fut inhumé devant le grand autel, conformément à ses suprêmes volontés, peu après qu’il fut mort, le 29 janvier 1465, dans la maison qui faisait l’angle de la place Saint-Jean et qui appartenait à la veuve d’un riche commerçant. Pour renfermer ce cœur très cher, les Célestins élevèrent un superbe tombeau sur lequel se lisait une épitaphe de noble allure, dont nous traduisons le début : « J’ai engendré, je l’avoue, des rois, des ducs, des comtes ; j’ai été moi-même le gendre du roi de France [Louis XI]. Que me servent maintenant à moi, qui me suis acquitté de la vie, et les sceptres dominateurs et les honneurs que je fis triompher. Voici que je meurs, laissant à mes fils ma patrie et mes peuples. Hors les âmes, tout cède à la mort. » Guichenon, dans son Histoire de Savoye, rapporte une autre inscription célestine des deux ducs Amédée et Louis, beaucoup plus fastueuse mais moins chrétienne.

Camille de Neuville, archevêque de Lyon.

L’église des Célestins, abondante en objets d’art, était éclairée par de magnifiques vitraux. La grande vitre, don du duc Louis Ier ornait le maître-autel au fond du chœur. Louis XI et Charlotte de Savoie, sa femme, avaient fait présent du vitrail de droite : une Résurrection ; Charles VIII et Anne de Bretagne de celui qui était à côté de la sacristie : la Madeleine reconnaissant le Christ ressuscité ; Philippe de Savoie et Marguerite de Bourbon du vitrail où on voyait la Flagellation. Louis d’Amboise, évêque d’Albe et frère du cardinal, offrit la verrière de gauche, qui représentait l’Arbre de Jessé.

Quant au fameux cardinal Georges d’Amboise, de passage à Lyon et logé chez les Célestins, il y mourut le 25 mai 1510. Son cœur fut déposé dans leur église, sous un marbre blanc très simple où on lisait : « Ceci est le cœur du très illustre cardinal Georges d’Amboise, légat perpétuel en France et en Avignon, archevêque de Rouen, insigne bienfaiteur de ce monastère. » Si on en croit Clapasson, l’église des Célestins était d’un gothique des plus communs et son architecture n’avait rien de remarquable ; encore renfermait-elle de bons tableaux de Blanchet et de Le Blanc, ainsi que de louables sculptures de Mimerel le cadet, auteur de quelques belles figures que l’on voyait naguère encore à l’angle de nos rues, et d’un Bacchus, rue du Bœuf. Un des meilleurs sinon le meilleur élève du Poussin, Jacques Stella, avait peint une Descente de croix, au-dessus du grand autel. L’orgue placé sur la tribune imitait toutes les inflexions de la voix humaine, et était l’œuvre de Mollard. À côté de la porte, deux figures en relief représentaient saint Benoît et saint Pierre Célestin ; au-dessus du portail se trouvait une Annonciation avec les armes d’Amédée VIII.

Jean Thibot, ou sans doute Thibaud, qui fut plusieurs fois conseiller de ville, fit bâtir, en 1433, la chapelle qu’on appela d’abord la grande Notre-Dame et qu’on annexa Camille de Neuville, archevêque de Lyon.

ensuite à celle de Saint-Pierre de Luxembourg, commencée par un sieur Étienne de Viry et achevée par Jean Cœur, fils de Jacques, l’argentier fameux de Charles VII. « L’on voit encore, écrit Clapasson, contre le mur à côté de l’une de ces chapelles, à main droite, une forme de tombeau de marbre, terminé par une figure de la mort ; ce sont les restes du magnifique mausolée que les Pazzi avaient fait élever dans cette église et que Marie de Médicis, étant en cette ville, fit renverser par ressentiment. »

Malvin de Montazet, archevêque de Lyon.

Le 27 décembre 1669, l’archevêque Camille de Neuville consacra de nouveau l’autel de la chapelle Saint-Pierre de Luxembourg sous le titre de ce même saint, de saint Joseph et de saint François de Sales. Auparavant, la muraille qui séparait la chapelle de la grande Notre-Dame de celle de Saint-Pierre de Luxembourg avait été abattue et, au-dessous de l’autel qui était adossé, on avait trouvé une boîte en plomb contenant quelques reliques, trois grains d’encens et une feuille de parchemin portant un acte latin de consécration du 17 octobre 1573, émanant de Jean Henry surnommé le Fléau des hérétiques, évêque de Damas et suffragant d’Antoine d’Albon, archevêque de Lyon. La chapelle dite de la comtesse, construite par le comte de Clissy et la comtesse sa femme, Jeanne de Bigny, qui y furent inhumés, et celle des Onze mille Vierges due à Jean Garnier, notaire du xve siècle, n’offraient rien de remarquable.

La dernière nuit d’avril 1562, les calvinistes surprirent Lyon : ils entrèrent d’abord dans le couvent des Célestins ; les soldats du baron des Adrets s’y retranchèrent comme dans une citadelle et bombardèrent de là les antiques et épaisses murailles du cloître des chanoines-comtes de Saint-Jean. Les religieux, à leur retour, l’année suivante, ne rencontrèrent que des murs demi-démolis. En 1383, alors qu’ils s’étaient à peine relevés de leurs ruines, un non moindre fléau les frappa, la peste, qui sévit dans leur couvent puis dans le monastère des Cordeliers de Saint-Bonaventure, tant et tant, écrit un annaliste contemporain qu’il n’y demeura quasi personne. Il est très étonnant que le Père Benoit Gonon, le plus agréable historien de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, n’ait pas mentionné ce fait d’importance dans sa chronique, plus savoureuse d’ailleurs par le langage que recommandable par l’exactitude chronologique.

De la fin du xvie siècle au xviiie, la dévotion à Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle se refroidit. En 1721, le monastère qui s’en allait en ruines fut rebâti sur un nouveau plan. La façade, exécutée d’après Masson, ne fut finie qu’en 1739 : elle avait trois cents pieds de longueur et faisait un assez bel effet de masse. Les quatre bâtiments que l’on voit aujourd’hui sur le quai, ornés d’appliques et de frontons, sont des parties conservées du soubassement de cette façade. La pièce insigne du cloître, selon Clapasson, était, dans le réfectoire, un grand tableau cintré qui en occupait tout le fond : les Noces de Cana, exemple rare de l’intelligence du clair-obscur et du coloris, et œuvre de Vernansal, peintre parisien, qui, après de longues études à Venise, habita quelques années à Lyon.

Les Célestins subirent, en 1744, deux incendies presque coup sur coup. Le premier consuma, le 26 novembre, leur riche bibliothèque, dont M. d’Aigueperse, greffier du tribunal de commerce de Lyon, a possédé longtemps un magnifique Térence, de 1675, sur le titre duquel on lisait : « A flammis ereptus, 1744. Préservé de l’incendie de 1744. » Le second, pendant la nuit de Noël, dévora les deux corps de logis les plus voisins de la place du Port-du-Roi. La décadence menaçait en même temps les Gélestins : par lettres patentes de Louis XVI, du 13 mai 1779, ils se sécularisèrent, et l’archevêque de Lyon, Malvin de Montazet, le 6 novembre suivant, réunit leurs biens à ceux du clergé. Le prélat avait compté sans une intervention, inattendue à vrai dire, du passé le plus archaïque. Victor-Amédée III, duc de Savoie et roi de Sardaigne, prince assez peu dévot mais très versé dans l’histoire de ses aïeux, revendiqua « la Célestinière de Lyon », en excipant de la clause citée d’après la charte de donation du 27 février 1407. Il y eut procès, bref d’ailleurs pour l’époque, vraisemblablement à cause de la qualité des parties, puisqu’il ne dura que quatre ans un mois et six jours. Un arrêt du conseil des dépêches, du 12 janvier 1784, envoya en possession du couvent en litige Victor-Amédée III, qui, le 10 mai 1785, aliéna la totalité du vaste emplacement au prix de 1.500.000 livres, dont il usa, dit-on, pour payer la noce de son fils, le prince de Piémont, avec la sœur de Louis XVI. L’acquéreur revendit, par morceaux, le terrain à peu près net et on y perça des rues. On sait le reste : l’église se changea en un théâtre qui ne rappelle guère les concerts spirituels, si fort vantés au xviie siècle, des disciples de Pierre de Mourrone.

SAINT-BRUNO DES CHARTREUX

L’ordre des Chartreux se multiplia rapidement sous les bénédictions de Dieu : dès les premiers temps, il fonda plusieurs couvents dans notre région. Ces religieux songèrent cependant à avoir, en une ville comme Lyon, traversée si souvent par les prieurs qui, de tous les points, se rendaient au chapitre annuel de la Grande-Chartreuse, un pied-à-terre utile, à s’implanter dans la Rome des Gaules, ainsi qu’ils l’avaient fait dans la Rome de la catholicité.

Donc, en 1584, au mois d’août, ils vinrent à Lyon où se trouvait le roi Henri III, et sollicitèrent l’autorisation désirée ; cette autorisation obtenue, ils fixèrent leur choix sur le tènement de la Giroflée, lequel, dit un de leurs annalistes, tirait son nom de Jean la Giroflée qui en était possesseur en 1427. L’emplacement choisi était dans les conditions souhaitables d’isolement et de silence : peu ou point d’habitations sur le plateau qui domine la vallée, et sur les pentes qui s’inclinent vers la Saône. Mais, par le fait même que ces hauteurs étaient à peu près inhabitées, les Lyonnais en avaient fait un lieu de promenade et de plaisir ; aussi l’historien qui a consigné les origines du monastère, et qui vivait à cette époque, un Chartreux, dom Nicolas Molin, s’écrie à ce propos : « Quel changement a opéré la main de Dieu ! Le théâtre du plaisir va devenir la maison de la prière ; ce qui était le repaire du démon devient la demeure des anges ; ce qui était une salle de bal est transformé en Saint des Saints ».

Celle prise de possession du divin Maître eut lieu le 18 octobre 1584, jour où l’on y célébra la messe pour la première fois. Tout y était provisoire. Le maître et les serviteurs vivaient presque dans le dénûment de Bethléem. Puis, si les secours arrivaient, le prieur, dom Marchand, qui devait être un peu plus tard général de l’ordre, les employait non pas tant aux besoins des religieux qu’à l’embellissement de la chapelle. Pour s’en tenir au mol cité plus haut, il avait utilisé l’ancienne salle de bal et en avait fait un oratoire très convenable et très recueilli.

Arrive enfin un don quelque peu considérable. Un calviniste, venu de Paris à Lyon, se convertit dans notre ville, et, touché de la pauvreté du couvent, offre à dom Marchand, nouvellement promu au généralat, une somme de 2.000 écus d’or. « Quoi de plus doux et de plus agréable à ce Père ! — je cite encore mon narrateur — car il gardait le meilleur de son âme et de son cœur à sa pauvre Chartreuse de Lyon, qui était comme sa pupille, comme son enfant. »

La destination de cette somme fut bien vite décidée : il en bâtirait une demeure plus digne de Dieu que celle qui existait déjà. Alors, il envoya à Lyon Guillaume Schelsom, un religieux qui avait été jadis évêque en Écosse, et Jean de l’Écluse, prieur de Valenciennes, pour qu’ils jetassent les fondements d’une nouvelle église.

Notre historien, dom Molin, blâme avec une certaine ironie les projets trop grandioses que les deux envoyés conçurent pour cette construction. Après avoir constaté combien l’emplacement sur la colline se prêtait à un beau monument, ils rapportèrent à la Grande-Chartreuse les plans de la cathédrale de Milan et de la Chartreuse de Pavie, comme s’il avait pu être question de reproduire à Lyon l’une ou l’autre de ces deux merveilles. Le Général résista, comme de juste, à pareille idée. Malgré tout, le projet persistait d’élever une belle église. En 1590, un nouveau prieur, Jean Thurin, de concert avec Guillaume Schelsom, s’adressait à un architecte et peintre de la ville, Jean Magnan, et à deux entrepreneurs, pour en obtenir un plan et l’exécution des travaux. La convention porte cette clause particulière : « S’il arrive que quelqu’un des ouvriers vienne à blasphémer le saint nom de Dieu ou à tenir quelque propos mal dit, il devra vuider incontinent l’atelier. »

Dans son plan, qui est celui de l’église actuelle, remanié plus tard par Delamonce, l’architecte ajoutait un dôme et une nef à ce que l’on continuera d’appeler « le vieux sanctuaire », le chœur d’aujourd’hui d’après les transformations qu’il a subies plusieurs fois. Les échevins de Lyon approuvèrent l’entreprise et permirent d’extraire d’une carrière voisine les matériaux nécessaires. Quelques jours plus tard, Mgr de Villars, archevêque de Vienne, entouré du marquis de Saint-Sorlin, gouverneur, du vicaire général, qui représentait Pierre d’Épinac, archevêque de Lyon, absent, des échevins et d’un grand nombre de fidèles de la ville, posait la première pierre de l’édifice. À ce moment, la guerre paralysait le commerce ; on put employer un grand nombre d’ouvriers, et les travaux s’avancèrent rapidement. Mais la somme d’argent disponible s’épuisa bientôt : le calviniste converti, dont nous avons parlé plus haut, édifié par la vie parfaite des religieux, quitta le monde, monta à la Grande-Chartreuse, y fit l’offrande de tout ce qui lui restait de fortune en disant au père général : « Vous avez mes biens, prenez ma personne ». Et il reçut l’habit monastique le 21 juin 1591 ; il devait mourir huit ans après, à Currières, où était l’infirmerie du couvent : c’était dom Pierre Robineau. Ce nouveau secours permit de continuer pendant quelque temps la construction.

Nous entrons ensuite dans une série d’interruptions parfois longues, lesquelles répondent à la pénurie des ressources : en 1598, on se remet aux pilastres du dôme et à la maçonnerie des chapelles du côté du couchant. Ce qu’il y avait d’ailleurs de plus urgent pour les religieux, c’était un sanctuaire de capacité suffisante et suffisamment orné pour y faire convenablement le service divin ; ils réservent donc leurs soins et les dons qui leur arrivent, pendant que le reste du plan demeure inachevé, à l’embellissement du chœur actuel. En 1614, ils substituent à l’ancien pavé un dallage plus élégant « de pierres blanches en losange » ; en même temps, ils garnissent les murs d’une boiserie, d’un « lambris », qui nécessite le changement du niveau des fenêtres. Il est question de onze fenêtres, dont six probablement disparaissent derrière la boiserie pour ne laisser subsister que celles de la coquille ; comme on est sans espérance de terminer de sitôt le plan total, on fait élever, « de fond en cime », une muraille qui sépare le chœur d’avec la partie de l’église sous le dôme.

Saint-Bruno des Chartreux.

Ces travaux finis, l’archevêque de Lyon, Simon de Marquemont, vient, le 6 juin 1615, consacrer cette portion disposée pour le service divin. Mais le nombre des religieux ne permettait pas de donner à la célébration des offices la solennité désirable ; l’archevêque écrivit donc une lettre pressante au père général pour demander que le monastère fût repeuplé. Deux autres lettres, tout aussi suppliantes, l’une du gouverneur, l’autre du consulat, formulaient la même requête, laquelle fut écoutée : vers le commencement d’octobre 1616, quinze religieux et trois frères convers vinrent reprendre en quelque sorte possession du couvent. Mgr de Marquemont, en témoignage de satisfaction, voulut célébrer avec eux les premières vêpres de leur patron, saint Bruno, et gravit à nouveau la colline, le lendemain, pour officier pontificalement à la grand’messe ; il officia, selon le rite, le cérémonial particulier aux Chartreux, non sans faire quelques fautes, comme l’insinue notre auteur.

Dans l’intervalle des quinze années qui suivent, on continue les travaux d’embellissement : les boiseries de la sacristie, telles qu’elles existent encore aujourd’hui sans grande modification, datent de 1620. Des peintures décoratives se font à la voûte et aux murailles de ce qu’on nomme toujours « le vieux sanctuaire ». Horace Leblanc, élève de Lanfranc, donne, en 1625, quittance « du prix de ses ouvrages en peintures à fresque de la vie de saint Bruno au petit cloître et en d’autres endroits de l’église » ; François Perrier devait, un peu plus tard, achever l’œuvre de Leblanc au petit cloître, et peindre le côté qui est au midi. On lui commanda également un tableau du Calvaire pour le chapitre, un Christ au Jardin des Oliviers pour la sacristie, une Cène pour le réfectoire, la Résurrection d’un mort par saint Anthelme pour le chœur de l’église : ce dernier tableau est la seule œuvre qui subsiste des toiles et des fresques de Perrier.

En 1629, le grand autel est orné d’un tabernacle ou ciborium en bois de noyer et de tilleul ; on place les deux statues encore existantes de saint Bruno et de saint Jean-Baptiste, œuvres du sculpteur Sarazin ; mais bientôt les religieux sont à bout de ressources et les travaux sont interrompus de 1630 à 1646. En cette dernière année, le prieur dom Christophe d’Outreleau donne à prix fait « le parachèvement de l’église suivant le dessin qui sera fourni » : deux des chapelles du couchant étaient à terminer ; celles du levant n’étaient pas commencées ; le dôme ne présentait à la vue que ses piliers et ses arcs doubleaux. Ce bel essor, hélas ! se brise bientôt : une dépense de 17.000 fr. a absorbé en deux ans tout l’argent amassé. Les comptes du monastère présentent une nouvelle dépense de 25.000 fr. en 1633, puis, dans la longue durée de quatre-vingts ans, les frais indispensables pour ne pas laisser aller en ruines ce qui était déjà fait : c’est ainsi qu’en 1690 on fermait par un mur de pisé les arcades des chapelles de droite.

Un nouveau prieur, dom Claude Guinet, assume enfin la tâche de terminer l’œuvre de ses prédécesseurs. La mort la lui arrache des mains ; mais son successeur, dom Gabriel Prenel, la reprendra et ne la laissera pas qu’elle ne soit achevée : il s’adresse à un architecte de grand talent, Ferdinand-Sigismond Delamonce. Plan et devis sont remis le 1er novembre 1733 ; au 10 mars de l’année suivante, le prieur passe les conventions avec Delamonce, qui devra « parachever l’église au dedans et au dehors, disposer le vieux sanctuaire selon le nouveau plan, faire les trois murs circulaires sous le dôme, etc. » Ce dernier point fait supposer que, dans le plan primitif de Magnan, les arcades sous le dôme devaient rester vides, et que Delamonce y mit des murs pleins, soit qu’il jugeât la chose meilleure au point de vue de l’art, soit qu’il voulût asseoir plus solidement la coupole qu’il devait élever. Dans la convention il était stipulé que l’architecte serait nourri au monastère et recevrait mille francs pour ses dessins et sa peine, que les ouvrages eussent à durer une ou plusieurs années.

Delamonce, ayant à prendre l’œuvre au point où elle en était, se trouvait nécessairement gêné dans ses conceptions : un mémoire de lui à l’Académie de Lyon témoigne de cette gêne qu’il eut à subir. Ainsi, il n’aurait pas admis, comme on les voit, les ressauts de l’entablement qui ne permettent pas aux métopes d’être disposés d’une façon régulière entre les triglyphes ; à son avis, les arcades des chapelles sont trop basses ; trop basse aussi la nef par rapport à sa largeur ; les alettes du jambage des piliers et leurs archivoltes sont trop larges, leurs moulures trop pesantes. Il dut se borner à corriger dans les limites du possible, et notamment les piédestaux massifs qui formaient près d’un tiers de la hauteur des pilastres, ainsi que les jambages des quatre grandes arcades du dôme. Le tailleur de pierre eut « à mutiler, tailler les anciennes bases, cimaises et corniches des vieux piédestaux, des quatre jambages des piliers sous le dôme, à faire l’enfoncement afin d’établir la nouvelle base dorique à chacun des piliers, et à tailler les nouveaux sur les profils de M. Delamonce. » Il fallut aussi surélever les murs où s’ouvrent les fenêtres de la nef et celles du chœur ; ces dernières furent même reportées beaucoup plus haut qu’elles n’étaient. Comme le chœur avait été jusqu’alors une sorte d’église indépendante, fermée par un mur du côté du sanctuaire, le mur fut démoli et remplacé, en arrière du grand arc doubleau sous le dôme, par un arc se développant en corne de vache et s’évasant du côté du chœur. L’architecte qui est chargé de ce travail lui donnera son nom, mais il est dit qu’il l’exécutera sur les dessins de Delamonce. Les buttes de l’arc Munet amènent la suppression d’une chapelle haute, située au-dessus de la chapelle actuelle du Crucifix, autrefois chapelle Saint-Antoine, et encore chapelle Mallo, du nom d’un échevin bienfaiteur du couvent ; on dut aussi pour cela combler le caveau existant sous le chœur des Frères et transporter ailleurs les corps qui y reposaient, entre autres ceux de Pierre Austrein, seigneur de Jarnosse (1617), de Jean Yon (1640), de Bernardin de Bastero et de sa femme Jeanne Simonet (1686).

Bas-relief dans la trompe du dôme.

Le dôme, la partie vraiment monumentale de l’édifice, est l’objet des soins particuliers de Delamonce. Ce sera son œuvre personnelle dans une œuvre qu’il a prise déjà faite aux deux tiers. Les pierres de Seyssel fournissent les tailles des vitraux, les pierres de Villebois celles de la corniche extérieure ; la forêt de Poletins, en Bresse, propriété d’un ancien couvent de Chartreusines, et dont les revenus avaient été affectés à la maison de Lyon, donne les bois de la charpente. Jacques Beraud, scieur de long d’Usson en Auvergne, abat et équarrit 126 chênes, grands et petits, sur lesquels on réserve 408 pieds de plateaux et 56 douzaines de planches de moindre épaisseur pour les stalles du chœur. Le prix fait de l’artisan qui doit dorer « à huit couches d’or fin en feuilles de gros livret » la boule terminale du dôme de 26 pouces de diamètre est de 1736 ; le compte du serrurier qui a fait la croix en fer ouvragé qui la surmonte est de 1737 : tout indique donc que, dans cette dernière année, le signe de la rédemption domina enfin un édifice commencé depuis cent cinquante ans, et que l’œuvre de Delamonce, dépouillée de ses échafaudages, dessina sur le ciel de Lyon ses lignes correctes et harmonieuses.

En même temps on avait commencé les travaux et l’ornementation de l’intérieur. Deux maîtres plâtriers de Lyon prennent, au prix fait de 4.000 fr., l’exécution de tous les dessins donnés par Delamonce, pour moulures, bordures, architraves, triglyphes et métopes, roses et saints-esprits, ces derniers ornements devant être conformes, quoique en plâtre, à ceux qui avaient été anciennement taillés en pierre dans toute la partie droite de la nef ; de même ils feront l’enduit du berceau de la voûte et des voussures, les têtes des chérubins, les seize festons de fleurs et autres ornements de goût à confier au plus habile sculpteur de la ville. Les détails de l’ornementation rappellent la fondation royale et le nom de chartreuse du Lys-Saint-Esprit.

Un morceau capital de cette décoration intérieure était le baldaquin ou ciborium qui surmonte l’autel. Il n’y a plus à dire qu’une simple tradition l’attribue à Servandoni ; l’œuvre est bien de l’habile artiste, et elle lui fait honneur ; il en avait donné le dessin et la maquette. « J’ai reçu la somme de 300 livres pour les frais des dessins, et 200 livres pour le modèle que je fis, et dont je quitte. À Paris, le 17 décembre 1738. Chevalier Servandoni. » La commande des marbres « destinés au nouveau sanctuaire » fut faite aux frères Dorel, de Vevey en Suisse ; on stipule qu’ils seront fournis conformément aux dessins de Delamonce. Cette commande comprenait le pavé riche et nuancé qui entoure le baldaquin, les marches et les gradins de l’autel, les quatre colonnes du ciborium, lesquelles auront 1 pied 8 pouces 3 lignes de diamètre à la base et ne pourront être composées de plus de deux quartiers ; les quatre fûts, « finis, lustrés et posés », sont payés 1.700 fr., les Chartreux donnant toutefois la nourriture aux ouvriers qui en achèveront le poli et en feront le posage. En 1738, les marbriers déclarent avoir fourni 2.500 carreaux ou frises pour le pavé, quatre colonnes en huit pièces, et environ 30 pieds de marches, le tout en marbres de Suisse, et rendu à leurs frais jusqu’au Regonfle du Rhône.

Les travaux de sculpture sont dus à différents artistes : Chabry exécute « quatre têtes d’anges avec leurs ailes pour être mises aux coins du tombeau du double autel (sous le baldaquin) et les portes des deux tabernacles, l’une représentant le Bon Pasteur, l’autre ce qui conviendra le mieux » ; les têtes d’anges n’existent plus. Le même Chabry est l’auteur des deux culs-de-lampe qui soutiennent les statues de saint Bruno et de saint Jean-Baptiste ; il sculpta également les quatre bas-reliefs, aujourd’hui mutilés, « en tête et à l’extrémité des formes (stalles), avec chacun sa gloire au-dessus, d Les sujets représentés étaient : le martyre de saint Jean-Baptiste ; le martyre de saint Étienne ; David jouant de la harpe, avec un ange tenant devant lui un livre de musique ; un concert d’anges ; « le tout avec les attributs et décorations qui conviennent, et exécuté, dit la convention, avec l’habileté et la délicatesse ordinaire dudit sieur Chabry. » Il reçut trois cents livres pour son travail, et deux louis d’or comme témoignage du contentement des pères. Chabry donna seulement le dessin des agrafes des autres grands panneaux des stalles. C’est le sieur Vanderheyde qui fit la boiserie remarquable du fond du chœur, les dessins étant fournis par Chabry, et les parcloses ou séparations des stalles ; on lui doit encore la sculpture des cadres des deux tableaux, « l’un représentant l’Ascension de Notre-Seigneur, l’autre l’Assomption de Notre-Dame, destinés à être mis aux côtés du grand autel, aux archivoltes des croisées du nouveau sanctuaire œuvres de M. Trémolière, peintre de l’académie de Paris. » Ces deux belles pages de peinture étaient un cadeau de la sœur du prieur, Marie Prenel, veuve Descombles. Du même sculpteur, Vanderheyde, sont enfin les cadres des deux tableaux qui ornent le chœur : le miracle de saint Anthelme et une copie non signée, du martyre de saint André, fresque du Guide dans l’église Saint-Grégoire à Rome.

Tous ces travaux se font avec lenteur, au fur et à mesure des ressources ; ils s’échelonnent de 1735 à 1749. Durant cet espace de temps, le nom de l’architecte Delamonce est cité fréquemment dans les papiers du monastère ; tout se fait par son ordre ou d’après des dessins : puis ce nom disparaît. Les historiens disent que vraisemblablement par faute d’entente avec le prieur, il se retira et que les derniers travaux furent exécutés par Soufflot ; on attribuait même à Soufflot la construction du dôme ; d’autres ont nié absolument sa participation à l’œuvre de l’église. La vérité est entre ces deux extrêmes : on trouve ces trois mentions de Soufflot dans les archives du couvent ; il dirigea et régla le travail du serrurier Mallet qui fournit, en 1743, les ferrures employées dans la partie supérieure du baldaquin ; il dessina les cadres des tableaux de Trémolière ; il donna à un sieur Boudard, en 1746, le dessin des deux anges en carton-pierre, placés au côté du grand autel, l’un tenant un encensoir, l’autre en attitude d’adoration. Le dessin était d’un maître, l’exécution fut déplorable : le prieur jugea que Boudard avait été téméraire en espérant faire son apprentissage aux dépens des Chartreux. Enfin, dernier détail, il y a une quittance signée de Soufflot pour 600 fr. reçus au compte de Hallé et de Frontier, auteurs de deux tableaux qui ne sont pas décrits ; le tableau de Hallé fils, surintendant des Gobelins, est sûrement celui qui représente le baptême de Notre-Seigneur actuellement dans la chapelle des Fonts baptismaux.

Pour terminer ce qui concerne les tableaux remontant à cette période de la décoration de l’église, il faut signaler deux toiles encore, œuvre de Brenet : la première est une mise du Christ au tombeau, dans la troisième chapelle à droite, la seconde relative à un fait historique. Pendant la construction du dôme, un orage menaça d’enlever toute la charpente et les échafaudages dressés pour l’assembler : un religieux du couvent, en grande réputation de sainteté, se mit en prières et l’orage s’apaisa soudain.

Dans la cinquième reprise de la construction, de 1733 à 1738, les Chartreux avaient dépensé environ 100.000 fr. On ne sait pas le chiffre des dépenses pendant les dix années qui suivirent ; des donateurs étaient venus à leur aide ; le Consulat donna 5.000 fr., et accorda la franchise annuelle des droits d’entrée de cent ânées de vin ; les chartreuses de France et celles de Séville envoyèrent 13.000 fr. ; mais il fallut se séparer de quatre grands et quatre petits vases d’argent, de beaux candélabres de laiton vendus à Castres 2.500 fr. et enfin contracter un emprunt de 50.000 fr. Au prix de tous ces sacrifices, nos religieux avaient voulu offrir au Maître qu’ils servaient une demeure qui ne fût pas trop indigne de lui ; ils avaient ainsi réalisé la pensée des échevins de 1590, quand ils obtenaient d’eux la permission de construire, par cette considération que les édifices à élever « seraient autant de décorations et embellissements à la ville ». Le prieur dom Prenel jouit de son œuvre jusqu’à l’époque de sa mort, en 1758. Dans l’Obit, note mortuaire que le monastère de la Grande-Chartreuse adresse à tous les religieux de l’ordre, on trouve ces mots élogieux pour notre prieur : « Il a magnifiquement restauré le temple du Seigneur ».

Un demi-siècle n’était pas écoulé, que la Révolution venait chasser les Chartreux de Lyon et s’emparer de leurs biens. Lors du rétablissement du culte, l’église, qui n’avait pas été aliénée par la commune, devint église paroissiale sous le vocable de Saint-Bruno ; mais, avant même le Concordat, un religieux capucin, le P. Archange, avait repris ses fonctions d’ancien prédicateur connu et très goûté à Lyon, et avait organisé dans cette enceinte, muette depuis plus de dix ans, des réunions demi-secrètes, demi-publiques. Le premier curé fut M. Paul, en 1803. Plus épargnée que d’autres, l’église n’avait pas subi de ravages trop considérables ; on a pourtant à regretter la mutilation de quelques sujets ou attributs dans la sculpture des stalles. Il n’en fallut pas moins procéder à un travail de restauration : M. Rauzan, supérieur de la petite phalange de missionnaires que le cardinal Fesch avait installée dans l’ancienne hôtellerie du couvent, laquelle était devenue sa propriété, succéda à M. Paul ; l’église devint ainsi le centre de prédications et de retraites où la renommée du curé attirait les auditeurs de tous les points de Lyon.

Le décret impérial qui supprimait les missions (1809) ramena M. Rauzan à Paris. M. Gagneur fut appelé à le remplacer : c’est à lui qu’on doit la construction de la chaire que ne comportait pas une église conventuelle. Sous son administration, une pieuse personne. Mlle Repond, fit don à la paroisse du grand ostensoir, de la niche de l’exposition, de deux beaux candélabres et des anges adorateurs auxquels, dans ces derniers temps, on a substitué les deux groupes que l’on voit sous le baldaquin ; affaibli par ses travaux et par l’âge, M. Gagneur donna sa démission en 1817. M. de La Croix d’Azolette quitta le poste de directeur au grand séminaire pour lui succéder ; il continua de pourvoir au mobilier de l’église, lit mettre des barrières à différents autels et acheta les cloches. De plus hautes destinées l’attendaient ; mais, sur la fin de sa vie, fidèle à ses premières affections, il abandonna le siège métropolitain d’Auch, et vint achever sa belle vieillesse dans une cellule du cloître des Chartreux. Il y mourut saintement et reposa dans le caveau creusé sous les dalles de la chapelle Saint-Bruno.

Pendant trente-trois ans de ministère paroissial, M. Pousset, outre les œuvres de zèle qui sont la première préoccupation d’un curé, ne négligea pas le soin de la maison de Dieu : mentionnons les deux autels de saint Pierre et de sainte Philomène et surtout des réparations notables qu’il fallut faire à la toiture du dôme. Il céda sa paroisse à M. Bissardon, en 1856, et alla jouir dans le repos d’une longévité de patriarche, qui lui permit de voir son quatrième successeur à la cure de Saint-Bruno.

M. Bissardon confia à M. Desjardins la décoration de la chapelle de la Sainte-Vierge, décoration qui a servi de type à toutes celles qui ont suivi. Après M. Gorand, qui ne fit que passer (1864), commença, avec M. Fond, une nouvelle ère pour l’église des Chartreux. C’est avec lui que se transforment sous leur parure d’or et de marbre les chapelles du Sacré-Cœur, Saint-Bruno, Saint-François-Régis, cette dernière par les libéralités de M. l’abbé Mouton. Et ce n’est là qu’un début : doué d’une volonté que rien n’arrête, animé d’un zèle qui s’avive devant les difficultés, M. Fond songe à donner une façade à son église, un vêtement architectural à ce mur qu’on se rappelle, tout hérissé de pierres qui l’attendaient maussadement depuis plus d’un siècle ; et la façade commencée en 1871, était achevée l’année suivante au milieu de temps à jamais néfastes (1871-1872).

Avant que l’on procédât à cette œuvre capitale, une question se posait. Était-il opportun de donner une travée de plus à la nef, qui, à première vue, paraît être d’un trop court développement : cela, soit pour l’effet architectural, soit pour l’espace réservé aux fidèles ? La question fut sérieusement examinée, discutée, et par des hommes compétents : l’une des raisons qui prévalurent contre cet agrandissement, était que Delamonce devait, en l’espèce, faire autorité, et qu’on pouvait s’en tenir au plan et aux dimensions que sa main avait signés. Or, on ignorait à ce moment que Delamonce avait inutilement réclamé l’augmentation sur laquelle portait le débat. Voici deux lettres qui établissent le fait. La première est du prieur. Il écrit au père général : « M. Delamonce, architecte et directeur
Mgr de La Croix d’Azolette, curé de Saint-Bruno, puis archevêque d’Auch.
des ouvrages de l’église, proposa à notre père visiteur une augmentation de construction pour les proportions, la régularité et la décoration de cette église, et ne fut pas écouté : notre père visiteur lui fit comprendre que la dépense des ouvrages convenus était déjà des plus considérable, et qu’il n’était pas à propos de s’engager dans une dépense nouvelle. Et depuis, le même architecte a souvent sollicité de consentir à cette augmentation, disant que le public, ce qu’il y a de gens connaisseurs, et les amis de l’ordre, demandent l’agrandissement qui, manquant à l’église, la rendra trop raccourcie, sans proportion ; le surplus serait étranglé, et ensuite le mal sans remède… Nous ne pouvons prendre tout cela sur nous sans l’autorité de votre Révérence et l’agrément de notre père visiteur ».

Le général de la Grande-Chartreuse répondit, en date du 24 avril 1734 : « Puisque le père visiteur n’a pas jugé à propos de consentir à l’augmentation que vous et M. Delamonce me proposez, je ne puis y donner la main, d’autant que votre nouvelle église, dans son total, a quatre fois la longueur de sa largeur… Il y aura suffisamment de place pour les séculiers si, comme je crois, on doit ouvrir les quatre chapelles de chaque côté de la nef… Il faut se borner aux dépenses et fonds que vous pouvez avoir, et on ne doit pas faire des cathédrales de nos églises. Je vous souhaite les bonnes fêtes et suis très sincèrement votre affectionné confrère. Frère Étienne Richard, prieur de Chartreuse. » L’église resta donc, d’après cette décision, et reste donc encore aujourd’hui dans les dimensions du plan primitif. C’est à M. Sainte-Marie Perrin, l’éminent architecte de Fourvière, que fut confiée l’érection de la façade. La Semaine catholique de Lyon salua cet événement dans un article qu’il faudrait reproduire en entier, et dont nous prenons quelques lignes : « L’œuvre de M. Sainte-Marie Perrin est excellente ; grâce à lui, Saint-Bruno possède enfin une façade à la fois simple et élégante. Depuis la saillie demicirculaire dans laquelle s’ouvre le portail flanqué de colonnes doriques, jusqu’à la tribune sur laquelle donne la grande fenêtre centrale encadrée de colonnes cannelées, jusqu’à la niche du fronton où doit être placée la statue de saint Bruno, tout se tient, tout se lie, en rapport avec l’édifice et dans son ensemble harmonieux ».

La statue du saint patron vint à son heure, et M. Fabisch reproduisit le chef-d’œuvre de Houdon à Sainte-Marie-des-Anges, à Rome, dont Clément XIV a dit : « Ce marbre parlerait si la règle des Chartreux ne lui imposait le silence ». Tout cela s’était accompli sans nulle subvention officielle, à l’aide de souscriptions particulières, entre lesquelles il faut citer la souscription des pères de la Grande Chartreuse, touchante aumône de ceux qui avaient été jadis dépossédés. Une allocation municipale permit ensuite de réparer l’œuvre extérieure presque dans sa totalité, et de substituer aux avant-toits disgracieux, une corniche de pierre. Puis ce fut l’acquisition d’un orgue, meuble de luxe, qui n’a pas sa place dans les églises et dans le rite austère des fils de saint Bruno ; il fut pendant quelque temps, comme entreposé dans le côté droit du chœur, à la suite des stalles, et il paraissait avoir conscience et honte de cette position gênante, anormale, déplaisante. Par une très heureuse idée, on le plaça au fond du chœur et on fit servir à la façade du buffet la superbe boiserie qui encadrait le tableau du Baptême de Notre-Seigneur. À cette distance, et sans interrompre le développement des stalles, il n’a pas l’inconvénient, ainsi que cela existe dans tant d’autres églises, de brouiller par l’éclat des tuyaux d’étain la parure de l’autel.

Au moment où il avait le droit de se reposer de tout ce qu’il avait fait, M. Fond, avec des ressources généreuses dont il a gardé le secret, avec les dons de ses paroissiens dans un milieu ouvrier, entreprit la restauration de tout l’intérieur du monument : M. Sainte-Marie Perrin la dirigea, M. Ramponi exécuta les travaux. Dieu rappela à lui le digne curé avant qu’il eût la joie de voir son œuvre achevée. Elle a été reprise vaillamment et intelligemment par M. Bélicard : en moins de deux années, on a vu se décorer, il faudrait plutôt dire se créer, les chapelles Saint-Joseph, Saint-Irénée et des fonts baptismaux ; se dresser les belles portes de chêne de l’entrée principale ; s’améliorer l’état de la sacristie ; s’accomplir une réparation importante du couloir qui s’ouvre au couchant de l’église, longe le petit cloître et conduit soit au chœur, soit au sanctuaire.

Enfin, après un alignement remanié de la rue Pierre-Dupont, une belle grille a remplacé la vieille porte à deux auvents qui, du temps des Chartreux, donnait accès à l’église et au monastère. La cour qui va de la grille à la façade a été plantée d’arbustes. Le curé actuel, M. le chanoine Robert, a déjà prouvé, depuis le peu de temps qu’il est en charge, qu’il continuera l’œuvre de ses prédécesseurs.

La partie historique de l’étude qu’on vient de lire a été, dans une certaine mesure, descriptive. Il reste peu à dire sur ce point. Nous avons décrit la façade qui, par son style, fait bien corps avec l’intérieur du monument. En pénétrant dans l’église, le regard est attiré par le baldaquin dont les lignes gracieuses s’élancent dans l’évasement de la coupole ; il en est de plus riches, notamment en Italie, il en est peu d’aussi élégants. Le maître-autel, à deux faces, est remarquable par ses beaux marbres d’Italie. Deux groupes d’anges sont disposés sur l’entablement qui relie les socles des colonnes ; le groupe de gauche est de Fabisch père, celui de droite est de son fils ; aux deux inscriptions qui y figurent, répondent les attitudes différentes des anges : Gloria in excelsis Deo. — Et in terra pax hominibus.

M. Fond, ancien curé de Saint-Bruno.

La première des chapelles après le local où l’on remise les chaises, du côté de l’épître, était dédiée à sainte Philomène. L’écusson sculpté sur le devant de l’autel porte les instruments de son martyre. Il faut s’arrêter devant la toile de Brunet, rappelant l’orage dont il a été parlé. Le ciel est sombre, le vent a emporté d’énormes poutres et menace de tout détruire. Un religieux — qui avait récemment encore une parente à Saint-Martin-de-Fontaines — est agenouillé : dans les nuages apparaissent les Personnes divines, saint Jean-Baptiste, saint Bruno et saint Hugues, l’évêque de Grenoble qui accueillit le fondateur de l’ordre et ses compagnons. À la suite de la chapelle Sainte-Philomène se trouve celle du Sacré-Cœur, avec un bon tableau de Sublet et un Christ au tombeau sous la table de l’autel, le tout moderne. La chapelle de la Sainte-Vierge a une statue d’albâtre due au ciseau de M. Fabisch ; l’autel, en marbre de Gênes, date de 1735.

Nous avons dit que la croisée de l’église est coupée, de part et d’autre dans sa longueur, par un mur circulaire où sont fixées les deux toiles de Trémolière, l’Ascension et l’Assomption : ces deux peintures sont vraiment admirables par la composition de la scène, la correction du dessin, la beauté et la délicatesse du coloris. Les deux extrémités de la croisée forment, derrière ce mur, deux chapelles : celle de Saint-Irénée, patron des missionnaires diocésains, avec un autel de bon goût et un tableau, l’Adoration des Mages, don du gouvernement de Louis-Philippe ; celle de Saint-Joseph, à gauche, où le saint est représenté comme patron de l’Église universelle. En reprenant le côté de l’évangile, à partir de la porte d’entrée, on rencontre successivement les chapelles : des fonts baptismaux où l’on a transporté le tableau de Hallé fils, qui était au fond du chœur ; de Saint-Pierre, avec une toile sans grande valeur ; de Saint-François-Régis, avec un bon tableau de Brenet, l’ensevelissement du Christ ; de Saint-Bruno, dont la statue n’est pas sans mérite ; l’autel de celle-ci est ancien, sa décoration toute moderne.

De la chapelle Saint-Joseph, déjà décrite, où se lit une inscription funéraire à l’honneur de M. Fond, on pénètre à la sacristie en traversant la chapelle du Crucifix. Le tableau n’est pas sans valeur : en haut, sur la frise, quatre toiles représentent les évangélistes. Cette chapelle était autrefois sous le vocable de Saint-Antoine ; elle avait été bâtie par l’échevin Antoine Mallo, et consacrée, disent les titres, bénite peut-être simplement, en 1605, par Mgr Berthelot, vicaire général et suffragant de l’archevêque Claude de Bellièvre. Les notes du couvent parlent du cadeau fait par dom Monteillet, pour cette chapelle, d’un tableau de Blanchet, peintre de la ville, et représentant saint Bruno à genoux devant Notre-Dame.

La sacristie possède des boiseries qui sont en partie de l’année 1620. Des fresques ornaient la voûte. La crédence-autel est surmontée d’une toile insignifiante où saint Bruno en prière est contemplé par des anges. En vases sacrés et ornements, la paroisse ne possède rien de précieux. Jadis une riche donatrice avait fait confectionner des ornements complets en drap d’or, ornés de pierreries, pour les solennités à quinze officiants. Dans la nuit du dimanche au lundi qui suivit la fête patronale de 1847, ils furent enlevés par des voleurs dont on ne put retrouver les traces. Le chœur mérite attention : on reconnaît de suite un chœur d’église conventuelle. Avec leurs panneaux bien développés, et malgré les mutilations stupides pratiquées à l’époque de la Révolution, les stalles sont intéressantes, moins compliquées que celles de certaines cathédrales, mais d’un dessin sobre et élégant. Au-dessus, se trouvent les deux toiles du martyre de saint André et du miracle de saint Anthelme ; à la séparation du chœur et du sanctuaire, les deux statues, œuvres de Sarazin, représentant saint Jean-Baptiste et saint Bruno, cette dernière avec une main maladroitement réparée ; dans deux niches au niveau du sol, des anges dont l’un porte le livre des évangiles, l’autre une couronne d’épines ; au milieu du pavé, un lutrin d’une facture peu commune, et surmonté d’un aigle aux ailes éployées.

Il faut aussi s’arrêter aux détails d’ornementation, lesquels vus de près, au moment où étaient dressés des échafaudages pour réparations, ont émerveillé architectes et connaisseurs. Ils sont conçus dans le goût de l’époque Louis XV, et appartiennent à cette manière que l’on a appelée la rocaille, qui des salons envahissait les églises ; mais ils s’appliquent heureusement aux lignes du style dorique qui est le style de l’édifice et en adoucissent la gravité. Relevés aujourd’hui par la dorure qui aurait dû mettre en saillie les défauts du genre auquel ils ressortissent, ils en accentuent, au contraire, les admirables qualités.

Nous ne saurions mieux conclure cette monographie de Saint-Bruno qu’en disant avec

l’écrivain déjà cité : « Lyon possède un monument remarquable, mais rarement visité, soit parce qu’il est à l’extrémité de la ville, soit parce que, en général, l’opinion ne l’estime pas ce qu’il vaut ».
saint-bruno des chartreux

LES FRÈRES PRÊCHEURS

Au printemps de l’année 1216, saint Dominique, réunissant à Notre-Dame-de-Prouille les quinze ou seize disciples qui avaient embrassé, à sa suite, la vie apostolique, leur avait donné les statuts qui devaient être la règle de leur vie : c’était véritablement la fondation de l’ordre des Frères Prêcheurs. Le 22 décembre suivant, l’ordre était confirmé par deux bulles d’Honorius III. Deux ans plus tard, en décembre 1218, ce même monastère de Prouille voyait partir deux de ses religieux ; ils étaient porteurs de lettres adressées par leur fondateur à l’archevêque de Lyon.

Avignon était alors en révolte contre l’Église ; ce fut par la route du centre qu’Arnaud de Toulouse et Romée de Livia gagnèrent notre ville : ils y reçurent le meilleur accueil, et, peu après, frère Arnaud devenait premier prieur des Frères Prêcheurs de Lyon. Il paraît vraisemblable que l’année suivante, 1219, le monastère naissant reçut la visite du fondateur de l’ordre, qui de Paris gagna l’Italie par Châtillon-sur-Seine et Avignon. Romée de Livia, qui avait succédé comme prieur à son compagnon Arnaud de Toulouse, exerça ces fonctions jusqu’en 1224, où le couvent de Lyon ayant été rattaché à la province de France, Romée rentra dans celle de Provence à laquelle il appartenait.

Sur quel emplacement le premier monastère dominicain avait-il été édifié ; on n’a jamais pu l’établir rigoureusement : on sait seulement qu’il était proche de la recluserie Sainte-Marie-Madeleine, sur le chemin conduisant du cloître de Saint-Jean à la croix de Colle et, au delà, aux cloîtres de Saint-Just et de Saint-Irénée. 2 l’humble église des frères, l’archevêque de Lyon accorda, le 14 avril 1228, l’autorisation d’adjoindre un cimetière, et par une singulière coïncidence, la mère d’un autre archevêque, Marie de la Tour du Pin, fut l’une des premières à bénéficier de cette concession.

Vraisemblablement, ces constructions disparurent durant les longues luttes qui, dans la seconde partie du xiiie siècle, mirent en présence les représentants de l’église et ceux de la bourgeoisie : on connaît le rôle pacificateur joué dans ces luttes par un Frère Prêcheur, Pierre de Tarentaise, élevé, en avril 1272, sur le siège archiépiscopal de Lyon. Quoi qu’il en soit de la destinée de ce premier couvent dominicain, les plans postérieurs ne portent aucune trace de bâtiments qui puissent, avec quelque apparence de vérité, être identifiés avec lui. Son installation, au témoignage d’un contemporain, était du reste « fort défectueuse et inapte aussi bien à la vie religieuse qu’à l’office de la prédication » : ces conditions le condamnaient à une existence éphémère.

Les Frères Prêcheurs avaient acquis bien vite la sympathie des Lyonnais. Moins de quatre ans après leur arrivée, en 1221, le testament d’un doyen de l’église, Guillaume de Colonges, ouvre la série des libéralités consenties en leur faveur : cette liste se continue avec les archevêques Renaud de Forez et Robert d’Auvergne, avec les doyens Pierre Bérard et Ulric Palatin, avec les chanoines Guichard de Marzé et Étienne de Sandrans, avec de simples prêtres Martin de Viricelles et Laurent d’Izeron. Vers 1231-1232, un citoyen de Lyon, Durand de Feurs, leur ayant fait don d’un tènement possédé par lui sur la rive gauche de la Saône et qui joignait au levant le tènement des Contracls et celui du Temple, les religieux résolurent de s’y transporter immédiatement. L’autorisation de l’abbaye d’Ainay, qui leur était nécessaire, le territoire relevant de cette abbaye, leur fut accordée en suite de l’intervention de l’archevêque Rodolphe. On croit qu’antérieurement à leur établissement une chapelle avait été édifiée sur ce tènement et quelques-uns prétendent même que cette chapelle était placée sous le vocable de Notre-Dame-de-Confort, mais les actes sont muets sur ce point et on en est réduit à de simples hypothèses.

Église actuelle des Dominicains.

Ce second établissement eut du reste une existence plus courte encore que celle du couvent de la colline. Dès le mois de novembre 1235, un tènement appartenant à Humbert de Feurs fut joint à celui de Durand ; une rue dénommée rue Ponce-Allard les séparait, mais l’acte de 1235 permit aux religieux de la supprimer, en même temps qu’il les autorisait à percer, à travers le tènement des Contracts, une voie de communication prenant à la rue Ponce-Allard et allant jusqu’à la Saône. Il ne semble pas que la première autorisation ait jamais été mise à profit et que la rue Ponce-Allard ait été fermée. Le tènement de Humbert de Feurs était assez étendu pour que les religieux pussent s’y établir complètement et ils durent vendre assez tôt le tènement de Durand : sur cet emplacement un jeu de paume fut créé en 1519, et A. Steyert a émis l’hypothèse que ce jeu pourrait être celui où jouait le dauphin, fils de François Ier, lorsqu’il mourut à la suite de l’aljsorption d’un verre d’eau froide.

Le traité de 1235 avait été approuvé par bulle de Grégoire IX du 2 juin 1230 ; le 2 mars 1237, il fut à nouveau confirmé par deux des plus illustres représentants de l’ordre des Prêcheurs, Humbert de Romans, alors prieur de Lyon, et Hugues de Saint-Cher, provincial de France. Incontestablement les religieux n’avaient pas attendu jusqu’alors pour commencer la construction de leur église, puisque le corps du cardinal François Cassard, archevêque de Tours, mort à Lyon d’une chute de cheval, le 8 août de la même année, put y être déposé ; mais sûrement aussi les travaux étaient loin d’être achevés, puisque sept ans plus tard, par bulle du 13 avril 1244, Innocent IV accordait 40 jours d’indulgence « à tous les fidèles qui concourraient aux constructions déjà commencées de l’église et du couvent ».

À la fin de cette même année 1244, le Souverain Pontife fuyant les menaces de l’empereur Frédéric arrivait à Lyon ; le 26 juin suivant, il y ouvrait la première session du Concile œcuménique convoqué par lui. L’étude de la part prise par les Frères Prêcheurs aux délibérations de cette assemblée sortirait du cadre de notre étude, il suffit d’y noter la présence des plus notables d’entre eux : à côté de Jean le Teutonique, ancien évêque de Bosnie et maître général de l’ordre, on y voyait Hugues de Saint-Cher alors cardinal du titre de Sainte-Sabine, Humbert de Romans, provincial de France, Raymond de Felgar, évêque de Toulouse, David Mackelly, archevêque de Cashel, Étienne, archevêque de Torrès, Grégoire, évêque de Fano, Hugolin, évêque de Rimini, et Pierre Centelès, évêque de Barcelone.

Pietà dans l’église actuelle des Dominicains.

Innocent IV séjourna six ans et demi dans notre ville. Avant de la quitter et au commencement de 1251, il procéda en personne, de concert avec plusieurs cardinaux et au milieu d’un immense concours de prélats, de prêtres et de fidèles, à la consécration solennelle de l’église alors achevée. Puis le 31 mars, il confirma à nouveau, par deux bulles, l’accord intervenu entre les Frères Prêcheurs et l’abbaye d’Ainay au sujet des tènements de Feurs.

Les historiens placent sous cette même date la sépulture en l’église des Jacobins, — les Prêcheurs avaient reçu cette appellation populaire du nom de leur couvent Saint-Jacques à Paris — de Guillaume, cardinal évêque de la Sabine. La petite chronique de l’ordre rapporte, au sujet de son décès, l’une de ces légendes si curieuses dont pullulent les récits du moyen âge : « Sous le bienheureux Jean le Teutonique, pendant le séjour de la cour à Lyon, deux cardinaux furent ensevelis chez les frères : le seigneur Odon de Porto, son intime ami, et le seigneur Guillaume de Sabine, grand ami de l’ordre et du bienheureux Dominique qu’il avait connu familièrement dès l’origine à la cour du pape. Après la sépulture du premier chez les frères et, comme on parlait déjà de partir pour Gênes, l’autre rêva une nuit qu’il cherchait de tous côtés un hôtel dans cette ville. Et voilà que le premier lui apparaît en disant : « Seigneur Guillaume ! ne vous inquiétez pas de votre logement à Gênes, vous habiterez ici avec moi ». Le lendemain, lui-même raconta ce rêve au pape et aux cardinaux : à peu de jours de là, il tomba malade, mourut et fut enseveli près de son ami dans l’église des frères. Or, quelques jours avant, lors de la consécration de l’église, à cette même place, il devait bénir une croix : en faisant l’onction d’après le cérémonial, au lieu de : « Que cette église soit consacrée », il avait dit : Que ce tombeau soit consacré. Et son tombeau se trouve au-dessous de celle croix ».

On sait que soixante-dix ans plus tard le couvent des Jacobins servit de résidence aux cardinaux appelés à donner un successeur à Clément V ; on connaît aussi les détails de cette élection. Le Souverain Pontife était décédé depuis plus de deux ans, et les cardinaux assemblés à Carpentras n’avaient pu arrêter leur choix, lorsque, sur la promesse de Philippe, comte de Poitiers, régent de France, de leur laisser une entière liberté, ils se réunirent à Lyon au nombre de vingt-trois. « Philippe les assembla dans le couvent des Frères Prêcheurs, où ils se rendirent tous ; il les conduisit dans une salle, où, après les avoir exhortez à donner un pasteur à l’église, il leur déclara qu’il les alloit tous enfermer, jusqu’à ce qu’ils eussent choisi un pape. Ils eurent beau protester contre la violence qu’on leur faisoit, et contre la parole que le prince leur avait donnée, il avoit fait griller les portes et les fenestres, il avoit aussi disposé des gardes partout, et après les avoir ainsi enfermez, il se retira à Paris, et laissa la garde du conclave au comte de la Marche son frère. Ils furent quarante jours sans pouvoir se déterminer unanimement sur le choix qu’ils dévoient faire ; enfin, le septième jour d’aoust, ils donnèrent tous leurs suffrages au cardinal de Porto, Jacques d’Ossa de Cahors, qui prit le nom de Jean et fut Jean XXII ».

Telles étaient les proportions données au couvent de Lyon par les constructeurs du xiiie siècle qu’ils subsistèrent pendant près de cinq cents ans, sans autres modifications que celles nécessitées par les circonstances. Au commencement du xviiie siècle, lorsqu’on songea à les remplacer par de nouveaux bâtiments, un des religieux, auquel est dû la conservation de la presque totalité des souvenirs dominicains à Lyon, le Père Ramette, eut soin, avant la démolition, de dresser le plan de l’ancien état. C’est ce plan qui a été reproduit ci-contre ; on voudra bien s’y reporter pour l’historique de l’église qu’il nous reste à donner, historique ionisé à peu près exclusivement dans la longue légende explicative annexée par le père Ramette à son plan.

L’église avait subi des modifications beaucoup plus nombreuses que le monastère, ayant été presque entièrement reconstruite au xve siècle puis agrandie par l’addition successive des chapelles. Orientée conformément aux prescriptions liturgiques du levant au couchant, il semble qu’elle n’ait d’abord compris que la partie qui devint dans la suite la grande nef (n° 78 du plan). Au nord, elle prenait jour sur un terrain de forme triangulaire, que les religieux achetèrent en 1300 et 1316 et dont ils firent leur cimetière. Quelques auteurs veulent que, dès l’origine, une chapelle sous le vocable de Notre-Dame-de-Confort ait existé à l’ouest de l’église (n° 86). Cette opinion n’est pas celle du Père Ramette qui dit de cette chapelle : « Basse église où l’on entroit anciennement par deux portes tournées du côté où est à présent la place Confort, qui ont été bouchées en 1654… On croit que ce n’était qu’un vestibule bâti en 1244 et années suivantes, pour passer dans la grande église, comme le font voir trois grands portails qui y communiquaient, dont celuy du milieu n’a été muré à moitié qu’en 1418, ou plus tôt maçonné d’un pied d’épaisseur dans toute sa hauteur, pour y placer une image de Notre-Dame-de-Consolation ; et en 1428 on y dressa un autel sur lequel on mit un tableau peint sur bois, qui représente la Sainte Vierge assise sur un espèce de trône, ayant un sceptre à la main droite, et tenant l’Enfant Jésus sur ses genoux ; et on y fit une chapelle, dédiée à Notre-Dame-de-Confort, dont les Florentins firent refaire la voûte qui porte leurs armes ».

Le commencement du xve siècle vit en effet affluer à Lyon nombre de marchands et de banquiers florentins ; dès leur arrivée, ces étrangers firent leur Tcglise des Frères Prêcheurs et, en fait, ils ont été les principaux et presque seuls artisans de sa reconstruction ; sur remplacement de l’édifice primitif, ils élevèrent une grande église ogivale à trois nefs, qui fut dédiée à saint Jean-Baptiste : « Elle a, dit le Père Ramette, cinq arcades de
Plan de l’ancien couvent des Dominicains de Confort.
chaque côté ou arcs-doubleaux, supportés par de gros piliers, où sont partout leurs armes, et la voûte, qui la couvre, comprend aussi le chœur faisant un même corps avec l’église, ayant de part et d’autre une petite aile dont la voûte, qui est surbaissée, porte les mêmes armes ». Quelques années plus tard, et au nord-est de l’église, les « Florentins, maîtres de postes, firent bâtir une chapelle voûtée, avec un caveau au-dessous aussi voûté, pour la confrérie des courriers, dont ils avaient la régie, et y donnèrent le nom du Crucifix dont la représentation est placée au-dessus du retable de l’autel » (n° 66).

À l’autre extrémité de l’église, Pierre de Mievro possédait « dez l’an 1439, la chapelle voûtée de Sainte-Marthe » (n° 71). Joignant cette dernière au nord, Ennemond de Sivrieu avait fait construire une autre chapelle, « environ l’an 1463, qui étoit dédiée à saint Hyacinthe » (n° 70). Mais ce fut surtout à partir de l’année 1466 que les travaux exécutés par les soins des Florentins prirent un essor considérable : de cette époque date la construction de toute la partie est de l’église, c’est-à-dire tout le grand chœur ou sanctuaire (nos 77 et 74) et le petit chœur (n° 73). Au même moment, noble Antoine de Varey fit élever à la suite de la chapelle Saint-Hyacinthe une chapelle voûtée « où il fit mettre sa tombe » (n° 69) ; en même temps aussi fut édifiée au nord de cette dernière la chapelle qui appartint dans la suite aux libraires et aux relieurs de livres (n° 68).

L’exécution de ces travaux avait demandé naturellement un temps assez long. Cependant, à la fin du xve siècle, le clocher élevé au midi du chœur (n° 79) était achevé, et Charles VIII, qui, en 1495, avait logé avec la reine au couvent des Jacobins, et leur avait fait don, pour fondre leurs cloches, de l’artillerie ramenée par lui de Naples, y ajouta, le 30 mai 1496, celui de 50 chênes « pour suspendre les cloches ». En 1525, un Florentin, Barthélémy Panchati, commença les travaux de la chapelle du Rosaire au bas et à gauche du chœur (n° 67). La paroi nord de l’église était dès lors complèlement garnie ; il faut traverser les nefs pour trouver, contre la paroi sud, la « chapelle magnifique de Saint-Thomas-l’Apôtre, que Thomas de Gadagne, Florentin, fit construire, en 1525, avec un caveau au-dessous, le tout voûté. Il fit faire en même tems l’autel, au retahle duquel est l’excellent tableau, ouvrage de Salviati, peintre. Les figures agenouillées dud. sieur de Gadagne et de son épouse, en marbre blanc, sont placées au fond de la chapelle » ( n° 82).

Trente ans plus tard, en 1556, le Consulat ayant acquis le cimetière des Prêcheurs le transforma en une place publique qui prit le nom de place Confort : toutefois la croix qui dominait le champ du repos fut conservée et tomba seulement en 1562 sous les coups des protestants maîtres de Lyon.

La résistance que les religieux avaient tenté d’opposer aux Huguenots devait condamner le couvent des Jacobins à une complète destruction. Les religionnaires semblent toutefois s’être peu attaqués aux bâtiments ; ils pillèrent la sacristie, la bibliothèque et les archives, enlevèrent les cloches données par Charles XIII ; dans l’église, ils renversèrent l’autel principal et le chœur dans lequel il était placé, mais une seule chapelle fut entièrement détruite par eux, celle fondée par les Rubys au couchant de la chapelle basse. Claude Rubys, l’historien de Lyon, la rétablit en 1585 et la plaça sous le vocable de son patron saint Claude (n° 91).

Du reste les dégâts commis par les protestants disparurent assez rapidement : en 1600, un citoyen lyonnais, Claude Dupré, construisit à côté de celle des Rubys une chapelle « à l’honneur de sainte Geneviève » (n° 92) ; en 1602, une autre chapelle, dédiée à saint François, fut élevée par François Michel de l’autre côté de celle de Saint-Claude (n° 89) ; en 1603, grâce à la libéralité des fidèles, la croix de la place (Confort fut réédifiée (n° 65) ; en 1626, Alexandre Orlandini fit employer au rétablissement de l’autel principal et du grand chœur des marbres blancs apportés de Gênes en 1588 : en reconnaissance de cette libéralité, il obtint d’être inhumé dans le caveau construit sous l’autel, et son corps y fut en effet déposé le 9 avril 1658. Les ruines réparées, de nouvelles chapelles s’élevèrent ; en 1633, celle des tireurs et des écacheurs d’or et d’argent, sous le vocable de saint Eloy, au bas et à droite du chœur (n° 81) ; en 1641, celle des maîtres et marchands ouvriers en drap d’or, argent et soie, sous le vocable de l’Assomption, du même côté de l’église, mais à l’extrémité de la nef de droite (n° 85).

La grande œuvre de la seconde moitié du xviie siècle fut la construction du portail monumental qui, par la chapelle Saint-Hyacinthe détruite à ce moment, donnait directement accès de la place Confort à l’église : la vue de la place Confort gravée par Née en donne une reproduction très exacte. Commencé en 1657, sur les dessins de Le Pautre, il fut achevé seulement en 1690. Trois sculpteurs y travaillèrent successivement : d’abord Jacques Mimerel, puis Nicolas Bidault (de 1680 à 1684) qui sculpta la Vierge placée dans la niche supérieure ; enfin Guillaume Simon qui exécuta les deux statues, de saint Jean-Baptiste et de saint Dominique, placées de chaque côté du portail.

L’établissement de ce portail clôt la série des travaux de l’église ; le xviiie siècle fut occupé presque tout entier par la reconstruction du couvent qui dura plus de quarante ans, de 1714 à 1756. Livrée au clergé constitutionnel pendant la période révolutionnaire, l’église des Jacobins devint paroisse du canton sud de la ville, sous le vocable de saint Pothin, en suite d’un arrêté du 9 fructidor an III ; elle fut démolie, en 1816, lorsqu’on installa la préfecture du Rhône dans les anciens bâtiments du couvent : ceux-ci disparurent à leur tour sous la pioche des démolisseurs, en 1859-1860.

Intérieur du cloître actuel

Par une singulière coïncidence, presque au même moment, les fils de saint Dominique, qui, durant six siècles, avaient tenu une si grande place dans la vie de la cité lyonnaise, venaient d’y réapparaître. Ils avaient été ramenés en France par un ardent défenseur des idées modernes, qui, vingt ans auparavant, s’adressant à son pays était venu lui réclamer « sa part dans les libertés conquises, et que lui-même avait payées ».

À Lyon, l’idée première de la restauration des frères Prêcheurs est due à un homme qui personnifie admirablement le caractère lyonnais dans ce qu’il a de plus grand et de plus beau. Après avoir exercé avec succès le commerce de la soierie, Camille Rambaud l’avait quitté alors pour se consacrer exclusivement au service des malades et des pauvres. Plus tard, on le sait, il voulut être prêtre, persuadé qu’il recevrait avec l’onction sacerdotale des vues plus profondes et plus justes sur les lois qui régissent l’humanité, et aussi une faculté plus grande de la diriger et de la secourir. Cette figure surhumaine plane sur le siècle qui vient de s’achever comme un modèle accompli du disciple de Jésus-Christ, et, plus encore peut-être, comme le type du prêtre de l’avenir.

L’une des caractéristiques de l’abbé Rambaud était une confiance aveugle en la Providence, qui lui faisait réaliser sans délai les œuvres entreprises par lui. C’était le 3 août 1856 qu’il avait songé pour la première fois à appeler à Lyon les Dominicains ; le 24 décembre de la même année, dans une humble chapelle de planches et de briques élevée sur un terrain acquis par lui, la messe de minuit était célébrée par un jeune religieux prêtre depuis cinq jours, le père M.-A. Chardon. On pense bien que ce premier oratoire ne pouvait être que provisoire : aussi, presque immédiatement, et toujours sous l’impulsion de l’abbé Rambaud, on commença la magnifique église qui subsiste aujourd’hui. La construction en dura six années, et le cardinal Bonald en fit la bénédiction solennelle le 16 août 1863.

Œuvre, on est tenté de dire chef-d’œuvre, de l’architecte lyonnais, Louis Bresson, du style gothique le plus pur, elle s’élève simple et noble, comme l’expression parfaite de la prière chrétienne, tout à la fois virile et humble, ou plus exactement virile parce que humble. La façade, orientée au couchant, est encadrée par deux tourelles, qui, dans le plan du constructeur, doivent être surmontées de clochetons. Au-dessus du portail, s’ouvre une immense baie divisée en quatre parties par trois meneaux, qui, formant ogive à leur extrémité supérieure, supportent trois roses à six et neuf lobes. Cette baie est surmontée elle-même d’un fronton triangulaire, au haut duquel plane la statue de saint Vincent Ferrier, le thaumaturge du xve siècle, qui, à quatre reprises, attira autour de lui la foule des Lyonnais.

En arrière de la façade, la nef principale continue seule à la hauteur de la grande baie. Les nefs latérales plus basses lui servent d’assises, épaulées de contreforts surmontés eux-mêmes de clochetons et d’arcs-boutants, dont les lignes sveltes et élancées forment une merveilleuse forêt. Mais c’est plus encore à l’intérieur que l’âme se trouve transportée dans un autre monde. L’œil se perd au milieu de ces hautes colonnes, qui, suivant l’expression de l’historien des Moines d’Occident, s’élèvent vis-à-vis l’une de l’autre, comme des prières qui, en se rencontrant devant Dieu, s’inclinent et s’embrassent comme des sœurs. L’éclatante blancheur des murailles évoque les robes de religieux qui les animaient hier encore, et communique une impression de pureté, de sérénité et de douceur, cependant que l’harmonieux coloris des vitraux jette sur le tout une note de vie intense.

Comme on l’a déjà indiqué, l’église comporte une nef principale très élevée et deux nefs latérales de moindre hauteur : elle n’a point de transept. Destinée à la fois aux religieux et aux fidèles, elle a exigé une disposition particulière du maître-autel, qui est des plus heureuses. À l’extrémité de l’abside, le presbyterium a été surélevé, de manière à dominer les uns et les autres, l’ancien jubé étant suppléé par une barrière contre laquelle s’appuient deux autels.

La chaire, peut-être un peu chargée comme ornement, a été exécutée par Fabisch, sur les dessins de l’architecte du monument. Elle constitue à elle seule un poème. « Autour de la base apparaissent debout dans leur niche gothique Daniel, Jérémie, saint Jean-Baptiste, Ézéchiel et Isaïe… C’est l’Ancien Testament… Autour de la chaire proprement dite se voient, richement sculptés, sur les panneaux les quatre symboles des Évangélistes. C’est le Nouveau Testament. Aux angles sont assis des saints de l’ordre des Prêcheurs, » saint Dominique au centre, puis saint Vincent Ferrier, saint Louis Bertrand, saint Thomas d’Aquin et saint Pierre de Vérone.

Chacune des nefs latérales est commandée par un autel ; celui de droite, placé sous le vocable du Rosaire, a été dessiné par le docteur Fèvre et exécuté par Fabisch. Celui de gauche est dédié à saint Dominique. Dans cette même nef a été placé un second autel en l’honneur de saint Thomas, d’une simplicité archaïque.

Resterait à décrire les vitraux qui forment une œuvre peut-être unique en France. Dans un ordre qui a produit fra Angelico, fra Bartholomeo et fra Benedetto, la peinture devait rester une tradition. Les vitraux de Lyon ont tous été exécutés dans le couvent. Les cartons sont du père Danzas, qui, lors de la construction du monument, avait été, dans une certaine mesure, l’inspirateur de l’architecte ; ils ont été reproduits et peints par les frères Gilles Brossette, Joachim Durif, tous deux élèves de l’École des Beaux-Arts, Arbogast Heynis et Eugène Baudin.

Vitrail dans l’église actuelle des Dominicains.

Dans leur ensemble, ces vitraux sont consacrés à l’histoire de l’ordre et de ses illustrations. La verrière du fond de l’abside montre la naissance de l’ordre : « Le Christ apparaît assis sur un trône brillant, tenant de la main gauche un livre sur ses genoux et bénissant de la droite. Près de lui, un peu plus bas, apparaît à sa droite la Vierge également assise, les deux mains croisées contre la poitrine et le regard élevé vers son Fils, comme quelqu’un qui implore… Elle implore en effet miséricorde en faveur du monde prévaricateur, que le Sauveur allait punir, et celui-ci touché par l’intercession de sa mère, consent à envoyer aux hommes ses deux serviteurs Dominique et François, que l’on voit se rencontrer et s’embrasser fraternellement dans le bas du tableau, de même que leurs anges gardiens. »

L’espace manque malheureusement pour indiquer la suite des scènes et des sujets reproduits ; nous devons nous borner à noter que, d’une manière générale, les verrières de la nef droite, celle du Rosaire, sont consacrées aux bienheureuses de l’ordre et celles de la nef gauche, la nef de Saint-Dominique, aux saints religieux.

Depuis trois ans l’accès de l’église des frères Prêcheurs est interdit. Les religieux qui en avaient été les artisans ont été chassés. À ses portes également closes frappent en vain les déshérités de ce monde en quête de consolations et les artistes attirés par ses beautés mystérieuses.

Au lendemain du coup d’État de 1831, lorsque, après avoir adressé ses adieux à son auditoire de Paris dans un cri sublime d’indépendance et de virilité, l’illustre restaurateur de l’ordre de Saint-Dominique dut quitter à jamais ces voûtes de Notre-Dame où il avait éveillé des échos inouïs jusqu’alors, il le fit sans récrimination, sinon sans regrets. « J’étais une liberté, a-t-il écrit plus tard, et mon heure était venue de disparaître avec les autres ».

Aujourd’hui que le sens de la liberté semble s’être à nouveau obscurci, c’est à l’immortel Dominicain encore qu’il faut demander en même temps que le secret de l’avenir, la règle de conduite de l’heure présente et les motifs d’espérance. Cette règle, ces motifs, ce secret, il les a résumés en une page prophétique : « Il nous faudra un siècle ou deux pour nous asseoir, et, d’ici là, nous oscillerons entre un despotisme illimité et une liberté mal réglée, comme ces balles suspendues à un fil, qui décrivent de longues courbes en sens divers jusqu’à ce que peu à peu elles demeurent immobiles à leur centre de gravité. Il faut nous y résigner.

« Heureux ceux qui ne désespéreront pas et qui, selon leurs forces et leurs temps, travailleront avec patience à l’avènement de ce siècle futur où la civilisation chrétienne s’étendra sur les cinq parties du monde, et y établira le règne d’une liberté sincère sous une autorité respectée. Ce siècle est loin, mais il viendra. Je ne croirai jamais que Dieu se soit fait homme, soit mort ici-bas, et nous ait laissé l’Évangile, pour aboutir au triste spectacle que présente le monde depuis dix-huit cents ans.

« Nous n’avons vu que l’ébauche ; notre postérité verra la statue. Le travail est long parce que le but est grand, et que deux forces, la Providence divine et la liberté humaine y concourent dans d’égales proportions Je vis porté dans une espérance qui arrête mes mépris, je compatis et je pardonne beaucoup, l’œil fixé sur un avenir qui remplit mon âme. »


SAINT-DENIS-LA-CROIX-ROUSSE

Avant la Révolution, la Croix-Rousse, qui relevait de la seigneurie de Cuire, ne constituait pas une unité paroissiale. Son territoire dépendait, par portions inégales, des paroisses Saint-Pierre et Saint-Saturnin, Notre-Dame de la Platière et Saint-Vincent. Placées au bas du coteau et dans l’enceinte de la ville, ces églises se trouvaient non seulement éloignées, mais encore d’un accès pénible pour les habitants du plateau. À ces difficultés inhérentes à la situation du faubourg, s’ajoutait un obstacle particulier à la ligne des remparts établis à la fin du xvie siècle et qui ne devaient disparaître qu’à notre époque : à savoir la fermeture des portes qui, s’opérant chaque soir au coucher du soleil, rendait impossible, pendant la durée de la nuit, l’administration des sacrements aux malades et aux moribonds.

Cet état de choses, douloureux aux sentiments de foi de la population, prit fin par la fondation, à la Croix-Rousse, en 1624, d’un couvent d’Augustins-Déchaussés. L’installation de ces religieux n’alla pas d’abord sans rencontrer de nombreuses difficultés. Ce ne fut qu’après de longues négociations qu’ils parvinrent à obtenir le droit de quêter dans la ville, sans lequel leurs efforts demeuraient voués à l’impuissance. Grâce enfin à l’appui de l’archevêque, en considération surtout de l’absence des secours religieux dont souffrait le faubourg, les Augustins reçurent les autorisations nécessaires et, sans délai, se mirent à l’œuvre. Dès ce moment, l’aide de généreux bienfaiteurs permit d’entreprendre la construction du monastère. La première pierre de l’édifice fut posée le jour des Rameaux,

Denis-Simon de Marquemont, archevêque de Lyon.
8 avril 1629, et cette cérémonie revêtit l’éclat d’une fête solennelle. Le prévôt des marchands et les échevins y présidèrent, en présence du capitaine châtelain de Cuire et d’un immense concours de peuple. Pour satisfaire à l’affectueux désir que leur avait exprimé le cardinal Denis-Simon de Marquemont, archevêque de Lyon, les religieux dédièrent le nouveau sanctuaire à saint Denis, patron du prélat défunt. Ils acquittaient ainsi, envers sa mémoire, le tribut de leur pieuse gratitude. En 1714, l’évêque auxiliaire de Lyon, Antoine Sicauld, procède à la consécration de l’église des Augustins et de l’autel. Il y dépose des reliques des saints martyrs Candide et Marcel, et concède les indulgences d’usage en faveur de ceux qui viendront y prier.

Telle est l’origine de l’église Saint-Denis-la-Croix-Rousse. Toutefois, comme on la dit, la chapelle des Pères n’eut jamais le caractère ni les attributions d’une église paroissiale. Rien, à cet égard, ne fut changé à la situation antérieure, et les anciennes délimitations des paroisses qui se partageaient le territoire de la colline y furent maintenues jusqu’à la Révolution. La seule conséquence qu’entraînait l’ordre nouveau, c’était une facilité plus grande, pour la population, d’assister à l’office divin, puis aussi la possibilité pour elle de recourir désormais, sans obstacle et à toute heure, au ministère du prêtre. En accordant, le 26 avril 1628, sa dernière ratification, le conseil archiépiscopal avait expressément stipulé que les religieux seraient tenus d’administrer les sacrements en cas de nécessité pressante, et qu’à cet effet deux d’entre eux devaient être approuvés par l’autorité diocésaine.

La chapelle des Augustins était d’aspect très simple : un carré allongé se terminant par un chœur bas où se trouvaient les stalles des religieux. La grande nef de l’église actuelle répond assez exactement à la superficie de ce sanctuaire aux dimensions exiguës, mais suffisantes pour la population peu nombreuse de ce temps-là. Deux chapelles s’ouvraient sur le flanc droit de l’édifice. La première, à partir du portail, appartenait à la noble famille de Savaron, originaire d’Auvergne, qui l’avait fondée au milieu du xviie siècle et y avait érigé son tombeau. Grâce à une libre concession des Savaron, renouvelée ensuite périodiquement, cette chapelle, consacrée à Saint-Nicolas de Tolentin, servait aux exercices religieux de la confrérie de la Bonne Mort, ou des Agonisants, établie vers l’an 1700, par quelques pieux habitants de la Croix-Rousse. La seconde chapelle, dédiée à Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, possédait une statuette de la mère des Douleurs, faite du bois miraculeux de Montaigu et qui, pour ce motif, jouissait dans toute la région d’une grande célébrité. D’après l’acte de consécration de 1714, l’église des Augustins avait en outre deux autels sous le vocable de l’Enfant Jésus et de saint Joseph.

Survient la Révolution, et les Augustins, dont la plupart paraissent gagnés aux idées nouvelles, déclarent tous vouloir quitter la vie commune. À ce moment, le faubourg de la Croix-Rousse, constitué en commune autonome, souffrait de ne point former aussi une unité paroissiale. Maintes fois, la municipalité fit entendre, à cet égard, de vives doléances. Enfin le décret du 19 juin 1791 vient réaliser ce désir. La Croix-Rousse est érigée en paroisse constitutionnelle, sous le vocable de Saint-Augustin avec, pour siège, l’église des ci-devant religieux ; on lui adjoint, à titre de succursale, l’église de Cuire qui relevait jusqu’alors, comme annexe, de celle de Vaise, et on la dédie à Saint-Blaise. L’église de la Croix-Rousse subit, au cours de la période révolutionnaire, la destinée commune ; selon les péripéties successives de cette époque orageuse, elle devient Temple de la Raison et Temple Décadaire servant, entre temps, aux séances de la Société populaire et aux Assemblées convoquées pour l’audition des lois.

Le Concordat rend à notre paroisse le vocable de Saint-Denis et lui assigne pour limites, au nord les paroisses de Cuire et de Caluire, au midi les remparts de la ville, à l’est et à l’ouest le Rhône et la Saône. Elle comprenait donc, en son entier, la totalité du territoire proprement dit de la Croix-Rousse. Cette vaste étendue territoriale recevant, au cours du temps, un accroissement de population considérable, dut être partagée successivement en paroisses nouvelles, qui sont : Saint-Charles de Serin érigé vers 1824 ; Saint-Eucher en 1840 et Saint-Augustin en 1851. Ces trois paroisses forment présentement, avec la paroisse-mère, l’archiprêtré de Saint-Denis-la-Croix-Rousse.

Le moment arriva où il fallut songer, pour notre église, à un agrandissement rendu nécessaire par le chiffre d’une population que diverses causes avaient contribué à accroître dans des proportions considérables. L’architecte Chenavard présenta, à cet effet, des plans qui furent agréés. On éleva de 1833 à 1835, à droite et à gauche de l’ancienne église, deux nefs parallèles égalant en largeur celle des chapelles Notre-Dame et Saint-Nicolas qui furent ainsi supprimées. De lourds piliers carrés, avec arcades dans le goût de celles du péristyle du grand Théâtre, prirent la place des murs latéraux. Ils mirent les deux ailes, récemment construites, en communication avec l’ancienne église conventuelle devenue ainsi la nef centrale du nouveau temple.

Vers 1847, l’architecte Joseph Forest construisit le chœur. Il disposa, sur plan carré, quatre piliers massifs, aux arcs puissants, qui porteraient, sans faiblir, un dôme monumental au lieu et place du ciel-ouvert banal dont on les a coiffés ! Ce chœur fut complété par une abside centrale et deux absidioles semi-circulaires correspondant aux nefs latérales. En même temps, fut prolongée, dans le pourtour des nefs, la corniche saillante qui couronne les grands piliers. Les plans de Chenavard subirent encore une nouvelle atteinte en ce que le vaisseau fut surélevé conformément à l’ordonnance du chœur. À cet effet, on supprima le lambris primitif pour y substituer un simulacre de voûtes cintrées. en bois et lattes recouverts d’un enduit de plâtre. Le plan d’ensemble, ne comportant aucun transept, se rapproche ainsi de la forme basilicale. De tous ces travaux est sorti l’édifice qui se voit aujourd’hui, à l’enceinte vaste, mais d’un caractère froid et décoloré qui est le propre, d’ailleurs, de la plupart des églises élevées à la même époque.

Il ne reste plus, aujourd’hui, de l’ancienne église des Augustins, que le clocher dont l’amortissement, en forme de calotte avec lanterneau, reflète bien le style architectural de son époque. Pourquoi faut-il qu’on en ait dénaturé l’aspect, en 1896, par une pseudo-décoration d’un effet pitoyable ?

À l’intérieur, se voit encore l’écusson armorié des Savaron, possesseurs, comme nous l’avons dit, de l’ancienne chapelle Saint-Nicolas, blasonné : d’azur à la croisette d’argent accompagnée de trois soleils d’or. Telle qu’elle apparaît, l’église Saint-Denis est inachevée dans son gros-œuvre. Il saute aux yeux que sa largeur n’est pas en rapport de proportion avec sa longueur, et de fait, les plans de Chenavard comportaient l’adjonction d’une travée supplémentaire. Aussi, et par voie de conséquence, le monument attend-il encore une façade digne de lui.

L’intérieur de l’édifice a reçu, depuis lors, quelques embellissements. Dans les voûtes mi-sphériques du chœur se déroulent trois grandes scènes murales dues au pinceau d’Auguste Perrodin, ancien collaborateur de Viollet-le-Duc dans la décoration de Notre-Dame de Paris, décédé jeune encore en 1887. Au centre, le Christ-roi bénissant est assis dans sa gloire ; à sa droite, l’apôtre saint Paul lui présente saint Denis et ses compagnons Rustique et Éleuthère ; à sa gauche se voit un groupe de martyrs lyonnais ; des anges triomphateurs encadrent cette scène. Plus bas, deux frises, dont une grecque, concourent à la décoration de l’abside principale. Comment qualifier, hélas ! l’intolérable présence de ce colossal buffet d’orgues plaqué là, au premier plan, sur cette ornementation qu’il écrase de sa masse et dont il annihile tout l’éclat ? Cette faute, le conseil de fabrique de 1887 l’a perpétrée avec une obstination aveugle, malgré les protestations indignées de la presse lyonnaise et des hommes de goût. Les sujets latéraux, moins importants, présentent, d’un côté : l’Apparition du Sacré-Cœur à Marguerite-Marie Alacoque ; de l’autre, saint Dominique recevant le Rosaire des mains de la Vierge, enfin sainte Catherine de Sienne en extase devant l’Enfant Jésus. La décoration accessoire des murs absidaux comporte une série de compositions relatives au vocable des chapelles, puis un revêtement en stuc simulant des marbres de couleurs variées. Feu Jacobé Razuret est l’auteur de ces peintures ; M. Charles Franchet a fourni les dessins du revêtement.

Aux côtés du maître-autel se dressent les statues de saint Denis et de saint Joseph, ce sont des moulages du sculpteur Fabisch. Enfin, les baies du chœur ont été pourvues de verrières peintes, et celles des collatéraux de vitraux à personnages d’une médiocre valeur, croyons-nous. Fresques, décorations picturales, statues et verrières ont été exécutées de 1872 à 1878. Dans le mur latéral, se voit un cénotaphe en marbre blanc dessiné par l’architecte Franchet : il renferme le cœur de l’abbé Artru, mort curé de Saint-Denis en 1875 ; une inscription latine exprime brièvement les vertus de ce pasteur dont la mémoire est demeurée en vénération.

Chaire de l’église Saint-Denis.

Des deux chapelles absidales, l’une est dédié au Sacré-Cœur, l’autre à la Sainte-Vierge ; la confrérie du Saint-Rosaire est canoniquement érigée dans cette dernière depuis la fin de l’année 1874. En 1893, un édicule a été érigé sur le flanc droit du chœur avec lequel il communique par une large ouverture. On y a rétabli les autels Saint-Nicolas de Tolentin et Notre-Dame des Sept Douleurs, ce dernier avec la statuette de Notre-Dame de Montaigu que la dévotion populaire révérait encore au cours du siècle qui vient de finir, mais dont le culte semble aujourd’hui grandement délaissé. Un anachronisme inconcevable jette sur cette réédification une note fâcheuse : on a encastré dans l’autel Saint-Nicolas, où il n’a que faire, un bas-relief de marbre blanc provenant de l’église des Pères et représentant une Pietà, qui avait sa place naturelle et tout indiquée dans l’autel Notre-Dame des Sept Douleurs. À proximité de ces autels, un petit monument d’une facture très simple contient le cœur du chanoine Paret, curé de Saint-Denis, décédé le 30 août 1898.

La chaire à prêcher de l’église Saint-Denis est le seul objet d’art remarquable qu’elle puisse offrir à l’attention des visiteurs. Construit en bois de noyer, ce meuble constitue un type précieux d’ancienne sculpture sur bois. Les figurines et les scènes historiées qui le décorent, ainsi que l’ornementation accessoire, d’une forme à la fois vigoureuse et délicate, font de cette chaire une œuvre digne de l’attention des archéologues, et la classent au premier rang des curiosités de ce genre que possède notre ville. Dans sa Description de Lyon publiée en 1741, Clapasson mentionne bien les tableaux de médiocre valeur qui se voyaient alors dans l’église des Augustins de la Croix-Rousse, mais il ne dit rien de la chaire à prêcher. Peut-être inférerait-on de ce silence qu’elle n’existait pas à cette époque, s’il n’était plus probable qu’il n’y a là qu’une omission de l’écrivain. Le style général, d’accord avec certains détails iconographiques, semble, d’ailleurs, reporter à la fin du règne de Louis XIV la création de cet ouvrage artistique. Quoi qu’il en soit, il est de tradition que les Augustins ont légué cette chaire du haut de laquelle ils évangélisaient les habitants du faubourg, et qui traversa, sans grand dommage, la période révolutionnaire.

La chaire de Saint-Denis est de forme hexagonale. Des colonnettes d’angle reposent sur une bordure de feuilles de chêne admirablement fouillée et supportent l’accoudoir en saillie. Sur le champ libre des cinq panneaux — le sixième est masqué par le pilier de support — sont reproduits divers sujets tirés de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ce sont, en allant de gauche à droite : 1° Jésus marchant sur les eaux et tendant la main à saint Pierre ; 2° Jésus chassant les vendeurs du Temple. Un des marchands est étendu aux pieds du Christ. Dans le fond, on en aperçoit d’autres qui fuient ; 3° La remise des tables de la loi sur le mont Sinaï. Sous le type traditionnel de l’Ancien des Jours, Dieu apparaît dans la nuée, donne d’une main, à Moïse agenouillé, la double table du Décalogue ; de l’autre, il lui montre au loin les tribus d’Israël. 4° Jésus au puits de la Samaritaine. Celle-ci semble prêter une attention profonde aux paroles de vie que lui adresse le Sauveur. 5° Sur le panneau mobile qui donne entrée dans la chaire : saint Michel terrassant Lucifer. Ce groupe, d’une date plus moderne que le reste, est plein de mouvement.

Dans le soubassement, se développe une série de petits tableaux en bas-reliefs, groupés deux par deux, sous chaque panneau, et présentant les personnifications allégoriques de l’Humilité, des trois vertus théologales et des quatre vertus cardinales. L’Humilité renverse du pied un vase plein de trésors. La Foi élève un calice. L’Espérance s’appuie sur l’ancre symbolique. La Charité presse un enfant sur son sein et en entoure d’autres de sa maternelle sollicitude. La Tempérance tient deux vases et verse dans l’un le contenu de l’autre. La Force porte une colonne sur ses robustes épaules. La Prudence manie le serpent, emblème que lui attribue l’Évangile. La Justice porte les balances et repose sur un bouclier marqué d’un glaive. Ces diverses figurines sont d’une grâce et d’une souplesse de dessin vraiment remarquable. Un superbe cul-de-lampe forme la terminaison inférieure de la chaire, et lui imprime un aspect tout original. Formé d’élégants rinceaux alternant avec de larges feuilles d’acanthe, aux arêtes ondulées, d’où émergent, aux angles, d’épaisses volutes, ce cul-de-lampe finit, près du sol, en un faisceau noué de multiples sculptures dont les motifs sont encore empruntés au règne végétal.


LA CHAPELLE DE L’HÔTEL DE VILLE

Ce fut la modeste chapelle Saint-Jaquême, située au sud-ouest de la place Saint-Nizier, qui abrita à Lyon, au début du xive siècle, les premières délibérations légales du corps consulaire et reçut d’abord le précieux dépôt des franchises municipales. Dans le même temps, la nef de l’église Saint-Nizier servait aux grandes assemblées de la commune. Après avoir siégé successivement, en 1458, dans la maison du Lion, en 1461 et de nouveau en 1570, dans la maison Charnay, rue Longue, en 1569 à l’hôtel de Milan, rue Grenette, et en 1604 dans la maison de la Couronne encore debout au no 13 de la rue Poulaillerie, le consulat résolut, en 1644, de construire un Hôtel de Ville digne de la cité.

Simon Maupin, voyer de la ville, reçut l’ordre d’en préparer le plan et fut envoyé à Paris, au mois de mars 1646, pour soumettre son projet au contrôle d’un architecte alors « n grande réputation, Gérard Desargues, lyonnais attaché au service de la Couronne. Le 18 mai, les échevins écrivaient à Desargues pour lui accusé réception de ses dessins et le remercier, et le 5 septembre la première pierre du monument de la place des Terreaux était posée par Camille de Neuville, futur archevêque de Lyon, remplissant les fonctions de lieutenant du roi dans la province en l’absence de son frère, le duc Nicolas de Villeroy, gouverneur de Lyon, assisté de Pierre de Sève, baron de Fléchères, prévôt des marchands, et des quatre échevins : Jean Videau, seigneur de la Tour, Jean de Moulceau, secrétaire de la ville, Rémond Severat et François Bastet.

En mémoire de cet événement, on frappa plusieurs médailles : il en existe deux au Musée de Lyon de modules différents, mais portant l’une et l’autre, au droit, la façade ouest de l’Hôtel de Ville dans son état primitif avant l’incendie de 1674, au revers, une inscription qui est la même sur les deux médailles. L’une en cuivre est signée des noms d’Hendriey et de Simon Maupin, l’autre en argent n’est pas signée et est attribuée à Gendre, médailleur lyonnais. Une troisième médaille en ivoire qui figura à l’exposition rétrospective de Lyon en 1877 a été reproduite par M. A. Steyert dans sa Nouvelle histoire de Lyon ; elle est l’œuvre de Jean Guillermin à qui elle fut payée 66 livres par le Consulat ; elle porte sur un côté la façade de l’Hôtel de Ville avec la date du 5 septembre 1646, et, au revers, l’inscription de la pierre fondamentale et trois distiques latins.

L’édifice fut achevé en 1655, du moins dans ses parties essentielles, mais le Consulat n’attendit pas jusque-là pour en prendre possession : le 14 novembre 1652, il y tenait sa première séance et quelques jours après, le 31 novembre, il réglait par une délibération l’affectation des salles terminées aux divers services municipaux. Après avoir dit que la grande salle, où l’on accède par le perron, servira de vestibule d’entrée, et que celle située au-dessus, où l’on est conduit par le grand escalier carré, sera destinée aux élections de MM. les prévôts des marchands et échevins et aux autres assemblées générales, il ajoutait : « La galerie à costé de ladicte salle sera une forme de vestibule, dans lequel est la chapelle pour y célébrer la messe ès-jours que le Consulat trouvera bon. »

L’ancien corps consulaire lyonnais avait coutume d’associer la religion aux actes de son administration. Le plus célèbre témoignage qu’il donna de sa foi fut le vœu des échevins, du 12 mars 1643, à Notre-Dame de Fourvière, pour demander son aide contre le fléau de la maladie contagieuse qui fit à Lyon de si terribles ravages au cours de la seconde moitié du xvie siècle, de la première moitié du xviie et ne reparut plus après l’année 1642. Lorsque, quelques années après, le nouvel Hôtel de Ville fui édifié, le Consulat voulut y assurer le service religieux qui avait toujours la première place dans le programme des fêtes de la commune.

La chapelle de l’Hôtel de Ville était située au même étage que la salle d’honneur, entre celle-ci et la cour haute, éclairée par trois grandes baies cintrées prenant jour sur cette cour. C’est le vestibule actuel de la grande salle des fêtes, avec laquelle il communique par la porte centrale faisant face aux fenêtres du grand balcon de la façade. Cette pièce est qualifiée : galerie, dans la délibération consulaire de 1652. Dès cette époque elle fut affectée au service religieux, mais il est douteux que, dans le plan de l’architecte, elle ait eu d’abord cette destination. Elle paraît plutôt, d’après certains détails de l’établissement des grandes baies, avoir été préparée pour servir de loge ouverte, comme on en
L’Hôtel de Ville, façade du xviie siècle. (Dessin de F. Benoit d’Entrevaux.)

voit dans les palais de Gênes, suivant l’observation de l’architecte Desjardins chargé des réparations de l’Hôtel de Ville exécutées en 1857 et 1858. Dans cet étal, elle serait fort heureusement située au débouché du grand escalier, pour mettre en communication les deux ailes du palais au premier étage, si elle n’était adossée au nord au petit escalier circulaire dit des archives, qui, à cette place, interrompt toute communication autre que celle qui peut se prendre par la grande salle des fêtes, pour aller du salon Henri IV et des salles du Consulat et de la Conservation au grand escalier d’honneur. Tout indique que cette galerie devait servir dans le plan primitif soit de vestibule pour la grande salle, soit de dégagement à toute la partie ouest de l’édifice, et que, la construction de l’escalier des archives décidée après coup, en fermant lune de ses issues, l’a rendue impropre à la seconde de ces deux destinations. Le Consulat, prenant possession des lieux ainsi disposés, en fit la chapelle : ce ne pouvait plus être dès lors le vestibule de la grande salle où l’on dut entrer désormais par la porte ouvrant sur le palier du grand escalier. Dans l’inscription dédicatoire de la chapelle placée dans la grande salle, c’est au contraire la grande salle qui est qualifiée vestibule de la chapelle : « Sacellum hoc in media hujus atrii parte… Christo… dicarunt. »

La chapelle occupait ainsi le premier étage de la tour édifiée en arrière du grand vestibule, couronnée d’abord par un campanile qui reçut l’horloge construite, en 1650, par Daniel Gom, maître horloger, pour un prix supérieur à 4.000 livres, et le beffroi dont la cloche, que l’on mettait en branle avec une corde pendante jusque dans la chapelle, appelait les citoyens en cas d’alarme et aux assemblées. Dans son étal primitif qui est reproduit sur les médailles frappées à l’occasion de la construction de l’Hôtel de Ville, la tour du beffroi était peu élevée au-dessus de la toiture de l’édifice. Gravement endommagée dans sa partie supérieure par l’incendie de 1674, on lui donna, en la restaurant, son élévation actuelle et son couronnement en l’orme de dôme.

D’un inventaire dressé par ordre du Consulat en 1661, il résulte qu’il y avait dans la chapelle, au-dessus de l’autel porté par une trompe en saillie, un tableau dans son cadre doré représentant une « Descente de croix » peint par Jacques Palma dit le Aieux, acquis en 1651 de Benoît Voisin, ex-échevin, pour le prix de 1.200 livres, et deux têtes en marbre blanc sur leurs consoles d’ébène, l’une à droite, l’autre à gauche, le Christ et la Vierge, œuvres de Martin Hendriey, maître sculpteur ordinaire de la ville, pour lesquelles il lui fut compté la somme de 150 livres.

Le 8 janvier 1652, le consulat donnait à exécuter au même Martin Hendriey, par prix fait à lui passé devant Me Jasseron, notaire royal, quatre statues en pierre de Perne, hautes de six pieds et dix pouces et destinées aux quatre niches de la galerie de la chapelle. Ces statues devaient représenter l’Amour divin, la Foi chrétienne, l’Amour de la patrie et la Concorde. Le sculpteur avait deux ans pour les faire. La commande comprenait, en outre, deux figures en pierre de Savoie de huit pieds de hauteur, l’Astrologie et la Géométrie, pour les deux niches situées en dehors et au-dessus de la chapelle. Mais dans la délibération consulaire du 8 août 1662, il est dit que ces deux statues furent décommandées et que le sculpteur reçut de ce chef une indemnité de 100 livres ; il lui avait été promis pour ces six statues, 2.000 livres.

La chapelle était décorée de vitraux, œuvre de Christin Dalais, Jean Ricard et François Nicolas, maîtres peintres verriers, sur lesquels étaient peintes les figures du Christ et de la Vierge et les armes du roi.

Il est fait mention dans les comptes du Consulat d’une dépense de 450 livres pour l’achat d’un dais orné de soubassements, galons, broderies, bouquets et autres ouvrages, devant servir le jour de l’octave de la Fête-Dieu, pour la fête de saint Thomas et en d’autres circonstances, et de l’achat d’une chapelle d’argent du prix de 1.631 livres pour aider à la célébration de la messe et autre service divin. Le 9 août 1663, le Consulat crut devoir prendre une délibération pour interdire formellement que ces riches objets acquis pour le service de la chapelle de l’hôtel commun, fussent prêtés à l’avenir à des habitants ou à des confréries de la ville, qui avaient obtenu précédemment l’autorisation de les emprunter pour servir au dehors dans des églises ou des chapelles.

Pernetti, à l’article « Gros de Boze » des Lyonnais dignes de mémoire, rapporte que, de son temps, on voyait, dans le vestibule de la chapelle de l’Hôtel de ville, le Taurobole découvert à Lyon en 1704, sur la colline de Fourvière, rappelant un sacrifice offert pour le salut d’Antonin le Pieux et acquis, en 1742, par le Consulat, au prix de 3.000 livres.

Au-dessus de la porte donnant accès de la grande salle à la chapelle et du côté de la grande salle, se lisait une inscription latine de dix-neuf lignes, composée par le P. de Bussières, jésuite, pour l’exécution de laquelle le Consulat avait traité, en même temps que pour d’autres ouvrages, avec les peintres Panthot et Blanchet. On ne lira pas sans intérêt la traduction de ce long texte latin : « De ce palais, qui manquait à Lyon, fondé et conduit jusqu’à sa partie supérieure par leur prédécesseurs, s’inspirant, pour sa continuation impatiemment attendue, d’un même zèle pour la splendeur de leur patrie : Charles Grolier, écuyer, seigneur de Cazot et de Bellecize, illustre par son dévoûment aux intérêts de la cité, par la prévôté des marchands, par ses ancêtres lyonnais ; et ses nobles collègues dans le Consulat lyonnais, Claude Laure, Izaac Cognain, Philippe Cropet, seigneur de Pontournis, docteur en l’un et l’autre droit, François Chappuis, tous citoyens et consuls de la ville : ont heureusement continué la construction jusqu’au faîte de la partie principale ; et, en faveur de l’heureux couronnement d’une œuvre si laborieuse, ils ont dédié la présente chapelle, vers le milieu de cette salle, au Christ sauveur, éternel architecte du salut des hommes. L’an 1650. »

Plan de l’Hôtel de Ville.

Contre la face extérieure du mur de la chapelle, du côté de la cour, était gravée une autre inscription de huit vers latins, dont voici la traduction : « Là, où le Rhône précipite ses ondes impétueuses, et où la Saône, indécise dans sa marche, se promène à pas lents, là est placé Lyon, nouveau monde au milieu de l’ancien, ou ancien monde au milieu du nouveau. Cherchez ailleurs ce qui peut vous déplaire : ici se trouve tout ce que vous pouvez souhaiter ; ici, ou nulle part, tous vos désirs seront satisfaits ; Lyon vous fournira tout ce que renferme le monde entier : voulez-vous plus encore ? vous le trouverez à Lyon. » Les six premiers vers sont extraits des Poemata de J.-C. Scaliger, recueil de pièces consacrées par cet auteur aux villes les plus fameuses. Les deux derniers, d’André Falconnet, médecin de Lyon, ne sont qu’une redite de la dernière pensée de Scaliger.

Ils furent ajoutés aux siens afin qu’il y eût quatre vers à graver sur chacune des deux pierres symétriques et carrées où se lisait l’inscription.

La chapelle fut achevée, en 1650, sous la prévôté de Charles Grolier et le consulat des échevins dont les noms sont mentionnés dans l’inscription dédicatoire. Elle fut bénie en 1632 et dédiée au Christ et non sous le vocable de saint Bernard, comme l’affirme l’Almanach de Lyon de 1755. Elle était desservie par les religieux réformés de l’ordre de Cîteaux dits Feuillants, établis à Lyon près du port Saint-Clair, en 1620, avec la protection du consulat et du gouverneur de Neuville d’Halincourt. En échange d’une libéralité du prévôt des marchands et des échevins pour la construction d’un corps de logis et de la promesse d’une pension annuelle, les Feuillants s’étaient engagés à servir d’aumôniers à la chapelle de l’Hôtel de Ville ; chaque jour, un de ces religieux y célébrait la messe. La pension de 800 livres que le Consulat payait aux Feuillants pour cette cause fut réduite de 300 livres en 1687.

À certaines fêtes consulaires, des solennités avaient lieu dans la chapelle de l’Hôtel de Ville. Le matin de l’élection des nouveaux échevins, la messe (ui avait été dite précédemment à cette intention dans la chapelle Saint-Jaquême, fut célébrée à l’Hôtel de Ville, après que le Consulat en eut pris possession. Le prévôt des marchands et les échevins sortants devaient y assister.

Pour la première fois, en 1655, le 21 décembre, jour de la fête de saint Thomas, l’oraison doctorale suivie de la proclamation du nom des nouveaux échevins fut prononcée dans la grande salle de l’Hôtel de Ville, après une messe dite à la chapelle ; auparavant, la fête consulaire avait lieu dans l’église Saint-Nizier.

En 1705, le Consulat prit une décision portant que désormais « aucun capitaine-enseigne ne pourra faire bénir son drapeau que dans la chapelle de l’Hôtel de Ville, par le curé de la paroisse de Saint-Pierre et Saint-Saturnin, en présence du Consulat, et sans que ledit enseigne ne soit accompagné des officiers de son quartier et de la plus nombreuse partie des soldats portant les armes, afin que cette cérémonie soit aussi publique qu’elle est nécessaire ».

La chapelle de l’Hôtel de Ville était parfois de dimension trop restreinte pour contenir tous les invités du Consulat à certaines fêtes religieuses ; en 1728, une messe chantée en musique, pour rendre grâces à Dieu du rétablissement de la santé de Mgr le maréchal duc de Villeroy, fut célébrée dans la grande salle voisine.

Le 13 septembre 1674, un terrible incendie exerça ses ravages dans la partie supérieure des bâtiments à peine achevés du nouvel Hôtel de Ville et faillit tout détruire. Le récit en est consigné dans la délibération consulaire du 17 septembre : le feu se déclara entre midi et une heure dans les combles, entre le couvert du grand escalier et le beffroi ; poussé par le vent du midi, il consuma la toiture, le plafond et les peintures de Blanchet de la grande salle, le beffroi et l’horloge, les charpentes et le couvert de la salle des portraits, de celle du consulat, et aurait dévoré toute l’aile du nord, si l’on n’eût pas pris le parti de faire la part du feu en coupant la toiture au-dessus de la salle des archives. La chapelle eut beaucoup à souffrir de l’incendie du beffroi. Le feu pénétra dans la tour en ruinant l’escalier qui en ouvrait l’accès ; il y détruisit les planchers, l’horloge, des cloches, les poutres qui soutenaient ces derniers, et la chute de ces lourds débris ébranla les voûtes de sa partie inférieure.

Coupe de l’ancienne chapelle.

Les travaux de restauration entrepris après la catastrophe furent d’abord restreints aux plus urgents, notamment à la réfection des toitures. Ce qui restait du dôme menaçait ruine ; le Consulat le fit visiter, en 1677, par des experts, et il résulte de la description qu’ils en donnent dans leur rapport, comme de la vue de l’Hôtel de Ville frappée sur la médaille commémorative de la pose de la première pierre, que le dôme primitif était différent de celui que nous voyons aujourd’hui. Cette partie de l’édifice, comme du reste toute la toiture, fut donc reconstruite sur un nouveau plan. Ces travaux ne furent exécutés qu’en 1701, sous la direction d’Hardouin Mansart, surintendant des bâtiments de la Couronne, assisté de Robert de Cotte et Claude Simon, tous deux architectes du roi.

L’intérieur de la chapelle avait été restauré en 1695 par Guillaume Simon, sculpteur, et Claude Panthot, peintre : ce dernier reçut pour sa part la somme de 166 livres. En 1696, Henri Verdier, peintre ordinaire de la ville, avait été chargé de nettoyer, réparer et revernir la Descente de croix de Jacques Palma placée au-dessus de l’autel. Les délibérations consulaires de 1675 mentionnent l’acquisition de quatre cloches pour remplacer dans le beffroi de l’Hôtel de Ville celles que 1 incendie avait mises hors de service. En 1683, il est question de la nouvelle horloge placée dans le dôme et construite par Guillaume et Antoine Nourrisson.

Les ravages de l’incendie de 1674 n’étaient pas encore complètement réparés lorsque survinrent les événements de la révolution. La journée du 29 mai 1793 dans laquelle l’Hôtel de Aille fut emporté de vive force par la garde nationale soulevée contre Châlier et ses acolytes, le bombardement de la ville par l’armée de la Convention, et enfin un nouvel incendie allumé dans la grande salle par les lampions du li juillet 1803, occasionnèrent dans diverses parties de l’Hôtel de Ville de grands dommages dont les dernières traces ont subsisté jusqu’aux restaurations de 1857.

Quelques souvenirs de l’époque révolutionnaire sont restés attachés à la chapelle de l’Hôtel de Ville. Le 4 décembre 1793, la Commission révolutionnaire établie à Lyon par arrêté des représentants du peuple, Collot d’Herbois, Fouché, Albitte et Delaporte, succédait à la Commission de justice militaire entrée en fonctions le 12 octobre 1793, qui, en trente et une séances, avait prononcé quatre-vingt-seize condamnations contre des soldats du siège, qu’on fusilla à Bellecour, — et à la Commission de justice populaire, installée le 31 octobre, et qui, en vingt-sept séances, envoya cent treize condamnés à la guillotine de la place des Terreaux. La Commission révolutionnaire fonctionna du 4 décembre 1793 au 13 avril 1794, présidée par Pierre-Marie Parrein ; elle prononça seize cent quatre-vingt-quatre condamnations capitales dont soixante le 4 décembre, deux cent huit le 5, soixante-sept le 21, cinquante-cinq le 5 janvier 1794. Sept cent trente-deux condamnés furent guillotinés et neuf cent trente-cinq fusillés.

La Commission révolutionnaire siégeait au premier étage de l’Hôtel de Ville dans la salle du Consulat, éclairée par trois fenêtres sur la cour haute et séparée de la chapelle seulement par l’escalier tournant des archives. Chaque décade, les prisons de la ville pourvoyaient à sa sinistre besogne par l’envoi de prisonniers qu’on entassait dans les salles du premier étage, comme on parque les animaux à l’abattoir avant de les livrer au boucher. La grande salle des fêtes et la chapelle étaient spécialement affectées à ce dépôt de malheureux qui passaient de là dans la salle voisine, d’où, leur sort une fois fixé en quelques minutes employées à l’interrogatoire et au jugement, ils étaient conduits par l’escalier donnant dans la cave du sous-sol, dernière station avant la mort.

Le 11 février 1794, la Commission temporaire de surveillance républicaine, autre invention atroce de Fouché et de Collot d’Herbois pour servir de « supplément révolutionnaire à toutes les autorités constituées », recrutée par le club des Jacobins de Paris, et siégeant rue Sainte-Catherine, n° 8, reçut une réclamation du concierge de la maison commune, qui se plaignait qu’il y existât encore des figures de saints. La commission l’autorisa à les abattre et invita la municipalité à lui payer le déboursé occasionné par ce travail. La commission ainsi informée qu’il restait encore à Commune Affranchie « des monuments honteux de féodalité et de superstition » prit un arrêté ordonnant aux autorités de faire disparaître dans les vingt-quatre heures « tous les emblèmes féodaux et fanatiques. » Ce fut sans doute à cette occasion que disparurent les dernières statues qui ornaient la chapelle. Depuis ce temps, rien ne rappelle plus au visiteur l’ancienne destination de la salle, réduite maintenant au rôle de simple vestibule et qui fut pendant cent cinquante ans la chapelle de l’Hôtel de Ville. Parmi les Lyonnais d’aujourd’hui appelés à la traverser les jours de fêtes municipales, se souvient-on encore que ce lieu fut témoin des manifestations de leur foi, à une époque où les pouvoirs publics rendaient un culte à la Divinité, et plus tard de leurs souffrances aux jours les plus tragiques de l’histoire de la cité ?


L’ÉGLISE DES MINIMES

Un ermite de Calabre, François de Paule, réunit autour de lui quelques disciples, il leur assigna ses exemples pour règles, un maigre perpétuel pour aliments, l’humilité pour vertu dominante et la charité pour devise ; ainsi fut constitué l’ordre des Frères Minimes, nommés aussi les Bonshommes. Invité par Louis XI au Plessis-les-Tours en 1483, le saint patriarche ne guérit pas le roi vieilli et malade, mais il lui enseigna à bien mourir et il obtint de fonder près de sa cour, afin de l’édifier, le premier couvent français. Celui de Lyon, à la Croix de Colle, fut le seizième.

Saint François de Paule, d’après un tableau du xviie siècle.

Son origine est due aux prédications dont un excellent religieux, le P. Simon Guichard, se chargea dans l’église de Sainte-Croix, pendant le carême de 1552. Leur succès fut extraordinaire : leur vogue universelle. La ville entière fut ébranlée par cette éloquence pleine d’un feu apostolique et les calvinistes, dont le nombre et l’audace se multipliaient, se virent arrêtés dans leur propagande clandestine. On désira qu’un tel homme de Dieu ne s’éloignât plus et pour le conserver on lui promit un monastère. Les patentes de l’archevêque, le cardinal de Tournon, furent octroyées le 16 janvier 1553, dès que l’endroit propice à l’installation eut été arrêté. « Le lieu où vous voulez édifier une église, disait la lettre approbative, a été sanctifié dans les premiers temps du christianisme par la mort d’un grand nombre de confesseurs de la foi et en mémoire de la lutte de ces martyrs, il s’appelle encore la place de la Décollation. » Il était impossible de procurer à l’entreprise un plus touchant et plus glorieux patronage et la situation ne semblait pas moins convenir au recueillement et à la prière.

La Providence ménagea aux arrivants un protecteur aussi riche qu’influent dans le doyen du chapitre primatial, le chef du corps le plus considérable de la cité. Théodore de Vichy de Champrond, pourvu d’un canonicat, dès le 2 septembre 1533, avait été reçu le 23 décembre suivant ; le décanat lui était échu par la résignation que Jacques de Tournon avait faite en sa faveur, il en avait pris possession le 26 mai 1548. Un chroniqueur anonyme du couvent le désigne comme « le bon père et l’insigne bienfaiteur ». Ses dons abondants justifient ce titre. Non seulement il fournit l’appoint le plus considérable aux acquisitions terriennes, mais pendant plusieurs années il veilla à l’entretien et à la nourriture de la communauté : il s’était constitué son intendant d’office et, dans son testament, dicté le 5 juin 1555, codicille six jours seulement avant sa mort, le 2 janvier 1569. il leur légua en totalité les économies qu’il n’avait point épuisées à les assister. Ses amis particuliers furent les plus chauds soutiens de ses protégés et celui qui contribua à peu près exclusivement à la continuation de l’église, François de Chalvet, seigneur de Ferlus, se trouve au nombre des exécuteurs de ses dernières volontés.

Le P. Guichard avec ses compagnons eurent d’abord pour cloître la maison que leur vendit un bourgeois lyonnais, Laurent de Corval, par contrat du 20 avril 1553, sur le chemin public tendant de Saint-Just à Fourvière et à Saint-Paul. Ils s’y accommodèrent le moins mal possible et préparèrent le temple qu’ils voulaient élever à Dieu. Ils furent à même d’en poser la première pierre le 25 mars 1555 : M. de Vichy fit la cérémonie et la bénédiction fut prononcée par l’évêque auxiliaire de Lyon, Jean Bothéan, cordelier, titulaire de Damas. Le monument futur fut placé sous le vocable de l’Assomption de la Vierge Marie.

Il n’avait point encore reçu sa toiture, lorsque les Réformés, sous la conduite du fameux baron des Adrets, s’emparèrent de Lyon et exercèrent en particulier dans le faubourg de Saint-Just et Saint-Irénée les dévastations les plus violentes. Qu’entreprendre contre des murailles à peine sèches ? L’inventaire de la maison s’accomplit cependant le 8 mai par Antoine Pupier : les moines avaient pris la fuite et confié leurs clefs à un voisin. Giraud Grangeon, hôtelier de la Croix-Blanche, qui ouvrit les portes. Les chambres avaient conservé peu de meubles, tables de noyer, lits de sapin, tréteaux, coffres et garde-robes, communément enregistrés avec la mention : « De peu de valeur ». À la salle de travail, on releva « un dressoir d’étude auquel s’est trouvé six livres, sçavoir, deux bibles, des Psalmes de David, la légende Dorée, les Saints-Pères, en italien la grandmaire de Nobrijencis » embryon d’une bibliothèque, dont plus tard le savant bénédictin dom Estiennot signalera l’importance.

La paix conclue, les Minimes exilés rentrèrent et se signalèrent bientôt parmi les antagonistes les plus redoutés de l’hérésie ; dans leurs sermons ils abordaient sans détour les matières de controverse, réfutaient les erreurs importées de Genève et ils ne craignaient pas de se mesurer corps à corps, dans des conférences publiques, avec les plus célèbres ministres de la Réforme. Ces missions, où ils associaient le zèle et la science théologique, leur valurent une sérieuse popularité : plusieurs y acquérirent une renommée qui leur a survécu. Le P. François Humblot, le P. Rolland Guichard, le P. Jean Rospitel, devenu plus tard évêque suffragant, exercèrent un apostolat qui contribua pour une part sensible à la conservation de la foi romaine ; tous payèrent largement, soit dans la chaire, soit au chevet des pestiférés, leur droit de cité.

Au dedans la communauté se développait, en même temps qu’elle étendait au dehors son action et ses services : on jugea utile d’agrandir la chapelle, ouverte aux fidèles, et d’en doublera peu près l’étendue. Un doyen de Saint-Jean avait été jadis le fondateur de la première partie, celui de la nouvelle fut l’obéancier de la collégiale Saint-Just et ses libéralités payèrent entièrement la construction. Cet insigne donateur, Maurice de Fenoyl, dont il convient d’esquisser quelques traits biographiques, descendait d’une famille lyonnaise, dont les membres, après avoir exercé la charge notariale, avaient obtenu des grades supérieurs dans la milice bourgeoise. Sa noblesse, encore dépourvue des quartiers obligatoires, ne lui permit pas d’être admis dans l’illustre chapitre des comtes ; il se rabattit sur des bénéfices roturiers et en prit un peu de toute provenance. Dès l’année qui suivit sa première tonsure, reçue le 17 décembre 1580, il entra au chapitre de Saint-Just, plus tard il appartint aussi à celui de Saint-Paul et occupa une chevalerie à Saint-Jean. Nous le voyons simultanément prébendier de Saint-Pierre à la collégiale Saint-Just, de Saint-Blaise fondé par un prêtre du nom de Ferrières à Écully, de Sainte-Catherine à Saint-Laurent, de Sainte-Marie et de Saint-Guillaume à la chapelle de l’Annonciade de Saint-Paul, à Chamelet de Saint-Bartliélemy, à Rive-de-Gier de Saint-Sébastien, de Saint-Clair et de Saint-Denis de Monfauvey à Saint-Nizier-le-Désert, enfin dans la Primatiale il détenait une des quatre chapellenies de Gasle. Le lot est joli et il nous reste à citer la cure de Saint-Barthélemy-Lestra et la charge de recteur de l’Université de Valence où il fut élevé le 2 janvier 1637. C’est en 1611 que lui était échue la dignité d’obéancier, la première de sa compagnie, et dès 1625 il avait entrepris la bâtisse Minimoise.

L’église conventuelle, par cette addition, fut à peu près doublée d’étendue ; on déplaça le maître-autel pour le transporter au chevet de la partie neuve ; l’entrée fut percée dans l’ancienne abside qu’on orna d’une tribune et les chapelles demeurèrent dans la partie réservée au public. L’édifice est à une seule nef ; d’une belle élévation, avec une voûte aux arêtes ogivales, les fenêtres cependant à plein cintre. Il serait difficile de caractériser ce style, sinon en le désignant comme le style canonique de l’ordre, car d’autres monastères de Saint-François de Paule offrent le même type : pauvre, austère, sans ornements et, autant qu’il est permis d’en juger après toutes les transformations subies, comportant plus de rigidité que d’élégance, plus de simplicité que de recherche ; il n’a évidemment que très peu de la Renaissance qui le vit commencer et rien du grand siècle qui l’acheva. Les rites de la consécration solennelle furent accomplis, le lundi de la Pentecôte, 2 juin 1653, par l’évêque d’Autun, administrateur du diocèse de Lyon, le siège vacant. Ce prélat, Louis Doni d’Attichy, était un ancien religieux de l’ordre et, par la mort du cardinal de Richelieu, il avait pleine juridiction. Une inscription, toujours scellée à la muraille, conserve la mémoire de cette journée et de ces circonstances.

En nombre impair, quatre à gauche et cinq à droite, les chapelles s’ouvraient dans le mur par une large baie et elles s’étaient ajoutées, les unes aux autres, à différentes époques, selon les libéralités de leurs fondateurs. Celles du côté droit ou de l’épître étaient dédiées, la première à saint Antoine et à sainte Marguerite, la deuxième à sainte Marie-Majeure, la troisième à saint Pierre, la quatrième à saint Nicolas, la cinquième à Notre-Dame de Pilié ou des Affligés. Un face, dans le même ordre, les vocables étaient saint Denis et sainte Geneviève, le Saint-Esprit, Notre-Dame-de-Bon-Secours et saint François de Paule. Ces attributions n’ont pas été absolument fixes : par exemple, la chapelle de Saint-Nicolas vers 1742 fut dédiée au Crucifix et enrichie d’indulgences pour la bonne mort ; à l’origine, je crois qu’elle était placée sous l’invocation des Rois Mages. La chapelle du Saint-Esprit était souvent désignée sous le nom de Saint-Joseph, parce qu’elle renfermait un beau tableau, de la main de Guillaume Périer, représentant ce juste mourant entre les bras de Jésus et de Marie. Saint-François avait été précédé par Notre-Dame-de-Montserrat. Ces divers autels étaient dotés par beaucoup d’anniversaires institués à perpétuité et ils appartenaient, pour la plupart, aux plus notables familles de l’échevinage ou du négoce. Les Scarron possédaient Notre-Dame-de-Bon-Secours, les Pianelli Saint-François de Paule ; les Chaponay, Saint-Nicolas ; Sainte-Marie-Majeure relevait des Clapisson ; les Parisiens, émigrés sur les rives de la Saône, s’étaient réservé Sainte-Geneviève et les Espagnols, en l’adoptant, l’avaient baptisé Notre-Dame-de-Montserrat.

Alphose de Richelieu, cardinal archevêque de Lyon.

Les Confréries y célébraient leurs offices et y tenaient leurs assemblées. On en comptait trois, dont deux très populaires, sans parler d’un tiers-ordre formé par des sœurs séculières avec une d’entre elles élue pour correctrice. La plus fréquentée de ces pieuses associations était désignée sous le nom de Confrérie des Enfants de la ville ou des Nouveaux Mariés, quelquefois aussi on l’appelait le Royaume de Notre-Dame-d’Août. Primitivement organisée à Fourvière, elle remontait assez loin, sans qu’il soit possible de déterminer exactement la date de sa naissance. Elle s’était formée en un temps de désolation et de terreur, alors qu’une épidémie inexplicable frappait la plupart des nouveau-nés et menaçait les jeunes ménages d’être privés de postérité. On eut recours à la Mère de Dieu comme protectrice des berceaux et des langes et on la supplia par vœu d’intercéder pour la conservation des familles lyonnaises.

C’est par un acte consulaire du 5 juin 1577 que le siège de cette confrérie fut transféré à la Croix de Colle ; les deux premiers gentilshommes, qui exercèrent la charge de courriers, furent Cuillin de Salla, seigneur de Montjustin, capitaine de la ville, et Claude de Fenoyl, sergent-major ; on leur adjoignit deux bourgeois, les sieurs Galas et Noyrat, et ce nombre de quatre fut définitif ; mais pour le remplir désormais on eut soin de ne choisir que des jeunes gens mariés dans l’année. L’Assomption se solennisait en grande pompe ; à cette occasion on élisait le roi et la reine. La première condition pour jouir de ce titre envié était de n’avoir pas dépassé six ans et le diadème se débattait aux enchères, au poids de la cire. Le plus gros cierge valait à son possesseur de l’emporter sur tous ses concurrents. L’émulation était parfois si vive et le cierge si lourd que l’enfant avait recours au bras de sa nourrice.

Le bien public était également intéressé à la Confrérie de la Santé. Érigée le 1er octobre 1628, elle avait pour fondateurs et recteurs perpétuels, MM. les commissaires délégués au bureau de la Santé. On sait le rôle important confié à cette institution chargée de l’hygiène, surtout aux époques de contagion et de peste, dont Lyon subit si fréquemment l’horreur. Nos pères ne séparaient jamais, dans les calamités, le recours à Dieu des moyens fournis par la science humaine et l’autorité civile ; ils demandaient que des prières spéciales fussent récitées pour écarter les fléaux et vaincre leur épouvante ; ils invoquaient les saints, tels que saint Roch, saint François de Paule, Notre-Dame-de-Consolation comme étant non moins utiles que les plus habiles médecins. On a conservé les noms des adhérents de la première heure qui se concertèrent dans ce religieux dessein ; les principaux furent Jean de Sylvecane et Pierre Mellier, l’un et l’autre, conseillers du présidial, Louis de Sève, seigneur de Charly, Pancrace Maicsllin, docteur, des bourgeois tels que François Mizaud, Jean-Antoine Candevelle, des marchands François Rey, Mathurin Gocquel, Arnaud Rochette, Barthélémy Ballet, etc., etc. Leur initiative inspira au prévôt des marchands de députer à Notre-Dame de Lorette deux prêtres de la communauté, afin d’y déposer un ex-voto en témoignage de la confiance et de la gratitude de leurs concitoyens. Les Pères Dominique Mellier et Pierre Foreizon s’acquittèrent de la mission le 19 janvier 1529 : ils suspendirent à la voûte de la Santa-Casa une lampe d’argent et à leur retour, ayant passé par Home et baisé les pieds du pape, ils rapportèrent « un voile sur lequel est représenté le portrait du corps du glorieux saint Roch de la façon qu’il repose dans une église de Venise ». C’est là qu’ils avaient acheté cette image ; enfermée depuis dans une châsse « de bois azuré et surdoré » connue sous le nom de suaire de saint Roch, elle devint l’objet de dévots pèlerinages.

La Société faisait célébrer une messe tous les samedis et un délégué, renouvelé chaque mois, y assistait ; il y avait messe chantée aux jours de l’Assomption, saint François de Paule, saint Roch et saint Remi ; mais la plus magnifique solennité était réservée à l’Ascension ; les clochetteurs la publiaient aux carrefours ; des affiches l’annonçaient ; on sortait les plus belles tapisseries ; les trésoriers veillaient à la dépense de l’ornementation et de la cire. Les commissaires du bureau se présentaient en corps à l’offrande avec un cierge à la main et pour la communion ils le conservaient aussi ; dans l’après-midi, une prédication suivait les vêpres et, du matin au soir, des quêteurs sollicitaient aux portes la charité des visiteurs.

Quant à la dernière de ces confraternités, établie au milieu du xviie siècle, en l’honneur de la Pureté de la Vierge Marie et sous le vocable de Notre-Dame de Bon Secours, elle n’était pas particulière au monastère de Saint-Just ; l’ordre l’érigeait à peu près dans toutes ses résidences ; Rouen avait été, je crois, son berceau et le pape Innocent X en avait autorisé la propagation par de nombreuses indulgences. « Elle était fondée, dit un chroniqueur inconnu, sur les trois états de la virginale pureté de la Mère de Dieu, afin d’exciter les chrétiens, chacun selon sa condition, à se conserver soigneusement dans la pureté des pensées, des paroles et des actions ». Un des religieux, le P. Jacques Payet, le 3 mars 1654, légua une somme importante pour que, les complies achevées, à la Conception, Nativité, Annonciation, Purification, Assomption et Noël, le chœur vint chanter les litanies de Lorette devant la statue miraculeuse de Notre-Dame de Bon Secours et la vêtir d’une somptueuse robe de brocart et d’or.

Les Réguliers, sous l’ancien régime, transformaient leurs chapelles en véritables nécropoles ; les gens du dehors y choisissaient volontiers leur sépulture, par dévotion ou par amour-propre, mais aussi dans l’espoir nullement imaginaire d’être secouru outre-tombe par des prières plus abondantes et de plus méritoires suffrages. La bibliothèque municipale possède le Livre funéraire du monastère de la Croix de Colle, emporté en 1791 par le dernier sacristain, le P. Claude Chevillard, et tombé on ne dit pas comment dans ce dépôt. La liste des trépassés y est considérable : les uns possèdent des caveaux de famille et y descendent de père en fils pendant plusieurs générations ; d’autres ont payé pour le droit à une simple fosse, immédiatement comblée après leur inhumation. Tous les rangs s’y confondaient un peu : nobles et roturiers, prêtres et laïques, bourgeois et marchands voisinaient dans l’égalité de la mort. Beaucoup de noms seraient à remémorer : nous en relèverons quelques-uns, des plus notables. Claude Huvet et Paul d’Aubarède, chanoines de Saint-Just ; Verbois, prieur de Saint-Côme et de Saint-Damien ; les Périer, le père et le fils, deux peintres de talent ; un religieux de Malte, Pierre Mallet, des Piégay, des Du Soleil, le médecin Pancrace Marcellin, dont la pierre tumulaire n’a pas été détruite ; Claudine de Fenoyl, femme de Jacques Cardon de la Roche, nièce de Maurice de Fenoyl, déposée près de son oncle, au centre du chœur ; Françoise de La Mure de Rilly, veuve du sieur de la Fougère, fondatrice du couvent de Roanne ; noble dame Marthe de Gadagne, fille de M. le comte de Verdun, religieuse professe du prieuré de Jourcey, venue pour consulter les médecins, décédée le 4 novembre 1684. Trois générations des Pianelli de la Valette vinrent s’y rejoindre, dans la chapelle Saint-François de Paule qu’ils avaient dotée ; ainsi le trésorier de France Jean-Baptiste, mort à 84 ans, le 21 mai 1689 ; André, son frère, doyen des conseillers du Présidial, à 86 ans, le 20 février 1699 ; le fils et le petit-fils du premier : Laurent, président des trésoriers de France, Prévôt des marchands, à 75 ans, le 10 octobre 1718 ; Jean-Baptiste, mort le Vendredi saint, le 24 mars 1758. La cave funèbre des moines était creusée au bas des degrés du maître-autel ; elle occupait toute la largeur du sanctuaire ; le dernier qui y fut porté, le 16 octobre 1789, fut le P. Antoine Deschamps, âgé de 47 ans, après vingt ans de profession.

Ces ossements en poussière furent l’unique chose que la Révolution respecta dans ces lieux fondés par le P. Guichard et le doyen de Saint-Jean, M. de Vichy. L’Histoire du couvent des Minimes de Lyon raconte quels furent les derniers actes d’une communauté que l’indiscipline, l’oisiveté, le philosophisme avaient atteinte, avant que les décrets de la Constituante la bannissent. Depuis trop longtemps la cognée était à la racine de l’arbre, lorsqu’il tomba sous les coups violents de législateurs aussi dépourvus de justice que de prévoyance. Le cloître, au moment de la visite domiciliaire des officiers de la municipalité, abritait seize religieux, deux ex-provinciaux, le correcteur, le P. J.-B. Lombard, onze prêtres et deux frères lais. Quatre seulement exprimèrent le désir de continuer la vie commune, les Pères Lombard, Posuel, Chevillard et Roux. Rendus à la vie séculière, pour se soustraire à la persécution, la plupart prêtèrent les serments exigés par la loi et livrèrent leurs lettres d’ordination. L’un d’entre eux, Jean-François Posuel, arrêté à cause
Statue de la Vierge. (Cuivre repoussé).

de ses principes inciviques et de son fanatisme, se reconquit en prison ; il déclara ouvertement dans son interrogatoire sa croyance à la divinité de Jésus-Christ et à l’autorité du pape. Quand on lui demanda s’il renonçait à son caractère de prêtre, bien qu’il ait eu la faiblesse de se déclarer abdicataire quatre mois auparavant, il répondit que son sacerdoce était ineffaçable. Incarcéré le 23 pluviôse an II, il passait, six jours après, en jugement devant la commission révolutionnaire qui l’envoyait à l’échafaud. La fournée des rebelles, dans laquelle il fut compris, comptait vingt-trois victimes ; dans ce nombre il y avait sept autres prêtres avec lui et une religieuse carmélite, Jeanne Beauquise, âgée de 63 ans. Un de ses confrères, Sibille-Pierre Vergniaud, mis sous les verrous par la section du Gourguillon, une des plus terribles, échappa, je ne sais comment, au même sort. Trois des survivants, dont l’un était vicaire intrus à Saint-Nizier, lors de la restauration concordataire, rentrèrent dans la communion romaine.

L’église et le claustral avaient subi le sort des biens ecclésiastiques ; mis en vente le 14 septembre 1791, ils avaient été chaudement disputés et adjugés à la flamme de la 19e bougie pour la somme de 100.600 fr. L’acquéreur, Antoine Donat, négociant, place de la Comédie, avait le droit d’entrer immédiatement en possession ; cependant on avait excepté de cette vente le mobilier de l’église, les autels, retables, tableaux, table de communion, chaire à prêcher, boiseries du chœur et de la tribune ; la cloche, le beffroi et l’horloge du clocher n entraient pas non plus dans le lot ainsi que la bibliothèque avec sa menuiserie et ses dépendances. J’ignore à quels usages ces immeubles furent réservés par leur nouveau propriétaire. En 1826, M. l’abbé Dettard, un maître d’une réputation inoubliable, les acheta et les destina à une institution de jeunes gens ; Notre-Dame des Minimes est aujourd’hui une école plus florissante que jamais, après une existence scolaire de quatre-vingts ans, remplie d’admirables succès et éminemment utile aux lettres, à la patrie et à l’Église.

La vieille chapelle des Minimes n’a pas subi à la Révolution le sort réservé à tant d’autres édifices religieux. Aujourd’hui encore (quoi qu’elle soit depuis longtemps désaffectée), elle dresse sur la place des Minimes sa masse imposante. Elle sert de salle de récréation, et plusieurs de ses chapelles sont utilisées pour les classes moins nombreuses. Lorsqu’on pénètre dans l’intérieur, on est frappé de la hauteur des voûtes et de l’ampleur du vaisseau. Il n’y a qu’une seule nef, mais tout au fond se dresse une vaste tribune. Des écussons armoriés et quelques inscriptions funéraires se voient encore soit dans l’église, soit dans les couloirs qui y accèdent.

L’église, ne pouvant être entièrement utilisée, on en a réservé un tiers pour former la chapelle du collège. Cette dernière possède aussi une ample tribune occupée par un orgue. Elle est éclairée par cinq baies garnies de vitraux récents, représentant la Vierge bénissant des enfants et d’autres scènes de l’adolescence chrétienne. Le maître-autel est en marbre blanc ; sur le devant on a sculpté en bas-relief Jésus-Christ entouré des quatre évangélistes. L’autel est surmonté d’un tabernacle richement sculpté. Au mur sont suspendus quatre grandes peintures achetées par le collège à la succession du cardinal Fesch : elles représentent l’entrée à Jérusalem, la Pentecôte, l’Ascension et la Chananéenne. Dans l’ancienne église, on voit également trois peintures, d’une certaine valeur, parmi lesquelles l’Assomption et le Retour de l’Enfant prodigue.


BIBLIOGRAPHIE DU CHAPITRE II

CÉLESTINS

Berchier, La fundation du monasteyre des Célestins de Lyon, depuis l’an 1407 jusques en l’an 1527, par frère Claude Berchier, texte original, suivi du nécrologe du monastère et de la liste des officiers et gentilshommes formant la cour du roi Louis XII, à Lyon, en 1501. publié par Georges Guigue. Lyon, Georg, sans date (1882), in-16, xvi-87 p.

Benoist Gonon, Célestin, Histoire et miracles de Notre-Dame de Bonnes-Nouvelles des Célestins de Lyon. Lyon, 1639, in-12. — Autre édition sous ce titre : Collection lyonnaise. Histoire & miracles de Notre-Dame de Bonnes-Nouvelles des Célestins de Lyon, par le R. P. Benoist Gonon, Célestin. Lyon, Georg, sans date, in-16, viii-134 p.

Résumé de faits et moyens pour sa majesté le roi de Sardaigne, contre le syndic du clergé du diocèse de Lyon. Paris, 1783, in-4. — (Au sujet du monastère des Célestins de Lyon.

A. Péricard, Les Célestins de Lyon, dans Lyon ancien et moderne (1838), I, 313-68. — Tirage à part : Lyon, Boitel, 1849, in-8.

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Révérend du Mesnil, Le monastère des Célestins de Lyon, dans Ancien Forez (1882), I, 133.

Grasset, Fondation du monastère des P. Célestins de Lyon en 1421, dans Revue du Lyonnais (1888), 5e série, VI, 122.

F. Desvernay, Documents pour servir à l’histoire des Célestins de Lyon (1407-1786), dans Revue du Lyonnais (1897), 5e série, XXIII, 158.

Manuscrits de la bibliothèque de Lyon, documents pour servir à l’histoire des Célestins de Lyon, 1407-1786, inventaire par Félix Desvernay, président de la Société littéraire, historique et archéologique, membre de l’académie des sciences, belles-lettres et arts, administrateur de la bibliothèque de la ville de Lyon. Lyon, imp. Waltener & Cie, 1901, in-8, 21 p., 1 grav. (Extrait des Mémoires de la société littéraire, années 1896-1897.)

Histoire du couvent et du théâtre des Célestins, par E. Cuaz, conseiller honoraire à la cour d’appel de Lyon, membre de la Société littéraire, historique et archéologique de Lyon. Lyon, Waltener, 1902, grand in-8, 308 p., grav.

CHARTREUX

Règlement de la confrérie du Saint-Sacrement, à Saint-Bruno. Lyon, Rusand, 1823, in-8.

J.-S. Passeron, Les Chartreux, dans Lyon ancien et moderne (1838). I, 369-86.

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H. Forest, L’église Saint-Bruno des Chartreux, dans Bulletin historique du diocèse de Lyon (1903-4). III. 141-50, IV, 10-6.

FRÈRES PRÊCHEURS

L’ancienne et dévote confrérie de Saint-Sébastien et de Saint-Roch, érigée premièrement à l’Hôtel-Dieu de Lyon et depuis plus de deux cents ans au couvent des R. P. Prêcheurs, avec la bulle de notre saint père le pape Alexandre VI et les prières de la confrérie. Lyon, 1738, in-16.

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F.-Z. Collombet, L’église et le couvent des Dominicains de Lyon, 1218-1789, dans Lyon ancien et moderne (1843) II, 354. — Tirage à part : Lyon, Boitel, 1843. in-8.

Notre-Dame de Confort, sanctuaire des Frères Prêcheurs à Lyon, 1218-1791, par le R. P. Marie-Philippe Fontalirant, des Frères Prêcheurs. Lyon, Josserand, 1875. in-8, 60 p.-1 f.

M. Cormier, L’ancien couvent des Dominicains de Lyon,

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Pauline-Marie Jaricot, par L. Masson. Lyon, imp. Ville, 1899, in-8, 155 p., portrait.

Cœur d’apôtre et de mère, Pauline-Marie Jaricot, fondatrice de l’œuvre de la Propagation de la foi et du Rosaire vivant, martyre de la cause ouvrière, par J.-M. Maurin, Lille, Grammont, sans date, grand in-18, 259 p., grav.

Biographie du H. P. Danzas, des Frères Prêcheurs, dans La couronne de Marie (1888), p. 157-73.

SAINT-DENIS

Pardons et indulgences à perpétuité à la confrérie pour les morts sous l’invocation de saint Nicolas de Tolentin, érigée au couvent des RR. PP. Augustins réformés du bourg de la Croix-Rousse-lez-Lyon. Lyon. J.-M. Barret, 1776, in-24, 104 p.-2 f.

Pardons et indulgences à perpétuité à la confrérie pour les morts sous l’invocation de saint Nicolas de Tolentin, érigée dans l’église paroissiale de Saint-Denis-la-Croix-Rousse. Lyon. Périsse, 1818, 2 f.-318 p.-1f., 1 grav.

Les Augustins de la Croix-Rousse, par A. Grand ; précédé d’une introduction, par A. Steyert. Lyon, Waltener, 1889, in-8, 2 f.-viij-161 p.

HÔTEL DE VILLE

C.-F. Ménestrier, Éloge historique de la ville de Lyon, et sa grandeur consulaire sous les Romains & sous nos rois, par le P. Clavde-François Ménestrier, de la Compagnie de Jésus. [Gravure]. À Lyon, chez Benoist Coral, rue Mercière, à la Victoire, M.DC.LXIX, avec privilège du roy. In-4, 3 parties. 25 f. -62-92-64 p.-78 f.-44 p., frontispice par Blanchet et blasons.

A. Clapasson, Description de la ville de Lyon avec des recherches sur les hommes célèbres qu’elle a produits. Lyon, Aimé de la Roche. 1741, petit in-8.

La chapelle de Saint-Jacquéme ou de Saint-Jacques de Lyon, notice rédigée sur les documents originaux, par V. de Valous, avec un essai de situation figurée par A. Steyert. Lyon, Auguste Brun, 1861, in-8. 67 p., 3 pl. — Cette notice traite également de Saint-Nizier, de la confrérie de Saint-Jacques et de Notre-Dame de Montserrat.

Notice sur l’Hôtel-de-Ville de Lyon et sur les restaurations dont il a été l’objet, par T. Desjardins. Lyon, Vingtrinier, 1861. in-8. 44 p.

Monographie de l’Hôtel-de-Ville de Lyon, par Tony Desjardins, accompagnée d’un texte historique et descriptif. Paris, Morel ; Lyon, Perrin, 1867, in-folio.

V. de Valous, Les anciens hôtels de ville de Lyon. Lyon, imp. A. Waltener, 1882, in-8, 15 p.

André Steyert, Nouvelle histoire de Lyon et des provinces de Lyonnais. Forez, Beaujolais, Franc-Lyonnais et Dombes. Lyon, Bernoux et Cumin, 1895-9, grand in-8, 3 vol.

MINIMES

Description des dévotes peintvres de la sacristie des religieux Minimes du conuent de Lyon, en poésie latine & françoise. S. I. n. d., in-4, 8 p.

Mémoire pour frère Claude Pin, religieux Minime du couvent de la ville de Lyon & frère Claude Rozier, religieux Minime du couvent de Rouanne, appellans comme d’abus, contre le frère Gaudin, se prétendant provincial de la province des Minimes de Lyon et contre les correcteurs & couvens des Minimes de Lyon & de Vienne, et encore contre les frères Cuchet, Berger, Lambert & Champagnac, défendeurs en arrêt commun, en présence des frères Ravinel & de la Court, aussi religieux Minimes. Paris, Houry, 1752, in-folio. 52 p.

Précis pour Jean-François Ravinel, prêtre, religieux Minime, ancien assistant général de son ordre & visiteur général de la province de Lyon. Lyon, 1758, in-folio, 13 p.

Notice biographique sur M. Matthieu-Placide Rusand, par M. l’abbé A.-M. Paris, Poussielgue, 1840, in-8, 47 p.

Mayery, L’église des Minimes, dans Revue du Lyonnais, (1859), 2e série, XIX, 368.

Abbé Vanel, Histoire de l’ancien couvent des Minimes de Lyon, dans Revue du Lyonnais (1876 et 1878), 4e série, I, 429 et V, 247.

Histoire du couvent des Minimes de Lyon, par l’abbé J.-B. Vanel, ancien professeur d’histoire à l’institution N.-D. des Minimes, vicaire de la paroisse de Sainte-Blandine. Lyon, Briday. 1879, grand in-8, 2 f.-ix-373 p.

Institution Notre-Dame des Minimes, 1, place des Minimes, à Lyon. Bourg. Villefranche, 1884, in-8, 18 p. — (Contient une notice).

Institution Notre-Dame des Minimes, Philibert Dettard, fondateur des Minimes, 1768 au 31 janvier 1844, discours prononcé à la distribution des prix, le 24 juillet 1889, par M. l’abbé Genin, supérieur de l’Institution. Lyon, Vitte et Perrussel, 1889, in-8, 18 p.