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Histoire des églises et chapelles de Lyon/III

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Bas-relief du maître-autel de la chapelle des Carmélites.

CHAPITRE III

BERNARDINES, CARMÉLITES, CLARISSES, BÉNÉDICTINES DE CHAZEAUX, SAINT-FRANÇOIS-DE-SALES, CALVAIRE


C omme les couvents de religieux, les monastères de femmes ont de tout temps reçu à Lyon le meilleur accueil ; aussi, peu de villes en ont-elles autant possédé. On en trouvera dans tout le cours du présent ouvrage, mais ce chapitre se rapporte plus particulièrement aux anciens monastères de moniales : Bernardines, Carmélites, Clarisses, Bénédictines de Chazeaux ; il se poursuit par une étude sur l’église Saint-François-de-Sales qui fut primitivement une chapelle de Visitandines et de sœurs Saint-Joseph ; enfin il s’achève par la monographie de l’œuvre du Calvaire dirigée par d’admirables « religieuses dans le monde », contraste frappant avec les ordres cloîtrés dont on vient de rappeler le nom, mais contraste qui montre l’esprit d’initiative de l’Église catholique.


BERNARDINES

Ce fut dans le premier tiers du xviie siècle que la plupart des instituts et des congrégations s’établirent à Lyon. Les réformes des plus anciens ordres firent de même. Les religieuses réformées de Cîteaux, dites vulgairement Bernardines, n’eurent pas, à beaucoup près, pour cela les commodités ni les secours qui ne manquèrent point à d’autres religieuses cloîtrées. Il semble qu’avant d’avoir reçu, le 30 octobre 1632, du cardinal de Richelieu, archevêque de Lyon, la permission de construire et de se fixer solidement, elles eussent fait, pour s’adonner à quelqu’une des multiples œuvres rémunératrices que leur permettait la règle de saint Benoît, commentée par saint Bernard, diverses tentatives témoignant qu’elles manquaient de protecteurs assez généreux ou de ressources suffisantes.

Parmi les titres qu’elles présentèrent à l’autorité diocésaine, afin d’obtenir son adhésion, on trouve un concordat conclu par François d’Angley et Constant d’Allimandé, de l’ordre de Saint-Benoît, « pour donner au sieur Meurony, licence de fonder une rente et une chapelle à l’usage de religieuses qui se donneraient au soin des enfants et à divers travaux de miséricorde ». Une autre pièce qu’elles n’exhibèrent pas, prouve que, vers 1627, c’est-à-dire un peu avant ce concordat qui paraît être de 1629, elles s’étaient aussi efforcées de fonder une de ces petites écoles qui furent, dès la fin du xiie siècle, parmi les premières occupations des Cisterciennes et qui, restaurées au xviie siècle dans un esprit moins monacal, nourrirent le zèle de quelques-uns des réformateurs de la discipline ecclésiastique durant cette féconde période.

D’ailleurs, lorsque force leur eut été d’accepter les conditions assez vagues que leur imposa, pour le temporel, le pieux primat, elles ne renoncèrent pas tout à fait à l’enseignement. Elles prirent des « pensionnaires à étudier », suivant les termes d’une lettre de la première supérieure à M. Pallet, secrétaire de l’archevêché, celui qui avait signé par mandement leur lettre d’institution. De cette lettre même, il ne se peut rien tirer qui nous éclaire sur ce que l’on attendait de leur intelligence et de leur activité. Quant aux « pensionnaires à étudier », étudiaient-elles dans la clôture, comme ce fut la coutume des Bénédictines primitives et dès lors se destinaient-elles par une sorte de postulat prolongé au noviciat et à la profession ? On l’ignore et il n’importe, car dès 1642, « ordre fut donné aux religieuses Bernardines de ne plus se distraire à cet embarras ». Cela leur était signifié, sans métaphore, par le vicaire général.

D’embarras, hélas, elles en connaissaient déjà bien d’autres et des pires, des embarras d’argent. Elles avaient reçu, dès le 5 janvier 1633, de Claude Pellot, seigneur du Port-David, chancelier, conseiller du roi, trésorier général de France en la généralité de Lyon, prévôt des marchands, « permission de s’établir en telle maison qu’elles voudraient, sous réserve d’observer les règlements du consulat sur l’alignement ». Louis XIII, en avril de la même année, les autorisa à « bâtir un couvent où et comme il leur serait plus commode ».

Faute de crédit, elles ne purent commencer à construire qu’en 1639, au lieu qu’elles avaient tout d’abord choisi et qui était voisin de celui où elles habitaient, une maison provisoire et dépourvue de tout agrément, « proche la place d’armes de la montée de la Croix-Rousse ». C’est tout ce que précise un mémoire de la mère Guiguet, avec laquelle on fera plus ample connaissance. Toutefois, antérieurement à cette époque, elles avaient acquis des propriétés soit à Lyon, soit à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, ce qui ne laisse pas d’étonner un peu, et elles avaient aliéné des biens de quelque valeur dans la ville et à Dardilly. En 1621, par exemple, tandis qu’elles s’occupaient de « faire du profil par leur ministère d’enseignement », elles avaient acheté partie d’une maison indivise avec le sieur Piquet, située au territoire du Peyrol ou de Saint-Clair. Mais encore l’examen de leurs comptes, à cet égard, prouve-t-il qu’elles ne faisaient que de minimes dépenses et se mettaient sans cesse en quête de « petits moyens de délai, de petits accords de bonne foi », suivant les termes qu’elles emploient. Quoi qu’il en ait été, le premier état à peu près complet du monastère est fourni par le rapport de visite dressé, le 8 août 1641, le lendemain du jour où fut signé le contrat définitif d’achat par les sieurs Rousset et Allemand, au nom du sieur Jean Perrette, marchand drapier, bourgeois de la ville, et de sa femme, Madeleine Proyard : ces experts visitèrent le tènement, maison, jardin et vigne vendus aux religieuses Bernardines, par Perrette et sa femme ; ces biens étaient situés près la maison brûlée en la montée Saint-Sébastien.

Cette expertise fait détail d’une grande maison sise tout auprès de la porte de la Croix-Rousse au bas de la montée Saint-Sébastien. « L’entrée y est par la porte du Côté de la place d’armes proche de la maison du sieur Corneille Breton. La dite porte est en pierre de taille de trois pieds et demi de tour et de six pieds de hauteur, mais le logis est de médiocres matériaux, de pierres communes et de pizé. La cour est pavée de cailloux tout à neuf. Il y a un grand puits à eau claire. On accède à la cave par le côté du soir et l’on trouve à l’entrée une rompure de couverture mais sans dommage. La voûte de cette cave est en berceau de dix-huit pieds de long et de neuf de large ; au bas de la montée, il y a deux autres portes dont l’une aussi a sa couverture rompue. Les murs et les lambrissages sont communs comme le revêtement extérieur. À l’entrée du principal corps se voient trois arcadoires dont les piliers sont de pierres de taille : l’un est au-dessus de la maçonnerie en briques donnant jour sur une galerie longue de vingt et large de dix coudées. À un angle du jardin, est ménagée la maisonnette du cordonnier. Les chambres sont assez grandes. » Le monastère, dans le document cité, n’est pas encore surnommé la Divine Providence : on ne trouve ce titre qu’en 1650, dans un devis de réparation réglé à un maître charpentier. De la chapelle, il n’est nullement question : dans une lettre datée de 1692, la mère Madeleine de La Melette se plaint de ce qu’elle soit « nue et trop étroite », plus simple et plus pauvre encore que l’exige la règle cistercienne. Bref, on se représente aisément un bâtiment uni et sans plus de symétrie que d’ornement.

Saint Bernard promet la paix aux couvents de chétive apparence. Celui de la Divine Providence tel qu’il était, connut beaucoup de contradictions et d’épreuves. Son mal originel, c’est-à-dire l’instabilité de ses finances, ne cessa pas de se prolonger : de 1652 à 1740, on ne trouve guère de documents dans ses archives, sinon de procès perpétuels, de litiges chaque année ressuscites, de difficiles rentrées de rentes, d’arriérés exagérés de pension, d’impayements de locations, et par une conséquence inéluctable, de dettes croissantes dont des communautés plus riches que la leur qui ne l’était pas du tout, ne se fussent pas préservées en semblable cas. Joignez à cela que l’emplacement qu’elles occupaient était le plus chargé qu’il se pût imaginer de droits à acquitter comme on dirait aujourd’hui ; de directes, de pensions, de dîmes, disait-on alors.

À cet égard, il ne se pouvait pire situation : la Divine Providence s’élevait au point de rencontre de quantité de suzerainetés et juridictions : elle était tributaire d’Ainay, de la commanderie Saint-Georges de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, de l’abbaye Saint-Pierre, de la custodie de Saint-Jean. Il fallut contenter ou amener à composition tous ces fiscs, ne pas succomber sous ces coûteux vasselages : directes actives et passives, rentes nobles, censives seigneuriales. Ce qui ne signifie pas qu’on ne leur accordât assez souvent des allégements. En 1738. par exemple, elles firent, en quelque sorte, appel de la dîme Saint-Clair, dont la rigueur leur avait été imposée depuis neuf ans par l’abbaye Saint-Pierre. Par devant Charles de Masso de La Perrière, sénéchal de Lyon, elles représentèrent que « le dixième appartenant à l’abbaye, appelé le dixième de Saint-Clair, de fruits croissants dans l’étendue de leur clos, était sujet à variations, qu’elles étaient obligées de tenir leur porte ouverte, pour l’exaction, aux jardiniers et préposés, que, dès lors, elles avaient demandé déjà à défunte abbesse, dame de Cossé de Brissac, de fixer cette dîme à une redevance annuelle et perpétuelle, ce que ladite défunte abbesse avait accepté avec son conseil ». Sur quoi, il fut fait droit à cette requête, étant présentes par devant le notaire royal et conseiller du roi, pour l’abbaye Saint-Pierre : Marguerite de Virieu de Beaumont, prieure, Philiberte de La Martinière, receveuse, Suzanne de Lauras et Marie de Chevrier, professes, et pour le monastère de la Providence Divine : Jeanne-Marie de la Croix Ribier, supérieure, Élisabeth Morel, assistante, Madeleine Romieu, Jeanne-Marie Blond. L’acte conclut « qu’à partir de l’an prochain, la dîme Saint-Clair sera une redevance fixe, annuelle, perpétuelle ». C’était autant de gagné et du moins elles se libéraient des risques de vol et de l’offense à la vie claustrale dont se compliquait cet impôt.

Auparavant, elles n’avaient pas eu un pareil succès auprès du commandeur de Saint-Georges et Temple de Vaux, François-Aimé Dusset de Château-Vert, chevalier de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. En 1646, 1683, 1733, elles amassent le papier noirci et le papier timbré pour défendre contre « l’homme de gestion » de M. de Saint-Georges, presque toujours absent de Lyon, telle partie du bâtiment « servant autrefois de colombier appelé le Croyat », telle parcelle du pré, du verger ou de la vigne de cinq journées d’hommes en la côte Saint-Sébastien, paroisse Saint-Vincent. « C’est un écheveau à démêler dans le panier aux épluchures », écrivait une religieuse en 1646. En 1776, l’écheveau tenait encore bon ou plutôt s’enroulait et se nouait de plus en plus. Il fallut que les Bernardines de Lyon cessassent d’exister pour échapper à ces chicanes.

Elles n’eurent pas moins de peine du côté de la passive directe et de la censive d’Ainay. Les pièces comptables de ce débat commencèrent à se superposer dès 1641, première année de l’existence légale du monastère. La custodie de Saint-Jean fut moins âpre à leur appliquer ses prétentions.

À ces alertes sans trêve, les religieuses ajoutèrent elles-mêmes ce qui prépara la crise qui faillit les emporter avant leur heure sonnée. Le précaire état de leur temporel finit par persuader au suprême pouvoir du diocèse que leur spirituel n’était plus en sûreté, que la disproportion était telle entre leur passif et leur actif qu’on voyait désormais « convenance d’église » à ce qu’elles disparussent.

La mère Ponsonas, fondatrice des Bernardines, morte à Lyon en 1675.

La menace de dissolution ou de réunion à un autre monastère mieux conditionné flottait dans l’air depuis 1743 : des lettres du promoteur en témoignent. Les premiers grondements de l’orage se firent entendre en 1749. Mme Guiguet était supérieure depuis le 11 septembre de cette année : femme de tête et de cœur, aussi habile en administration et en procédure civile et canonique, que moniale instruite et pieuse, elle lutta, dans une minute de défaillance, pour conserver sa chère maison. Elle fut vraiment la seconde fondatrice de la Divine Providence comme ses filles lui en donnèrent le nom. Elle résistait pied à pied aux instances, atténuées dans la forme, mais inexorables au fond, de M. Carrier, vicaire général, et de l’évêque suffragant de Lyon, Claude Navarre, évêque de Sidon, supérieur direct des Bernardines. Elle alléguait le passé dont on s’était tiré, l’avenir qui serait meilleur, si on lui accordait du loisir et des facultés pour « rassembler son bien épars et pour ainsi dire confisqué par le trop de charges ».

Cette volumineuse correspondance Guiguet-Carrier-Navarre, de 1749 à 1752 surtout, serait une utile contribution à l’histoire ecclésiastique de Lyon, par maints détails, par maints éclaircissements qui vont au delà de la querelle. Il parut bien que les efforts de la vaillante supérieure n’aboutirent qu’à une dérision ; les ennemis puissants ne lui manquaient pas. Le 24 septembre 1749, dix-huit jours après son élection, on lui intima défense de la part du roi « de plus recevoir de novices jusqu’à nouvel ordre » et le soir de ce jour, sans autre délai ni formes, elle fut arrêtée par lettre de cachet et gardée en appartement. Un mémoire apologétique anonyme, paru en 1761, accuse de ce coup de force, plus encore que le cardinal de Tencin, dont on possède cependant des lettres affectueuses à Mme Guiguet, les puissants amis des Bénédictines de l’abbaye royale de Chazeaux, parce qu’elles avaient promesse qu’on leur ferait passer les biens de ces religieuses.

La mère Guiguet, ajoute le mémoire, avait d’excellents projets. Elle voulait : 1o Rendre louable une maison inutile au monastère, en portant les jours sur la place d’armes et en bouchant ceux qu’elle prenait dans le clos ; c’était mettre à profit six grandes chambres et une cave dont les réparations n’auraient pas coûté plus de 1.000 livres et dont la location n’aurait pas rapporté moins de 5.000 livres annuelles ; 2o tirer un honnête gain aussi d’un emplacement loué à quatre entrepreneurs cinquante livres par an et de deux chambres qui valaient 130 livres ; 3o tirer 200 livres d’une maison que ces mêmes entrepreneurs s’étaient engagés à élever dans l’emplacement de l’ancienne Maison-Brûlée. La supérieure comptait qu’elle ajouterait facilement à ces neuf cents livres quelques rentrées des innombrables pensions dont on lui devait tout ou partie. De plus, elle avait promesse solide de neuf nouvelles pensionnaires riches, et s’apprêtait, allégua-t-elle, à recevoir neuf novices riches lorsqu’on lui lia les mains. « Depuis douze ans que Mme Guiguet est réduite à rien par la lettre de cachet, conclut le mémoire, c’est 9.600 livres que le monastère a perdus ».

Cardinal de Tencin, archevêque de Lyon.

Passons promptement sur ces misères. L’arrêt de suppression et de réunion donné en conseil d’État, en date du 11 novembre 1749, avait été, à vrai dire, très bénignement rédigé. De réunion, il n’y en eut point et la dissolution ne fut qu’une demi-dispersion à laquelle veilla la mère Guiguet elle-même, après que, le 4 avril 1753, elle eut, en conséquence de l’ordonnance rendue par le cardinal de Tencin, le 22 novembre 1752, obtenu le consentement de ses religieuses à la réquisition du promoteur. Il va sans dire que sa captivité métaphorique ne s’était pas prolongée et que la lettre de cachet n’avait eu pour effet que de la tenir éloignée de l’administration du temporel. Ce consentement « qu’elle couvrit de ses larmes » fut donné en chapitre par elle et ses religieuses. L’abbé Bron signa comme vicaire général, official, commissaire, et Navarre, comme promoteur général.

Le vicaire général, Jean-Baptiste-Marie Bron, docteur en Sorbonne, chanoine de l’église paroissiale et collégiale de Saint-Paul et officiai du diocèse, procéda, dès le lendemain, « aux formalités et informations d’extinction ». Il y employa beaucoup de douceur. Plusieurs professes restèrent à la Divine Providence. Cette fausse situation dura, non pas douze ans, comme l’écrit le mémoire, mais quinze, sans que d’ailleurs la mère Guiguet renonçât, sous l’épée de Damoclès, à rebâtir, même à bâtir à neuf, à presser des locataires encouragés par la situation à l’oubli, sinon à la mauvaise foi. Un sauveur lui vint, pour prix de sa fermeté, dans la personne du sieur Duon, « personne riche et apparentée à nombre d’ecclésiastiques », raconte un libelle justificatif des actes du monastère de la Divine Providence, daté d’avril 1759, et sans nom d’auteur. L’éloge est mince : tout amateur de l’histoire ecclésiastique de Lyon sait que ce Charles Duon ne valait pas seulement par sa parenté, il valait par lui-même. Il fit une forte avance de quinze mille livres, prit des dispositions pour « se substituer en procès » aux religieuses. Peu à peu les pétitions de bourgeois et du peuple aidant, qui « se louaient surtout de l’utilité qu’il y avait à ne pas fermer la chapelle de la Côte-Brûlée, où l’on oyait les offices commodément, tandis que la paroisse était très loin, et d’où l’on lirait le saint viatique pour l’apporter aux malades et agonisants », les Bernardines furent regardées d’un œil plus favorable par l’archevêché et moins tracassées par les héritières présomptives.

Aussi bien, le déficit de leur budget diminuait fortement. À l’avouer sincèrement, il avait été de 1749 à 1753, malaisément réparable pour l’époque puisqu’à ces dates les revenus globaux du monastère de la Croix-Rousse se chiffraient par 3.587 livres et les charges par 22.804 livres. Dès 1767 l’écart était diminué des deux tiers. Que l’on n’imagine pas pour cela que les pauvres « semi-ressuscitées », ainsi qu’on les appela un peu cruellement, atteignissent à la prospérité, ou même à la tranquillité. Elles dissipèrent les préventions et les pires créanciers et se traînèrent jusqu’à la révolution, voilà tout.

Leur longue et variée correspondance montre, de 1769 à 1788, « un bon état provisoire », suivant les termes d’une lettre de 1771 de la mère Ferroussat et un recrutement de vocation au moins aussi noble et pieux qu’il l’avait été aux premiers jours. Elles se dispersèrent et cette fois toutes et pour toujours en avril 1790.


CARMÉLITES

Lyon, sous l’ancien régime, fut l’une des villes de France où fleurit le plus la vie religieuse. Les grands ordres s’y établirent de bonne heure, s’y déployèrent en beaucoup d’œuvres. Au xvie siècle, les institutions ou les réformes de réguliers ne furent, nulle part, mieux accueillies. Au xviie siècle, l’élan ne s’affaiblit pas : on en trouvera une nouvelle preuve dans la fondation à Lyon, à cette époque, du monastère des Carmélites déchaussées, des Thérésines comme le peuple les appela gracieusement, du nom de la rénovatrice du Carmel, la grande sainte Thérèse.

L’histoire de ce couvent a été trop minutieusement écrite déjà pour qu’on tente ici d’y rien ajouter : il suffira de la résumer. La réforme de sainte Thérèse s’étant répandue très promptement et très abondamment en France, elle ne tarda pas d’y former une puissante congrégation qui s’égala à celle d’Espagne. De 1604 à 1618, par exemple, on ne compte pas moins de dix-neuf maisons de l’ordre érigées un peu partout, dans l’Île-de-France comme en Guyenne, en Franche-Comté comme en Languedoc, en Normandie comme en Provence : celle de Lyon tient le quatorzième rang dans cette rapide chronologie.

Elle eut une origine temporelle très distinguée. On sait combien la famille de Villeroy s’unit longuement et intimement à l’histoire de notre cité. Six de ses membres furent gouverneurs de la province, de 1608 à 1791, et deux autres s’assirent sur le siège primatial des Gaules. Ce fut précisément le premier de ces gouverneurs, Charles de Neuville, seigneur d’Halincourt et marquis de Villeroy, qui fit venir, de Paris à Lyon, sept Carmélites réformées pour contenter la piété de sa femme Jacqueline de Harlay, autant que la sienne propre. Elles arrivèrent le 12 septembre 1616 et logèrent d’abord à Ainay, chez les Dames de la Visitation, d’où elles sortirent, le 9 octobre suivant, pour occuper le monastère qu’elles ne quittèrent plus qu’en 1792 et qu’elles durent à la munificence de Jacqueline, dont elles récompensèrent le zèle par le titre mérité d’insigne fondatrice. Leur première prieure, Madeleine de Saint-Joseph, dédia cet asile définitif à Notre-Dame de Compassion. Le lieu choisi faisait partie du territoire de la Gella, au sommet de la côte Saint-Vincent, qui prit dès lors le nom du nouvel établissement. Le terrain ressortait de la rente de l’abbaye d’Ainay en concours avec celle de Saint-Pierre. Le plan scénographique de Lyon au xvie siècle donne une idée exacte de ce qu’étaient alors la côte Saint-Vincent et le tènement de la Gella.

Parmi les anciens possesseurs des diverses propriétés acquises pour former l’enclos des Carmélites dans l’une des positions les plus agréables de la ville, mentionnons, à titre de curiosité, le père, le frère et le neveu de notre fameux poète féminin Louise Labé, dite la Belle Cordière. Ce nom même de Labé était un surnom des Charly, cordiers de génération en génération depuis plus d’un siècle. On voit nettement la situation et les développements primitifs de Notre-Dame de la Compassion dans le plan de Simon Maupin gravé par Velthem, en 1625, et publié par Claude Savary et Barth. Gauthier, en rue Mercière, à l’enseigne de la Toison d’or.

Il est impossible d’énumérer, dans cette brève notice, les annales de la communauté dès le début très fervente et florissante. Notons toutefois l’affranchissement de tous droits seigneuriaux consenti en sa faveur par le chapitre de Saint-Paul, le service solennel de Nicolas de Neuville, maréchal de France, les compliments et les présents offerts par le consulat à la prieure Madeleine-Éléonore de Jésus, née de Villeroy, arrière-petite-fille des fondateurs ; le vendredi 1er janvier 1717, la mort de Mme la maréchale de Villeroy ; la mort de Marguerite Le Tellier, femme de Nicolas de Neuville, duc de Villeroy et fils, du deuxième maréchal de Villeroy ; le service funèbre de Louis XIV ; les funérailles de François-Paul de Neuville de Villeroy, archevêque de Lyon ; enfin le Te Deum chanté en action de grâces du rétablissement de Louis XV, le 21 août 1721.

Il semble que la providence ait étroitement joint les destinées des Villeroy et de Notre-Dame de Compassion. La maison fondée par le père du premier maréchal de Villeroy presque en même temps que le dernier duc de ce nom qui fut aussi le dernier gouverneur de Lyon, Gabriel-Louis-François de Neuville, marquis puis duc de Villeroy, pour qui son oncle s’était démis de son gouvernement en novembre 1763, vit, en effet, l’Assemblée Constituante supprimer, par le décret des 20-25 février 1791, les places de gouverneur de villes et de provinces. Il assista à la ruine du monastère, à la destruction des splendides tombeaux élevés par Jacob Richier et Bidaul, dans la chapelle Villeroy, à la mémoire de ses ancêtres, et il mourut sur l’échafaud le 23 avril 1794. Les religieuses avaient quitté Notre-Dame de Compassion, dès le 4 octobre 1792, mais non sans la ferme résolution de persévérer, quoique dispersées par petits groupes, dans leur règle et dans la soumission à leur prieure. Cinq d’entre elles se réfugièrent dans une maison particulière près du rempart d’Ainay où vinrent les renforcer, pendant le terrible siège du 8 août au 9 octobre 1793, onze Clarisses aussi courageuses. Elles ne furent incarcérées que le 11 février 1794, sur leur refus de prêter le serment. On les mit en liberté trois jours après ; mais le 26 mars elles furent arrêtées de nouveau, et, le lendemain, envoyées au tribunal révolutionnaire. Condamnées à la détention, elles recouvraient leur liberté, le 19 novembre suivant, quatre mois après le neuf thermidor. Quelques-unes se rassemblèrent dans la maison de Jonage à Bellecour, sous la direction de l’ancienne prieure, la mère Goutelle.

Paul de Neuville de Villeroy, archevêque de Lyon.

En 1802, elles étaient douze, vivant pauvrement, ne se soutenant guère que d’aumônes. Le gouvernement impérial n’autorisait que les congrégations vouées à l’enseignement et au soulagement des malades : elles gardèrent donc, de 1804 à 1814, l’habit séculier. Le 6 janvier 1815 enfin, monseigneur Fesch leur rendit la clôture. Le carmel renaissait, non plus à l’antique Gella, mais à la montée Saint-Barthélemy, dans l’ex-maison de la Providence. En 1855, il fut transféré à Fourvière où il se trouve encore. L’église Notre-Dame de Compassion a été démolie en 1821. Les spéculations de quelques entrepreneurs ont fait disparaître ce monument remarquable, remplacé aujourd’hui par la maison qui porte le n° 20 sur la montée des Carmélites et les numéros 19 et 21 sur la rue Tolozan.

Bâtie, comme le monastère, aux frais de Nicolas de Neuville, premier maréchal de Villeroy, l’église coûta à celui-ci plus de 60.000 écus. Elle fut commencée en 1668 ; le vaisseau fut achevé dès 1670, mais la façade ne fut terminée qu’en 1682.

L’archevêque Camille de Neuville en dirigea la construction et en fit la consécration, le 30 novembre 1680. Il présida aussi à l’édification de la chapelle Villeroy. Le plan, levé en l’an XIII, par les architectes Turrin et Durand, montre le détail intérieur du monastère : l’église et la chapelle attenante, la cour à l’occident, à l’orient le vaste chœur, la sacristie et deux cours en liane achevant le carré, au nord le jardin de grande étendue.

L’ensemble offrait de la symétrie et assez de majesté. Le portail de l’église était d’une composition singulière. La partie d’en bas n’avait d’autres ornements que deux niches qui accompagnaient la porte et un entablement dorique surmonté d’un fronton où paraissaient les armes de la maison de Villeroy. La partie supérieure était formée de pilastres ioniques supportant un grand fronton circulaire avec une croix au sommet. Au-dessous du grand vitrail était lui groupe sculpté représentant le Sauveur mort entre les bras de sa mère, un des bons ouvrages de Bidaut. À l’intérieur, régnait l’ordre corinthien : Blanchet, qui avait donné le dessin du grand autel, y avait gardé cet ordre auquel il ajouta seulement deux colonnes de marbre rouge de Savoie, en avant-corps, avec base et chapiteaux dorés. On voyait, au-dessus du fronton qui terminait cet avant-corps, le prophète Élie enlevé dans un char sur des nuées et laissant tomber son manteau entre les mains de son disciple Élisée, dont la figure se trouvait placée dans l’une des niches latérales de l’autel, et faisait de la sorte pendant à celle de sainte Thérèse placée dans l’autre niche. Ces figures en stuc étaient de Bidaut, d’après Blanchet. Le tableau du grand autel, une Descente de croix, avait été commencé par des élèves de Le Brun, mais entièrement retouché de la main du fameux peintre. Le tabernacle était tenu pour la plus belle pièce du royaume en ce genre : il avait été fait à Rome sur le dessin du Bernin, et les sculptures en bronze doré en avaient été jetées sur les modèles du même artiste.

« L’ordonnance de cette petite fabrique, écrit Clapasson, est des plus élégantes. La partie du milieu qui fait un avant-corps pour servir de niche à l’exposition du Saint-Sacrement, est sur un plan de forme moitié convexe et concave et accompagnée de quatre colonnes corinthiennes accouplées de marbre serpentin d’une grande beauté. Les pilastres, derrière les colonnes, sont de différents jaspes de même que le corps de la niche dont le fond, en perspective dégradée, est rempli par un groupe de trois figures : Jésus-Christ au milieu des pèlerins d’Emmaüs. Les deux ailes sont formées chacune par une ordonnance de trois colonnes, aussi de serpentin, avec des niches de différents marbres rares occupées par les statues des quatre évangélistes ; l’entablement, au-dessus, est surmonté d’un attique avec des figures d’anges qui portent des encensoirs. »

Ce furent les Carmélites qui firent venir ce tabernacle de Rome, afin de seconder de leur mieux le zèle des Villeroy pour la décoration de leur église. « La chapelle des Villeroy, continue Clapasson, est décorée du même ordre mais en plus petit volume. Le tableau de l’autel, où l’on voit les bergers à la crèche, est d’Houasse, l’un des meilleurs élèves de Le Brun ; les deux colonnes corinthiennes qui forment les retables sont élevées sur des piédestaux et soutiennent un fronton sur lequel deux anges sont assis. Le mausolée le plus proche, à gauche de l’autel, est celui de la marquise d’Halincourt, fondatrice du monastère ; on ne peut aller plus loin pour la délicatesse du ciseau et la recherche du travail, mais le dessin est très médiocre. » L’inscription qui y était jointe se réduisait à un abrégé des titres, qualités et emplois de la fondatrice. Le mausolée de Charles de Neuville était érigé au fond de la chapelle, vis-à-vis de l’autel. L’époux de Jacqueline de Harlay figurait en bronze, agenouillé sur un tombeau carré, qui adossait un petit corps d’architecture également en bronze ; le reste était de marbre noir. Ce fut à Richier, et non Richer, comme l’écrit Clapasson, sculpteur et médailleur lorrain qui séjourna à Lyon en 1619, en 1631 et en 1635 que l’on doit les deux monuments.

Chapelle intérieure des Carmélites.

Le tombeau du premier maréchal de Villeroy surpassait fort les autres, et pour le goût et pour l’exécution. La statue, ornée du vêtement de l’ordre du Saint-Esprit, était en marbre parfaitement travaillé. La Prudence et la Religion personnifiées l’accompagnaient ; le tout était adossé à une arcade feinte décorée selon un art discret, et terminé par les armes des Villeroy. Guichenon a conservé l’épitaphe quelque peu emphatique mais intéressante composée par l’archevêque Camille de Neuville, lequel présida à l’érection, ainsi que l’apprennent les deux dernières lignes précisément omises par Clapasson qui laisse ainsi ignorer la date. Plus tard on plaça au-dessus du tombeau un grand tableau allégorique de Grandon : des seigneurs et des prélats de la maison de Villeroy peints au naturel entouraient la Religion triomphante.

Voici, pour finir, les dimensions de l’église et de la chapelle telles que les donne Delamonce dans ses Observations critiques sur trois églises de cette ville, celles des Carmélites, de l’Oratoire et de Saint-Antoine, et dans ses Observations critiques sur cinq églises modernes de cette ville, savoir : celles de la Charité, de l’Hôtel-Dieu, des Carmélites, de Saint-Antoine, de l’Oratoire ; ce sont là deux manuscrits conservés à la bibliothèque de Lyon et qui furent lus par le savant architecte à notre Académie des Beaux-Arts, le 8 mars 1747 et le 12 mars 1749. Il va de soi que cette évaluation est en pieds de Lyon ou pieds de ville qui égalaient 33 centimètres. La longueur de l’église : 99 pieds, largeur 41 ; chapelle de Villeroy, longueur 48 pieds, largeur 29.

Il est regrettable que nous ne possédions pas la moindre gravure, le moindre dessin de l’intérieur intégral du monument, ni moyen d’y suppléer. Nous n’avons plus que le plan de l’intérieur, annihilé par la ruine des tombeaux et des autels qui en corrigeaient le défaut de proportions, le plan dressé en l’an XIII par les architectes Turrin et Durand.

Quant à la façade, on la connaît par le dessin qui se trouve en marge du plan de Lyon levé et gravé, en 1735, par Séraucourt et par la description de Clapasson.

La Vierge enfant. (Chapelle des Carmélites)

La chapelle des Carmélites possédait de beaux objets d’art, on en a déjà cité quelques-uns, il sera intéressant d’en faire connaître plusieurs autres mentionnés dans l’inventaire dressé par les officiers municipaux, le 13 septembre 1792 : « Deux burettes et leur plateau d’argent ; un calice d’argent, un petit calice en vermeil ; leur bourse en étoiles damas galonnés or ; une navette en argent avec son cuillier ; un encensoir, sa navette et son cuiller en argent ; un ostensoir d’argent ; trente-trois chasubles galonnées en fin avec leur étoffe, manipule et voile de calice ; six autres chasubles en soie de diverses couleurs galonnées en faux ou en soie ; dix dalmatiques avec leur étole ; trente parements en fin, en faux et en soie grands et petits ; huit chapes avec leur étole galonnées en fin ; sept douzaines d’aubes. Dans la chapelle oratoire : un autel en bois avec un grand tableau et trois autres petits. Dans la salle du chapitre : un autel en bois ; quatre chandeliers en bois doré ; cinq tableaux et huit bancs. Dans la salle de récréation : six tableaux ; une grande table : une Vierge en marbre sur son piédestal. Dans la chapelle oratoire : un autel en bois doré, avec un tableau au-dessus de l’autel ainsi que quelques autres tableaux. »

La Révolution avait dispersé momentanément les Carmélites ; en 1804, la communauté se reconstitua plus vivante que jamais. La colline de Fourvière attira plus tard leur regard, et elles s’y fixèrent en 1855. Les préparatifs avaient débuté cinq ans auparavant par la construction de la chapelle, commencée en 1850 sur les plans de M. Benoît. La première pierre fut bénite en 1833 et l’église elle-même en 1857 par le cardinal de Bonald. Une restauration a été faite en 1899 sous la direction de M. Bethenod, par M. Blin, peintre décorateur.

Lorsqu’on pénètre dans la chapelle, on est frappé de ses dimensions bien proportionnées : elle mesure vingt-deux mètres sur neuf, et le chœur lui-même plus de six mètres de long ; elle n’a qu’une seule nef, et ne possède pas de chapelles, son style est du roman de bonne époque. Dans le chœur se voit le maître-autel en marbre blanc, taillé par le sculpteur Fabisch avec un bas-relief, représentant la mise au tombeau du Sauveur. Audessus se trouve un beau tableau du peintre lyonnais Blanchard, représentant sainte Thérèse ; par côté se voient des fresques de Blin : des anges adorant le monogramme du Christ. Dans la nef sont suspendus plusieurs tableaux, dont voici l’énumération : la bienheureuse Marie de l’Incarnation, saint Augustin, Notre-Dame de Pitié, la mort de saint Joseph, le Christ après sa flagellation, l’ange Raphaël conduisant Tobie, la Sainte Famille, une autre Sainte Famille, Jésus-Christ apparaissant à saint Jean de la Croix, saint Michel. D’intéressants vitraux éclairent la nef, ils sont l’œuvre d’Émile Thibaud, en 1857. et représentent : saint Michel et saint Raphaël, saint Jean-Baptiste et saint Élie, la Vierge et saint Joseph, sainte Thérèse et saint Jean de la Croix, saint Jean l’Évangéliste et sainte Madeleine. Dans la nef un gracieux petit édicule est dédié à la Vierge enfant. Sur la façade, se voit une belle statue de Notre-Dame du Mont-Carmel, œuvre de M. Brûlat ; enfin dans la sacristie, de beaux ornements sacerdotaux du xviie siècle, remarquables de conservation et provenant de l’ancien monastère.


SAINTE-CLAIRE

Le 11 août 1253, deux jours avant la mort de sainte Claire, le grand pape Innocent IV apportait à la fidèle disciple du stigmatisé de l’Alverne la bulle par où il lui conférait le privilège unique en son genre qu’elle avait tant sollicité de lui, le privilège de la sainte pauvreté telle que François d’Assise lui-même l’avait pratiquée. Cinquante et un ans plus tard. Blanche de Châlon, douairière de Belle ville, veuve de Guichard X, sire de Beaujeu, et femme de Béraud IX, sire de Méricour, fonda, dans la capitale chrétienne des Gaules, un second monastère de Pauvres Dames : elle avait établi le premier à Brienne-les-Anse. Auparavant les frères Mineurs avaient eu leur premier établissement de France à Pouilly-le-Monial, puis en 1215 à Villefranche. Il n’y a donc que justesse dans ce propos d’un docte évêque du xviie siècle : « La province de Lyon est terre franciscaine. » Le monastère proprement lyonnais s’appela dès l’origine la Déserte, du nom de la maison avec verger et vignes où le mit la puissante douairière et qu’elle avait acquise, dès 1296, dans un faubourg dépendant de la paroisse de la Platière.

Blanche fit venir de Sainte-Marie de Brienne dame Jeanne Dupuy, première abbesse, avec trois religieuses qui arrivèrent le 15 août 1304 ; quatre autres religieuses, aussi de Brienne, vinrent rejoindre les premières le 29 septembre. Blanche de Mercœur, veuve une seconde fois, dota l’abbaye pour elle et pour d’autres dames professant la vie religieuse. La deuxième abbesse fut Mative de Durchia en 1319, la troisième Huguette de Dieux, la quatrième Jeanne de Durchia.

De son second mariage la fondatrice avait laissé un fils Béraud, qui devint Béraud X de Mercœur et l’un des personnages importants de son époque. Gouverneur militaire de la ville et du comté de Lyon, il aimait fort la Déserte et avait acheté, pour lui en faire don, un vaste tènement. Mais les Clarisses ne jouirent de la libéralité de leur protecteur que bien des années après, car le comte d’Auxerre y mit obstacle, dès la mort de Béraud X, et se fit attribuer la belle propriété où se trouve actuellement le Jardin des plantes. Il leur advint pis : Blanche de Châlon, par sa piété, n’avait pu se résoudre à laisser dans leur sublime pauvreté les religieuses qu’elle avait adoptées ; d’autre part l’archevêque Louis de Villars, soucieux d’obéir à la fameuse décrétale de Boniface VII, première loi universelle de la clôture pour toutes les moniales, prétendait que toutes, jusqu’aux sœurs que la règle de sainte Glaire autorisait à sortir pour le service du monastère ou pour la quête, fussent cloîtrées, et dès lors il menaçait de s’opposer au séjour des Pauvres Dames à Lyon si elles n’avaient pas un revenu assuré. Les Clarisses, n’ayant à choisir qu’entre la renonciation à leur plus cher privilège et l’exil hors d’une cité que la Providence leur avait visiblement destinée, acceptèrent les biens fonds et pécuniaires qu’on leur offrait.

Mais il était inévitable que leur ferveur s’atténuât, que leur fidélité cà leur propre règle fléchît ; elles ne tardèrent pas à tomber dans un état de vie ambigu. En outre, par suite des guerres du xve siècle, elles furent privées des avantages temporels qui avaient été la première cause de leur relâchement et une ironie cruelle des conséquences de cette faute leur fit abandonner la clôture même qu’elles y avaient prétextée. Après la clôture, ce fut leur habit qu’elles quittèrent pour celui des Bénédictines, et, en 1501, Catherine IV de Vallieux, vingt-quatrième abbesse, obtint du pape Jules II une bulle qui les mil sous le régime signifié par leur vêtement noir : elles devinrent complètement Bénédictines et vécurent dès lors de l’enseignement des petits enfants jusqu’en 1623. À cette date, elles recommencèrent à déchoir, tant au spirituel qu’au temporel, jusqu’à ce que, sous le pontificat d’Urbain VIII et moyennant une bulle de ce pape, madame de Quibly, abbesse, les rendit à l’observance de leur seconde règle mais mitigée.

Un Villars avait, avec les meilleures intentions du monde, détourné le premier essai de sainte Glaire, de Lyon : un autre Villars, on va le voir, fut meilleur auxiliaire des filles de saint François.

Le 15 janvier 1598, sept Clarisses Coletines partirent à pied du monastère de Bourg pour fonder à Lyon une maison de leur stricte réforme ; elles cheminèrent tout le jour et parvinrent vers le soir en un village nommé Pouilla dont les habitants s’étaient enfuis par la crainte des soldats du duc de Savoie qui approchaient, en sorte qu’elles ne trouvèrent pas un morceau de pain à manger et veillèrent la nuit dans de continuelles alarmes. Le lendemain, 16 janvier, elles se dirigèrent vers la petite ville de Bagé. M. de Lusinet, gouverneur huguenot, fut touché de leur détresse, et pour les servir charitablement, les fit conduire sans retard à Mâcon où M. Ligeret, officiai, les garda dans sa maison jusqu’au 12 mars. Un instant, elles purent espérer que les Maçonnais leur bâtiraient un monastère, mais la guerre de Savoie les avait ruinés et les Protestants s’étaient multipliés parmi eux. Nos pèlerines poursuivirent leur route, non sans avoir grossi toutefois leur paisible armée d’une recrue d’élite, Louise des Clefs, issue d’une des premières et des plus riches familles de Langres, et qui, à la vue de leurs privations, s’était hâtée d’embrasser la sainte pauvreté dont elles faisaient une si rude épreuve. Elles s’embarquèrent sur la Saône qu’elles descendirent lentement et elles arrivèrent aux portes de Lyon le 15 mars.

Chapelle des Sœurs Sainte-Claire.

Elles se croyaient aux termes de leurs souffrances : mais il n’en était pas ainsi. L’accès de la ville était, à cause de la guerre, rigoureusement interdit à tout étranger non muni d’un passeport signé du gouverneur de Lyon ; on se doute qu’elles ne possédaient pas cette pièce, aussi furent-elles contraintes de rester exposées à un froid très vif sur leur mauvaise barque. Louise des Clefs, que l’on appelait déjà sœur Louise, les tira d’embarras : elle finit, à force d’instances, par obtenir d’entrer seule dans la ville et plaida si bien la cause des pauvres religieuses auprès du gouverneur, M. de La Guiche, que celui-ci, touché de compassion, leur délivra le passeport tant désiré. Elle revint en courant à ses compagnes et s’empressa de les mener chez un sien oncle, M. des Clefs, qui leur accorda l’hospitalité la plus large. Voilà dans quel mince appareil les Clarisses conquirent définitivement Lyon ; mais elles étaient assurées que les bons commencements sont toujours marqués par les épreuves. Après avoir été, cinq jours durant, les hôtesses des nobles Bénédictines de Saint-Pierre, elles acceptèrent plus volontiers l’offre qu’un pieux artisan italien de Lucques, nommé providentiellement Guide, leur fit d’une petite maison qu’il possédait dans la rue Buisson, contiguë au couvent franciscain de Saint-Bonaventure. Peu de jours après, le père Roux, provincial des Frères Mineurs, se mit en quête de pourvoir à leurs besoins : ayant recueilli quelques aumônes, il accommoda la maisonnette du mieux qu’il put à leur profession et leur fit d’une grille une clôture dans un appartement du rez-de-chaussée, où elles disaient l’office et d’où elles entendaient chaque jour la grand’messe à Saint-Bonaventure, car il n’y avait pas de chambre qui pût être convertie en chapelle.

Elles habitèrent seize mois dans ce misérable réduit, sans meubles que ceux que leur prêtait signor Guido, très médiocrement fortuné lui-même. Lyon, soumis depuis quatre ans seulement à Henri IV, commençait à peine à réparer les dommages de l’occupation protestante : combien d’églises et de monastères pillés, de reliques profanées, de familles décimées et que de traces encore fraîches du martyre de plusieurs prêtres et religieux ! Joignez à cela que, précisément lorsque survinrent les Clarisses, des dissentiments divisaient les Frères Mineurs de la province de Saint-Bonaventure, difficultés dont elles ne manquèrent pas de ressentir l’effet.

L’heure enfin sonna du soulagement mérité : un jour que sœur Louise, dont le noviciat avait été abrégé par ces longues tribulations et dont le progrès intérieur devançait les vertus des plus solides professes, s’abîmait en oraison, à son ordinaire, en l’église Saint-Bonaventure, elle se sentit pressée de Dieu de recommander ses sœurs au pieux président de Villars, l’un des meilleurs et plus actifs amis du couvent des Cordeliers, et qui était à cette heure agenouillé sur son prie-Dieu avec sa digne épouse. Elle l’aborda timidement à sa sortie de l’église, puis 1 éloquence de la vérité affluant à ses lèvres, elle supplia « si droit et si chaud » que M. de Mllars, remué en son intime, dit à sa femme : « Madame, prenons soin de ces pauvres religieuses » ; à quoi Mme de Villars, loin d’y rien objecter, s’accorda de grand cœur, raconte un écrivain contemporain dont on regrette de ne pouvoir citer plus abondamment le savoureux récit. Tous deux donnèrent jour à sœur Louise pour lui parler en leur maison ; l’ayant entendue de nouveau, ils arrêtèrent entre eux que les Clarisses sortiraient de la maison si incommode qu’elles habitaient pour être mieux logées.

Sans délai M. et Mme de Mllars cherchèrent un lieu propre à abriter les filles de saint François et après en avoir délibéré, ils choisirent l’ancienne recluserie de la Madeleine, située à mi-côte de la colline en la montée du Gourguillon. Là, depuis des siècles, des solitaires s’enfermaient dans une maisonnette entourée d’un étroit jardin et attenante à une église dédiée à sainte Madeleine.

Le 23 juillet 1599, Mme de Villars conduisit elle-même en carrosse ses chères Clarisses dans leur humble solitude. « La rue de Gourguillon, écrit le franciscain Fodéré, est fort mal famée et il s’y fait toute la nuit un grand bruit de scandales et de batteries ; d’ailleurs la montée est si rapide que l’été on ne peut y faire cent pas que l’on ne soit tout en eau et l’hiver la neige et le verglas la rendent inaccessible ; ce qui arrive également à l’époque des pluies, car elle n’est plus alors qu’un torrent. En sorte que les personnes de qualité et de moyens, qui, en visitant les religieuses, auraient pu leur faire du bien, n’allaient que rarement dans ce monastère. Le dedans du couvent était, de plus, si étroit pour être borné d’un côté par la rue et de l’autre par le précipice qui donne sur la rue Saint-Georges, qu’il n’y avait pas deux appartements de plain-pied, les bâtiments penchant comme le terrain. » Le chroniqueur se plaint aussi « que la vue de Bellecour où se mènent jeux et passe-temps, de la Saône où l’on se baigne l’été et qui est toujours couverte de bateaux qui montent ou qui descendent, puisse détourner les religieuses de leurs méditations, car selon l’institution de leur ordre, elles ne doivent voir que le ciel en haut et que le dedans de leur monastère en bas et enfin, conclut-il, après d’autres menus griefs, le roc sur lequel est situé le monastère est si dur qu’on n’y pourrait faire des fosses pour y sépulturer les pauvres Dames, en sorte qu’après avoir gardé fidèlement la clôture pendant la vie viles la rompraient après leur mort. « Beaucoup de ces inconvénients sans doute, n’avaient pas été moins discernés par M. de Villars ; mais encore ne suffit-il pas en toutes choses, pour réaliser le meilleur, de le connaître.

Intérieur de la chapelle des Sœurs Sainte-Claire.

On apprêta une chambre ouverte sur la rue, qui devint une chapelle ornée surtout de pauvreté ; on mit au-dessous le logis des converses, le tour fut installé dans une autre rue si rapide à descendre et si raide à monter qu’une personne seule et sans appui n’y pouvait accéder que très malaisément. La maison fut telle quelle érigée en monastère par l’autorité de François de Sosa, général des Franciscains, le 31 octobre 1602. La première abbesse fut Antoinette de la Moutonnière que favorisa l’archevêque, monseigneur de Bellièvre. Le président Balthasar de Villars et Mme la présidente furent confirmés dans leur titre de père et mère spirituels — on dirait aujourd’hui temporels — par le père Besson, vicaire de la province et délégué du général de l’ordre. Leur dévouement s’accrut encore : ils firent exécuter sur la rue Saint-Georges, au-dessus du précipice, de grandes et belles arcades, pour recevoir une terrasse où ils voulaient bâtir l’église ; puis ils abandonnèrent le projet, à cause des dépenses énormes à engager. Où rencontrer, dans le bas de la ville, un emplacement propice ! Ce fut dans une dépendance de l’abbaye d’Ainay, en face précisément de la montée du Gourguillon. Là, se trouvait une propriété dite de la Palmiel-Bâtie, du nom du seigneur de Pierre Palmiel de La Bâiie, chevalier et chambellan des ducs d’Anjou et d Alençon, qui l’avait achetée aux échevins. Auparavant, François Ier, à qui le consulat l’avait donnée, pourvue d’un très beau jeu de paume, l’avait rendue à la ville, parce que son fils aîné François, duc d’Orléans, prince de grande espérance, y avait été empoisonné en 1526, par Sébastien Pelo de Monte Cuculo, comte de Ferrare. Le président de Villars obtint facilement cession de l’emplacement : ce lieu ne rappelant que malédiction. « La bénédiction y succédera », affirma madame de Villars. Le contrat de vente fut passé à l’hôtel de Villars en janvier 1616 ; le président paya partie de ses deniers, partie de ceux d’un autre bienfaiteur, M. Poculot, seigneur de Sandar et bourgeois de Lyon.

En mars de la même année, Denis Simon de Marquemont, archevêque de Lyon, accompagné de bon nombre de personnes, tant ecclésiastiques que laïques, vint planter la croix ; ce jour non écoulé, Camille de Neuville, abbé d’Ainay et plus tard archevêque de Lyon, et le marquis de Villeroy, tous deux frères de monseigneur d’Halincourt, y posèrent la pierre fondamentale avec toutes les solennités requises. On s’employa incontinent à construire le monastère : l’église fut élevée sur les fondations même du jeu de paume, car, écrit Lamure, « elles étaient si fortes et si merveilleusement bien faites, qu’on ne put jamais venir à bout de les rompre, ce qui obligea de laisser l’église beaucoup plus spacieuse qu’on ne l’aurait voulue. Dieu permettant ainsi que le lieu où il avait été si grièvement offensé fût tout entier transformé en un nouveau temple où ses louanges retentiraient jour et nuit ».

Le 11 novembre 1617, les Clarisses se transférèrent à leur nouveau monastère sous la conduite du père Fodéré. La messe fut chantée au grand autel de l’église. Celle-ci ne fut toutefois consacrée que le 22 mai 1622, par monseigneur de Marquemont. Les Pauvres Dames entrèrent alors dans une assez longue période de tranquillité matérielle et spirituelle, troublée cependant, çà et là, par des menaces de bourrasques dont la Providence dispersa, à point nommé, les approches. Elles passèrent sous la juridiction diocésaine, se gardèrent du gallicanisme et du jansénisme, grâce à d’excellents frères Mineurs qui leur donnèrent le secours de leur science ; elles furent gouvernées par des abbesses de mérite telles que les mères Bonjour, Marie-Anne de la Croix, Marie du Saint-Esprit, Alexis, cette dernière véritable réformatrice de l’esprit intérieur, dans la seconde moitié du xviiie siècle, au moment « où le relâchement gâtait au cœur les plus beaux fruits de la vie conventuelle », pour reprendre une phrase fameuse de l’abbé Proyart, témoin bien informé.

Au début de la Révolution, la chapelle des Clarisses possédait peu d’objets de valeur, si l’on s’en rapporte à l’inventaire dressé par ordre de la municipalité le 22 septembre 1792. On ne remarque en effet dans cette énumération que les objets suivants dignes d’être cités : un grand tableau, don de Louis XIV et un deuxième, don de Louis XV, tous deux placés au-dessus de l’autel, quatre autres dans le réfectoire ; dans le chœur on voyait également six grands tableaux et trois petits, enfin les chapelles de l’église possédaient des toiles dont le sujet reste ignoré, l’inventaire ayant été fait de façon vraiment trop sommaire. Probablement d’ailleurs un certain nombre de choses précieuses avaient été mises en sûreté et soustraites à cet inventaire.

Lorsqu’éclata la Révolution, non plus badine, mais sérieuse et sanglante, elles avaient pour abbesse Marie de l’Ange Gardien, fille de M. Chazelle, négociant lyonnais, laquelle les voua au Sacré Cœur de Jésus. Expulsées le 2 octobre 1792, elles se réfugièrent au quartier d’Ainay dans la maison de M. Saunier qui s’était fait, dans un honnête dessein, le visage, les allures et les propos d’un citoyen farouche ; elles y restèrent jusqu’en février 1794, — leur habile protecteur ne pouvant plus alors les défendre. Elles furent arrêtées avec les Carmélites qui partageaient leur asile. La mort de Robespierre les délivra : elles revinrent chez M. Saunier dans la pauvre maison de réunion, suivant l’heureux vocable qu’elles avaient adopté et que conserva leur premier acte de vêture daté du 24 avril 1806, et présidé par M. Cholleton, vicaire général de Lyon. Ce fut aussi M. Cholleton qui agréa pour aumônier du monastère représenté de la sorte, l’abbé Ravary, prêtre parisien, dont la modestie égalait la science et le zèle.

Les Clarisses apprirent, dans leur retraite, la canonisation de sainte Colette, leur seconde fondatrice. Il s’était écoulé 336 ans depuis les premières informations de son procès : on était au mois de Mai de l’année 1807 ; le 2 juillet, par la charité de Mme de La Barmondière et d’autres personnes généreuses, elles recouvrèrent les douceurs et les sécurités de la clôture. On leur donna pour monastère l’ancienne maison de l’aumônerie des Visitandines, à l’ouest d’un jardin assez spacieux, rue Sala. Ce jardin était embaumé du souvenir de saint François de Sales qui s’y rendit maintes fois ; le logis exigu et médiocre leur sembla dès lors un palais, le palais de la vie régulière recouvrée ; elles ne cherchèrent pas mieux. L’inondation de 1840 put seule les disperser quelques jours ; ni 1848 ni 1871 ne les remirent sur le chemin de l’exil. Elles n’ont guère ajouté à cette demeure sans doute définitive. Leur seul luxe, et un peu contre leurs scrupules de simplicité franciscaine, a été l’érection de la nouvelle chapelle par l’architecte Claudius Jamot, à la place d’un bâtiment qui faisait partie de l’ancienne résidence des Jésuites et qu’elles acquirent en 1869 ; la chapelle primitive était d’ailleurs lézardée et menaçait ruine ainsi que les vieilles masures de l’aumônerie des Visitandines ; en outre l’alignement de la rue Sala eût, tôt ou tard, nécessité sa destruction. Son plus bel ornement, d’ailleurs, lui a survécu : c’est le grand tableau placé, depuis 1893, au-dessus de la grille du chœur de la nouvelle chapelle et qui représente sainte Claire arrêtant les Sarrasins.


CHAZEAUX

Ce monastère, comme quelques autres, fut une conquête de saint Benoît sur sainte Claire, ou, à le dire sans métaphore, passa de la règle franciscaine à la règle bénédictine, moitié pour son relâchement, moitié pour sa situation matérielle, qui d’ailleurs avait causé plus qu’à demi son relâchement. On pourrait rappeler dans la même province de Lyon, pareille mésaventure qui advint à une maison du même ordre. On citerait d’ailleurs peu de couvents de Pauvres Dames qui, liées, par des largesses reçues, à des bienfaiteurs même discrets, ont put conserver leur vie propre.

Celui de Chazeaux en Forez ne fit pas exception à cette sévère logique. Il n’avait, non plus que d’autres, dérogé au régime essentiel de la pauvreté, à la non-possession de biens : mais encore s’y ménageait-on pour la subsistance au delà de ce qu’il eût fallu, sans doute, et le mêlait-on aussi à des embarras de délimitations, de procédure, de partages qui ne pouvaient que troubler sa paix et le mener à la ruine. Saint François d’Assise voyait et prévoyait juste, comme toujours, lorsqu’il craignait plus d’incertitudes pour ses fils et ses filles des hasards de successions d’héritage, que de la mendicité.

Le monastère de Chazeaux fut fondé, en faveur des religieuses de sainte Claire, par Luce de Baudiner, dame de Cornillon, le 19 septembre 1302. La seigneurie de Cornillon établie en haute, moyenne et basse justice, dès 1240 tout au moins, était une ample et riche terre dont Luce de Baudiner prétendit faire une belle part, soit en revenus, soit en privilèges, à ses moniales préférées auxquelles l’attachait surtout sa fille Jeanne, l’une de leurs professes les plus distinguées. On conserve la copie collationnée de cet acte de fondation passée au château de Beaurepère, devant Jacques Tanard, conseiller du duc de Bourbon et d’Auvergne, comte de Forez, frère Barthélémy de Saint-Pierre, prieur de Toutzaulx, Jean Berthos, de l’ordre des Frères-Prêcheurs, Jean Fabre, gardien des frères Mineurs d’Annecy, noble homme Athaud de Revézel, chevalier, maître Pierre du Vernet, jurisconsulte, maître Jacques Socher, notaire public de Mazaulx et Jean de Riézel, écuyer.

D’autre part, les archives de Chazeaux ont gardé la traduction par Le Moine, archiviste du chapitre métropolitain de Lyon, de toute la série de divers titres et pièces concernant la seigneurie de Cornillon et le monastère de Chazeaux, pièces importantes en ce qu’elles sont certifiées extraites du cartulaire du premier monastère. On n’en citera ici que l’attestation des droits de haute, moyenne et basse justice de la seigneurie de Cornillon, dont le château est situé dans le ressort de la sénéchaussée de Lyon, hors du bailliage de Tallanes et proche les confins et limites du même bailliage, signée Pellicier, notaire royal, la ratification de cette attestation par la dame du Cornillon, enfin le consentement par la même dame des échanges entre le prieur de Firminy et Jourand de Lauras dit Perceval, seigneur de Feugerolles, le 3 mai 1334. Cette ratification, pour claire quelle nous paraisse, n’en fut pas moins la source sans cesse jaillissante des mille et une difficultés du monastère. Les prieurs de Firminy notamment ne se lassèrent pas de contester la qualité des échanges consentis par leur prédécesseur à Jourand de Lauras, prête-nom des Clarisses et de la noble fondatrice. Presque à chaque renouvellement de prieure, ils chicanaient tant sur le profit des fonds de Firminy malencontreusement cédés, que sur les litiges de juridictions chevauchantes en deux pays, que leur causaient les fonds qu’ils avaient reçus en retour.

Les curieux de procédure auraient bonne proie dans ces interminables dossiers dont la philosophie est d’ailleurs que le prieuré de Firminy s’obéra, s’altéra et que les Pauvres Dames s’appauvrirent de leur vocation jusqu’à en souhaiter une différente. Dès 1409, elles adressent au général des frères Mineurs une requête en mitigation des vœux et des règles. On sait ce que signifiaient ces euphémismes qui n’allaient pas sans apostilles suspectes de voisins désireux de confisquer pour protéger. Toutefois cette requête ne montre qu’une crise passagère. À la fin du xve siècle encore, Chazeaux-en-Forez persévérait dans une ferveur franciscaine très estimable, et si, au commencement du siècle suivant, il ne voulut pas de la réforme de sainte Colette, il appuyait son refus de respectueuses raisons d’opportunité et de circonstances qui ne sont pas à mépriser. Nous le voyons à une lettre collective des sœurs, du 14 janvier 1707. Les signataires, au nombre de vingt-huit, fortifièrent cette lettre d’une traduction du privilège ou induit adressé par Jean XXII à Luce de Baudiner, en 1332, que la copie authentique du cartulaire rapporte incomplètement et inexactement parmi les pièces subsidiaires de fondation et dont voici traduits les passages notables. « Nous avons favorablement écoulé votre supplique contenant que vous aviez autrefois fait construire, à vos dépens, une chapelle ou église au lieu vulgairement appelé de Chazeaux, au diocèse de Lyon, du consentement de l’archevêque diocésain, pour le repos de votre âme, de celles de vos père et mère, de vos parents et que vous aviez obtenu du même archevêque la permission d’y faire célébrer les saints mystères et l’office divin, qu’ensuite étant portée d’un grand attachement pour l’ordre de Sainte-Claire, vous désiriez ardemment faire construire, aux environs de cette chapelle ou église, un monastère dudit ordre : nous vous accordons par noire puissance et autorité apostoliques, la faculté pleine et entière d’édifier ledit monastère avec un cimetière et les lieux réguliers nécessaires. Donné à Avignon, le 2 mars. »

Le monastère des Chazeaux, à Lyon, d’après le plan de Simon Maupin (xviie siècle).

N’empêche que la tempête n’était pas loin. On accusait de différents côtés le couvent de ne pas se contenter de la rente que lui avait donnée à jamais la dame de Cornillon : il produisit l’acte d’enquête du notaire royal et juré de la cour, Jacques de la Vergère, au nom de Pierre de Savoie, archevêque de Lyon, et l’attestation jointe que cette rente suffisait, et celle des états de dépenses inférieures aux recettes depuis ce temps. On ignore l’histoire de la période qui suivit, période de transitions et de difficultés, si l’on en croit l’acte d’une visite du promoteur du diocèse en juillet 1533, où on lit : « Les religieuses ne savent plus à quelle autorité et discipline il faut quelles s’adonnent pour se réparer. »

Comment s’opéra la translation ou la réunion : on ne le sait au juste ; on ne retrouve des fragments des annales de Chazeaux qu’en avril 1576, en une formule de réception dressée par dame Turons de la Garde, après décès de la dame d’Amanzé, par l’archevêque de Lyon Pierre d’Épinac. Dans ce document, le monastère est qualifié de « récemment agrégé au plein ordre de Saint-Benoît », ce qui signifie : au régime de l’archi-abbaye du Mont-Cassin, et le 21 août 1619 enfin « l’abbaye de Chazeaux est transférée à Lyon, tout en conservant ses fonds en Forez, Beaujolais et Velay », dit la lettre renonciatrice et démissoriale du duc de Ventadour, dont Chazeaux quittait pour partie la juridiction ; celle d’Annonay, province du Languedoc dont Ventadour était lieutenant général. Dans quel but ? Le voici, d’après le document : « la nouvelle abbesse de Chazeaux, qui est une religieuse tirée de l’abbaye Saint-Pierre de Lyon, veut réformer ladite abbaye de Chazeaux, ce qu’elle fera plus aisément dans une ville close selon les décrets du Concile de Trente ». Chazeaux se transportera donc à Lyon.

L’acte définitif de réunion ne fut rédigé néanmoins que le 12 mai 1623, par quinze religieuses signant après la révérende dame Gilberte-Françoise d’Amanzé, de Chauffailles, d’une part, et messieurs du consulat de Lyon, d’autre part, devant le notaire du roi, ses assesseurs et témoins. Les lettres royales translatrices de juridiction se firent attendre vingt ans, délai qui ne nuisit en rien au nouvel établissement de l’abbaye. Les procès seuls y firent quelque dommage. Décidément Chazeaux, qu’il s’enfermât ou se réformât, était voué aux procès ! Et d’abord, on disputa à l’abbaye la validité ou la bonne foi même de son achat de la maison de Bellegrève, à Fourvière, où elle s’était érigée canoniquement dès la fin de l’année 1619 ; on l’avait obtenue à beaux deniers comptant de messire de Souvré, marquis de Courtanvault. La première révision du débat tourna, il est vrai, en sa faveur ; mais en 1649, Catherine de Neuville, en tant qu’héritière de la dame Robert, veuve du sieur de Mandelot et fondée de pouvoir de M. de Courtanvault, remit toutes choses en l’état et faillit arracher aux juges une sentence d’expropriation. Cela s’apaisa au prix de vingt-quatre mille livres dont les religieuses s’allégèrent. Après quoi, elles goûtèrent, à travers de menus litiges encore, de 1630 à 1730, une paix, ou une trêve de Dieu, qu’elles employèrent à se loger au mieux et au plus large. Elles accrurent en jardins et en vignes leur agréable séjour, le plus haut des séjours monastiques de Lyon ; elles acquirent le tènement de Bel-Air, au nom bien mérité, qu’on trouve dans les actes administratifs et judiciaires dès 1706.

Bel-Air s’étendait du chemin de Saint-Paul à l’Antiquaille et à Fourvière — les plans du temps désignent ainsi la montée Saint-Barthélemy — jusqu’aux Grandes-Balmes de Fourvière, formant un vaste carré échancré, à son extrémité nord-ouest, en un angle rentrant, par un chemin de servitude qui séparait de ce côté le mur d’enceinte de la grange et du chapitre pour lesquels il avait fallu construire une seconde enceinte. Au-dessous, du même côté, le mur longeait le monastère des Récollets. Un plan du commencement du xviiie siècle montre, aux confins nord, la terrasse de la dame Ollivier et la vigne de M. Durand, chanoine de Fourvière. La distribution intérieure prend ses aises. Ce sont, à remonter du chemin Saint-Paul ou Saint-Bartbélemy, vers les Grandes-Balmes de Fourvière, bâtiments d’utilité et de logement pour l’aumônier, un petit lavoir au-dessous, une cour avec arbres, une fontaine, un parloir, une allée de tilleuls, une terrasse et un puits, des bâtiments et une cour, un très grand jardin et une seconde terrasse, une grange et des écuries, une splendide allée et une terrasse qui en était digne, un berceau d’arbres, un pavillon couvert, à gauche, au-dessous d’une troisième allée avec terrasse, des communs, des jets d’eau, des bâtiments divers, une allée tournante et une vigne très étendue.

Quant à la qualité d’abbaye royale, on la trouve, pour la première fois, dans un acte de vente de mai 1708, par lequel « David Ollivier, receveur général des finances de la généralité de Lyon, échevin de cette ville, et Françoise Decombes, son épouse, témoignent vouloir faire don à l’abbaye royale de Chazeaux, de leur propre mouvement, par gratification et donation particulières, de tout le terrain, tant en vigne que vide, qui appartient à ladite dame Decombes tant en longueur qu’en largeur, au-dessous de la terrasse de sa maison située à Fourvière, et cela en considération de la profession que demoiselle Ollivier leur fille, à présent novice dans ladite royale abbaye, a témoigné vouloir y faire ». Parmi les noms des religieuses présentes à l’acte, on en relève de familles connues dans notre ville : de Beaumont, de Silvecanne, Prost, Basset, Bourgeat, Groslier de Servière, Richy, Deslandes, Piégay, Ollivier, Clapasson. Les deux premiers surtout qui furent portés l’un par Mme de Silvecanne, en religion sœur de la Trinité de Saint-Bonnet, l’autre par Mme Antoinette de Beaumont, abbesses en 1732 et 1738, sous l’épiscopat de Mgr de Châteauneuf de Rochebonne, ont laissé des traces dans l’histoire.

Mgr François de Châteauneuf de Rochebonne, archevêque de Lyon.

L’abbaye fut heureuse dès lors, semble-t-il, en acquisitions et en administration de biens, malgré des difficultés de possessions à Firminy. Elle avait deux maisons de rapport à Lyon, dont l’une place de la Feuillée des Augustins, des rentes solides dont elle ne dépensait pas seulement l’excès en charité, et par l’effet d’une transmission d’héritage faite à l’une de ses abbesses, comme personne privée, le 2 mars 1627. Celle-ci était châtelaine et seigneure du magnifique château et domaine de la Paliul, qu’avait fort augmenté et embelli, de 1609 à 1623, Aimé-Michel de la Chalvandière d’Orcière et de Montorsier ainsi que Guillaume, Jean et Louis-Guillaume Barjot. Les plans des fonds possédés par les dames de Chazeaux, tant en Forez qu’en Beaujolais, dressés en 1742 par Marc Meillard et Fronton, sur les ordres de l’abbesse Marie Batiiéon de Vertrieu, donnent une copieuse idée des terres et vignes aux lieux dits Pied-de-Chêne et la Roche lesquels ne le cédaient guère au domaine de la Palud proprement dit.

Mais encore, cette abondance n’appesantissait pas ni n’obscurcissait pas le véritable esprit bénédictin, esprit large et soutenu. Le 11 avril 1697, Jeanne-Marie de Rostaing, qui n’était encore que prieure, écrivait, pour se tirer de tout soupçon de complicité avec d autres religieuses entachées de gallicanisme et de jansénisme, une ferme et noble profession de foi, qui dénonce, à cette date, un rare discernement.

Extrayons-en ces deux articles essentiels : « Je promets et jure vraie obéissance au pape de Rome, successeur des apôtres et vicaire indéfectible de Jésus-Christ. Je reconnais et professe que le pouvoir des indulgences a été accordé à l’Église par Jésus-Christ. »

Devenue abbesse peu après, Jeanne-Marie de Rostaing, aussi franche et décidée d’esprit que de race, ne souffrit pas dans son troupeau de têtes altières la moindre atténuation des doctrines catholiques. Elle fut une excellente moniale et une femme très distinguée.

Chazeaux compta d’ailleurs plusieurs abbesses de cette espèce : les Louise Savaron, les Cécile. Marthe et Marguerite d’Amanzé, les de Vauvinier, les de Verlrieu. En 1787, Bel-Air était bien déchu. Un acte de vente marque moitié moins de professes. La Révolution, là comme ailleurs, n’eut qu’à consommer, par la violence, le succès du mal de tiédeur et d’incrédulité qui l’avait annoncée.

Une note manuscrite donne un aperçu de l’état et de la disposition des bâtiments de Chazeaux à cette époque : « Les différents appartements composant cette dite maison étaient dans le bas, l’église, une très petite sacristie, le chœur des religieuses, un avant-chœur ; le réfectoire, la salle de communauté, la cuisine, la dépense et le lavoir. Au premier étage, trois pièces pour l’abbesse ; à la suite, et dans un corps de bâtiment attenant, douze chambres, dont dix occupées par les religieuses et deux par les pensionnaires. Au second étage, treize chambres occupées par les religieuses ; au troisième, neuf petites chambres, dont quatre occupées par les religieuses et cinq par les pensionnaires, le surplus consistant en grenier. Un second bâtiment en pisé donnait sur la montée de Fourvière, alors qu’une autre vieille maison, située de l’autre côté du chemin de Bel-Air, contenait cinq chambres pour les pensionnaires et des greniers ; dans un autre bâtiment se trouvait le parloir des religieuses, une écurie pour les vaches et un envier, enfin la petite maison du jardinier. »

Le 11 juin 1790, on fit un inventaire, dont le texte est conservé aux archives départementales ; il contient des renseignements intéressants sur la disposition des lieux. À cette époque, la propriété de Chazeaux comprenait » environ vingt-deux bicherées, » elle était limitée à l’est par le jardin de M. Gavinet et par le Chemin-Neuf, au midi par les Visitandines de l’Antiquaille et la propriété Imbert, à l’ouest par les possessions du chapitre de Fourvière et du sieur Ollivier, et au nord par les pères Récollets et les terres du sieur Gavinet. Du nord au midi, traversait le grand chemin de Saint-Paul aux portes de Saint-Just, aujourd’hui montée Saint-Barthélémy, sur lequel les religieuses de Chazeaux communiquaient par une galerie ou pont en pierre.

L’inventaire mentionne également les principaux objets d’art ou de valeur qui se trouvaient dans l’église ou la sacristie des Chazeaux. On y remarque : « Deux calices ; un ostensoir doré et une boîte en argent aussi doré en dedans seulement ; un ciboire doré ; un encensoir et sa navette en argent ; une boîte argent doré pour les saintes huiles ; un couvert d’argent ; une cuillère à café argent ; une paire de burette avec l’assiette argent ; une plaque pour le communicatoire argent doré ; vingt-huit chandeliers et deux croix ; une croix processionnelle, une lampe, le tout cuivre blanchi ; une fontaine en étain ; un bénitier ; trois petits chandeliers et un bassin cuivre doré ; trois douzaines d’aubes : six surplis, un rochet ; six douzaines de serviettes ou essuie-mains ; une douzaine et demie de nappes d’autel ; douze nappes de communion ; des tapis de table et d’autel en indienne ; un ornement complet ; dix-neuf chasubles bonnes ou mauvaises ; deux draps mortuaires ; quatre chapes et trois étoles ; des carreaux ou coussins et plusieurs tapis de pied pour les autels et cérémonies ; quatre missels et cartons d’autel ; deux niches de bois dorées pour l’exposition du saint Sacrement ; quatre candélabres pour les enterrements et trois autres pour la semaine sainte, le tout de bois de noyer ; deux cloches-timbres. » On le voit, c’était modeste et pauvre.


SAINT-FRANÇOIS-DE-SALES

Au xviiie siècle, l’espace limité actuellement par les rues de la Charité, Saint-Joseph, Sala et François-Dauphin était occupé par deux communautés de femmes : au nord, la maison des Filles-Pénitentes ; au sud, et sur l’emplacement de la prison militaire, la maison des Recluses. Voici les notices consacrées à ces deux maisons dans l’Almanach historique de la ville de Lyon de 1745, pour la première, et dans l’Almanach de 1755 pour la seconde :

Église Saint-François-de-Sales.

« L’établissement de la maison des Filles-Pénitentes, situé près de la place Louis-le-Grand, dans la rue Saint-Joseph, fui formé en 1654, enregistré au parlement par lettres patentes et approuvé le 20 décembre de la même année, par le cardinal de Richelieu, archevêque de Lyon. Les dames supérieures de la maison sont les religieuses de la Visitation de Sainte-Marie, place Louis-le-Grand ; elles ont la direction de la communauté pour le spirituel. On reçoit dans cette maison des filles de famille qui ont été déréglées dans leur conduite, en donnant une dot, dont les sieurs recteurs et administrateurs du temporel conviennent avec les père, mère ou parents des dites filles, pour y rester pendant leur vie, tant en santé qu’en maladie. C’est une maison de correction, où la plupart cependant de celles qui y ont été mises, au bout d’un certain nombre d’années, et après une longue épreuve, se font religieuses. Le bureau est composé de douze recteurs ou administrateurs. »

« La maison des Recluses est destinée à la correction des femmes et des filles de mauvaise vie. Elle doit son origine au zèle des citoyens qui formèrent et exécutèrent dans le siècle dernier le projet de les renfermer, pour arrêter leurs désordres et tâcher de les ramener au travail et à la vertu. Les lettres patentes qui en autorisent l’établissement sont datées du mois de janvier 1710 ; elles ont été enregistrées au parlement de Paris le 7 septembre 1723. Cette maison est soumise aux ordres de monseigneur
L’Assomption, par Fabisch (Église Saint-François).

l’archevêque, pour le spirituel, et à ceux de monseigneur le gouverneur ou de monsieur le commandant, en son absence, pour le temporel. Elle est régie par un bureau composé de plusieurs administrateurs ecclésiastiques et laïques qui, par leurs règlements, ne peuvent directement ou indirectement solliciter l’entrée ou la sortie d’aucune recluse. Le peu d’étendue des anciens bâtiments qui servent actuellement, et le défaut de fonds suffisants pour les augmenter, n’avaient pas permis jusqu’à présent au bureau de faire tout le bien qu’il n’a cessé de désirer, et qu’il espère des constructions nouvellement entreprises sur un plan médité pendant bien des années. Son objet principal est de séparer absolument les filles recluses qui se trouvent disposées à se convertir des plus perverses, et de faciliter les moyens de veiller sur toutes avec encore plus de facilité. Pour y parvenir, il a fallu former des bâtiments différents pour deux communautés ; des cellules à chaque fille en particulier pour y coucher, et bien d’autres constructions considérables ; ces constructions sont avancées, mais les administrateurs ont encore besoin de fonds pour les conduire à leur perfection : ils espèrent que des citoyens zélés applaudiront à leur vue et voudront bien y concourir ; plus ils recevront de secours, plus ils seront en état d’affermir et d’étendre une œuvre aussi intéressante. » Les Recluses étaient placées sous la conduite de dix dames de la congrégation Saint-Joseph. Lors de la fondation de l’établissement des Recluses, on y logea quelques-unes des pensionnaires de la maison des Filles-Pénitentes, celles qui y étaient enfermées par ordre de la police.

Le consulat ne fut pas étranger à la fondation de la maison des Filles-Pénitentes. Par délibération de 1657 (on voit que cette date ne concorde pas avec celle de 1654 donnée par l’almanach), il donnait l’autorisation à Antoine de Neufville, abbé de Saint-Just, neveu et vicaire général de l’archevêque de Lyon, de créer dans la ville une maison de Filles-Repenties qui devait être placée sous la direction des religieuses de la Visitation Sainte-Marie. En 1664, il faisait un don de 500 livres à cette communauté établie d’abord au Gourguillon, puis transportée près de Bellecour. Dans ce nouveau quartier la maison des Filles-Pénitentes et celle des Recluses n’avaient à l’origine qu’une chapelle commune, sous le vocable de Sainte-Madeleine, qui occupait remplacement de la petite nef actuelle de l’église Saint-François-de-Sales, sur la rue François-Dauphin. Cette chapelle fut érigée en prieuré en 1656, à la suite d’une donation faite par Michel Combet, curé de Saint-Romain de Saint-Pierre-le-Vieux. En 1067, l’archevêque Camille de Neufville fondait dans la chapelle Sainte-Madeleine des Pénitentes de Bellecour une Confrérie des Agonisants dont les associés s’engageaient à s’assister les uns les autres en cas de maladie et à l’article de la mort.

Bas-relief de l’autel de la Sainte-Vierge, dessin de Janmot. (Église Saint-François)

En 1690, la chapelle primitive Sainte-Madeleine fut remplacée par un édifice sous le même vocable, construit en forme de T, dont la partie principale, correspondant à la grande nef actuelle de l’église Saint-François-de-Sales, était ouverte au public, et dont les deux bras étaient réservés, l’un, celui de droite, séparé du sanctuaire par des grilles barreaudées, aux Recluses (chapelle actuelle de la Sainte Vierge) ; l’autre, celui de gauche, aux Filles-Pénitentes (nef de la rue François-Dauphin). On voyait dans la chapelle des Filles-Pénitentes un tableau de Notre-Dame de Pitié de Jean Crétet, qui passait pour le meilleur ouvrage de cet artiste lyonnais.

Sous la révolution, les Lyonnais restés fidèles, ne pouvant plus fréquenter les églises livrées au clergé schismatique, avaient adopté quelques chapelles de communautés : celle des Filles-Pénitentes était du nombre. La populace, excitée contre eux par les clubs, s’y portait à l’heure des offices, et leur prodiguait des insultes et des violences ; ce fut alors qu’à la sortie de la chapelle de la Visitation Sainte-Marie, dont l’emplacement est aujourd’hui en partie occupé par la caserne de gendarmerie, des femmes furent outragées et fouettées publiquement. Le maire Vitet, au lieu de sévir, prit prétexte de ces désordres pour faire fermer les chapelles fréquentées par les catholiques.

La maison des Recluses, transformée alors en prison, devint l’une des innombrables bastilles élevées en France par la révolution. De nombreux Lyonnais y furent enfermés et la plupart n’en sortirent que pour monter à l’échafaud ou être fusillés. Un témoin raconte qu’à son entrée aux Recluses, douze cents Lyonnais, dénoncés et arrêtés depuis le siège, en peuplaient l’enceinte, dont les quatre cinquièmes devaient périr, que sur cent prisonniers partis un matin des Recluses à onze heures et conduits à l’hôtel de ville, dix-sept étaient déjà condamnés, livrés au bourreau et exécutés à onze heures et demie, et que, sur une autre fournée de même nombre, il n’échappa à la mort que trois de ses compagnons de captivité. Une nuit, quelques prisonniers des Recluses, trompant la surveillance des geôliers, étaient parvenus à percer un trou dans le mur de la salle où ils étaient enfermés ; mais l’ouverture devenue praticable ne donnait d’issue que dans la chapelle contiguë transformée en magasin national, rempli d’objets d équipement pour les armées et dont toutes les portes étaient fermées. Les fugitifs ayant alors entrepris de s’ouvrir un nouveau passage à travers le mur de la chapelle qui les séparait de la rue, furent entendus au cours de leur travail par le magasinier du dépôt qui donna l’alarme, réintégrés dans leur prison et chargés de chaînes.

La prison des Recluses fut le Théâtre, le 4 mai 1795, lors de la réaction qui se fit à Lyon contre les excès des conventionnels, d’une scène atroce : le peuple ameuté contre les auteurs de tant de crimes qui avaient décimé les familles, poussant des cris de vengeance, força les portes des prisons et massacra les jacobins qui y étaient enfermés ; à la prison des Recluses, quarante-deux de ces malheureux furent mis à mort.

Le Concordat ayant rétabli en France la paix religieuse, de nouvelles paroisses furent délimitées dans la ville de Lyon, en 1803, sous l’administration du cardinal Fesch. C’est de cette époque que date la fondation de la paroisse Saint-François-de-Sales, ainsi dénommée en souvenir de la mort de ce saint évêque survenue le 18 décembre 1622, au couvent de la Visitation de Bellecour. Par arrêté du préfet du Rhône du 8 avril 1803, l’état cédait à la succursale Saint-François-de-Sales le bâtiment des Filles-Pénitentes et l’affectait au logement du desservant et de ses vicaires. En fait, l’église des Filles-Pénitentes était ouverte au culte depuis deux ans déjà : le premier acte de baptême y fut enregistré le 3 août 1802.

En 1807, on éleva la nef de la rue François-Dauphin avec ses tribunes et dans son état actuel, sur l’emplacement agrandi et élargi de l’ancienne chapelle Sainte-Madeleine. Le portail monumental qui donne accès de la rue François-Dauphin dans cette partie de l’église provient du troisième monastère lyonnais de la Visitation, dit Sainte-Marie-des-Chaînes, qui était situé à Serin. La provenance de ce portail peut s’expliquer par ce fait qu’avant la révolution, la direction de la maison des Filles-Pénitentes était confiée aux religieuses de la Visitation de Bellecour. Il porte, au fronton, gravée sur un cartouche suspendu à des guirlandes de fruits, une inscription dont voici la traduction : « Seigneur, effacez les péchés de ceux qui prient en ce lieu et montrez-leur le chemin par où ils doivent passer ».

Peinture de Janmot. (Église Saint-François-de-Sales).

En 1816, le conseil municipal décidait la création de la place actuelle Saint-François précédemment englobée dans les bâtiments de la prison militaire ; à cette occasion, l’église fut accrue de l’espace nécessaire pour ajoutera l’édifice, au midi, une nef latérale avec une tribune au-dessus, et, au levant, la chapelle du Sacré-Cœur, et la petite sacristie située derrière. Peu après, la fabrique achetait l’ancien réfectoire des Filles-Pénitentes, aujourd’hui occupé par les écoles paroissiales et construisait le clocher ; le 23 avril 1823 avait lieu la bénédiction de quatre cloches dont les parrains et marraines furent : le comte de Brosse et la vicomtesse Paultre de la Mothe ; M. de Savaron et Mme de Saint-Trivier ; le marquis de Regnaud de Parcieux et Mme de la Pape ; le comte Laurent de Seras et la marquise de Leusse. En 1830. on construisit le chœur, la façade ; on compléta les nefs latérales et les tribunes qui les dominent ; en 1835, le presbytère fut restauré. En 1839, M. Benoît, architecte, recevait la mission d’exécuter tout un ensemble de travaux dont le projet comprenait : 1° la reconstruction de la chapelle de la Sainte Vierge ; 2° la réfection de la sacristie et des fonts baptismaux ; 3° la reconstruction du dôme et des piliers qui le supportent ; 4° l’agrandissement du chœur ; 5° la construction de deux nouvelles chapelles de chaque côté du chœur : tous ces travaux étaient terminés en 1847.

Après la période de construction de l’édifice, restait à pourvoir à sa décoration intérieure. En 1856, la chapelle de la Sainte-Vierge était restaurée et recevait la belle statue de l’Assomption, une des meilleures œuvres de Fabisch. En 1858, Louis Janmot fut chargé de peindre la coupole : l’artiste s’y est montré le digne disciple d’Orsel et d’Ingres et l’émule d’Hippolyte Flandrin. On lui doit encore le tableau qui décore la chapelle du Sacré-Cœur ; celui de la chapelle de Saint-Joseph fut exécuté en 1866 par M. Ravel de Malleval. Le grand orgue de Saint-François, œuvre de la maison Cavaillé-Coll, et l’un des meilleurs de ceux que possèdent les églises de Lyon, a été inauguré le 16 décembre 1880 par M. Charles-Marie Widor, organiste de Saint-Sulpice, fils de M. Charles-François Widor, qui fut organiste de Saint-François de 1838 à 1891.

L’église Saint-François possède une belle statue du Sacré-Cœur, du sculpteur Cabuchet, d’un sentiment religieux très élevé. Son trésor renferme aussi de merveilleux objets d’orfèvrerie religieuse, œuvres de M. Armand-Caillat : un reliquaire offert en 1890 à Mgr Gourgout, curé de la paroisse, lors de la célébration de ses noces d’or sacerdotales, et surtout l’ostensoir composé en 1886 avec un très riche écrin de diamants et de pierres précieuses léguées à la paroisse par une généreuse bienfaitrice et merveilleusement enchâssées dans l’œuvre vraiment géniale du grand artiste lyonnais. Les quatorze tableaux du Chemin de la croix (1895), formés de plaques de cuivre gravées, champlevées et émaillées au feu, sont également une création de M. Armand-Caillal, quia su y traduire avec les ressources de son art original, l’émotion ressentie au spectacle des grandes scènes de la passion du Sauveur. Dans la chapelle du Sacré-Cœur sont exposées de nombreuses reliques de saint François de Sales.

L’année 1900 ramenait l’anniversaire, après soixante années, de l’ordination du vénérable curé de la paroisse. À l’occasion de ses noces de diamant sacerdotales, ses paroissiens lui ont offert pour son église, avec le produit d’une souscription, un nouveau baptistère dont l’exécution fut confiée à M. Sainte-Marie Perrin. Le monument, composé par l’éminent architecte dans le style de l’église, est décoré d’une très belle statue en bronze de saint Jean-Baptiste, œuvre du sculpteur Dubois, surmontée de cette inscription : Joan, in deserto baptisans baptismum pœnitentæ in remissionem peccatorum, et de deux écussons, l’un aux armes du cardinal Coullié, archevêque de Lyon, qui a béni le baptistère le 2 mai 1900 ; l’autre, aux armes du cardinal Penaud, évêque d’Autun, membre de l’Académie française, qui fut baptisé à Saint-François le 7 février 1828. Enfin, une inscription rappelle que les registres des baptêmes de la paroisse, entre autres noms illustres dans la cité, portent, à la date du 18 avril 1826, celui du P. Antoine Chevrier, le saint fondateur de la Providence du Prado.


CALVAIRE

Pendant que d’anciens ordres religieux disparaissaient, beaucoup de nouvelles communautés se sont fondées dans notre ville, créatrices d’œuvres charitables, comme cette maison du Calvaire qui compte parmi les plus généreuses.

Il était digne de Lyon, qui garda jadis tant d’institutions antiques de l’Église, non sans y mêler de nouvelles œuvres, de Lyon qu’un docte auteur du xviie siècle appelait : « la ville sainte des conservations et des rénovations », — de montrer au monde moderne si épris de fausses nouveautés cet archaïsme-ci : une veuve chrétienne renouant l’esprit et les travaux des veuves des premiers âges ecclésiastiques, retrouvant, par une intuition de son cœur généreux, fortifié et purifié au creuset des douleurs, celle tradition divinatrice et créatrice en matière de charité « la plus belle matière qui soit pour la vraie poésie qui est celle du cœur actif, » suivant le mot de Louis de Grenade. On avait à peu près oublié que les veuves, dans la primitive église, formaient un ordre que saint Jérôme égalait volontiers à celui des vierges, et qu’elles avaient leur domaine propre dans le patrimoine de la foi commune.

Chapelle du Calvaire.

Une veuve, née en des jours de scepticisme et d’ignorance religieuse, réapprit cela aux générations du commencement du siècle passé. Lyon avait vu Mme Perrin enrichir d’une province « la province dolente » l’apostolat des vierges. Mme Garnier s’appliqua à des misères semblables, mais par des moyens qu’elle n’imita de personne. Elle était fille de modestes commerçants, les époux Chabot ; elle se maria avec un commerçant que son intelligence et son esprit pratique aidèrent jusqu’à l’enrichir presque ; elle le perdit bientôt par la mort, avec les deux enfants nés de cette union, où l’amour n’avait été diminué d’aucune faiblesse ni d’aucun calcul. Elle pleura beaucoup, donna ses larmes à Dieu ; elle apprit du Maître, que pour sanctifier et garder sa souffrance, elle devait soulager la souffrance d’autrui : toute l’histoire de cette âme choisie peut se renfermer en ces mots. Ce fut jusqu’à son veuvage une riche histoire intérieure parmi les banalités d’une vie sans éclat.

Mme Garnier avait d’ailleurs un caractère des plus primesautiers, même des plus violents : il lui en resta l’expansion. Enfant, elle avait dû quitter les Visitandines, ses maîtresses qui l’aimaient pourtant plus qu’aucune de leurs élèves, parce qu’elle leur montrait les extrémités de l’espièglerie et de la colère : ne menaça-t-elle pas un jour de mettre le feu au couvent ! Et sa piété était comme son caractère ; elle brûlait à l’égal d’une flamme ardente, puis vacillait au vent des caprices. Bref, son abondante nature spirituelle allait en toutes choses au delà : « Vous êtes à Dieu, lui dit franchement un prêtre, peu cicéronien, après qu’elle fut entrée dans sa vraie vocation, du pas rapide qui était son pas ; c’est grande chance ! car si vous eussiez été au diable, vous eussiez fait autant de mal que vous faites de bien ! »

Une sorte de hasard, et ce hasard, on le sait, est un des noms et non le moindre de la Providence, lui montra quelle besogne devait, dans les desseins du ciel, rassembler et tamiser son zèle qui eut dévoré un monde, en se dévorant peut-être lui-même. Encore saignante de la séparation terrestre, elle s’était réfugiée au célèbre sanctuaire de La Louvesc, caché, tel un nid d’aigle, sur un pic noyé dans les bois. Des méditations plus sévères qu’elle ne les espérait lui furent inspirées dans ce sauvage abri de prières. Elle jura à Dieu qu’elle ne se marierait plus ; mais à qui confierait-elle ses affections accrues par le malheur, tout le feu comprimé dans ses entrailles ? La réponse fut donnée à cette question décisive, par un événement en apparence très mince. Elle s’était sauvée des consolations sottes ou mystérieuses du monde, dans la société de personnes âgées, la plupart veuves aussi, avec qui elle travaillait pour les pauvres. Quelques-unes de ces âmes d’élite ne s’en tenaient pas aux ouvrages du crochet ou d’aiguille, elles visitaient les infirmes à domicile. « Oh, lui dit l’une d’entre elles, un matin, il y a un cas curieux à explorer, voulez-vous y aller ? »

Mme Garnier, fondatrice du Calvaire.

Mme Garnier alla au cas curieux annoncé et il méritait, en effet, cet adjectif. C’était une femme clouée sur un infect grabat, couverte de plaies hideuses d’où s’exhalait une odeur épouvantable : d’abord la nouvelle Paule, la nouvelle Élisabeth recula et se sentit défaillir ; mais elle se surmonta vite. La créature, étalée à ses yeux surpris, payait sa rançon de longues années de débauches. Son complice l’avait reniée : quand il venait la voir, c’était pour vomir à sa face rongée les plus ordurières insultes. Les yeux éteints de la suppliciée se coloraient alors à demi sous l’effort d’une furieuse remontée de sang. Mme Garnier parla de sa voix ardente et douce ; elle dit sa bonne intention. Nulle adhésion, bien moins, nul signe qu’on l’écoutât ; elle insista le lendemain, le surlendemain, quatre jours. À la fin, elle obtint la réplique d’une longue larme qu’elle essuya, qu’elle but pour s’essayer à l’honneur de son ministère ; et une autre semaine écoulée, elle mettait, de ses bras, sur une chaise roulante, sa première conquête et l’introduisait à l’Hôtel-Dieu où elle ne se résigna point à l’abandonner à des soins étrangers. Un médecin ayant fait quelques pas vers ce lit se détourna. Il vit une très jeune femme s’y pencher et embrasser des cicatrices sans nom scientifique et cataloguées au ciel seulement. Il se ressaisit et comprit cet apostolat.

À ce même chevet l’héroïne s’abîmait en oraisons où elle démêla son double but : sanctifier les veuves en les vouant aux incurables, aux corps déprimés par la souffrance et les plaies. On l’a dit, Mme Garnier était expansive et positive ; elle s’ouvrit de son rêve, le détailla, et comme ses meilleures amies y paraissaient néanmoins incrédules ou hésitantes, elle s’en fut tout droit au nouvel archevêque de Lyon, au cardinal de Bonald, qui fut très attentif à un pareil poème balbutié plutôt qu’articulé. « Ma fille, prononça-t-il en des mots concis, votre pensée est belle ; elle vient de Dieu, l’exécution en est difficile, elle viendra aussi de Dieu ; allez de l’avant et comptez sur moi. Votre œuvre s’appellera l’association des Dames du Calvaire. »

Chapelle du Calvaire.

Le Calvaire, Mme Garnier en avait déjà franchi plus d’une station. À l’incurable du début, morte après de grandes souffrances, avaient succédé quatre affligées d’un même mal et surtout une jeune fille arrachée à un incendie au fond de la Guillotière, mais non sans preuve matérielle du sauvetage, puisqu’on l’avait surnommée Marie-la-brûlée. Elle découvrit sur la paroisse Saint-Irénée, dans une rue solitaire, une maison plus que modeste, capable de loger son cher personnel : la rue Aide-Bourse. « Bonne augure, s’écria-t-elle, nous viderons les bourses des riches pour entretenir nos clients ». Les paisibles habitants de Saint-Irénée virent arriver la caravane ; une voiture de place y suffisait. Ce qui était quasi valide descendit ; restait Marie-la-brûlée. Le cocher feignit que ses chevaux eussent besoin de tous ses services : Mme Garnier s’inclina à la portière : « Ma fille, dit-elle, prends-moi au cou de tes deux bras ; arrange-toi sur mes épaules, tu ne me pèseras pas plus qu’une plume et tu ne souffriras pas trop ». À cette vue, à ce propos, les quelques spectateurs de passage ni ne s’empressèrent, ni n’applaudirent, mais il n’y eut pas d’yeux sans larmes. Le petit cortège suivit lentement Marie-la-brûlée, en cacolet humain, moitié pleurant, moitié riant. C’était le 3 mai 1843, fête de l’Invention de la sainte Croix : Mme Garnier choisissait à merveille ses jours. L’hospice naissant se composait de quatre pièces, d’un jardin ou souillait de l’air pur ; pas d’humidité aux murs ni aux parquets. Dès la seconde année le registre, tenu par la fondatrice même, comptait dix-sept pensionnaires. Il fallut déménager : l’on s’en fut à Saint-Just, au lieu historique dit : les Bains romains. Le minable et glorieux cortège se mit en marche, le 5 mai 1844, cette fois plus nombreux et c’était encore Marie-la-brûlée, triomphalement portée qui l’ouvrait. « Je suis la première pierre du Calvaire, murmura-t-elle dans un élan indicible ». L’hospice était si bien placé sous le regard de Marie. Il fut bientôt visité et secouru au temporel et au spirituel par de bons voisins : les pères Jésuites, les professeurs de l’institution des Minimes, les pères Maristes de la montée Saint-Barthélémy. Mais l’admirable auxiliaire entre tous, avait nom l’abbé Mante, chanoine honoraire et chapelain de la Primatiale. Vingt années durant, il gravit la sainte montagne, deux fois la semaine, pour s’enfermer au Calvaire et y boire à ce divin calice de la croix, penché, ravi, de longues heures, sur les plaies, les ulcères, les fétidités révélatrices de la nature humaine expiante. Quand il mourut, pauvre comme le dernier des pauvres auxquels il avait donné tout son bien, les incurables érigèrent de leurs deniers acquis en menus travaux une croix sur sa tombe.

Que dire de plus et de mieux ? Il n’est pas un Lyonnais qui ignore le palais des souffrances de la rue du Juge-de-Paix, où s’est transporté définitivement ce Calvaire. Chaque jour des dames s’arrachent à la délicatesse de la vie et pansent des plaies horribles. Les ressources viennent des annuités des associés et c’en est l’élément le moins aléatoire, du produit d’une loterie et des dons imprévus. Le rêve de Mme Garnier, morte le 28 décembre 1853, est atteint, sinon outrepassé. L’œuvre des veuves associées du Calvaire montre que les femmes du monde, même sans rien briser de son commerce, peuvent, au milieu de son égoïsme et de ses plaisirs, se complaire dans une sublime abnégation, dont, au demeurant, tout le bénéfice est pour lui.


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