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L’Église chrétienne (Renan)/XXII. L’Asie orthodoxe

La bibliothèque libre.
Calmann Lévy (p. 426-451).


CHAPITRE XXII.


L’ASIE ORTHODOXE. — POLYCARPE.


Bien que déjà ébranlée par l’esprit sectaire, l’Asie n’en continuait pas moins d’être, après Rome, la province où le christianisme était le plus florissant. C’était le pays le plus pieux du monde[1], le pays où la crédulité offrait aux inventeurs de religions nouvelles le champ le mieux préparé. Devenir dieu était là chose très-facile[2] ; les incarnations, les tournées terrestres des immortels passaient pour des événements ordinaires[3] ; toutes les impostures réussissaient. On était plein encore des souvenirs d’Apollonius de Tyane ; sa légende grossissait tous les jours[4]. Un auteur qui prit le nom de Mœragène en écrivit des récits merveilleux[5] ; puis un certain Maxime d’Æges fit un livre uniquement sur les choses extraordinaires qu’Apollonius avait faites à Æges, en Cilicie[6]. Malgré les railleries de Lucien[7], « la tragédie », comme il l’appelle, réussit étonnamment. Plus tard, vers l’an 200, Philostrate écrivit, à la demande de la Syrienne Julia Domna, ce roman insipide, qui passa pour un livre exquis et qui, selon un païen très-sérieux, aurait dû être intitulé : « Voyage d’un dieu chez les hommes[8] » Le succès en fut immense. Apollonius en vint à être considéré comme le premier des sages, comme un véritable ami des dieux, comme un dieu. Son image se voyait dans les sanctuaires ; il eut même des temples. Ses miracles, ses belles paroles faisaient l’édification de tous. Il fut une sorte de Christ du paganisme, et sûrement l’intention d’opposer un idéal de sainteté bienfaisante à celui des chrétiens ne fut pas étrangère à son apothéose[9]. Dans les derniers jours de la lutte du christianisme et du paganisme, on le compara nettement à Jésus, et on préféra sa vie, écrite par des lettrés, aux Évangiles, œuvre d’esprits grossiers[10].

Un charlatan paphlagonien, Alexandre d’Abonotique, arriva par son assurance à des succès non moins prodigieux[11]. C’était un très-bel homme, d’une superbe prestance, d’une voix très-douce, portant une chevelure énorme, qui se prétendait descendant de Persée, et passait pour prédire l’avenir avec les accès frénétiques des anciens devins. Il enferma un petit serpent dans un œuf d’oie, cassa l’œuf devant la foule et fit croire que c’était là une incarnation d’Esculape, qui avait choisi pour séjour la ville d’Abonotique. Le dieu grandit en quelques jours. Les gens d’Abonotique furent émerveillés de voir bientôt sur un canapé un énorme serpent à tête humaine, splendidement vêtu, ouvrant et fermant la bouche, brandissant son dard. C’était Alexandre qui s’était ainsi affublé, en enroulant sur sa poitrine et autour de son cou un serpent apprivoisé, dont la queue pendait par devant. Il s’était fait une tête de toile, barbouillée avec assez d’art, et, au moyen de crins, il faisait aller les mâchoires et le dard. Le nouveau dieu fut appelé Glycon, et de tout l’empire on vint le consulter. Abonotique devint le centre d’une thaumaturgie effrénée. Le résultat fut une fabrication abondante d’images peintes, de talismans, d’idoles d’argent et de bronze, qui eurent une vogue extraordinaire[12]. Alexandre fut assez puissant pour monter dans son canton une vraie persécution contre les chrétiens et les épicuriens, qui refusaient de le croire[13]. Il établit un culte qui, malgré son caractère entièrement charlatanesque et même obscène, eut beaucoup de vogue et attira une foule d’hommes religieux[14]. Ce qu’il y eut de plus singulier, c’est que des Romains considérables, tels que Sévérien, légat de Cappadoce, et le consulaire Rutilianus, l’un des premiers personnages du temps[15], furent sa dupe, et que l’imposteur obtint que le nom d’Abonotique fût changé en Ionopolis[16]. Il demanda aussi que le monnayage de cette ville portât désormais d’un côté l’effigie de Glycon, de l’autre, la sienne, avec les attributs de Persée et d’Esculape[17]. Effectivement, les monnaies des Abonotiquites, du temps d’Antonin et de Marc-Aurèle, portent une figure de serpent avec une tête d’homme chevelue et barbue ; au-dessous, le mot ΓΛΥΚΩΝ. Les monnaies de la même ville, au type de Lucius Verus, portent le serpent et le nom de ΙΩΝΟΠΟΛΕΙΤΩΝ[18]. Sous Marc-Aurèle, nous verrons cette religion ridicule prendre une importance incroyable. Elle dura jusqu’à la deuxième moitié du iiie siècle[19].

Nerullinus, à Troas, réussit dans une entreprise frauduleuse du même genre[20]. Sa statue rendait des oracles, guérissait les malades ; on lui offrait des sacrifices, on la couronnait de fleurs. C’était surtout les idées absurdes sur la médecine, la croyance aux songes médicaux, aux oracles d’Esculape, etc.[21] qui maintenaient les esprits dans cet état de superstition. On est confondu de voir Galien lui-même donner dans de pareilles folies[22]. Plus incroyable encore est la carrière de cet Ælius Aristide, sophiste religieux, dévot païen, sorte d’évêque ou de saint, poussant le matérialisme pieux et la crédulité jusqu’aux dernières limites ; ce qui ne l’empêcha pas d’être un des hommes les plus admirés et les plus honorés de son siècle[23]. Seuls, les épicuriens repoussaient nettement ces sottises. Il y avait encore quelques gens d’esprit, comme Celse[24], Lucien[25], Démonax[26], pour en rire. Bientôt il n’y en aura plus, et la crédulité régnera en maîtresse sur un monde abaissé. Le nom d’athée était un danger, mettait celui à qui on l’attribuait hors la loi, l’exposait même au supplice[27] ; or on était athée pour nier les superstitions locales et s’élever contre les charlatans.

On conçoit combien un tel milieu devait être favorable à la propagation du christianisme. On n’exagérerait peut-être pas beaucoup en admettant que près de la moitié de la population s’avouait chrétienne[28]. Dans certaines villes, comme Hiérapolis, la profession du christianisme était publique. Des inscriptions lisibles encore attestent des fondations bienfaisantes, dont les distributions devaient se faire « à Pâques et à la Pentecôte[29] ». Des associations coopératives d’ouvriers, des sociétés de secours mutuels y étaient savamment organisées[30]. Ces villes manufacturières, qui possédaient depuis longtemps des colonies juives[31], lesquelles y avaient peut-être apporté les industries de l’Orient, s’ouvraient à toutes les idées sociales du temps. Les œuvres de charité y étaient très-développées. On y trouvait des crèches, des établissements d’enfants trouvés[32]. L’ouvrier, si dédaigné dans l’antiquité[33], arrivait par l’association à la dignité de l’existence et au bonheur.

Cette vie intérieure, d’autant plus active que la politique ne la troublait pas, faisait de l’Asie Mineure le champ clos de toutes les luttes religieuses du temps. Les directions qui se partageaient l’Église y étaient singulièrement visibles ; car nulle part ailleurs l’Église ne fermentait davantage et ne témoignait avec plus de franchise son travail intérieur. Conservateurs et progressistes, judéo-chrétiens et ennemis du judaïsme, millénaires et spiritualistes s’y opposaient comme deux armées qui, après s’être combattues, finissaient par rompre les rangs et se mêler. Là avait vécu ou vivait encore tout un monde chrétien qui ignorait saint Paul : Papias, le plus borné des Pères de son temps, Méliton, presque aussi matérialiste que lui, l’ultraconservateur Polycarpe, les presbyteri qui enseignèrent à Irénée son grossier chiliasme, les chefs du mouvement montaniste[34] qui prétendaient revenir aux scènes du premier cénacle de Jérusalem. Là se trouvaient ou de là venaient les hommes qui se lançaient le plus hardiment dans les nouveautés : l’auteur du quatrième Évangile, Cerdon, Marcion, Praxéas, Noétus, Apollinaire d’Hiérapolis, les aloges, qui, pleins d’aversion pour l’Apocalypse, le millénarisme, le montanisme, donnaient la main au gnosticisme et à la philosophie. Des exercices spirituels, disparus ailleurs, continuaient de vivre en Asie. On y possédait des prophètes, un certain Quadratus, une Ammia de Philadelphie[35].

On se glorifiait surtout d’un nombre considérable de martyrs et de confesseurs[36]. L’Asie Mineure vit de nombreuses exécutions, en particulier des crucifiements. Les différentes Églises s’en faisaient gloire, prétendant que la persécution est le privilège de la vérité ; ce qui était contestable, puisque toutes les sectes avaient des martyrs[37]. Par moments les marcionites et les montanistes en eurent plus que les orthodoxes. Aucune calomnie alors ne coûtait à ceux-ci pour rabaisser les martyrs de leurs rivaux[38]. Les divisions duraient jusqu’à la mort. On voyait des confesseurs expirant pour le même Christ se tourner le dos et éviter tout ce qui pouvait ressembler à une marque de communion. Deux martyrs nés à Euménie, Caïus et Alexandre, qui furent suppliciés à Apamée Kibotos, prirent jusqu’au bout les précautions les plus minutieuses pour qu’on ne crût pas qu’ils adhéraient aux inspirations de Montan et de ses femmes[39]. Cela nous choque, mais il faut se souvenir que, selon les opinions du temps, les dernières paroles et les derniers actes des martyrs avaient une haute portée. On les consultait sur les questions d’orthodoxie ; du fond de leurs cachots, ils réconciliaient les dissidents, donnaient des billets d’absolution[40]. On les regardait comme chargés dans l’Église d’un rôle de pacificateurs et d’une sorte de mission doctrinale[41].

Loin de nuire à la propagande, ces diversités y servaient. Les Églises étaient riches, nombreuses. L’épiscopat, nulle part ailleurs, ne comptait autant d’hommes capables, modérés, courageux. On citait Thraséas, évêque d’Euménie[42], Sagaris, évêque de Laodicée[43], Papirius, dont on ignore la patrie[44], Apollinaire d’Hiérapolis, destiné à jouer, dans les controverses capitales qui allaient bientôt diviser les Églises d’Asie, un rôle considérable[45], Polycrate, futur évêque d’Éphèse, issu d’une famille qui comptait avant lui jusqu’à sept évêques dans son sein[46]. Sardes possédait un vrai trésor, le savant évêque Méliton, qui se préparait déjà aux vastes travaux qui devaient rendre son nom célèbre. Comme plus tard Origène, il avait voulu que sa chasteté fût en quelque sorte matériellement constatée[47]. Son érudition offrait beaucoup d’analogie avec celle de Justin et de Tatien[48]. Sa théologie avait aussi quelque chose de la pesanteur un peu matérialiste qui caractérisait ces deux docteurs ; car il pensait que Dieu a un corps. Par les idées apocalyptiques, il paraît s’être rapproché de Papias. — Miltiade, de son côté, fut un laborieux écrivain, un polémiste zélé, qui lutta contre les païens, contre les juifs, contre les montanistes, contre les prophéties des extatiques, et fit une apologie de la philosophie chrétienne, adressée aux autorités romaines[49].

Le vieux Polycarpe, surtout, jouissait à Smyrne d’une haute autorité[50]. Il était plus qu’octogénaire, et il semble qu’on le regardait comme ayant hérité de la longévité de l’apôtre Jean ; on lui accordait le don de prophétie ; on prétendait que toute parole de lui avait son plein effet[51]. Lui-même vivait dans la croyance que le monde est rempli de visions et de présages[52]. Nuit et jour, il priait, embrassant dans sa prière les besoins du monde entier[53]. Comme tous admettaient qu’il avait vécu plusieurs années avec l’apôtre Jean, on croyait posséder encore en lui le dernier témoin de l’âge apostolique[54]. On l’entourait, on cherchait à lui plaire ; une marque d’estime de lui était tenue pour une haute faveur. Sa personne avait un charme extrême. Les chrétiens dociles l’adoraient ; une compagnie de disciples et d’admirateurs se serrait autour de lui, empressée à lui rendre tous les services[55] ; mais il n’était pas populaire dans la ville. Son intolérance, l’orgueil d’orthodoxe qu’il ne dissimulait pas et qu’il communiquait à ses disciples, blessaient profondément les juifs et les païens ; ceux-ci sentaient trop bien que le dédaigneux vieillard les tenait pour des misérables[56].

Polycarpe avait les manies du vieillard, certaines manières d’agir et de parler qui frappaient vivement la jeune assistance. Sa conversation était abondante, et, quand il venait s’asseoir à l’endroit qu’il affectionnait, sans doute sur une des terrasses de la pente du mont Pagus, d’où l’on découvre le golfe étincelant et sa belle ceinture de montagnes, on savait d’avance de quoi il allait parler. « Jean et les autres qui avaient vu le Seigneur », voilà où il en revenait toujours. Il racontait la familiarité qu’il avait eue avec eux, ce qu’il leur avait entendu dire sur Jésus, sur sa prédication. Un écho de la Galilée se faisait ainsi entendre, à cent vingt ans de distance, sur les bords d’une autre mer. Il répétait sans cesse que c’étaient là des témoins oculaires, et que lui les avait vus. Il ne se faisait pas plus de difficulté que les évangélistes de prêter à ces presbyteri des maximes mieux adaptées au iie siècle qu’à l’époque où ils étaient censés avoir vécu. À tant d’autres traditions obscures sur les origines du christianisme, une nouvelle source, plus trouble que les autres, vint de la sorte s’ajouter[57].

L’impression que produisait Polycarpe n’en était pas moins profonde. Longtemps après, ses disciples se rappelaient l’un à l’autre le banc où il s’asseyait, sa démarche, ses habitudes, les traits de son corps, sa façon de parler. Chacune de ses paroles, ils la gravaient dans leur cœur. Or, dans le cercle qui l’entourait, était un jeune Grec d’une quinzaine d’années[58], destiné à jouer un rôle de premier ordre dans l’histoire ecclésiastique ; c’était cet Irénée[59], qui devait nous transmettre l’image souvent faussée, mais à quelques égards très-vivante, du dernier monde apostolique dont il avait vu en quelque sorte le soleil couchant[60]. Irénée était né chrétien, ce qui ne l’empêchait pas de fréquenter les écoles d’Asie, où il puisa une connaissance étendue des poètes et des philosophes profanes, surtout d’Homère et de Platon[61]. Il avait pour ami d’enfance et pour condisciple, si l’on peut s’exprimer ainsi, autour du vieillard, un certain Florin, qui avait une charge de cour assez importante, et qui plus tard, à Rome, embrassa les idées gnostiques de Valentin.

Polycarpe passait aux yeux de tous pour le type parfait de l’orthodoxie. Sa doctrine était le millénarisme matérialiste de la vieille école apostolique[62]. Loin d’avoir rompu avec le judaïsme, il se conformait aux pratiques des judéo-chrétiens modérés[63]. Il repoussait les enjolivements creux que les gnostiques avaient introduits dans l’enseignement chrétien, et il paraît avoir ignoré l’Évangile qui circulait déjà de son temps sous le nom de Jean. Il s’en tenait à la manière simple et onctueuse de la catéchèse apostolique, et ne voulait pas qu’on y ajoutât quoi que ce fût. Tout ce qui ressemblait à une idée nouvelle le mettait hors de lui. Sa haine des hérétiques était très-vive, et quelques-unes des anecdotes qu’il se plaisait à raconter sur Jean étaient destinées à faire ressortir l’intolérance violente qui, selon lui, aurait été le fond du caractère de l’apôtre[64]. Quand on osait émettre autour de lui quelque doctrine analogue à celles des gnostiques, quelque théorie destinée à introduire un peu de rationalisme dans la théologie chrétienne, il se levait, se bouchait les oreilles et prenait la fuite, en s’écriant : « O bon Dieu, à quels temps m’as-tu réservé, pour que je doive supporter de tels discours[65] ! » Irénée se pénétrait près de lui du même esprit, que la douceur de son caractère devait corriger dans la pratique. La prétention de s’en tenir à l’enseignement apostolique devenait la base de l’orthodoxie, en opposition avec la présomption des gnostiques et des montanistes, qui prétendaient retrouver la pensée véritable de Jésus, altérée, selon eux, par ses disciples immédiats.

À l’exemple de Paul, d’Ignace et des autres pasteurs célèbres, Polycarpe écrivit beaucoup de lettres aux Églises voisines et à des particuliers, pour les instruire et les exhorter[66]. Une seule de ces lettres nous aurait été conservée[67]. Elle est adressée aux fidèles de Philippes, à propos de confesseurs destinés au martyre, qui passèrent chez eux, allant d’Asie à Rome[68]. Comme tous les écrits apostoliques ou pseudo-apostoliques, c’est un petit traité des devoirs de chacune des classes de fidèles qui composent l’Église. Des doutes sérieux s’élèveraient contre l’authenticité de cette épître[69], s’il n’était constant qu’Irénée l’a connue et l’a tenue pour un ouvrage de Polycarpe[70]. Sans cette autorité, on rangerait l’opuscule, avec les épîtres de saint Ignace, dans cette classe d’écrits de la fin du iie siècle, par lesquels on cherchait à couvrir des noms les plus révérés les doctrines antignostiques et favorables à l’épiscopat. La pièce, un peu banale, n’a rien qui convienne spécialement au caractère de Polycarpe. L’imitation des écrits apostoliques, surtout des fausses épîtres à Tite et à Timothée, de la première de Pierre, des épîtres de Jean, y est sensible. L’auteur ne faisait aucune distinction entre les écrits authentiques des apôtres et ceux qui leur ont été prêtés. Il savait évidemment par cœur l’épître de saint Clément[71]. La façon dont il rappelle aux Philippiens qu’ils ont une épître de Paul est suspecte[72]. Chose singulière dans toutes les hypothèses ! l’Évangile censé de Jean n’est pas cité, tandis qu’une phrase de l’épître pseudo-johannique est alléguée[73]. La docilité, la soumission à l’évêque, l’enthousiasme pour le martyre, à l’exemple d’Ignace, l’horreur pour les hérésies qui, comme le docétisme, ébranlent la foi en la réalité de Jésus, voilà les idées dominantes de l’auteur. Si Polycarpe n’est pas cet auteur, on peut dire au moins que, ressuscitant quelques années après sa mort et voyant les pages qu’on lisait sous son nom, il n’eût pas protesté et eût trouvé même qu’on avait assez bien interprété son esprit. Irénée, à Lyon, put y être trompé comme tout le monde, si erreur il y eut. Il reconnut dans ce morceau le caractère parfait de la foi et de l’enseignement de son maître[74].

Polycarpe, dans ces années d’extrême vieillesse, fut comme le président des Églises d’Asie. De graves questions, qui s’étaient à peine posées d’abord, commençaient d’agiter ces Églises. Avec ses idées de hiérarchie et d’unité ecclésiastique, Polycarpe devait songer à se tourner vers l’évêque de Rome, auquel presque tout le monde, vers ce temps, reconnaissait une certaine autorité pour départager les Églises divisées[75]. Les points controversés étaient nombreux ; il semble de plus que les deux chefs d’Églises, Polycarpe et Anicet, avaient l’un contre l’autre quelques petits griefs[76]. Un des dissentiments regardait la célébration de la Pâque. Dans les premiers temps, tous les chrétiens continuèrent à faire de Pâques leur fête principale. Cette fête, ils la célébraient le même jour que les juifs, le 14 de nisan, à quelque moment de la semaine que ce jour tombât. Persuadés, selon la donnée de tous les anciens Évangiles, que Jésus, la veille de sa mort, avait mangé la Pâque avec ses disciples[77], ils regardaient une telle solennité plutôt comme une commémoration de la Cène que comme un mémorial de la résurrection. Quand le christianisme se sépara de plus en plus du judaïsme, une telle manière de voir se trouva fort ébranlée. D’abord, une nouvelle tradition se répandait, d’après laquelle Jésus, avant de mourir, n’avait pas mangé la Pâque, mais était mort le jour même de la Pâque juive[78], se substituant ainsi à l’agneau pascal. En outre, cette fête purement juive[79] blessait la conscience chrétienne, surtout dans les Églises de Paul. La grande fête des chrétiens, c’était la résurrection de Jésus, arrivée, en tout cas, le dimanche après la Pâque juive. D’après cette idée, on célébrait la fête le dimanche qui suivait le vendredi venant après le 14 de nisan.

À Rome, cette pratique prévalait, au moins depuis les pontificats de Xyste et de Télesphore (vers 120)[80]. En Asie, on était fort partagé. Les conservateurs comme Polycarpe, Méliton et toute l’ancienne école, tenaient pour la vieille pratique juive, conforme aux premiers Évangiles et à l’usage des apôtres Jean et Philippe[81]. Il arrivait ainsi qu’on ne priait pas, qu’on ne jeûnait pas les mêmes jours. Ce n’est que dans une vingtaine d’années que cette controverse atteindra en Asie les proportions d’un schisme[82]. À l’époque où nous sommes, elle ne faisait que de naître, et sans doute elle était une des moins importantes[83] parmi les questions sur lesquelles Polycarpe se crut obligé d’aller s’entretenir à Rome avec le pape Anicet[84]. Peut-être Irénée et Florin accompagnèrent-ils le vieillard dans ce voyage[85], qui, entrepris pendant l’été, selon les habitudes de la navigation du temps, n’avait rien de bien fatigant[86].

L’entrevue entre Polycarpe et Anicet fut très-cordiale. La discussion sur certains points paraît avoir été assez vive ; mais on s’entendit. La question de la Pâque n’était pas encore arrivée à maturité. Depuis longtemps déjà, l’Église de Rome avait pour principe de montrer à cet égard une grande tolérance. Les conservateurs de la règle juive, quand ils venaient à Rome, pratiquaient leur rite, sans qu’on les reprît ni qu’on cessât de communier avec eux. Les évêques de Rome envoyaient l’eucharistie à des évêques qui suivaient à cet égard une autre règle. Polycarpe et Anicet gardèrent entre eux la même mesure. Polycarpe ne put persuader à Anicet de renoncer à une pratique qui avait été celle des évêques de Rome avant lui. Anicet, d’un autre côté, s’arrêta quand Polycarpe lui dit qu’il tenait sa règle de Jean et des autres apôtres avec lesquels il avait vécu sur le pied de la familiarité. Les deux chefs religieux restèrent en pleine communion l’un avec l’autre, et même Anicet fit à Polycarpe un honneur presque sans exemple. Il voulut, en effet, que Polycarpe, dans l’assemblée des fidèles de Rome, prononçât à sa place et en sa présence les paroles de la consécration eucharistique[87]. Ces hommes ardents étaient pleins d’un sentiment trop passionné pour faire reposer l’unité des âmes sur l’uniformité des rites et des observances extérieures. Plus tard, Rome mettra une grande obstination à faire prévaloir son rite[88]. À vrai dire, il ne s’agissait pas simplement, dans cette question de la Pâque, d’une simple différence de calendrier. Le rite romain, en prenant pour base de la grande fête chrétienne les anniversaires de la mort et de la résurrection de Jésus, créait la semaine sainte, c’est-à-dire tout un cycle de jours consacrés à des commémorations mystérieuses, durant lesquels le jeûne se continuait. Dans le rite asiatique, au contraire, le jeûne finissait au soir du 14 de nisan[89] ; le vendredi saint n’était plus un jour de deuil. Si cet usage l’eût emporté, le système des fêtes chrétiennes eût été arrêté dans son développement.

Les évêques orthodoxes avaient encore trop d’ennemis communs pour s’arrêter à de mesquines rivalités de liturgie ; les sectes gnostiques et les marcionites inondaient Rome, et menaçaient de réduire l’Église orthodoxe à n’être qu’une minorité. Polycarpe était l’adversaire déclaré de ces idées. Comme Justin, et probablement d’accord avec celui-ci, il fit contre les sectaires des prédications fougueuses. Le rare privilège qu’il avait d’avoir vu les disciples immédiats de Jésus lui donnait une immense autorité. Il alléguait, selon sa coutume, l’enseignement des apôtres, dont il se disait le dernier auditeur vivant, et maintenait comme unique règle de foi la tradition remontant par une chaîne non interrompue à Jésus lui-même. Il ne s’interdisait aucune rudesse. Un jour, il rencontra dans un lieu public un homme pour lequel mille raisons auraient dû lui commander des égards, Marcion lui-même. « Ne me reconnais-tu pas ? lui dit celui-ci. — Oui, répondit l’ardent vieillard, je reconnais le premier-né de Satan[90]. » Irénée n’a pas assez d’admiration pour cette réponse, qui montre combien la pensée chrétienne s’était déjà rapetissée. Jésus disait bien plus sagement : « Qui n’est pas contre vous est pour vous. » Est-on jamais bien sûr de n’être pas soi-même le premier-né de Satan ? Combien il est plus sage, au lieu d’anathématiser dès l’abord celui qui marche dans d’autres voies que vous, de s’appliquer à découvrir en quoi il peut avoir raison, par quel biais il envisage les choses et s’il n’y a pas dans sa manière de voir quelque part de vérité qu’on doive s’assimiler !

Mais ce ton d’assurance a sur les gens de demi-culture une grande efficacité. Beaucoup de valentiniens et de marcionites virent Polycarpe à Rome, et revinrent à l’Église orthodoxe. Polycarpe laissa ainsi dans la capitale du monde un nom vénéré. Irénée et Florin restèrent peut-être à Rome après leur maître ; ces deux esprits, fort différents l’un de l’autre, étaient réservés à suivre des voies bien opposées.

Un immense résultat était acquis. La règle de prescription est posée. La vraie doctrine sera désormais celle qui est professée généralement par les Églises apostoliques[91] et qui l’a toujours été. Quod semper, quod ubique. Entre Polycarpe et Valentin, la chose est claire. Polycarpe a la tradition apostolique ; Valentin, quoi qu’il en dise, ne l’a pas[92]. Les Églises particulières forment, par leur réunion, l’Église catholique, dépositaire absolue de la vérité[93]. Celui qui préfère son sentiment propre à cette universelle autorité est un sectaire, un hérétique.

  1. Voir Saint Paul, ch. xiii.
  2. Lucien, Alexander, 9 ; Peregrinus, 28.
  3. V. Saint Paul, p. 44 et suiv.
  4. V. les Évangiles, p. 408.
  5. Philostrate, Apol., I, iii, 2 ; Origène, Contre Celse, VI, 41.
  6. Philostrate, Apollonius, I, iii, 2 ; Eusèbe, Contre Hiéroclès, 2.
  7. Alex., 5. Cf. ibid., 12, 60 ; Peregr., 3.
  8. Eunape, Vie des soph., proœm. Philostrate se servit de Mœragène (en le dépréciant, pour se donner un air sérieux) et de Maxime d’Æges. Quant au faux Damis, à la correspondance et au testament d’Apollonius, on peut soupçonner Philostrate de les avoir inventés.
  9. Lampride, Alex. Sév., 29 ; Vopiscus, Aurélien, 24 ; Philostrate, VIII, 31.
  10. Eusèbe, Contre Hiéroclès, entier.
  11. Lucien, Alexander seu Pseudomantis. Cf. Athénagore, Leg., 26.
  12. Lucien, traité cité, § 18. Cf. Gazette archéol., nov. 1878, p. 179 et suiv. ; Fr. Lenormant, Catal. Behr, p. 228.
  13. Voir ci-dessus, p. 309 et suiv.
  14. Lucien, op. cit., § 38.
  15. Waddington, Fastes, p. 235-236. Voir notre livre VII.
  16. Ce nom a traversé toute la période byzantine et a survécu jusqu’à nos jours dans celui d’Inéboli.
  17. Lucien, Alex., 58.
  18. Bibl. Nat., cabinet des médailles ; Spon, Rech. cur. d’ant., p. 525 et suiv. ; Spanheim, De præst. num. vet. (I, p. 213 et suiv., 721, Londres, 1706) ; Eckhel, II, p. 383-384 ; Mionnet, t. II, p. 387-388 ; Suppl., t. IV, p. 550-551.
  19. Le cabinet des médailles de la Bibl. Nat. possède des monnaies d’Ionopolis, portant le Glycon jusqu’au règne de Trebonianus Gallus (251-253) [Chabouillet].
  20. Athénagore, Leg., 26. L’identification de ce personnage avec Suillius Nerullinus, consul l’an 50, et proconsul d’Asie vers 70 (Waddington, p. 141-142 ; Orelli, 3389, 6445), est très-peu probable. Le nom se retrouve dans Renier, Inscr. rom. de l’Algérie, no 2449.
  21. Baronius, à l’an 139, § 4 ; Corpus inscr. gr., no 5980 (cl. 5974 et suiv.). Comp. Tatien, Adv. Gr., 18.
  22. Il croit à Esculape et aux songes (De morb. diff., 9 ; De dignotione ex somn., Opp., VI, 833, Kühn). Marc-Aurèle n’a non plus là-dessus aucun doute. Pensées, I, 17 ; IX, 27.
  23. Voir l’édition de ses œuvres par Dindorf, III, p. cxvi, etc. ; Waddington, Mém. sur sa vie, dans les Mém. de l’Acad. des inscr. et belles-lettres, t. XXVI, 1re partie, p. 203 et suivantes.
  24. Lucien, Alex., 1, 17, 20, 21, 61 ; Origène, Contre Celse, I, 8, 68 ; II, 13, 60 ; III, 22, 35, 49, 80 ; IV, 36, 75 ; V, 3. Ailleurs (VIII, 45), Celse admet le surnaturel officiel. Ce point sera étudié dans notre livre VII.
  25. Lucien, Alex., Peregr., Philopseudes, Demonax.
  26. Lucien, Demonax. L’attribution de ce traité à Lucien souffre des objections (Bernays, Lucian, p. 104-105).
  27. Origène, Contre Celse, III, 22 ; Lucien, Alex., 45, 46, 47 ; Peregr., 21, 24.
  28. Lettre de Pline ; l’Alexandre de Lucien. Cf. Peregr., 13.
  29. Inscription publiée par Wagener, dans la Revue de l’instr. publ. en Belgique, mai 1868, p. 1 et suiv. Le Publius Ælius Glycon de cette inscription ne saurait être un vrai juif ; c’est probablement un judaïsant, un judéo-chrétien. Rapprochez les Actes fabuleux de saint Abercius, qui semblent avoir été fabriqués sur le vu de cette inscription et des autres épitaphes d’Hiérapolis. Halloix, Ill. Eccl. or. script., II, p. 136 et suiv. ; Baronius, à l’année 163, no 11 et suiv.
  30. V. Saint Paul, p. 354 et suiv. ; Wagener, l. c.
  31. Josèphe, Ant., XII, iii, 4 ; Wagener, Inscr. gr. recueillies en Asie Mineure, p. 18-19.
  32. Θρέμματα, ἐργασία θρεμματικὴ. Wagener, Revue, l. c ; Corpus inscr. gr., no 3318.
  33. Aristote, Polit., III, 5 ; Plutarque, Périclès, 2.
  34. Voir notre livre VII.
  35. Eusèbe, H. E., III, 37 ; V, 17.
  36. Méliton, dans Eusèbe, H. E., IV, xxvi, 3, 5, etc. ; Polycrate, dans Eus., H. E., V, ch. xxv (notez le nombre des évêques qualifiés martyrs). Cf. Eusèbe, H. E., V, xix, 3.
  37. Anonyme contre les cataphryges, cité par Eus., V, xvi, 12, 20, 21, 22 ; Apollonius, dans Eus., V, xviii, 5, 6 et suiv. ; Eusèbe, De mart. Pal., x, 2 ; Actes de saint Pione, 11 (Acta sinc., p. 145) ; Conc. de Laodicée, ch. ix, etc. Voir ci-dessus, p. 355, et, dans notre livre VII, les chapitres consacrés au montanisme.
  38. Apollonius, dans Eus., V, xviii, 5, 6 et suiv.
  39. L’anonyme, dans Eus., H. E., V, xvi, 21-22.
  40. Eusèbe, H. E., V, 2, 3, 16-19. Cf. Tertullien, De pudicitia, 18, 22.
  41. Τῆς τῶν ἐκκλησιῶν εἰρήνης ἕνεκα πρεσϐεύοντες. Eus., V, iii, 4.
  42. Apollonius, dans Eus., H. E., V, xviii, 13 ; Polycrate, dans Eus., H. E., V, xxiv, 4.
  43. Méliton, dans Eusèbe, H. E., IV, xxvi, 3 ; Polycrate, ib., 5.
  44. Polycr., ibid.
  45. Eusèbe, H. E., IV, xxvi, 1.
  46. Polycr., dans Eus., H. E., V, xxiv, 6. V. ci-dessus, p. 81.
  47. Une telle idée n’était point rare. Justin, Apol., I, 29 ; Philosophum., IX, 12. Cf. Matth., xix, 12, et saint Jérôme sur ce passage. Le mot εὐνουχία, cependant, s’emploie aussi pour la chasteté de l’homme : Athénagore, 33 ; Clém. d’Alex., Strom., III, 12.
  48. Lire son De veritate, conservé en syriaque, dans le Spicil. syr. de Cureton, ou dans le Spicil. Solesm. de Pitra, t. I.
  49. Eus., H. E., V, ch. xvii ; saint Jérôme, De viris ill., 39 ; Tertullien, In Val., 5.
  50. Irénée, lettre à Florin, dans Eusèbe, H. E., V, 20 ; le même, lettre à Victor, dans Eus., H. E., V, xxiv, 16 ; le même, Adv. hær., III, iii, 4 (Eus., IV, 14) ; traité de l’Ogdoade, Eus., H.E., V, xx, 1 ; Polycrate, dans Eus., V, xxiv, 3 ; saint Jér., De viris ill., 17. Cf. l’Antechrist, p. 564 et suiv.
  51. Martyr. Polyc., 5, 12, 16.
  52. Martyr. Polyc., 5, 12. Cf. les Actes de saint Pione, §§ 2, 6.
  53. Martyr. Polyc., 5, 14.
  54. Διδάσκαλος ἀποστολικός. Mart. Polyc., 16.
  55. Irénée, lettre à Florin. Comp. Mart. Polyc., 13, etc.
  56. Martyr. Polyc., 3, 9, 10, 12, 17, 18.
  57. Voir les Presbyterorum reliquiæ, recueillies dans les œuvres d’Irénée par MM. de Gebhardt et Harnack, Patres apost., I, ii, p. 105 et suiv. On y remarque des traces de polémique contre les gnostiques et Marcion.
  58. Παῖς ἔτι ὤν.
  59. Les indices pour mettre Irénée en rapport avec Papias sont très-faibles. Saint Jérôme, Epist. 29 (53), ad Theodoram. IV, 2e part., col. 581, Mart. Cf. Gebh. et Harn., Patres apost., I, ii, p. 101, 106, 113-114. Saint Jérôme, avec son inexactitude ordinaire, tire cette conclusion des citations de Papias qui sont dans Irénée.
  60. Certes Polycarpe et Irénée peuvent avoir exagéré l’importance de leurs relations apostoliques, afin d’avoir un argument décisif à faire valoir contre les hérétiques (Irénée, III, iii, 4). Nous ne croyons pas cependant que le fait de ces relations soit un mensonge inventé de toutes pièces. Voir l’Antechrist, p. 567-568. Une des plus graves difficultés est la complète ignorance que montre Irénée du vrai sens des énigmes de l’Apocalypse.
  61. Irénée, I, xiii, 6, etc.
  62. Irénée, V, xxxiii, 3, en remarquant δὲ καί du § 4.
  63. C’est là l’esprit de son disciple Irénée.
  64. Irénée, III, iii, 4 (Eus., H. E., IV, xiv, 6).
  65. Irénée, lettre à Florin, déjà citée.
  66. Irénée, dans Eus., H. E., V, xx, 8 ; lettre à Florin ; saint Jérôme, De viris ill., 17.
  67. Voir l’édition de Zahn, Leipzig, 1876, renfermant aussi le Martyre, dans les Patres apost. de Gebh. et Harn., II. Les prétendus fragments conservés par Victor de Capoue sont sans valeur. Zahn, p. xlvii-xlviii, 171-172.
  68. §§ 1 et 9. Les enchaînés du § 1 seraient les ἄλλοι οἱ ἐξ ἡμῶν (d’autres lisent ὑμῶν) du § 9. Voir les Évangiles, introduction, p. xxviii et suivantes.
  69. L’écrit a les liens les plus étroits avec les épîtres ignatiennes ; mais ce n’est pas là une objection insoluble (voyez les Évangiles, p. xxviii et suiv.). Une plus forte objection vient de ce que l’écrit est adressé aux Philippiens, sur qui Polycarpe n’avait pas d’autorité. On est tenté de croire que cette adresse a été supposée pour amener le rappel de l’épître de saint Paul (§§ 3 et 11), complique bizarrement d’une allusion a la IIª Petri, iii, 15. Ce qui concerne Valens, dans les §§ 11 et 12, surprend un peu. Polycarpe n’avait aucun droit de parler ainsi, et cela parait imité des épîtres pastorales de Paul. Le § 13, dans toutes les hypothèses, est de l’auteur des épîtres pseudo-ignatiennes.
  70. Irénée, III, iii, 4. L’argument perdrait de sa force, si l’on admettait qu’Irénée ait aussi été trompé par les épîtres pseudo-ignatiennes. Mais il n’est pas sûr qu’Irénée ait connu le texte de ces épîtres. La parole d’Ignace qu’il cite (V, xxviii, 4) pouvait être traditionnelle. En tout cas, même en supposant qu’Irénée ait lu l’épître d’Ignace aux Romains, il n’a pas connu le recueil des sept lettres pseudo-ignatiennes. Si Irénée avait possédé ce recueil, il semble qu’il le citerait davantage. La ressemblance de l’épître attribuée à Polycarpe et des épîtres pseudo-ignatiennes vient peut-être de ce que l’auteur de ces dernières s’est fait imitateur de l’ouvrage qu’il a interpolé. Irénée paraît avoir connu l’épître de Polycarpe séparée, non engagée, comme elle est maintenant, dans le Corpus ignatien et altérée en vue de ce Corpus.
  71. Comp. Polyc., 2, 4, 7, 9, à Clém., 1, 5, 7, 9, 13, 21.
  72. § 3. Comp. pseudo-Ign., Eph., 12 ; Clém. Rom., Ad Cor. I, 47.
  73. § 7. Cf. I Joh., iv, 3.
  74. Irénée, III, iii, 4. L’épître était lue publiquement en Asie au IVe siècle. Saint Jér., De viris ill., 17. Elle a tourné autour du Canon, avec les écrits de pseudo-Ignace et de pseudo-Hermas. Credner, Gesch. des neut. Kan., p. 244, 246.
  75. Irénée, lettre à Victor, dans Eus., H. E., V, xxiv, 16, 17 ; Adv. hær., III, iii, 4.(Eus., IV, 14) Eus., Chron., p. 171, Schœne ; saint Jér., De viris ill., 17 ; Chron. d’Alex., an 158.
  76. Μικρὰ σχόντες πρὸς ἀλλήλους. Irénée, dans Eus., H. E., V, xxiv, 16.
  77. Saint Hippolyte, dans Chron. d’Alex., p. 6, Paris.
  78. C’est celle de l’Évangile attribué à Jean.
  79. Τὸ πάσχα ἡ ἑορτὴ τῶν Ἰουδαίων. Jean, vi, 4. Comp. I Cor., v, 7 ; Col., ii, 16 ; Concile de Nicée, dans Eusèbe, Vita Const., III, 18.
  80. Irénée, dans Eus., H. E., V, xxiv, 14.
  81. Polycrate, dans Eus., H. E., V, xxiv, 2 et suiv. ; Irénée, ibid., 11 et suiv. L’Évangile dit de Jean est bien plus favorable à l’usage de Rome qu’à l’usage de l’Asie, quoiqu’il ne soit pas exclusif de ce dernier. Apollinaire, dans Chron. d’Alex., p. 6, Paris.
  82. Eus., H. E., V, ch. xxiii et xxiv ; cf. IV, xxvi, 3 ; Chronique d’Alex., p. 6, Paris ; Pseudo-Ign., ad Phil., 14 ; Constit. apost., VIII, xlvi, canon 70 ; Pseudo-Tertullien, Præscr., 53 ; Epiph., hær. l. Ce fut le concile de Nicée qui mit fin aux différends sur ce point.
  83. Ceci résulte d’Irénée, lettre à Victor, dans Eus., H. E., V, xxiv, 24. Eusèbe (IV, xiv, 1) et après lui saint Jérôme (De viris ill., 17) ont faussé ici la nuance.
  84. Irénée, lettre à Victor, dans Eus., H. E., V, 24 ; Adv. hær., III, iii, 4 (Eus., H. E., IV, 16) ; Eus., Chron., à l’année 155 ; saint Jérôme, De viris ill., 17. Pour l’accord des dates, voir l’Antechrist, p. 566 et suiv.
  85. Irénée était, paraît-il, à Rome, lors de la mort de Polycarpe. Manuscrit de Moscou. Zeitschrift für die histor. Theol., 1875, p. 355 et suiv. ; Mart. Polyc., dans Zahn, p. 167-168.
  86. Voir l’Antechrist, p. 567.
  87. Irénée, lettre à Victor, l. c. Le verbe παρεχώρησε, impliquant la cession d’un droit, ne peut s’appliquer à une simple distribution de l’Eucharistie qu’Anicet aurait faite à Polycarpe.
  88. Voir notre livre VII.
  89. Eus., H. E., V, xviii, 1.
  90. Irénée, III, iii, 4 ; Saint Jér., De viris ill., 17.
  91. Sedes apostolicæ,… matrices et originales fidei. Tert., Præscr., ch. 21. Cf. Irénée, III, ch. iv.
  92. Mart. Polyc., suscr., 8, 16, 19 ; Pseudo-Ignace, Ad Smyrn., 8.
  93. Κανὼν τῆς ἀληθείας (Irénée, I, ix, 4), κανὼν ἐκκλησιαστικός (Clém. Alex., Strom., VII, 15), regula fidei (Tert., De virg. vel., 1 ; Præscr., 14). Cf. Irénée, I, x, 1-2.