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L’Enfant du bordel/tome 2/3

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(p. 88-112).

CHAPITRE IX.


LE gardien des capucins m’admit sans difficulté : je fis porter mes effets au couvent, et l’on m’installa dans l’emploi récréatif de servir les messes et d’aider les révérends pères à chanter tant bien que mal leurs offices.

Ce ne fut que le soir du jour de mon arrivée que je pus voir le frère Ange : il étoit revêtu de l’emploi lucratif de quêteur ; et comme il avoit l’art d’attirer à lui des aumônes abondantes, il jouissoit dans le couvent d’une haute réputation.

À peine fus-je couché que frère Ange, que je n’avois fait qu’entrevoir dans la soirée, vint frapper à la porte de mon modeste appartement ; je lui ouvre, et nous voilà dans les bras l’un de l’autre. Le lierre ne s’unit pas plus étroitement à l’ormeau que je m’attachai à l’homme pour qui je venois faire la plus insigne folie. Il faisoit pleuvoir une grêle de baisers sur tous mes charmes ; sentant que bientôt il ne seroit plus maître de ses transports, il m’invita à le suivre dans sa cellule, située d’une manière beaucoup plus isolée que la mienne. En effet, elle étoit au bout d’un long corridor, dont un côté étoit occupé par un garde-meuble et l’autre par la salle du chapitre.

À peine fûmes-nous arrivés que frère Ange me prit dans ses bras et me porta sur la couche capucinale. En peu d’instans il fut à mes côtés, et je sentis la peau douce et fraîche de mon amant s’unir à la mienne, mes mains tremblantes parcoururent toutes les parties de son corps. Les siennes s’emparèrent du mien ; mes petits tettons, mes bras, mon ventre, mes cuisses, tout fut dévoré de caresses et de baisers. Sa langue, cette langue délicieuse, s’introduisit dans ma grotte, et y ralluma ces desirs brûlans qu’elle m’avoit déjà fait éprouver dans la diligence.

Nous éprouvâmes bientôt tous deux le besoin de nous unir plus étroitement encore. Frère Ange, dont ma main n’avoit pas quitté le roide outil, se coucha sur moi, et se mit en devoir de m’enfiler ; mais, quoique frère Ange ne fût pas taillé d’une manière gigantesque, j’étois si jeune que les parties étoient vraiment disproportionnées.

Cependant, frère Ange ne vouloit pas en avoir le démenti, aussi le très-cher frère poussoit-il comme un enragé ; j’eus toutes les peines du monde à m’empêcher de jeter les hauts cris. Le drap ployé en quatre que j’avois mis dans ma bouche, fut coupé par mes dents, enfin un dernier et vigoureux coup de cul de mon amant acheva la besogne et logea son outil tout entier dans mon corps.

Si quelque chose peut dégoûter une femme des plaisirs amoureux, c’est sans contredit ce qu’elle souffre en perdant son pucelage ; mais aussi combien elle est dédommagée de quelques instans de douleur par les plaisirs sans nombre qui les suivent. Le reste de la nuit fut employé à la même besogne : je souffris beaucoup moins et j’eus même sur le matin un éclair de bonheur. Nous nous étions endormis l’un et l’autre : il se réveilla avant moi, et profitant de mon profond sommeil, il voulut me procurer un moment de jouissance ; il me branla donc assez fort pour produire l’effet qu’il en attendoit, et assez doucement pour ne pas détruire mon sommeil. J’étois en ce moment sous l’empire d’un songe heureux, je rêvois que j’étois dans les bras de frère Ange, absolument nu ; mais il étoit encore plus digne de son nom, car des ailes brillantes sortoient de ses épaules. Ce bel ange m’enfiloit, et le plaisir fut si vif que je m’éveillai en déchargeant.

Mon amant vouloit encore me donner une preuve de sa vigueur ; mais j’étois si fatiguée, si souffrante que je le refusai absolument et je regagnai mon lit, où je me disposois à dormir un bon sommeil, lorsque le point du jour et le premier coup de cloche, me forcèrent à me lever pour commencer les augustes fonctions dont j’étois revêtue.

Deux mois s’écoulèrent dans un bonheur sans mélange. À cette époque, le gardien reçut une lettre de Paris, après la lecture de laquelle le chapitre fut assemblé. Frère Ange, depuis sa liaison avec moi, avoit soin d’examiner avec attention tout ce qui se passoit d’extraordinaire dans le couvent : il sut aussitôt la convocation du chapitre, auquel il n’étoit point admis, parce qu’il n’étoit que frère. Il se rendit dans sa cellule qui ; comme je l’ai dit, étoit adossée à la salle du chapitre. La curiosité lui avoit fait depuis long-tems pratiquer une ouverture imperceptible pour tout autre que pour lui ; il fut donc se mettre aux écoutes, et entendit avec effroi qu’il étoit question de moi, et que le secret de mon sexe étoit découvert.

Il paroît que madame Grosset la revendeuse à la toilette de la rue Neuve-Saint-Eustache n’avoit pas été discrète, et que, dans un accès de bavardage, elle avoit conté notre histoire à quelques-unes de ses pratiques, et que ces mauvais plaisans avoient trouvé divertissant d’écrire au gardien que l’enfant de chœur, connu sous le nom d’Alexis, étoit une fort jolie femme, destinée aux plaisirs de la communauté.

Frère Ange, après avoir écouté la lecture, voyant qu’il n’étoit pas question de lui, et que les soupçons des révérends ne l’atteignoient pas non plus, il se dépêcha de venir me trouver pour m’apprendre notre mésaventure.

J’étois dans la sacristie à arranger les ornemens de l’église pour les fêtes de Pâques : il me conta tout cela avec précipitation, me remit quelques louis, et une lettre pour une dame de Soissons, à laquelle vraisemblablement il pouvoit confier de semblables aventures, et m’engagea à m’y rendre sur-le-champ. Je sentois le danger, je ne me le fis pas répéter deux fois ; en deux sauts me voilà dans la rue, et en quatre enjambées chez la dame protectrice des amans découverts.

Après avoir lu la lettre, elle me dit d’être parfaitement tranquille, et qu’il ne m’arriveroit rien chez elle ; que, d’ailleurs, elle alloit, d’après les ordres qu’elle avoit reçus, travailler à ma métamorphose.

Elle sortit et me laissa seule pendant environ une demi-heure ; elle revint avec un paquet de hardes de femmes de différentes tailles : je les essayai et m’en tins à un ajustement de grisette fort joli et parfaitement bien fait.

Cette femme étant une des pourvoyeuses du sérail de Mad. D......y, elle me proposa de m’y faire recevoir. Que faire ? je ne pouvois plus vivre avec mon capucin, je ne pouvois plus retourner chez mes parens, j’étois sans ressource, j’acceptai.

Je fus donc envoyée à Mad. D......y, chez laquelle je restai jusqu’au moment où la folie, qui me passa par la tête, nous fît mettre à la porte, à la suite de quoi nous fûmes mis tous les deux à l’hôpital.

Tu sais ce qui nous y arriva, tu sais de quelle manière tu en sortis ; mais ce que tu ne sais pas, c’est le chagrin que me causa ton départ ; ce que tu ne connois pas, ce sont les événement qui m’ont tirée de ce lieu de douleur.

Douze jours s’étoient écoulés depuis ton départ ; le désespoir le plus profond s’étoit emparé de mon ame. Mes idées ne rouloient que sur les moyens à employer pour abréger des jours qui m’étoient odieux, lorsqu’un cardinal allié de ma famille, et portant le même nom que mon père, vint visiter la maison. Je ne puis te dire ce que j’éprouvai à cette nouvelle, lorsque j’entendis dire que monseigneur le cardinal de L. R. devoit venir dans la matinée.

J’étois cependant si malheureuse que je ne balançai pas à m’ouvrir à lui. Il arriva donc ; je me jetai à ses pieds pour lui demander un entretien particulier, où je promis de lui révéler des choses qui l’intéresseroient vivement. Il me l’accorda ; nous passâmes chez la supérieure : je lui dévoilai tout, et ne lui cachai que le nom du couvent où restoit mon séducteur.

Jugez de l’étonnement du bon prélat, en trouvant sa cousine dans une des prostituées, condamnées à une juste détention. Sans cependant révéler ce que je venois de lui apprendre, il recommanda à la supérieure d’avoir le plus grand soin de moi jusqu’au moment où il m’enverroit prendre le lendemain avec mon ordre de sortie.

Après son départ, la supérieure me questionna sur le genre de mes liaisons avec le cardinal de L. R. Je refusai de contenter sa curiosité. Cette femme orgueilleuse auroit bien voulu me punir de ma réserve ; mais la protection spéciale que m’avoit accordée le cardinal et les soins qu’il avoit recommandés qu’on eût de moi lui en imposoient.

Le lendemain, une voiture arriva, et avec elle une dame d’environ cinquante ans, à qui un chevalier de Saint-Louis donnoit la main ; j’ai su depuis que cet homme étoit le premier écuyer du cardinal, qu’il avoit toute sa confiance et qu’il en étoit digne.

Le cardinal ne s’étoit ouvert qu’à lui sur l’état déplorable où il avoit trouvé sa parente. L’écuyer avoit invité la dame, avec laquelle il étoit, à lui aider à faire une bonne action, sans cependant lui dire qui j’étois. Cette personne, qui est une des dames de Charité de Saint-Sulpice avoit consenti à me prendre chez elle, jusqu’à ce qu’on ait pu me faire habiller décemment.

Pour ne pas t’ennuyer, je te dirai en peu de mots que je fus mise au couvent de Pantemont, sous le nom de mademoiselle de L. R. ; qu’après un séjour de deux mois, pendant lequel le cardinal m’avoit rendu de fréquentes visites, il me présenta le vicomte de Basseroche, comme l’époux que ma famille me destinoit. Je consentis à l’épouser pour être libre. Le cardinal bénit lui-même notre union. Je trouvai dans mon époux, qu’une forte dot et un grand nom rendoient très-respectueux à mon égard, un original assez ridicule, mais cependant bon diable, et dont je fais à-peu-près tout ce que je veux. Me voilà grande dame ; mais mon cœur me dit que, si ma famille me donne la fortune et l’illustration, Chérubin seul peut me donner le bonheur.

Je ne pouvois remercier Félicité qu’en la foutant, aussi la foutois-je de toutes mes forces. Mes facultés sembloient se centupler pour lui donner des preuves de ma tendresse, et nouvel Anthée je retrouvois mes forces épuisées, en touchant cette terre de délices.

Le lendemain et les jours suivans, tous les plaisirs me furent prodigués par le vicomte de Basseroche, qui me croyoit toujours le prince Poleski. J’allois de tems en tems dans la voiture du vicomte rendre visite au père Coulis ; et Rose, malgré ma dignité postiche, me revoyoit toujours avec un nouveau plaisir. Quelquefois elle se rendoit au petit bois avec ses deux amies. Je m’y trouvois de mon côté, et nous y passions des momens toujours trop courts ; les nuits étoient consacrées à Félicité, que le très-cher vicomte n’importunoit pas beaucoup pour les devoirs conjugaux.

Un mois s’écoula de la sorte, et peut-être serois-je encore au château de Basseroche sans un évènement qui me força de le quitter d’une manière un peu brusque.

Un soir que le souper avoit été prolongé assez avant dans la nuit, je me retirai dans ma chambre, étourdi par les vapeurs du vin de Champagne. Je voulus aller rejoindre ma Félicité ; l’appartement du vicomte étoit un étage au-dessous de celui de sa femme, et l’intérieur en étoit distribué de même. Dans mon ivresse, je prends une porte pour l’autre, et me voilà chez M. de Basseroche. Les vapeurs bachiques m’empêchent de m’apercevoir de mon erreur ; je quitte le peu de vêtemens que j’ai sur moi, et je me mets dans le lit du vicomte, à ses côtés. Je l’embrasse tendrement ; je le nomme ma chère Félicité. Je le remercie des plaisirs inappréciables dont elle m’avoit enivrée depuis mon séjour dans le château. Je lâche sur-tout des sarcasmes amers sur le mari bénin, qui accueilloit avec autant d’amabilité, sous le nom d’un prince imaginaire, l’amant de sa femme.

Le vicomte, à cette déclaration, s’arrache de mes bras, s’élance du lit et saute sur ses pistolets ; l’effroi que me cause la présence inattendue de M. de Basseroche chasse les vapeurs vineuses qui troubloient ma tête. Je sens toute l’étendue des dangers que je cours : je m’élance vers la fenêtre, qui n’est qu’à six pieds du sol. Je l’ouvre, je saute, et me voilà à arpenter le jardin de toute la vitesse de mes jambes. Le vicomte tire deux coups de pistolet sur moi et ne m’attrappe pas ; les chiens aboient ; la maison est en mouvement ; il faut fuir ou périr.

J’arrive au bout du jardin : un treillage me sert d’échelle. Quoique je sois en chemise, sans bas ni souliers, je grimpe rapidement ; le devant de ma chemise s’accroche ; je veux vainement la dégager : je tire, elle se déchire ; le pan de devant reste après le treillage ; j’atteins le haut du mur ; de grands arbres sont derrière ; je saisis une branche, je me laisse tomber. Cette branche me conduit sans danger jusqu’à terre, et sans m’arrêter je me mets à fuir à travers les champs.

Après un quart de lieue, dans les terres labourées, parcouru avec la rapidité d’un homme qui fuit la mort, je m’arrêtai un instant pour réfléchir sur le parti que j’avois à prendre ; deux heures sonnoient aux horloges des villages environnans. J’étois nu, et le devant de ma chemise arraché jusqu’au milieu de mon ventre. Point d’habits, point d’argent, la perspective n’étoit pas brillante.

Je me déterminai à continuer ma route, quitte pour dire au premier endroit que j’avois été dépouillé par des voleurs. Je trouvai bientôt un chemin de traverse, et je le suivis ; le jour commença à poindre à trois heures et demie, et j’aperçus à deux cents pas de moi la porte d’un couvent ; la cloche sonnoit pour les matines : je frappai. Une voix de Stentor demanda qui est là. Ouvrez, dis-je, par humanité. — Qui êtes-vous. — Un infortuné ! que des voleurs ont dépouillé. La porte s’entr’ouvrit, et un capucin me fit entrer.

Le gardien averti arriva. Je l’entendis nommer le révérendissime père Ange. Ne seroit-ce pas, me demandai-je à moi-même, le premier amant de ma Félicité. Je lui demandai un entretien particulier. Lorsque nous fûmes seuls, je lui dis ; mon révérend père, n’avez-vous pas connu autrefois une jeune personne, nommée Félicité de L. R. ?… Le gardien pâlit à cette demande. Rassurez-vous, lui dis-je, je suis son ami, et il ne tiendra pas à moi que je ne sois le vôtre. — Qui vous a dit ?… — Elle-même. Je la quitte il y a peu d’heures, elle m’a conté votre histoire ? — Vous la quittez dans cet équipage. — C’est par la suite d’un évènement que je vais vous raconter.

Je fis part au père Ange des évènemens qui avoient fait de Félicité madame la vicomtesse de Basseroche, et de l’aventure malheureuse qui m’avoit forcé de me sauver du château. Le gardien étoit émerveillé de tout cela, il se rappeloit la perfection des appas qu’il avoit autrefois palpés, et l’espoir d’en tirer encore parti faisoit briller ses yeux de luxure.

Je ne puis, me dit-il, vous donner les vêtemens qui vous manquent ; car ces vêtemens ne sont point à notre usage ; nous ne portons n’y bas, ni souliers, ni culotte, ni chemise : tout ce que je puis faire, c’est de vous prêter un manteau de capucin et des sandales. Voici un louis, c’est la seule somme dont je puisse disposer. Au premier village vous achèterez quelques habits. Je me charge de vous faire rendre tout ce qui vous appartient par M. le vicomte de Basseroche, chez lequel j’irai exprès ce matin ; je les ferai passer chez nos frères de Moulins. Aussitôt que vous serez arrivé dans cette ville, vous irez au couvent des capucins, vous y prendrez vos effets, et vous leur remettrez le manteau que je consens à vous confier. Cet arrangement vous convient-il ?

Je remerciai vivement le père Ange de ses bontés pour moi, et, après un déjeuner meilleur que ne l’est ordinairement la pitance capucinale, je le quittai revêtu du manteau bienheureux, des séraphiques sandales et un louis dans la main.

Cinq heures venoient de sonner, je voyois de loin un village ; je cotoyois le mur d’un jardin qui, vraisemblablement, étoit celui de la maison seigneuriale. Je suivois ce mur depuis environ dix minutes, lorsque j’arrivai à un angle formé par un pavillon élégant ; prêt à continuer mon chemin, une voix fraîche et mélodieuse que j’entends, me fait tourner le coin du mur pour voir d’où partoit cette voix.

J’apperçois à une des fenêtres du pavillon une femme d’environ 24 ans, fraîche comme la rose, et dans le désordre d’une personne qui sort de son lit ; sa chemise non attachée laissoit voir une épaule, la majeure partie d’un bras, et une paire de tettons comme on en rencontre peu.

Cette jeune femme, surprise de me voir les jambes nues et en manteau de capucin, fit un petit cri de frayeur. Rassurez-vous, madame lui dis-je, je ne suis pas un méchant. Mes ennemis m’ont réduit à cet état. Heureux encore qu’un religieux charitable m’a prêté le manteau pour couvrir ma nudité. — Quoi ! vous êtes nu sous ce manteau. — Vous le voyez, madame. Alors j’ouvris le manteau. Mon outil, que la vue des tettons de la jolie femme avoit fait roidir, fut la première chose qui frappa ses regards.
Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 292. Vous le voyez Madame.
Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 292. Vous le voyez Madame.
Ah ! pauvre malheureux ! tenez, voici une clef pour ouvrir la petite porte verte, je vais à votre secours. Elle me jette la clef. J’ouvre la porte, et me voilà dans le jardin.