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L’Enfant du bordel/tome 2/4

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(p. 113-132).

CHAPITRE X ET DERNIER.


LA jeune femme fut bientôt auprès de moi : elle me conduisit dans le pavillon dont elle sortoit ; elle étoit si empressée de remplir les devoirs de l’hospitalité, qu’elle n’avoit pas encore songé à réparer le désordre de sa toilette.

De mon côté, soit distraction, soit un autre motif, j’avois cessé de tenir les bords de mon manteau croisés sur ma poitrine ; ils s’étoient écartés, et la partie saillante, qui avoit d’abord frappé les regards de ma compagne, prenoit à chaque instant plus de consistance et plus de fermeté. Du coin de l’œil, chacun de nous lorgnoit ce qui s’offroit à ses regards ; des soupirs brûlans que le desir faisoit naître s’échappoient de nos poitrines : notre démarche étoit incertaine. Cet état violent ne pouvoit pas durer : aussi ne dura-t-il pas.

Lorsque nous fûmes dans le pavillon, elle m’invita à me mettre dans son lit, en attendant qu’il lui ait été possible de me procurer des vêtemens. Je ne me fis pas prier, et mon introductrice vint se mettre dans un fauteuil auprès de moi.

Elle me demanda quelle étoit l’aventure qui m’avoit réduit à me promener la nuit dans un équipage aussi grotesque. Je lui racontai tout ce qui venoit de m’arriver au château de Basseroche. Mon récit la fit beaucoup rire.

Elle me dit, de son côté, qu’elle étoit la nièce et l’héritière d’un fermier-général, extrêmement riche, qui étoit dans ce moment à Paris ; qu’elle l’attendoit sous peu avec un homme de qualité, auquel il se proposoit de la marier ; que, pendant l’absence de son oncle, elle couchoit ordinairement dans ce pavillon ; parce que la vue en étoit infiniment plus agréable que celle du château ; qu’enfin elle se félicitoit de sa translation, puisqu’elle lui avoit servi à être utile à un jeune homme aussi aimable que je paroissois l’être. Ces derniers mots furent dits d’une voix tremblante, en rougissant et baissant les yeux. Je lui pris la main, que je portai sur mes lèvres : elle la retira ; un charmant sourire vint embellir encore son aimable figure.

Ma jeune compagne se leva, me pria de ne pas m’impatienter, qu’elle alloit revenir le plus promptement possible. En disant ces mots, elle sortit, et m’enferma à double tour.

Je fis je ne sais combien de réflexions sur la bizarrerie de mon étoile, qui ne me plaçoit sur le pinacle que pour m’en précipiter plus rapidement ; mais aussi, comme dans tous les évènemens fâcheux qui avoient traversé ma vie, il étoit toujours venu un moment de bonheur après celui de l’infortune, je sentois que j’aurois tort de me plaindre, il est tant d’êtres qui valent beaucoup mieux que moi, et qui n’ont connu que le malheur.

Laure, c’est le nom de ma protectrice, revint bientôt ; elle apportoit une demi-bouteille de vin de liqueur, des biscuits et des hardes de son oncle. Imaginez un habit maron, orné d’un large galon d’or ; la culotte de même, avec les jarretières pareillement galonnées en or ; la veste de satin blanc, brodée en or, paillettes et soie ; bas de soie blancs, souliers larges et ronds ; petites boucles d’or carrées ; chapeau galonné. Jugez la tournure que devoit avoir le pauvre Chérubin avec ses seize ans et demi, sous un tel accoutrement.

Je m’habillai donc, et voilà la folle de Laure à rire comme une extravagante de ma tournure financière, à laquelle il ne manquoit plus que la perruque à la brigadière et la canne à bec de corbin. Je pris Laure dans mes bras, et, tout en lui parlant de ma reconnoissance, j’appliquai un baiser savoureux sur sa bouche vermeille. Ma main osa se glisser sous un fichu assez négligemment attaché. Laure me repoussa, mais avec une certaine molesse, qui m’annonça qu’elle ne seroit pas long-tems rebelle à mes caresses.

J’allois hasarder quelque chose de décisif, lorsqu’un domestique vint frapper au pavillon, et annonça à Laure que la voiture de son oncle paroissoit dans l’avenue ; je fus on ne peut pas plus vexé de ce contre-tems ; mais qu’y faire ? c’étoit partie remise. Laure se rendit au château pour y recevoir le très-cher oncle, et vraisemblablement l’illustre prétendu. Je restai seul possesseur du pavillon, où elle me promit de me rendre visite, aussitôt qu’elle pourroit disposer d’un instant, et je fus enfermé de nouveau.

Assez embarrassé des moyens que je prendrais pour occuper mon tems, je m’amusai à regarder le jardin à travers les barres d’une persienne qui étoit fermée, lorsque je vis venir un petit garçon jardinier, d’à-peu-près seize ans, menant par la main une jolie petite paysanne du même âge. Ils furent s’asseoir sur un banc de pierre au pied de la muraille, en face du pavillon. Ce banc étoit dérobé à la vue du château par la niche de verdure dans laquelle il étoit placé.

Génevieve, dit le manant, viens auprès de moi. — Que me veux-tu, Jacquot ? — Te dire bien des choses, Génevieve. — Quoi donc encore ? — Tout le monde est au château occupé à recevoir M. Duremont ; mademoiselle y est avec les autres, par conséquent il n’y a personne dans ce pavillon : ainsi nous ne seront pas interrompus. — Eh bien ! veux-tu en venir avec tes préambules ? — À te montrer quelque chose qui t’étonnera bien. — Qu’est-ce que c’est ? — Auparavant faut que tu me montres ce que tu as sous ton fichu. — Je ne veux pas. — En ce cas, tu ne verras pas ce que je voulois te montrer. — Mais que te fait ce que j’ai sous mon fichu ? — Il faut que je le voie avant de te montrer ce que je veux dire. — Eh bien ! regarde sous mon fichu. — Oh ! comme c’est joli..... comme c’est ferme… — Ne frotte donc pas comme cela le bout, ça me chatouille. — Comme c’est joli !… — Ah ça ! tu vas me faire voir à présent ce que tu voulois me montrer. — Oui. — Tu déboutonnes ta culotte. — Il le faut bien..... Tiens, regarde. — Oh ! la drôle de chose. — Pas vrai, Génevieve, que c’est drôle. — Et que sont ces machines qui pendent au-dessous ? — Ce sont les amourettes. — C’est comme des petites boules qui sont renfermées là-dedans, ça roule. — Sais-tu à quoi sert cet outil-là, Génevieve. — Non, Jacquot. — Ça sert à mettre dans la petite fente que tu as entre les jambes. — Bah !… — Veux-tu essayer ? — Non pas, ça me feroit trop de mal. — Oh ! que non ! — Je te dis que j’ai voulu un jour y fourrer le bout de mon petit doigt, et ça m’a fait beaucoup de mal. — Je te dis que ce sera assez large. — Je te dis que non. — Regarde plutôt. — Oh ! le joli poil ! comme il est noir. — Écarte le poil, et tu verras que ça n’est pas assez large. — Tu as raison, c’est bien petit ; cependant, ta cousine Javotte me l’a fait mettre dans la sienne hier, et ça est entré tout seul. — Ma cousine Javotte t’a fait mettre ta machine dans sa fente. — Oui ! dans sa fente. — Ça m’étonne, elle est plus petite que moi, et je suis son aînée d’un an. — Tu vois bien que, puisque je l’ai mis dans la fente de ta cousine Javotte, qui est plus jeune que toi, je peux bien le mettre dans la tienne. — Écoute, Jacquot, je veux bien que tu essaies ; mais, si cela me fait mal, je te le dirai d’abord.

Qu’on juge de mon état pendant ce dialogue, et sur-tout la pantomime dont il étoit entremêlé. M. Jacquot se mettoit en devoir d’enfiler mademoiselle Génevieve ; je suis assez égoïste en fait de plaisirs amoureux : je ne voulus pas que le manant jouît tranquillement de sa conquête, et au moment où elle commençoit à crier, je pris une orange, et la lui jetai de toute ma force. L’orange, lancée avec roideur, frappa d’une manière violente sur le dos du rustre. Je ne referme pas la persienne avec assez de prestesse, Jacquot se retourne, m’apperçoit, reconnoît l’habit, et se sauve en criant : M. Duremont ! nous sommes perdus. Génevieve se sauve d’un autre côté, et je reste seul à rire de leur frayeur.

Mais j’allois bientôt me repentir d’avoir interrompu les plaisirs de Jacquot. En se sauvant, il avoit été se jeter, au détour d’une allée, au milieu de la société ; il se heurta contre M. Duremont. En l’appercevant il fit un cri d’effroi, et fut prêt à tomber à la renverse. On lui demanda ce qu’il avoit ; il se fit long-tems presser, et avoua enfin que sa frayeur venoit de ce qu’il venoit de voir M. Duremont dans le pavillon, et qu’il le retrouvoit au milieu de la société. On lui dit qu’il étoit fou, mais il assura si positivement qu’en ce moment même M. Duremont étoit dans le pavillon, que la société, curieuse de pénétrer ce mystère, s’achemina de ce côté.

Laure suivit tout le monde, pâle et tremblante, ne sachant à quoi se résoudre. Arrivée au pavillon, M. Duremont lui demanda la clef, elle dit qu’elle ne l’avoit pas. Il y a là-dessous, dit l’oncle, en regardant sa nièce d’un air sévère, quelque chose que je suis bien aise d’éclaircir ; et pendant qu’un domestique va aller au château chercher les outils nécessaires pour enfoncer la porte, nous allons y rester, afin que celui qui est renfermé dedans ne puisse s’échapper.

J’étois fort embarrassé pendant le colloque, d’autant plus, qu’outre quatre ou cinq personnes, il y avoit un colonel de dragons, superbe homme, d’environ trente-trois à trente-quatre ans ; et que cet officier avoit mis l’épée à la main pour garder la porte du pavillon.

Je n’avois point d’armes. Je cherchois partout pour voir si je ne trouverais pas quelque chose qui pût m’en servir. Je découvris dans une petite garde-robe, une vieille épée de duel ; et je résolus de tout braver ; j’ouvris la fenêtre.

Que me demandez-vous, m’écriai-je ? Que faites-vous chez moi, me dit Duremont ? — J’y suis par la suite d’une aventure qu’il seroit trop long de vous raconter : qu’il vous suffise de savoir, pour le moment, que mademoiselle est entièrement innocente de ce dont vous pourriez l’accuser ; qu’elle n’a écouté que la voix de l’humanité en m’introduisant dans ce pavillon. Si cette explication ne vous contente pas, je suis gentilhomme ; j’ai une épée et je descends.

En deux sauts je fus au bas de l’escalier, et j’ouvris la porte. Laure sans connoissance étoit dans les bras d’un domestique. C’est à vous, M. le comte, dit Duremont, en s’adressant au colonel, à nous venger d’un suborneur. Le comte jette la vue de mon côté ; que vois-je, s’écrie-t-il en pâlissant..... Ces traits..... Vous restez immobile, dit le fougueux Duremont. Cette conduite est indigne du comte de B..... Le comte de B..... m’écriai-je à mon tour ? Ah ! mon cœur ne m’avoit pas trompé !

Vous êtes mon père !...... Et je m’élançai dans ses bras. Votre père, dit-il d’une voix émue, et reculant un pas. — Oui, vous êtes mon père, ne rejetez pas de votre sein le fils de l’infortunée Cécile… — Cécile, dit-il d’une voix mourante, et ses jambes fléchirent. Je me précipitai, et le retins dans mes bras.

Effectivement, c’étoit mon père qui venoit pour épouser Laure.

Après l’affaire où il avoit tué Saint-Firmin, il étoit passé en Suède ; où il étoit entré dans le service : il avoit entretenu une correspondance avec un ami qui l’avoit instruit que Cécile étoit expirée, en accouchant d’un enfant mort ; que cette nouvelle étoit cause qu’à son retour il n’avoit fait aucune démarche pour me retrouver.

On me demanda par quelle aventure je me trouvois dans le château. Je racontai l’histoire de ma vie entière en gazant les évènemens qui avoient besoin de l’être. On rit beaucoup, sur-tout de mon voyage en manteau de capucin, et Laure fut entièrement justifiée.

Enfin, lecteurs, j’ai retrouvé mon père ; Laure est ma belle-mère : le frère Ange m’a écrit que, grace à ses soins, Félicité est parfaitement avec son époux, qu’il est convaincu de la fausseté de ses soupçons, et que lui, capucin indigne, est l’ami de la maison.

Mon père m’a donné une lieutenance dans son régiment. Je n’ai pas encore dix-sept ans, et je suis officier de dragons ; c’est une pépinière à aventures. S’il m’en arrive de nouvelles, et que vous accueilliez favorablement celles que je mets sous vos yeux, je m’empresserai de vous en faire part. Et sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.

FIN.
Note des Éditeurs.


Nous avons en ce moment entre les mains la suite des Aventures de Chérubin ; elles sont infiniment plus variées, plus originales, et plus piquantes que les premières. Si celles-ci ont le succès que nous en attendons, nous nous empresserons de livrer les autres à l’impression.