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L’Escalier du cœur (Gilkin)

La bibliothèque libre.
La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 215-216).




L’ESCALIER DU CŒUR


À Maurice Cartuyvels.


C’est l’escalier du cœur, — un royal escalier
Étageant dans le ciel ses blancs degrés d’opale,
Où des dieux lumineux, de palier en palier,
Mêlent aux astres d’or leur tête triomphale.

Leur sourire embaumé des roses du matin
Allume dans l’azur une divine aurore
Et la nuit les revoit, qui dans l’éther lointain
Font naître des soleils et des soleils encore.

L’éternelle beauté rayonne dans leurs yeux
Et l’éternel amour fait leurs lèvres de flamme.
— Mais l’escalier descend loin du séjour des dieux,
Jusques aux souterrains tortueux de notre âme.

Sa spirale au milieu d’une morne épaisseur
Plonge et se tord, toujours plus étroite et plus sombre,
La torche tremble, siffle et halette de peur
Comme nous descendons au Royaume de l’Ombre.

Voici l’étage des caveaux, voici les morts,
Puis les spectres en pleurs étendant leurs mains vides ;
Voici les souvenirs poignants et les remords
Errant avec du sang sur leurs linceuls livides.

Plus bas encor, voici les hontes, les péchés,
Les criminelles et monstrueuses pensées !
Sur les degrés gluants, à demi détachés,
Bavent ignoblement des bêtes enlacées.

Voici le gouffre noir d’où monte un vent glacé,
Pestilence mortelle et murmures funèbres !
Voici le bord obscur que nul n’a dépassé,
Voici l’horreur sans nom, gardienne des Ténèbres !

Là-bas, c’est le secret des épouvantements,
Les végétations sourdes d’instincts énormes,
Les appétits visqueux, les cauchemars déments,
D’immenses lacs de pus et des tumeurs informes ;

Là, c’est la région glaireuse de Satan
Où tout n’est que suçoirs voraces et mâchoires,
Où, comme un poulpe flasque et hideux, il attend
L’heure de notre mort au fond des ondes noires.