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L’Horreur allemande/07/07

La bibliothèque libre.
Calmann-Lévy (p. 128-131).

VII

LE ROI

18 août 1917.

Ce titre est bien ambitieux pour la toute légère et vague esquisse que je me permettrai de faire de ce souverain.

La modeste villa dont Il se contente comme habitation de guerre, afin d’être toujours près de ses troupes et de la bataille, m’a rappelé, par son manque d’apparat, celle où j’ai eu l’honneur de rencontrer le roi de la Belgique martyre, — avec cette seule différence que là-bas, au bord de la mer du Nord, la demeure royale n’a pour jardins que de mélancoliques bosquets d’arbres agrestes, sans cesse tourmentés par le vent du large et souvent visités par les obus, tandis qu’ici la villa de cet autre roi-soldat est délicieusement entourée de palmiers et de lauriers-roses. C’est là que Sa Majesté a daigné m’accorder audience, dans un petit cabinet de travail intime, où il n’y avait, si je me rappelle bien, d’autres chaises que la sienne et la mienne, d’autre meuble qu’une table surchargée de cartes d’état-major et de papiers militaires. Ce serait presque tomber dans un lieu commun que de parler de la simplicité exquise de son accueil, car, à notre époque, c’est une élégance que s’accordent presque tous les souverains, d’être simples ainsi. (Exception faite, bien entendu, pour le Monstre de Berlin qui le plus souvent, dit-on, joint à ses autres grâces une insoutenable morgue.)

Sa Majesté parle notre langue avec la même aisance que n’importe quel homme du monde chez nous. La vivacité de sa parole est en harmonie avec la vivacité de ses yeux qui étincellent d’intelligence. L’expression de son visage qui, paraît-il, était devenue anxieuse et tourmentée lorsqu’il lui avait fallu prendre la décision infiniment grave de jeter son royaume dans la noble lutte contre la barbarie, est aujourd’hui rassérénée, confiante et ouverte. Nous parlons de choses militaires, surtout des choses si spéciales à cette guerre de montagne trop haute, qu’il faut faire à l’Autriche, et qui n’a pour ainsi dire jamais eu de précédent. Et bientôt, tant il y met de bienveillance, je ne crois plus causer avec un roi vainqueur, mais avec un officier de mon grade, qui serait, il est vrai, un officier distingué parmi les plus distingués. C’est bien ainsi que je me représentais ce roi, adoré de son entourage, qui se mêle si volontiers aux plus humbles soldats, partage leurs dangers et se tient continuellement près d’eux sur le front. Il ne fait pas cela comme un kaiser, avec la pompe la plus théâtrale et les plus craintives précautions, mais comme un général sans peur, dédaigneux de toute mise en scène. Chaque matin de bonne heure il part, avec trois ou quatre officiers de sa maison, dans une auto ouverte qui emporte en même temps un déjeuner d’anachorète ; il passe sa journée dans les tranchées de première ligne ou dans les observatoires les plus dangereux ; souvent il est repéré, bombardé, contraint d’attendre la fin d’une averse de fer, au fond de quelque fosse à peine protégée ; et il rentre le soir, son devoir accompli, aussi naturellement que s’il n’avait pas dix fois risqué la mort.