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L’Horreur allemande/10

La bibliothèque libre.
Calmann-Lévy (p. 191-201).

X

MON HOMMAGE
À « LEURS » INTELLECTUELS

Quand nous serons enfin délivrés, nous et nos fils, du cauchemar des immondes tueries allemandes, quand nous recommencerons de renaître à la liberté et à la vie, je veux espérer que nous aurons renoncé pour toujours à ce snobisme qui, même après 70, poussait la plupart d’entre nous à une si complaisante admiration de l’Allemagne.

Est-il possible qu’un de nos écrivains, dont les yeux se sont cependant ouverts depuis et qui s’est montré ardent patriote, ait pu écrire, peu avant la grande ruée barbare : « J’aime et j’admire la culture allemande sous toutes ses formes » ?

Un autre, et l’un des plus connus du public, n’a-t-il pas osé proférer ceci : « Ce qui représente à mes yeux le summum de la civilisation humaine, c’est le grand état-major allemand. » Ce serait plutôt pour faire pleurer que pour faire rire, et cependant c’est le rire qui s’est imposé à moi, car je venais précisément de feuilleter certain album des généraux de l’Allemagne, — pas des caricatures, notez bien, non, des portraits, qui se prenaient tout à fait au sérieux. Oh ! l’incurable bestialité inscrite sur ces figures sinistres et ridicules ! Oh ! ces bajoues de pachyderme, retombant sur de trop gros cous adipeux ou apoplectiques ! On eût dit un jeu de massacre, sans ces regards de vautour affamé, qui tout de suite glaçaient la drôlerie de leur premier aspect.

Un troisième enfin, — je n’en finirais plus si je les citais tous, — un troisième, qui s’est racheté plus tard en allant faire chez les neutres des conférences antigermanistes, détient le record du paradoxe avec cette phrase sans prix : « L’Allemagne est la conscience morale du monde. » Ce pays éhonté qui, à toutes les époques de son abominable histoire, n’a jamais vécu que de mensonge, de rapine et d’assassinat, élevé ainsi à la dignité de « conscience morale du monde », n’est-ce pas une des plus stupéfiantes trouvailles de la littérature contemporaine ?


Par ailleurs, j’ose prétendre que les Allemands n’ont jamais rien inventé, pas même la poudre dont ils font aujourd’hui un usage si bêtement féroce non seulement contre nos poitrines, mais aussi contre toutes les merveilles de notre art français, contre toute cette beauté de chez nous, patrimoine du monde entier. Sauf en musique, ils n’ont guère été capables d’autre chose que des plus habiles et impudents démarquages. Sur toute découverte due à l’un des nôtres, et le plus souvent inaperçue ou même dédaignée de nous en tant que découverte française, ils se hâtent de fixer leurs yeux de faïence bleu pâle, leurs yeux à lunettes ; ils scrutent avec avidité, paraphrasent, alourdissent, tirent des applications pratiques auxquelles nous n’avions pas eu la patience de nous arrêter, et puis démarquent, battent de la grosse caisse par là-dessus, et le tour est joué. Devant ce que nous avions méprisé d’abord, nous nous pâmons tous[1] !



Depuis longtemps j’avais lu Gœthe et Schopenhauer, et chez eux j’avais trouvé ces deux perles que j’ai déjà citées, mais que l’on ne saurait trop admirer : « En prévision de ma mort, je confesse que je méprise la race allemande pour sa bêtise infinie, et que je rougis de lui appartenir. » (Schopenhauer.) L’Allemand est né cruel, la civilisation le rendra féroce. » (Gœthe.)

Oh ! quel prophète admirable il aura été, celui-là, n’est-ce pas !

Oui, je les avais lus tous deux, et quelques autres aussi. Mais une insurmontable répulsion me retenait toujours d’aborder Nietzsche, une de leurs plus grandes gloires, ce Nietzsche dont ils sont si fiers ; je m’imaginais n’y trouver que la glorification de la force brutale, dans la vraie manière allemande. Ce n’est que tout dernièrement, sur le front, que je me décidai à y jeter les yeux, d’après le conseil d’un de mes amis qui m’avait écrit : « Mais, au contraire, lisez-le donc, il vous amusera tant ! »

Et je l’ai lu !… Oh ! cher petit Allemand de mon cœur, quelle joie il m’a causée ! — (Cher petit Allemand de mon cœur est d’une extrême vulgarité ; je le reconnais et m’en excuse ; mais cette formule d’admiration m’est venue d’elle-même, irrésistible, sans doute parce qu’elle est adéquate au sujet.)

Je l’ai lu, et voici quelques-unes des perles que j’y ai recueillies : « Je ne crois qu’à la civilisation française, et pas à tout le reste de ce que l’on appelle en Europe culture, pour ne rien dire de la civilisation allemande. Les rares cas de : haute culture que j’ai trouvés en Allemagne étaient tous d’origine française. »

Plus loin : « Si je retourne toujours vers les vieux auteurs français (p. 52)[2], si j’aime Pascal, Molière, Corneille, Racine, cela ne m’empêche nullement de trouver aussi un très grand charme dans la compagnie des tout derniers venus d’entre les Français. Je préfère même, entre nous soit dit, cette génération à celle de ses maîtres, qui avaient été corrompus par la philosophie allemande. Partout où atteint l’Allemagne, elle atteint la culture. Ce n’est vraiment que depuis la guerre de 1870 que, par dégoût de l’Allemagne, l’esprit a été libéré en France. »

Ailleurs, il en vient à parler de Wagner, l’incomparable Wagner devant lequel je m’incline très bas, mais à la manière de mon maître et ami Saint-Saëns, avec des restrictions. Si le plus souvent mon admiration pour lui s’élève jusqu’à l’extase, parfois aussi il me cause, comme à Saint-Saëns, un énervement voisin de la colère : c’est quand il ne se comprend plus lui-même, quand son infatuation germanique lui fait prendre pour illuminée et digne de passer à la postérité n’importe quelle suite incohérente de sons que, à des minutes de fatigue, il a cru entendre glapir au fond de son trop énorme cerveau de dégénéré. Quand même, sans méconnaître pour cela tant d’autres inspirés merveilleux, je dois dire qu’il est au nombre de ceux qui m’ont fait le plus profondément frissonner devant l’Inexprimable… Donc, je lui pardonne tout, d’être né Allemand, d’avoir haï la France, d’avoir été un affreux petit gnome, et d’avoir démarqué à son profit nos belles légendes du Rhin qui, avant lui, étaient si incontestablement françaises… Et maintenant, écoutons Nietzsche : « Tel que je suis, étranger dans mes instincts les plus intimes à tout ce qui est allemand, à tel point que le voisinage d’un Allemand suffit à retarder ma digestion, je considérai d’abord Wagner, je le vénérai comme un produit de l’étranger, comme un contraste, comme une protestation vivante contre les vertus allemandes. En tant qu’artiste, un ne saurait avoir en Europe d’autre patrie que Paris ; la délicatesse des cinq sens en art, qui est une des conditions de l’art wagnérien, tout cela ne se rencontre qu’à Paris. Wagner est un de ces romantiques français de la seconde période, comme Berlioz, Delacroix, Baudelaire (p. 18) ; ce que je ne lui ai jamais pardonné, c’est que sur la fin de sa vie il consentit à condescendre à l’Allemagne, qu’il devînt Allemand de l’Empire (p. 107). Le pauvre homme, où s’était-il donc fourvoyé ? Si du moins il était allé parmi les pourceaux ! Mais parmi les Allemands !!… » Celui qui ose parler ainsi de ses compatriotes ne s’aperçoit-il donc pas qu’il se décèle Allemand lui-même, par sa propre goujaterie ?

Ailleurs, le ton du réquisitoire de Nietzsche s’élève et devient plus écrasant (p. 152, 153) : « Les Allemands détiennent l’impudicité en matière historique. Non seulement ils ont complètement perdu le coup d’œil vaste, mais ils sont tous des pantins de la politique ou de l’Église ; l’Allemagne par-dessus tout, c’est chez eux un principe. Il y a une façon d’écrire l’histoire conforme à l’Allemagne de l’Empire, une histoire pour la Cour. » On le voit, il s’en prend surtout à l’impérialisme prussien, cette plaie mondiale, cette sorte de tumeur maligne, qui crève aujourd’hui sur notre malheureuse Europe. Et il continue : « Je considère comme un devoir de dire aux Allemands tout ce qu’ils ont déjà sur la conscience. » Hélas ! que leur dirait-il donc aujourd’hui ? Avait-il seulement soupçonné toute l’horreur qui couvait au fond de leurs vilaines âmes outrageusement infatuées ?… « Ils ont sur la conscience tous les grands crimes commis contre la culture en ces quatre derniers siècles (p. 158). On s’amoindrit par la fréquentation des Allemands ; ils placent tout sur le même niveau (p. 77) ; ils ont fait de l’Allemagne le pays plat de l’Europe (p. 159). Ils n’ont même une idée à quel point ils sont vulgaires, et ceci est le superlatif de la vulgarité. »


Et pour en finir avec ces citations, voici le véritable coup de massue, qui accable plutôt trop, et contre lequel il faut tout de même avoir l’impartialité de protester un peu (p. 156) : « Les Allemands ne sont représentés dans l’histoire de la connaissance que par des noms équivoques, n’ont jamais produit que des faux monnayeurs, tels Fichte, Schelling, Schopenhauer, Hégel, Schliermacher, même Kant et Leibnitz. Ils n’ont pas eu, jusqu’à présent, de psychologues. Or, la psychologie est presque la mesure pour la propreté ou la malpropreté d’une race. L’esprit allemand est pour mot une malpropreté en matière psychologique, qui est devenue une seconde nature ; une malpropreté que laisse deviner chaque parole, chaque attitude d’un Allemand. »

Il est difficile d’aller plus loin dans le dédain et l’insulte ; auprès de ce jugement de l’un des leurs, tout ce que j’ai pu dire d’eux semble édulcoré. Quant à mon ironie, combien elle m’apparaît puérile et sans mordant, inoffensive auprès de celle de Voltaire, — lequel fut pourtant l’ami de leur grand (?) Frédéric et vécut au milieu d’eux à la seule époque un peu brillante de leur histoire ; c’est Voltaire qu’il faut lire, si l’on veut vraiment s’amuser aux dépens de ce peuple aussi grossier que fourbe et rapace.

  1. Deux exemples, entre mille, de leur bluff scientifique et de notre belle crédulité :

    1o On se rappelle l’énorme réclame faite naguère autour de l’injection du docteur Koch : c’était la tuberculose vaincue, c’était la science allemande libératrice de l’humanité, etc., etc. Et, comme les Allemands ne perdent jamais de vue le côté pratique, une société se fonda aussitôt pour l’exploitation pratique de la substance merveilleuse. En France, bien entendu, on s’empressa de l’employer, — jusqu’à l’heure où l’on constata que l’injection ne tuait point les bacilles, mais les malades, qui, pour la plupart, en mouraient même sur le coup ;

    2o À la séance solennelle de clôture du Congrès de la tuberculose, à Paris en 1905, on avait gardé pour le bouquet une communication du docteur allemand Behring, qui prétendait avoir trouvé, pour tout de bon cette fois, un vaccin contre la tuberculose, une substance qu’il appelait T. C. Le même jour, un grand journal parisien avait publié un article retentissant sur ce sujet, avec le portrait de l’auteur. À la séance, le succès tourna au délire, et peu s’en fallut que l’Allemand ne fût emporté en triomphe.

    Le T. C. était obtenu en dépouillant successivement les cultures des bacilles par l’eau, l’eau salée, l’alcool et l’éther. Sous action de cette substance, inoculée à un organisme, il se produisait dans ledit organisme une autre substance préservatrice, qu’il appelait T. X. et qui provenait des réactions de l’organisme et notamment des globules blancs.

    Quelques jours plus tard, le docteur Behring envoya du T. C, à notre Institut Pasteur, où il fut expérimenté avec soin et avec science, sur des bovidés sains et sur des cobayes sains, qui devinrent aussitôt tuberculeux et dont les ganglions donnèrent des bacilles vivants !…

    Devant de tels résultats, l’Institut Pasteur arrêta ses expériences naturellement, mais, par excès de courtoisie, on y garda le silence sur cette mystification.

  2. Ces numéros de pages correspondent à la traduction de l’Ecce homo de Nietzsche, édition du Mercure de France.