La Liberté de conscience (Cinquième édition 1872)/3.VII

La bibliothèque libre.
Hachette et Cie (Cinquième éditionp. 283-318).

CHAPITRE VII.

Oppression de la liberté de conscience dans divers États
de l’Europe.


Nous sommes presque indifférents à la liberté des cultes ; et cependant l’inquisition n’est pas aussi loin de nous qu’on le pense. Le règne de François Ier, qui a vu les massacres de Mérindol ; le règne de François II, qui a vu le massacre d’Amboise ; le règne de Charles IX, fatalement célèbre par le massacre de la Saint-Barthélémy ; les règnes de Henri III, de Henri IV, de Louis XIII, tous remplis d’assassinats et de guerres civiles, n’appartiennent pas au moyen âge. Il semble qu’on sente redoubler son horreur et son effroi quand le crime est ordonné dans la langue que nous parlons, et quand le récit de ces supplices et de ces persécutions se mêle à l’histoire d’une époque où fleurissent les beaux-arts, où les sciences sont en progrès, où les mœurs sont douces et polies. N’est-ce pas comme une ironie de l’histoire de placer les dragonnades précisément sous le règne de Louis XIV, pour que les Boileau, les Racine, les Bossuet en soient les témoins, et peut-être, grand Dieu ! les panégyristes ? C’est à peine si la Révolution française, qui affranchit tout, donne la liberté aux consciences. Ce despotisme dure encore quand tous les autres sont renversés. La Restauration croit honorer la religion catholique en lui infligeant le litre de religion d’État[1] ; et, même de nos jours, la plus libérale des constitutions, dont le principe était de remplacer partout le gouvernement préventif par l’action répressive des tribunaux, avait laissé subsister pour les cultes la nécessité d’une autorisation administrative préalable.

Il ne faut donc pas nous endormir dans une sécurité trompeuse, et croire que la liberté est ancienne parce qu’elle nous paraît nécessaire et évidente. C’est une conquête d’hier, sur laquelle ses ennemis pourraient encore mettre la main si nous n’étions pas là, toujours sur nos gardes, toujours prêts à la défendre. Et nous pouvons ajouter aujourd’hui en songeant à l’état général de l’Europe : L’intolérance nous entoure de tous côtés ; elle est sur toutes les frontières. Ceux qui chez nous s’efforcent de la faire revivre en la ranimant dans les mœurs, avec l’espérance secrète de la rétablir dans les lois, ne manquent ni d’exemples ni d’encouragements au dehors. Il ne faut jamais dire : « La destruction de la liberté est impossible. » C’est pour l’avoir trop dit et pour l’avoir trop cru que plus d’un peuple libre est tombé dans la servitude.

Je n’ai pas la prétention de faire une revue exacte de la législation des différents peuples de l’Europe, pas plus que je n’ai songé à faire une histoire complète de toutes les persécutions, ou un résumé fidèle de toutes les vicissitudes de la liberté de conscience en France depuis 1789 jusqu’à nos jours. Il me suffira de montrer par des exemples que l’intolérance n’engendre qu’une fausse paix, et que la liberté est aussi nécessaire qu’elle est juste. Des trois religions qui se partagent aujourd’hui l’Europe, il n’en est pas une qui n’ait à souffrir de l’intolérance. Je commencerai par la religion catholique.

Tout le monde sait qu’en Russie la religion de l’État est la religion grecque ou plutôt la religion gréco-russe ; car depuis le temps du grand-duc Féodor Iwanowich[2], il n’existe plus aucun lien entre le patriarche grec et le saint synode russe. À l’époque dont je parle, Jérémie II, patriarche de Constantinople, érigea l’archevêché de Moscou en patriarcat, et consomma ainsi la séparation des deux Églises grecques. Cette division en amena une autre. L’archevêque de Kiew, dont le siège était plus ancien et plus illustre que celui de Moscou, ne voulut pas reconnaître l’autorité du nouveau patriarche. Il rassembla ses suffragants et leur proposa, puisque le patriarche grec de Constantinople renonçait à la suprématie qu’il avait jusqu’alors exercée, de reconnaître l’autorité du pape. Cette proposition fut adoptée, et l’église de Kiew fut reçue dans la communion romaine, sans pour cela être contrainte à renoncer au rit grec[3]. Cette église, de rit grec et de communion romaine, porta le nom d’église ruthénienne. La soumission d’une partie de ses sujets à l’autorité spirituelle d’un prince étranger, au moment même où Jérémie lui vendait à prix d’or l’indépendance de l’Église russe, irrita le grand-duc, qui, dès ce jour, ne cessa de violenter les Églises ruthéniennes rentrées dans la communion du saint-siége. Ses successeurs l’imitèrent dans sa prédilection pour l’Église schismatique russe devenue Église nationale, et dans sa malveillance pour les catholiques romains. Pierre le Grand, qui ne voulait aucun pouvoir à côté de lui, et à qui l’autorité du patriarche de Moscou faisait ombrage, le restreignit aux stériles honneurs du patriarcat, transféra l’administration temporelle et spirituelle de l’Église russe à un saint synode composé de ses créatures, et attira ainsi à lui-même toute l’autorité spirituelle. Cette nouvelle organisation, qui rendait le czar maître absolu de l’Église russe, faisait des ruthéniens non-seulement des dissidents, mais presque des rebelles. À partir de ce moment, tout en reconnaissant en apparence leur droit et leur liberté, on ne songea plus qu’à les ramener dans le sein de l’Église nationale par la violence ou par la ruse. Ce fut surtout sous l’empereur Alexandre, en 1823, que la persécution commença à se développer. Un oukase ordonna que les enfants issus d’un mariage mixte fussent nécessairement élevés dans le schisme[4]. Par un autre oukase, l’empereur ferma les séminaires catholiques, et ordonna que les élèves de théologie de l’Église ruthénienne seraient instruits dans le couvent schismatique de Saint-Alexandre Newski à Saint-Pétersbourg ; enfin il plaça les Églises ruthéniennes sous l’autorité du saint synode, c’est-à-dire qu’il donna à l’Église schismatique le gouvernement de l’Église orthodoxe. Il semble qu’il aurait pu s’en tenir là, et qu’après avoir mis la main de l’Église schismatique sur l’administration et l’enseignement théologique de l’Église romaine, il devait considérer comme une simple affaire de temps l’anéantissement du culte catholique dans ses États. Mais il redoutait, non sans raison, la vitalité de l’esprit religieux dans les Églises opprimées. Il avait gagné à ses projets la plupart des évêques ruthéniens ; il leur prescrivit d’enlever aux curés les missels, les eucologes et les bréviaires catholiques, et de les remplacer par les livres employés dans l’Église schismatique. Lui-même, sous prétexte de munificence, fit distribuer des vases sacrés et des ornements qui donnèrent au culte orthodoxe l’apparence extérieure de l’hérésie[5]. Il ne restait plus aux prêtres qu’un moyen de maintenir l’intégrité de la foi ; c’était la prédication. L’empereur la leur interdit[6]. Le culte, dans les églises ruthéniennes, fut restreint strictement à la célébration des offices, et il ne fut plus permis aux pasteurs de monter en chaire.

Ce genre inouï de persécution ne manqua pas d’amener des résistances. Le patriarche Bulhak et un grand nombre de prêtres se montrèrent inaccessibles aux promesses et aux menaces. Les prêtres récalcitrants furent condamnés à un an de réclusion dans un monastère ; leurs paroisses furent déclarées vacantes, et données à des curés schismatiques. La population catholique resta sans église. Il fallut se résigner à porter les vases sacrés dans d’humbles chambres, et à y célébrer les offices sans aucune pompe. L’usage des cloches, et celui même des sonnettes, furent interdits. Le gouvernement avait remis en vigueur un oukase de Catherine II dont voici la teneur : « Sera puni comme rebelle, tout catholique, prêtre ou laïque, d’une condition basse ou élevée, qui s’opposera, soit par des paroles, soit par des actions, aux progrès du culte dominant[7]. » Un prêtre, nommé Plawski, ne put se contenir. Il cria vers Dieu ; il avertit les fidèles. Le vice-roi le fit prendre par des soldats ; on le relégua à Wiatka, sur les confins de la Sibérie, et on le contraignit, par une dérision sacrilège, à exercer l’office de sonneur de cloches dans l’église hérétique. Il était marié, selon le privilège du clergé grec uni ; sa femme et ses six enfants furent condamnés à l’hérésie. On les força d’abjurer ; on les enferma séparément dans des couvents russes. Tel fut aussi le sort du curé Wierbecki, condamné à la déportation, et dont les enfants furent contraints d’embrasser la religion russe ; de Michel Starzynski, condamné à mort, dont la peine fut commuée en vingt ans de travaux dans les mines. Tous deux moururent de misère en 1838. On évalue à cent soixante le nombre des prêtres emprisonnés ou exilés. Le métropolitain Bulhak, seul des évêques, résista jusqu’au bout. On n’avait pu le vaincre vivant, on triompha de son cadavre. Son corps fut porté à Saint-Alexandre Newski, exposé dans l’église schismatique, enterré par des prêtres schismatiques, afin qu’on pût croire qu’il avait apostasié à son lit de mort. Cependant les conversions ne venaient pas assez vite au gré du saint synode ; on eut recours à des moyens plus expéditifs. On envoya des soldats, comme Louvois sous Louis XIV. En sortant de la messe, les paysans trouvaient le village cerné. Un pope montait sur une pierre, et annonçait que le saint synode recevait à résipiscence cette population égarée. Il fallait se soumettre, coûte que coûte, sur cette simple déclaration. Quand le czar a parlé, la conscience doit se taire. Si quelqu’un hésitait, parmi ces simples, on le couchait à terre, on le dépouillait, on lui donnait la bastonnade. Il était converti avant le vingtième coup. À Starosiel, les paysans en masse déclarèrent qu’il fallait d’abord obéir à Dieu, et ensuite à l’empereur. C’était un cas de rébellion. Les soldats se ruent sur ces mutins, en les frappant à coups de bâton et à coups de sabre. Toute cette population éperdue se réfugie sur un lac glacé ; on brise la glace. Vingt-deux hommes périssent, le reste demande merci en abordant au rivage. Ils renoncent à leur foi pour sauver leur vie. Ces scènes sauvages se passèrent en 1838[8].

La religion catholique du rit latin en Pologne et en Russie ne fut pas plus épargnée. Non-seulement on lui appliqua les disposition de l’oukase de 1832 relatives aux mariages mixtes, et des oukases de 1833 sur l’enseignement théologique ; mais on la fit gouverner, même pour les matières spirituelles, par une commission administrative dont les membres appartenaient, bien entendu, à l’Église schismatique. On ferma d’un seul coup tous les monastères, afin que cet opulent héritage devînt la proie de l’Église russe[9]. Le recrutement du clergé fut rendu presque impossible par un oukase de 1832, dont voici les dispositions principales : « Tout aspirant au ministère ecclésiastique devra faire preuve de noblesse, justifier d’études complètes dans l’une des universités de l’empire, fournir un remplaçant pour le service militaire, obtenir la permission du ministère des cultes, et verser une somme de six cents francs dans la caisse provinciale au profit du clergé gréco-russe ; » Enfin, rien ne fut négligé pour effrayer les populations et pour gagner les prêtres aux projets du synode. La possibilité de se marier aussitôt après leur apostasie fut un puissant appât pour les membres les moins méritants du clergé latin[10]. Un oukase du 2 janvier 1839 accorde amnistie complète à tout catholique condamné, pour meurtre ou pour vol, au knout, aux mines ou aux galères, pourvu qu’il se convertisse. En revanche, un oukase du 21 mars 1840 prononce les peines les plus sévères contre les schismatiques convertis au catholicisme[11].

Ces détails sont pénibles à retracer, mais il faut savoir qu’au dix-neuvième siècle on enseigne encore par le fer et par le bâton. Sans doute, les catholiques qui chez nous protestent contre la liberté de conscience ne demandent pas que les hérétiques ou les philosophes soient spoliés de leurs biens, traînés en prison ou en exil, battus par des soldats, séparés de leurs enfants, sabrés, jetés à l’eau. Mais jamais persécution n’a débuté par ces moyens violents. Le principe de l’intolérance fait vite son chemin. En l’acceptant aujourd’hui, vous n’êtes que fanatiques ; demain, ceux qui viendront après vous seront sanguinaires[12]. Cela est prouvé, si quelque chose peut être prouvé par l’histoire. Proclamer le principe de l’intolérance, comme vous le faites avec un entraînement si coupable, c’est amnistier la violence dans le passé et dans l’avenir ; c’est vous rendre en quelque sorte responsables du sang versé ; c’est fausser la religion chrétienne, la calomnier, la mettre en péril. Comment est-il possible qu’un catholique, lisant chaque jour l’Évangile, prêche l’intolérance ? Et comment est-il possible qu’en attestant la liberté de la conscience, il ne se sente pas complice de ceux qui, en Pologne, en Russie, en Irlande, proscrivent et persécutent le catholicisme ? Ceux dont nous venons de raconter les malheurs ne sont ni des juifs, ni des protestants ; ce sont vos frères, catholiques comme vous, qui invoquent, contre vous et contre leurs oppresseurs, la liberté de la conscience humaine.

Je dirai peu de chose de la situation du catholicisme en Irlande et en Angleterre, parce que cette situation est connue et appréciée de toute l’Europe. Le catholicisme est en Irlande la religion de la majorité. À ce titre, il n’a droit à aucune prédominance ; mais il a droit au moins à l’égalité avec le culte de la minorité. Il n’en a pas été ainsi jusqu’en 1829 : l’Église de la majorité n’a été que tolérée ; l’Église de la minorité a été l’Église officielle, l’Église dominante. Même aujourd’hui, après l’acte d’émancipation, l’inégalité demeure flagrante entre les deux Églises. Elle l’est notamment dans une matière où la question de majorité devrait avoir une importance décisive, je veux dire dans ce qui touche au budget des deux Églises. Jusqu’en 1829, un évêque catholique était un suspect, aux yeux de la loi anglaise ; aujourd’hui, c’est différent : il n’est plus un suspect, il n’est rien ; la loi ne le connaît pas, il est pour elle un simple citoyen ; voilà ce qu’on appelle en Angleterre et en Irlande la liberté des cultes. Et on aurait raison si la même règle était appliquée à toutes les églises. L’évêque peut être propriétaire comme tout autre sujet britannique ; mais alors la propriété tient à la personne, non à l’évêque qui, n’existant pas légalement, est incapable de posséder. On tourne quelquefois la difficulté au moyen de fidéi-commis ; car les fidéi-commis sont parfaitement légaux chez nos voisins ; mais qui ne voit qu’il y a, dans cette absence de reconnaissance légale, dans cette privation du droit direct de propriété, une humiliation, une source d’embarras, une cause permanente de pauvreté, surtout une cause d’inégalité flagrante avec la riche et puissante Église d’Angleterre, qui a ses lords au parlement et ses grands propriétaires terriens, et qui prélève sur tous les sujets britanniques le double impôt de la dîme et du Church-rate ? Le membre du clergé catholique qui est possesseur de terres, soit de son propre chef, soit par fidéi-commis, paye la dîme, comme les autres, au lord spirituel, et contribue, en payant sa part du Church-rate, à enrichir les fabriques des églises hérétiques. Cet état de choses paraît doublement vexatoire dans un pays dont la population presque tout entière professe le catholicisme[13]. En France, sous le premier Empire, les rabbins étaient payés au moyen d’une contribution imposée sur les israélites ; c’était une violation de la justice, parce que le budget des autres cultes était pris sur le fonds commun, et payé en partie par les juifs. La situation de l’Irlande n’est-elle pas analogue ? En Angleterre, il est vrai, le catholicisme est la religion de la minorité ; ce n’est pas une raison pour qu’il soit asservi. Il est libre, dit-on ? Il ne l’est pas, ou du moins il ne l’est pas complètement. Je sais bien que l’acte de distinction et corporation (test and corporation act), qui remonte au règne de Charles II et qui excluait les presbytériens et les catholiques de tous les emplois civils et militaires, a été abrogé en 1828, qu’un bill célèbre, appelé bill d’émancipation, a été promulgué en 1829, et qu’en 1830, les dernières incapacités qui frappaient les catholiques ayant été levées, ils ont pu entrer dans le parlement. Cependant il y a des restrictions à cette tardive liberté. D’abord l’Église établie a son banc des évêques à la chambre haute, ce qui lui assure une influence considérable dans la politique du pays[14] ; secondement, jusqu’à ces derniers temps, les catholiques, en prenant possession de leur siège prêtaient un serment spécial dicté par la défiance la plus manifeste, et par conséquent honteux pour des hommes de cœur[15]. Ils s’engageaient à ne reconnaître la juridiction spirituelle ou ecclésiastique d’aucun prince étranger, et à ne point profiter des privilèges que l’acte d’émancipation leur confère, pour troubler ou affaiblir la religion protestante et le gouvernement protestant du Royaume-Uni. En 1859, M. Deasy proposa qu’à ces mots : « juridiction spirituelle ou ecclésiastique », on substituât ceux-ci : « juridiction temporelle ou civile, » et cette proposition fut rejetée par 373 voix contre 83 ; c’est seulement par la loi du 30 avril 1866[16] que l’on a imposé à tous les députés un serment uniforme de fidélité à la reine et à la succession hanovrienne. Enfin, les catholiques romains demeurent exclus des fonctions de tuteurs du souverain, de celles de régent du royaume, de lord chancelier, de garde des sceaux d’Angleterre et d’Irlande, de juges de sessions, de lord lieutenant d’Irlande, de haut commissaire près l’assemblée générale de l’Église d’Écosse, de membre ou professeur des universités anglaises. Un prince du sang qui se convertit perd ses droits à la couronne. Une telle liberté n’est pas la liberté. Ceux qui possèdent cette liberté spécifiée et restreinte semblent moins user d’un droit que jouir d’une faveur. Rappelez-vous ce qui s’est passé il y a quelques années, lorsque le pape a nommé un archevêque de Westminster, un évêque de Limerick. Il n’y avait eu jusque-là en Angleterre que des envoyés apostoliques, évêques in partibus, qui exerçaient les fonctions épiscopales, mais sans porter des titres d’évêchés anglais. C’est dans la circonscription en quelque sorte officielle et publique des diocèses, et dans la désignation des évêques par le nom de leurs évêchés, que les protestants ont cru voir un attentat aux droits de la reine. Non-seulement toute l’Angleterre a été soulevée d’indignation contre ce qu’on a appelé l’agression papale ; mais un bill a été proposé, une loi a été faite, qui condamne à cent livres d’amende quiconque prendra le titre d’un des évêchés catholiques fondés par le pape en Angleterre. Cependant qu’est-ce que le catholicisme sans le pape et les évêques ? Défendre aux catholiques d’avoir des évêques et de reconnaître l’autorité spirituelle du pape, c’est leur défendre d’être catholiques, c’est leur ôter la liberté de conscience. Si donc il leur faut des évêques, qui les leur donnera ? Le pape, apparemment, à moins que ce ne soient les ministres protestants de la reine. Le gouvernement anglais aurait-il mieux aimé une élection ? Le choix entre la nomination papale et l’élection par les fidèles ne peut pas regarder le gouvernement, puisque c’est une affaire de discipline intérieure dans laquelle l’Église est seule compétente. On comprend très-bien qu’un souverain étranger distribuant des titres et conférant une autorité spirituelle constitue un embarras pour le gouvernement de la reine ; mais alors il faut se prononcer nettement, car ces inconvénients sont inhérents au catholicisme, et on est réduit à les subir, ou à exclure l’exercice de la religion catholique, et par conséquent à rejeter le principe de la liberté de conscience. Si l’on reproche au pape, non d’avoir nommé des évêques, mais de les avoir nommés sans le concours du gouvernement, qu’on nous dise au moins si le gouvernement était prêt à accorder ce concours. Est-ce là ce qu’on dit ? En aucune façon. D’ailleurs, comment pourrait-on réclamer, ou comment pourrait-on expliquer le concours du gouvernement ? Ce concours existe en France, en vertu du Concordat ; mais en vertu du Concordat, l’Église française est liée au gouvernement français ; elle reçoit de lui un budget considérable, des édifices d’une valeur très-importante, des secours et des subventions de toute nature, une protection spéciale pour son clergé, pour ses cérémonies. Les concordats ne sont pas une question de droit, une question de conscience ; ils appartiennent exclusivement à la politique et à la diplomatie. La vérité est qu’en Angleterre l’Église établie ne domine pas seulement dans les lois, mais encore dans les esprits, et que cette Église n’est pas tolérante. Ce qui s’est passé assez récemment à propos du collège de Maynooth en est encore une preuve. Malgré le bill d’émancipation religieuse, qui restera comme un des titres d’honneur de l’administration de sir Robert Peel, l’Irlande se plaignait de n’avoir pas d’université. Les grandes universités anglaises sont, comme on sait, essentiellement protestantes. Était-il juste que, dans le Royaume-Uni, les protestants possédassent en Angleterre les deux célèbres universités d’Oxford et de Cambridge, et en Irlande même, celle de Dublin, tandis que les catholiques n’avaient que l’obscure université de Stonyhurst, dans le comté de Lancastre[17] ? L’Irlande n’avait même pas un séminaire, et le clergé romain y était réduit à envoyer ses jeunes lévites en France et en Belgique pour terminer leur éducation. On crut obéir à un devoir strict et donner au bill d’émancipation son développement normal, en accordant au collège de Saint-Patrick, fondé à Maynooth en 1795 par le parlement irlandais pour le recrutement du clergé catholique, et qui, depuis ce temps, recevait annuellement une subvention de 8 à 9 000 livres, une dotation perpétuelle de 26 360 livres. Cette allocation considérable, qui faisait du collège de Maynooth une institution publique, fut votée en 1845. On apprendra sans étonnement qu’elle ne fut pas bien accueillie par tous les catholiques. Les puritains du parti affectèrent de la regarder comme une sorte de pacte entre l’Église romaine et l’Église établie ; ils virent avec douleur les archevêques d’Armagh, de Dublin, de Cashel et de Tuam, accepter avec d’autres membres du clergé romain le titre et les fonctions d’administrateurs. Pour recevoir de bonne grâce la riche dotation qu’on leur offrait, ils auraient voulu qu’on leur donnât en même temps la liberté tout entière ; et c’est ce que l’État ne donne jamais, en aucun pays, quand il paye. D’un autre côté, les protestants zélés regardaient cette adoption par l’État d’une institution éminemment catholique comme une véritable apostasie. Ils n’avaient supporté qu’en frémissant le bill d’émancipation qui ouvrait aux catholiques les carrières militaires et civiles ; mais enfin ce bill d’émancipation ne faisait autre chose que lever l’interdiction qui pesait sur les individus à cause de leur croyance ; la religion cessait tout simplement d’être un obstacle ; c’était une loi de prétermission : cette fois, au contraire, la religion elle-même prenait rang, par le collège de Maynooth, dans les institutions du pays. Elle acquérait une existence officielle, une consécration légale. Un membre de la chambre des Communes, M. Spooner, ne put voir sans indignation cet abaissement, cette honte de l’Église établie, cette restauration légale du papisme. Pendant plusieurs années, avec un courage inébranlable, il proposa à la chambre de supprimer l’allocation de Maynooth. Son bill était repoussé chaque année à la première lecture ; mais la petite minorité qui le soutenait s’accroissait aussi chaque année, de sorte qu’un beau jour, le 7 mai 1856, elle se trouva être devenue une majorité. Le bill pour la suppression de l’allocation de Maynooth fut adopté cette fois (mais seulement, il est vrai, en première lecture) par 159 voix sur 292 votants. L’enseignement catholique a été plus heureux depuis. C’est la fermentation produite par l’agression papale qui avait fait la majorité de 1856. Aujourd’hui que la paix et la lumière sont revenues, et qu’on laisse le pape nommer des évêques et des cardinaux tant qu’il lui plaît, le collège de Maynooth n’a plus rien à craindre pour sa riche subvention.

Sans doute les catholiques ont pleine liberté de fonder des écoles à leurs frais. Ce droit n’est refusé à personne en Angleterre. Il s’y trouve des écoles fondées sur le principe de l’indifférence en matière de religion, ce qui ne veut pas dire l’absence de religion, et il s’y trouve même des écoles athées, ce qu’expliquent très-bien les récents progrès du positivisme. Mais les anciennes universités d’Angleterre, si puissantes par leur richesse et par leur importance politique, si justement célèbres dans les lettres, sont des espèces de conciles ou de synodes permanents, aussi fiers au moins de leur orthodoxie que de leur science, et dont les dissidents sont très-sévèrement exclus. On sait qu’en dehors de ces grandes et illustres Écoles, l’Angleterre n’a point d’enseignement national proprement dit. La chambre vote un gros budget, et l’État nomme des inspecteurs ; seulement ces inspecteurs n’inspectent que les écoles qui veulent bien être inspectées, et ce budget n’est distribué qu’aux écoles qui le demandent, et qui remplissent certaines conditions. La première de ces conditions est de prendre la Bible pour base de l’enseignement ; et il s’agit, bien entendu, de la Bible adoptée par les églises protestantes, ce qui exclut du même coup de toute participation aux libéralités de l’État les écoles juives et les écoles catholiques. On a beau faire ; une Église établie est une Église d’État, et à côté d’une Église d’État, il ne saurait y avoir qu’une liberté de conscience douteuse et incomplète.

Je ne veux pas parler de la Hollande, de ce pays qui fut de tout temps le plus hospitalier de la terre pour les sectes persécutées, mais où les catholiques se plaignent, malgré la loi de 1798, d’être systématiquement repoussés des emplois par le gouvernement, et des fonctions électives par le scrutin. Ce dernier grief n’est peut-être pas très-intelligible ; mais il prouve au moins que, dans ce pays de tolérance légale, on est encore divisé par les questions religieuses sur le terrain de la politique. Les protestants, les juifs, les catholiques ne se séparent pas seulement pour aller prier Dieu dans leurs temples : ils se divisent et se comptent partout. La liberté a beau être dans la loi ; elle dépend chaque jour dans la pratique d’une question de majorité ; et cela est si vrai qu’il y a dans le cabinet deux ministres des cultes, l’un pour les catholiques, et l’autre pour les affaires religieuses qui n’intéressent pas le catholicisme.

Mais je n’ai parlé jusqu’ici que des pays où la religion protestante domine. Je veux montrer dans d’autres États les rôles changés, et le catholicisme employant contre les protestants les mêmes armes que les protestants tournent ailleurs contre lui. Quel argument pour la liberté ! Est-il possible qu’en traversant la Manche on devienne, en deux heures, ou persécuteur ou persécuté, suivant le rivage où l’on aborde ? Je crois revoir ces temps de l’empereur Julien, où un décret arrivant de Constantinople forçait le juge à descendre de son tribunal pour y faire monter l’accusé. Quoi ! une assemblée nommée pour voter un budget et réglementer la propriété et la police prendra des décisions théologiques, et prononcera à jamais l’interdiction des droits de citoyen contre tous ceux dont la raison et la conscience repousseront ses doctrines ? Cette pensée révolte. On se sent humilié, à cette pensée, d’avoir, comme tant d’autres, exalté le dix-neuvième siècle. Et voyez cette raillerie de l’histoire. La Suède est protestante et intolérante. Elle a dans sa constitution la liberté des cultes, et dans une foule de lois que la constitution n’a pas abrogées, l’oppression des cultes. Elle tolère chez elle les dissidents en les excluant de tous les emplois[18] ; et quant aux Suédois qui professent la religion de l’État, elle leur interdit, sous des peines sévères, de se convertir à un culte différent[19]. Il y a quelques années, un citoyen se convertit au catholicisme. Notez bien que se convertir au catholicisme, c’est un crime dans toute l’étendue du royaume de Suède ; et ce n’en serait pas un dans le royaume de Norvège[20], qui obéit au même roi ; mais passons. On dénonce ce catéchumène ; on l’emprisonne ; à peine est-il en prison que toute l’Europe s’émeut : c’est que le crime dont il s’agit est puni du bannissement perpétuel avec privation du droit d’hériter. La loi remonte à 1687 et au règne de Charles XI ; mais elle n’est pas abrogée ; et les juges sont contraints de l’appliquer en frémissant. Eh bien ! à cette même année, un catholique à Florence se convertit au protestantisme. C’est un honnête homme, personne ne le nie, un bon citoyen, un père tendre, un homme de cœur ; mais il s’est fait protestant, et il a distribué des bibles. Distribuer des bibles, c’est un crime, même à Florence, où depuis Léopold Ier l’inquisition est abolie[21]. C’est troubler gravement l’ordre public ; c’est attenter à la religion de l’État. Pourquoi ne naissait-il pas à Stockholm ? Il faut lire son interrogatoire. « Vous avez chez vous une bible ? (Notez que ce sont des chrétiens qui parlent.) — Oui, j’ai une bible, et je la lis chaque jour avec attendrissement et respect. — Vous faites plus : vous la lisez à d’autres ? — Je l’avoue ; quand mon fils revient du travail, quand mes amis ont le soir une heure de liberté, nous nous réunissons en présence de Dieu, et nous lisons une page de l’Écriture. » L’arrêt prononcé le 27 juin 1852, après dix mois de détention préventive, condamne Madiaï à cinquante-huit mois de travaux forcés, et Rose Madiaï, sa femme, à quarante-cinq mois de réclusion dans la maison de correction de Lucques. Il faudrait être allé au pénitencier de Volterra et y avoir vu François Madiaï confondu avec les brigands, pour savoir à quels sacrilèges usages les hommes peuvent plier les lois. Le comte Guicciardini, coupable du même crime, a échappé au sort des époux Madiaï, grâce à son rang et à sa fortune. Condamné d’abord à six mois de prison, avec cinq ou six complices, et exilé volontaire, il n’a pu rentrer dans son pays qu’avec la liberté enfin conquise[22].

Mais où mon discours ne prendrait pas de fin, ce serait si j’entreprenais de parler des israélites. Traités en ennemis publics pendant toute la durée du moyen âge, exclus de la société civile, objet d’horreur et de mépris pour tous les peuples, ils portaient le poids de la malédiction des chrétiens, qui voyaient des frères dans tous les hommes, et dans les juifs les meurtriers du Sauveur. Quand Luther accomplit son grand schisme, les deux Églises dissidentes ne s’accordèrent que dans leur horreur pour les juifs. On aurait pu croire que les guerres religieuses, en donnant à la haine un autre cours, laisseraient ce peuple respirer : il n’en fut rien. Les protestants et les catholiques se haïssaient entre eux ; mais ils haïssaient encore plus les juifs, ils les méprisaient, ils les abhorraient. Même pendant la révolution française, nous avons vu l’Assemblée constituante hésiter jusqu’au dernier jour à leur donner les droits de citoyens. Ils ne furent pas mieux traités au commencement de l’Empire. « Ce n’est pas une religion, disait Portalis ; c’est un peuple. » Et l’on partait de là pour les traiter, sinon en ennemis, en étrangers du moins. Après dix-huit cents ans de proscription, ils n’avaient ni reconquis Jérusalem, ni trouvé une patrie. Ils obéissaient aux lois, ils payaient l’impôt, et même, presque partout, l’impôt du sang ; mais ils n’appartenaient à l’État que par leurs sacrifices. On les souffrait sur ce sol où ils étaient nés, où reposaient les os de leurs ancêtres, sans les élever à l’égalité, sans leur donner le droit de bourgeoisie. On n’invoquait plus contre eux la mort de Jésus-Christ, mais leurs usures, leurs rapines, les traits distinctifs de la race qui en faisaient un peuple à part, et leur donnaient d’autres intérêts que les intérêts généraux du pays. En 1806, le gouvernement français accorda un sursis d’un an à tous les cultivateurs non négociants qui se trouvaient débiteurs des juifs[23]. Une ordonnance de 1808 vint encore aggraver la position des juifs en annulant le plus grand nombre de leurs créances, et en les soumettant à prouver devant les tribunaux qu’ils avaient réellement fourni les sommes portées sur leurs titres de créance et leurs contrats. En même temps, on les astreignait à prendre et à renouveler chaque année une patente de négociant. On les obligeait au service militaire en leur ôtant le droit de se faire remplacer, dans un temps où nos armées étaient chaque jour décimées par le canon. En un mot, on les mettait en dehors du droit commun. Par suite de ces décrets rigoureux, et qui, par leur généralité, ne pouvaient manquer de consacrer de criantes injustices, toutes les affaires des négociants juifs demeurèrent en interdit pendant plusieurs années[24]. Certes, le gouvernement n’était animé contre eux par aucun fanatisme religieux ; il ne songeait qu’à en finir avec des habitudes d’usure qui avaient pris des proportions exorbitantes ; mais peut-être, à son insu, se laissait-il égarer par des préjugés trop invétérés, et par des haines religieuses dont il subissait l’influence sans les partager directement. On a la preuve de cette fatale préoccupation dans les procès-verbaux de la réunion décrétée en 1806, et qui avait pour but, en partie du moins, d’améliorer la situation des juifs. Quand les rabbins et les délégués furent réunis, la première question que le gouvernement leur posa fut celle-ci : « Vous regardez-vous comme citoyens ? vous croyez-vous obligés à obéir aux lois[25] ? » L’assemblée s’écria de toutes parts : « Jusqu’à la mort. » On leur demanda si leur religion leur donnait le droit d’épouser plusieurs femmes ? de divorcer sans le concours des tribunaux, et pour des causes non admises par le Code civil ? si les mariages mixtes leur étaient interdits ? si l’usure leur était défendue à l’égard de leurs frères, et permise à l’égard des étrangers ? Ils répondirent que la loi divine contenait des dispositions religieuses et des dispositions politiques, que les dispositions politiques étaient nécessairement abrogées depuis que le peuple d’Israël avait perdu son existence distincte, ses rois, ses magistrats ; que nés en France et traités en citoyens par la loi, ils acceptaient pleinement tous les devoirs de citoyens. Quand ces douloureuses questions furent posées par les commissaires du gouvernement[26], l’assemblée manifesta, par un mouvement unanime, combien elle était sensible à la défiance qu’elles exprimaient. Ils vivaient au milieu de nous, partageant nos charges, nos périls ; et nous ne connaissions ni leurs lois, ni leurs mœurs, ni leurs sentiments.

Et quand donc avaient-ils désobéi ? À quelle époque de l’histoire y eut-il une insurrection de juifs ? Même quand on les dépouillait, quand on les chassait, avaient-ils recours à la violence ? Les juifs, comme individus, étaient-ils moins réguliers que les chrétiens ? Remplissaient-ils les bagnes et les prisons ? Leurs ennemis mêmes s’accordaient à rendre hommage à leurs vertus domestiques. La famille juive était restée pure aux époques les plus licencieuses. Paria au dehors, le misérable juif, rentré chez lui, fermait toutes les portes, cachait sa vie aux ennemis de sa race et de sa foi, et devenait un patriarche. Ils restaient unis entre eux, disait-on : oui, par une commune oppression et un commun malheur. Les juifs ne se mêlaient pas aux autres peuples, parce que tous les peuples les repoussaient. Ils faisaient l’usure, il est vrai ; et souvent même avec une âpreté, avec une audace déplorables. Mais pourquoi faisaient-ils l’usure ? parce qu’on leur interdisait de posséder la terre, d’exercer un métier. Il ne leur restait que l’argent ; ils en trafiquaient. Quand ils étaient presque les seuls banquiers du monde, eussent-ils été honnêtes, humains, généreux, on ne leur aurait pardonné ni leurs richesses, ni les droits qu’on avait créés entre leurs mains par des emprunts. Souvent dépouillés arbitrairement, ils se croyaient, à tort, autorisés à chercher de grands bénéfices. Traités en ennemis, ils rêvaient la vengeance. Chassés de toutes les carrières ouvertes à l’ambition des hommes, il ne leur restait pas d’autre sphère d’activité que la banque et le commerce. S’ils se jetèrent en grand nombre dans l’usure, il est juste au moins de reconnaître que la faute n’en était pas à eux seuls. Ils pouvaient dire à la société : « C’est vous qui nous avez faits ce que nous sommes ! »

Voyons quelle est aujourd’hui leur situation[27]. Commençons par la Russie. Les juifs sont exclus de la Grande-Russie ; non-seulement ils n’y peuvent pas vivre, mais ils n’y peuvent séjourner plus de vingt-quatre heures[28]. Il y a très-peu de temps qu’un secrétaire d’ambassade, portant un nom illustre, a été obligé, dit-on, de recourir à l’appui de son gouvernement pour obtenir de passer une semaine à Moscou[29]. Et cependant, étrange anomalie, la Grande-Russie n’est qu’une faible partie de l’empire russe ; et tandis qu’on en bannit les juifs avec la dernière rigueur, les autres provinces de l’empire leur sont ouvertes. Ils y peuvent demeurer, trafiquer, former des établissements ; ils y ont des synagogues ; ils y obtiennent, pour leur culte et pour leurs personnes, la protection de l’État : ils ne deviennent criminels qu’en franchissant la frontière de la province voisine. Les juifs polonais ne sont tolérés que dans les villes, la campagne leur est interdite, et dans la ville de Varsovie ils ont leur quartier déterminé, comme à Rome[30]. Il leur est défendu de tenir des cabarets et des débits de liqueurs, et d’habiter dans une maison où un chrétien donne à boire ; ils ne peuvent acquérir de biensfonds : on leur permet seulement d’acheter à des prix très-onéreux, des terres incultes pour les coloniser, et quand ils ont colonisé à leurs frais vingt-cinq familles juives, ils obtiennent enfin le droit de devenir eux-mêmes propriétaire. Il ne leur est pas permis non plus d’acheter une maison en pierre ; ils ne peuvent acheter qu’une maison en bois, et après l’avoir achetée ils sont obligés de la faire reconstruire en pierres dans un court délai. Tous ceux d’entre eux qui demeurent hors de Varsovie payent un droit pour y entrer : on leur délivre un billet daté qu’ils doivent présenter à toute réquisition, et qui n’est valable que pour un seul séjour. S’ils restent un jour de plus à Varsovie, nouvel impôt, nouveau billet ; et ainsi pour chaque journée si leur séjour se prolonge. Cet impôt s’élève, par an, à un demi-million. Un autre impôt, plus bizarre, est frappé sur la barbe. Les juifs aiment à porter une longue barbe : ils sont obligés pour cela de payer une somme, et d’en porter sur eux le reçu, sans quoi le premier agent de police peut les mener chez le barbier. Un troisième impôt a un caractère plus odieux encore, car il constitue une véritable impiété. C’est celui qui porte sur la viande-cacher, c’est-à-dire sur la viande préparée à la boucherie d’après le rituel des juifs. C’est un véritable impôt sur le culte. On l’a établi en 1812 ; il a pour conséquence de priver toute la population pauvre de l’usage de la viande. Il va sans dire qu’on n’a pas oublié les livres et l’enseignement. La vente des livres de controverse est interdite ; les livres de prières sont soumis à la censure. L’éducation élémentaire est entravée par tous les moyens : point d’écoles rurales ; si les juifs demandent à en fonder à leurs frais, on le leur refuse ; s’ils veulent envoyer chaque jour leurs enfants à Varsovie, ils sont assujettis chaque jour au droit d’entrée, qui devient alors exorbitant. Enfin, pour dernier malheur, ils sont soumis comme les autres à la conscription, et dans une proportion plus forte que les autres ; et il ne s’agit pas là de huit ans — le service militaire dure vingt-cinq ans ; — : ni d’une carrière, car tout avancement leur est refusé. Un juif ne peut pas même être sergent. Voilà la situation des juifs en Pologne ; et il y en a plus d’un demi-million.

En Prusse, le culte israélite est toléré[31] ; on peut dire qu’il est traité avec faveur depuis quelques années, car les juifs ne sont plus astreints à porter sur leurs vêtements une marque extérieure de leur religion ; il y a même une loi de l’État qui proclame la liberté absolue de tous les cultes : c’est l’article 12 de la Constitution du 21 janvier 1850. Mais si la constitution appelle les juifs à tous les emplois, l’État les repousse impitoyablement de tous les degrés de la hiérarchie. Ils ne peuvent être ni magistrats, ni officiers, ni professeurs. La carrière des fonctions leur est interdite dans un peuple de fonctionnaires[32]. Il y a quelques années, un député, M. Wagener, demanda à la seconde chambre la suppression de cet article 12, qui n’était alors et qui n’a été depuis qu’une lettre morte. Loin de se montrer favorable à cette proposition, la commission nommée par la chambre apporta un projet de loi ainsi conçu : « La liberté de la confession religieuse, de l’union des corporations religieuses, et de l’exercice privé et public des cultes, est garantie. La jouissance des droits de bourgeoisie est indépendante de la confession religieuse. Aucun empêchement ne peut être apporté à l’exercice des droits de bourgeoisie et des droits civils pour cause d’opinions religieuses. La régularisation des droits civils des citoyens non chrétiens sera l’objet d’une législation spéciale. » Après deux heures de discussion dans la séance du 6 mars 1856, le projet de la commission fut écarté comme inutile, et la proposition de M. Wagener comme attentatoire à la constitution et aux droits de l’humanité. Les juifs continuent à être, aux termes de la loi, les égaux de leurs concitoyens, et à subir, dans la pratique, un véritable ostracisme[33]. La même oppression pèse sur eux dans la plupart des États de l’Allemagne, C’est pourtant là, comme on sait, le pays de la philosophie ; et la métaphysique, à peu près bannie du reste du monde, est enseignée en paix dans toutes les universités allemandes. Il est permis à un philosophe de nier Dieu dans sa chaire ; il ne l’est pas à un juif de monter dans une chaire où il enseignerait l’unité de Dieu. Dans la Hesse électorale, la constitution, qui ne date que de 1852, interdit aux juifs de siéger dans les états[34]. Dans le duché de Meiningen, ils ne peuvent être ni électeurs, ni élus, ni jurés, ni fonctionnaires publics, ni même avocats ou avoués. La loi qui les exclut ne date que d’hier. Dans le Mecklembourg, ils avaient obtenu, en 1848, les droits de citoyens. Ils en ont profité pour acquérir des terres. Mais le gouvernement local ne l’entend pas ainsi ; et faisant revivre une interdiction antérieure à l’année 1848, il assigne les nouveaux propriétaires devant les tribunaux en résiliation de leurs marchés[35].

Cette contradiction rappelle la condition des catholiques suédois, émancipés, quoiqueincomplétement, par la Constitution du 6 juin 1809, et contre lesquels les tribunaux continuent à sévir d’après les prescriptions des lois anciennes, virtuellement abrogées par la Constitution. Pendant que les tribunaux mecklembourgeois, hautement désavoués par le sentiment public, veulent faire de la Constitution de leur pays une lettre morte à l’égard des juifs, les négociants d’Augsbourg et le collège des bourgmestres pétitionnent contre l’admission des familles juives dans cette ville : tristes débats, où l’on trahit la religion en l’invoquant, et où le fanatisme religieux sert de couverture à de sordides intérêts !

En Autriche, c’est bien pis encore. Jusqu’en 1849, non-seulement les israélites de Bohême soumis à l’autorité de l’empereur n’étaient pas citoyens ; non-seulement ils ne pouvaient acquérir de terres ; mais ils ne pouvaient se marier sans une autorisation préalable, et cette autorisation ne leur était accordée qu’au fur et à mesure de l’extinction des chefs de famille Le nombre des juifs mariés étant fixé à l’avance, il fallait, pour prendre femme, attendre qu’un juif marié fût mort. Dans l’intervalle, on vivait en concubinage, même si l’on était marié par le rabbin, et on ne donnait le jour qu’à des bâtards. L’année 1849 anéantit cette loi, et bien d’autres. Puis la révolution disparut ; l’ordre se fit, et avec l’ordre revint aussi, pour les juifs, la servitude[36]. Toutes les concessions furent retirées ; et il fallut opter de nouveau entre sa conscience et les droits les plus sacrés du père et du citoyen[37].

S’il est un lieu où l’on s’explique que les juifs puissent être maltraités, c’est Rome : non pas que cela soit juste ; mais c’est la conséquence logique d’un principe faux. En 1556, le pape Paul IV força les juifs à vendre tous leurs immeubles, à se retirer dans un quartier séparé, où chaque soir on les enfermait, à porter un chapeuu jaune, et à se borner au commerce des vieux habits. La police du Ghetto se relâcha au commencement de ce siècle ; mais après la mort de Pie VII, il y eut redoublement de rigueur, et les chaînes qui tenaient la population juive prisonnière furent fermées à l’entrée des rues à huit heures.

Ces chaînes sont encore là aujourd’hui, comme un souvenir des temps écoulés, et il est plus que probable qu’elles ne se tendront plus. Le Ghetto a été agrandi depuis l’avènement de Pie IX par l’adjonction de rues adjacentes ; il n’est plus fermé, il n’est pas très-exactement délimité. Cependant les juifs ne peuvent demeurer ailleurs. Ils forment une commune d’environ quatre mille cinq cents âmes, se régissant elle-même au moyen d’un conseil municipal composé de quarante membres, dont trois sortants et trois élus chaque année. Ce conseil fixe tous les ans le montant d’un impôt destiné à subvenir aux frais du culte et de l’enseignement et à former un fonds de secours commun. Pour le reste, les juifs sont soumis aux mêmes magistrats que les Romains. Leur état civil est enregistré par le rabbin, et communiqué au gouvernement par le recensement et la statistique. Ils peuvent être propriétaires d’immeubles, mais dans le Ghetto seulement, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient propriétaires de toutes les maisons. Ils y jouissent du privilège de travailler le dimanche, et quand on se hasarde ce jour là dans cet horrible quartier, dont la malpropreté est révoltante, même à Rome, on trouve toutes les femmes occupées dans la rue, à carder des matelas et à rapiécer de vieux habits. Le commerce des vieux habits est là, comme partout, leur industrie principale, mais ce n’est pas la seule, en dépit du règlement de Paul IV. Ils sont surtout courtiers de marchandises. Presque toutes les familles romaines ont leur juif, qui se charge de tous leurs achats, et qui, en faisant un bénéfice pour lui-même, leur vend encore les étoffes, les meubles, les denrées, à prix réduits et à long terme. Ils sont honnêtes, industrieux et discrets. Ils ne peuvent fréquenter que leurs propres écoles, à l’exception de la Sapienza, où il leur est permis d’étudier les sciences et de se faire recevoir médecins. Jusqu’aux dernières années du pontificat de Grégoire XVI, ils étaient obligés d’assister tous les samedis à une instruction catholique ; cet usage est aboli en droit ; seulement, les deux places de prédicateur des Israélites et de président du sermon sont conservées, et le nom des titulaires figure dans l’almanach de 1866. L’impôt de huit cents scudi qu’ils étaient obligés d’offrir au sénateur tous les ans à l’ouverture du carnaval, est également aboli ; mais ils sont encore soumis à trois obligations humiliantes ou vexatoires : 1o ils offrent au nouveau vice-gérant qui entre en fonctions (sorte de lieutenant de police sous les ordres du cardinal-vicaire) des burettes en argent ; 2o ils payent à l’église des convertis une somme de quatre cents scudi (c’est une amende qui leur a été imposée vers la fin du siècle dernier pour une publication séditieuse ou réputée telle) ; 3o ils payent douze cents scudi pour l’entretien et l’éducation des catéchumènes[38]. Ce dernier impôt surtout est, dans son genre, une merveille. Les juifs, comme tous les Romains, et comme les étrangers, ont besoin d’une permission pour sortir des états pontificaux ; mais les juifs n’obtiennent qu’une permission conditionnelle[39]. Et comment seraient-ils libres dans un pays ou les catholiques mêmes risquent d’être emprisonnés s’ils n’accomplissent pas le devoir pascal ; où les évêques rappellent dans leurs mandements les lois du moyen âge qui condamnaient les blasphémateurs à la flagellation, à l’exil ou à la mort[40] ; où les inquisiteurs provoquent publiquement à la délation, en allouant aux dénonciateurs le tiers des amendes encourues[41] ? Pour l’Espagne, on sait qu’elle est au premier rang parmi les ennemis des juifs. Après avoir chassé les Maures de la péninsule, Ferdinand et Isabelle crurent compléter leur ouvrage en en faisant sortir aussi les Israélites. Huit cent mille sujets espagnols se trouvèrent tout à coup sans patrie. Quatre ans après, en 1496, le Portugal imita cet exemple, et les juifs portugais furent obligés de se réfugier à Bordeaux et dans le midi de la France. Quelques-uns furent s’établir en Hollande, où leur colonie a prospéré. Le roi Emmanuel ordonna que les enfants au-dessous de quatorze ans seraient retenus par force en Portugal, et baptisés. On vit des parents tuer leurs enfants et se tuer après eux. Depuis longtemps les juifs sont rentrés en Portugal ; mais aujourd’hui même il n’y en a pas en Espagne, ou, s’il y en a, ils cachent leur religion. Ils ne peuvent pas avoir d’état civil, car la loi ne commet aucun magistrat pour recevoir les actes de naissance et de décès et pour présider aux mariages ; les curés catholiques sont seuls chargés de constater la naissance ou la mort et de légitimer les unions. Et pourtant, presque chaque année, un souffle libéral passe sur l’Espagne. On y a perdu le fanatisme de la royauté ; mais on y a retenu quelque chose du fanatisme religieux : c’est le terroir de l’inquisition[42] ! Il serait trop triste de montrer les juifs opprimés dans la plupart des cantons suisses. Ces restes de barbarie font trop de mal, quand on les retrouve sur le sol de la liberté. Il faut se souvenir aussi des longs débats qu’a suscités l’élection de M. Lionel Rothschild au Parlement. On ne refusait pas de le recevoir, non ; mais on refusait de modifier pour lui la formule du serment, qui se terminait ainsi : « Je le jure sur la foi d’un chrétien. » Et pourtant, voyez l’inconséquence ; jurer ainsi, pour M. de Rothschild, ce n’était pas jurer du tout. Il n’aurait pas refusé, s’il avait eu moins d’honneur.

Je conclus que la liberté de conscience est nouvelle, qu’elle est incomplète, même en France, et qu’elle est méconnue dans la moitié de l’Europe. Cependant, nous croyons la posséder. Nous ne sentons pas notre maladie, ce qui est la pire de toutes les maladies. Nous ne comprenons pas qu’il n’y a pas de liberté du dehors, pour qui ne possède pas la liberté du dedans.



  1. Dans la discussion du bill contre l’agression papale, au parlement d’Angleterre, M. Gladstone a déclaré qu’il s’opposait à la seconde lecture dans l’intérêt de l’Église établie. « À mes yeux, ce bill est hostile aux institutions nationales et surtout à la religion anglicane, parce qu’il apprend à cette religion à compter sur d’autres appuis que ceux de sa force spirituelle et de sa vitalité, seules sources de vigueur pour elle. »
  2. L’érection du patriarcat de Moscou fut confirmée par le concile tenu à Constantinople en février 1593.
  3. 2 décembre 1593.
  4. « Le très-haut synode… attendu qu’il serait plus utile, pour le présent et l’avenir des habitants, que les provinces polonaises unies à l’empire fussent soumises à la loi générale qui existe en Russie en matière de mariages mixtes ;
     « Attendu que cette décision doit contribuer à réprimer des excès qui se commettent par le clergé romain et grec uni, qui bénit les mariages de personnes de communions différentes sans les formalités préalables et nécessaires…, il a été décidé, etc. » (23 novembre 1832.) — Cf. un oukase d’août 1839, qui défend aux prêtres catholiques de baptiser les enfants nés des mariages mixtes.
  5. Oukase du 5 mai 1840.
  6. Oukase du 46 décembre 1839. Le 5 décembre 1840, ordre d’exil contre deux prêtres « pour les sermons qu’ils ont prononcés sans permission de la censure. »
  7. Remis en vigueur par décret du sénat dirigeant, du 10 mars 1832, et par l’ordre souverain du 16 décembre 1839.
  8. « Les popes offrirent à chaque individu qui viendrait signer l’acte du schisme, un demi-sac de farine par mois (1834). Ceux qui retournaient au catholicisme étaient mis en prison, enchaînés et fouettés jusqu’à ce qu’ils consentissent à une nouvelle apostasie. Un protopope, suivi de gendarmes, fustigeait impitoyablement des populations entières Nous avons vu le protopope Paul donner le knout de sa propre main aux habitants d’un village, et cela sans épargner les vieillards. Il arriva une fois que les prisons de Witepsk furent tellement encombrées qu’il n’y avait plus de place pour les victimes… Les mères et les femmes des détenus se rendirent près de l’archevêque russe pour lui demander protection : il les fit dipperser à coups de bâton. Les docteurs en théologie sont placés comme paysans et domestiques dans les séminaires’russes… Baronowski, curé de Bore est mort en prison à Zyrowice ; Jean Ralkiewilz, Sosnowski, sont morts ; cent soixante prêtres exilés…., etc. » (Vicissitudes de l’Église catholique des deux rites, par le P. Theiner, traduit en français avec une préface de M. de Montalembert, t. II, p. 323 sqq.)
  9. Oukases des 24 juin 1833, 22 avril 1834, érection de deux évêchés du culte dominant à Polock et à Varsovie.
  10. Il y a en Russie deux sortes de catholiques : les ruthéniens on grecs unis, qui, en rentrant dans la communion de l’Église de Rome, ont conservé le rit grec et le mariage des prêtres, et les latins, qui ont toujours été soumis à l’Église romaine, et ne diffèrent en rien des catholiques de tous les pays.
  11. « Tout individu possédant des serfs qui sera convaincu d’avoir abandonné la religion orthodoxe (schisme russe) perdra l’administration de ses biens, sans préjudice des peines personnelles portées par la loi.
     « 2o U ne pourra garder à son service aucun de ses serfs orthodoxes, ni demeurer dans aucune de ses propriétés habitées par des serfs orthodoxes.
     « 6o S’il a des enfants en bas âge, des mesures seront prises pour protéger leur orthodoxie. » (24 mars 1840.)
  12. Dans le premier procès de Penn, le patriarche des quakers, le juge, irrité du sang-froid de l’accusé, s’écria : « Je n’avais jamais compris jusqu’à présent que les Espagnols aient souffert l’établissement de l’inquisition ; mais je m’aperçois bien que nous ne serons jamais tranquilles si nous n’avons en Angleterre quelque chose de semblable à l’inquisition d’Espagne ! » Quiconque opprime la liberté de conscience finit, un jour ou l’autre par souhaiter l’inquisition d’Espagne,
  13. « En Irlande, les adhérents de l’Église établie n’excèdent pas le neuvième de la population, et cette petite minorité se compose presque entièrement des classes riches qui pourraient aisément se procurer l’instruction religieuse. Nous avons pourvu avec profusion aux intérêts spirituels des riches et du petit nombre, en négligeant complètement ceux des pauvres et de la multitude. Nous laissons le clergé des catholiques, c’est-à-dire de plus des cinq sixièmes du peuple, sans aucune subvention du gouvernement, dépendre pour son entretien des contributions volontaires de son troupeau, composé des paysans les plus pauvres de l’Europe.
     « En discutant l’état ecclésiastique de l’Europe, il faut toujours se souvenir que les objections des catholiques romains contre l’Église établie ne sont pas relatives au plus ou au moins, qu’elles ne seraient pas détruites par l’abolition de quelques évêchés, etc., mais qu’elles portent contre l’existence même, contre le principe d’une subvention de l’État en Irlande en faveur du clergé d’une très-petite minorité, aussi longtemps que le clergé de la majorité sera complètement dépourvu de tout secours provenant des fonds publics.
     « L’objection est relative au principe et non au degré, et rien qu’une parfaite égalité pour toutes les sectes religieuses ne satisfera les personnes dont le mécontentement est dû à ces causes. » (M. Mac-Culloch, Compte rendu de l’empire britannique, édit. de 1854.)
  14. Les membres du clergé anglican sont exclus, comme les membres du clergé catholique, de la chambre des communes ; mais leurs évêques sont pairs du Royaume-Uni.
  15. Au mois d’avril 1856, M. Huichins, membre des communes pour Lewingslon, et qui, dans l’intervalle des sessions, avait quitté l’Église protestante pour l’Église catholique, a du prêter une seconde fois serment en sa nouvelle qualité et d’après la formule dressée en 1830.
  16. 20 Victoria, chap. XIX.
  17. Aujourd’hui les catholiques peuvent suivre les cours et prendre le gracie de bachelier ès arts dans toutes les universités anglaises (maître ès arts à Cambridge). Mais ils ne peuvent être ni maître ès arts, ni professeur, ni fellow à Oxford.
  18. Constitution de 1809, art. 28 : « Il ne sera nommé aux places de ministre d’État, de conseiller de justice, de secrétaire d’État, et aux autres emplois civils dans le royaume, ainsi qu’aux places de juge, que des hommes professant la pure doctrine évangélique. » L’article 5 de la Constitution porte que le roi sera obligé de professer la doctrine évangélique pure (le luthéranisme). L’ordre du clergé s’efforça de faire appliquer cette disposition à la reine et aux princesses de la famille royale ; mais cette prétention fut repoussée. La reine actuelle (1867) est catholique. Le gouvernement a proposé tout récemment d’admettre les Suédois non luthériens à l’exercice de la médecine et à l’enseignement des arts et métiers. Cette double proposition a été rejetée par la diète.
  19. « Pour ne rappeler que des faits récents, il est constaté que trois citoyens suédois ont été condamnés à l’exil pour changement de religion ; un homme, pour avoir seulement lu le Pater, un dimanche, en présence de quarante-trois personnes, a été par toutes les juridictions condamné « près de 160 francs d’amende, et, en cas d’insolvabilité, à vingt-huit jours de prison, au pain et à l’eau. Dans la seule prévôté de Norra-Helsingland, de 1851 à 1854, le juge du bailliage de Bergsjæ a frappé quatre cent vingt-sept personnes de 8 493 risdalers (18 000 fr.) d’amende pour avoir reçu la Cène d’un individu non ordonné prêtre luthérien. Dans le district d’Orsa, d’Ersdal et de Socra, durant les années 1853 et 1854, deux cents individus ont subi des condamnations analogues. Or. la plupart de ces inculpés étaient pauvres : ils ont été presque tous ruinés ou jetés dans les fers ; et en Suède, la terreur qu’inspire la prison au pain et à l’eau est telle, qu’on lui préfère la mort pour ainsi dire. (M. Henry de Riancey, dans l’Ami de la Religion, du 28 février 1857.) — Cf. un article de M. Lefèvre-Pontalis, dans le Journal des Débats du 30 avril 1858. Enfin, voici le texte d’un arrêt rendu en 1858 :
    cour royale de stockholm.
    Présidence de M. le comte Éric Sparre.


     « Considérant qu’une des accusées étant morte dans le cours du procès, sa cause est éteinte ;
     « Considérant que le nommé Jean-Pierre Muller, maître de langues, étant né dans le Schleswig et n’ayant jamais été naturalisé Suédois, la cour n’a pas de juridiction sur lui pour cause de religion ; « Considérant que les autres accusées, Mme Funk, Mme Ollerman, Mme Schutze, Mme Andersson, Mme Vahlander, Mme Lundegren, toutes nées en Suède, et ayant été élevées dans la doctrine évangélico-luthérienne, qu’elles avaient professée et promis d’observer, ont reconnu devant la cour royale avoir embrassé la religion catholique romaine, ce qui, du reste, a été prouvé par les certificats du prêtre catholique ;
     « Considérant que, bien que dûment averties par leurs pasteurs respectifs, elles ne se sont pas laissé ramener, mais ont au contraire déclaré vouloir persévérer dans la confession catholique ;
     « Vu le chapitre 1er, § 3, du Code criminel, et le chapitre 1er § 2, de la loi ecclésiastique,
     « La cour trouve juste de condamner les épouses Caroline-Christine Funk, née Palingren ; Marie-Charlotte Offerman, née Palingren ; Anne Schutze, née Landberg ; Jeanne Olivia Andersson, née Olsson ; Hedwige-Catherine Vahlander, née Forsmanu, et Sophie Wilhelmine Lundegren, à être expulsées du royaume de Suède et à être privées pour l’avenir de tout héritage et de tous les droits civils dans le royaume.
     « Donné à Stockholm, le mai 1858, au nom de la cour,

    « Signé : comte éric sparre, président. »
  20. En vertu de la loi concernant les dissidents chrétiens du 16 juillet 1845.
  21. Je laisse à dessein subsister ce passage, écrit très-peu de mois avant la révolution d’Italie. Toutes ces vicissitudes sont autant de démonstrations en faveur de la tolérance et de la morale universelle.
  22. La liste des victimes de l’inquisition toscane depuis la restauration de Léopold II serait trop longue. Nous citerons Bolognini et Calamandrei accusés en 1851, et qui échappèrent à la prison par la fuite ; Stephan Benelli, condamné à six mois de prison, vers la fin de 1851, comme suspect d’adhésion au protestantisme ; en janvier 1852, Daniel Mazzinghi, condamné à six mois de travaux forcés pour avoir détourné un mourant de recevoir l’extrême-onction ; en janvier 1853, Charles Carrara, pour avoir professé des opinions contraires à la religion de l’État, deux ans de prison ; en août, Natale Lippi, trois mois de prison, pour avoir lu la Bible dans sa famille ; en octobre 1855, Eusèbe Massei, pour avoir lu la Bible à son fils âgé de quinze ans, un an de réclusion ; 26 mars 1855, Dominique Cecchetti, pour n’avoir pas élevé ses enfants dans la religion catholique, un an de prison, etc., etc.
  23. Au palais de Saint-Cloud, le 30 mai 1806.
     Napoléon, etc.
     Sur le compte qui nous a été rendu que, dans plusieurs départements septentrionaux de notre Empire, certains juifs, n’exerçant d’autre profession que celle de l’usure, ont, par l’accumulation des intérêts les plus immodérés, mis beaucoup de cultivateurs de ces pays dans un état de détresse,
     Nous avons pensé que nous devions venir au secours de ceux de nos sujets qu’une avidité injuste aurait réduits à ces fâcheuses extrémités.
     Ces circonstances nous ont fait connaître en même temps combien il était urgent de ranimer, parmi ceux qui professent la religion juive dans les pays soumis à notre obéissance, les sentiments de morale civile qui malheureusement ont été amortis chez un trop grand nombre d’entre eux par l’état d’abaissement dans lequel ils ont longtemps langui, état qu’il n’entre pas dans nos intentions de maintenir ni de renouveler.
     Pour l’accomplissement de ce dessein, nous avons résolu de réunir en une assemblée les premiers d’entre les juifs, et de leur faire communiquer nos intentions par des commissaires que nous nommerons à cet effet, et qui recueilleront en même temps leurs vœux sur les moyens qu’ils estiment les plus expédients pour rappeler parmi leurs frères l’exercice des arts et des professions utiles, afin de remplacer, par une industrie honnête, les ressources honteuses auxquelles beaucoup d’entre eux se livrent de père en fils depuis plusieurs siècles.
     À ces causes : sur le rapport de notre grand juge ministre de la justice et de notre ministre de l’intérieur, notre conseil d’État entendu, nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
     Art. 1er. Il est sursis pendant un an, à compter de la date du présent décret, à toutes exécutions de jugements ou contrats, autrement que par simples actes conservatoires, contre des cultivateurs non négociants des départements de la Saxe, de la Roër, du Mont-Tonnerre, des Haut et Bas-Rhin ; de Rhin et Moselle, de la Moselle et des Vosges, lorsque les titres contre ces cultivateurs auront été consentis par eux en faveur des juifs.
     Art. 2. Il sera formé, au 16 juillet prochain, dans notre bonne ville de Paris, une assemblée d’individus professant la religion juive.
  24. Palais impérial des Tuileries, le 17 mars 1808 (Moniteur du 20 mars). Titre 1. — Art. 1er. À compter de la publication du présent décret, le sursis prononcé par notre décret du 30 mai 1806, pour le payement des créances des juifs est levé.
     Art. 2. Lesdites créances seront néanmoins soumises aux dispositions ci-après :
     Art. 3. Tout engagement pour prêt fait par des juifs à des mineurs sans l’autorisation de leur tuteur, à des femmes sans l’autorisation de leur mari, à des militaires sans l’autorisation de leur capitaine, si c’est un soldat ou un sous-officier, et du chef de corps si c’est un officier, sera nul de plein droit, sans que les porteurs ou cessionnaires puissent s’en prévaloir, et nos tribunaux ordonner aucune action en poursuite.
     Art. 4. Aucune lettre de change, aucun billet à ordre, aucune obligation ou promesse souscrite par un de nos sujets non commerçant au profit d’un juif ne pourra être exigée sans que le porteur prouve que la valeur en a été fournie entière et sans fraude.
     Art. 5. Toute créance dont le capital sera aggravé d’une manière patente ou cachée, par la cumulation d’intérêts à plus de 5 pour 100, sera réduite par nos tribunaux.
     Si l’intérêt réuni au capital excède 10 pour 100, la créance sera déclarée usuraire, et, comme telle, annulée.
     Art. 6. Pour les créances légitime » et non usuraires, nos tribunaux sont autorisés à accorder aux débiteurs des délais conformes à l’équité.
     Titre II. — Art. 7. Désormais, et à dater du 1er juillet prochain, nul juif ne pourra se livrer à un commerce, négoce ou trafic quelconque, sans avoir reçu à cet effet une patente du préfet du département, laquelle ne sera accordée que sur des informations précises et que sur un certificat : 1o du conseil municipal, constatant que ledit juif ne s’est livré ni à l’usure ni à un trafic illicite ; 2o du consistoire de la synagogue dans la circonscription de laquelle il habite, attestant sa bonne conduite et sa probité.
     Art. 8. Cette patente sera renouvelée tous les ans.
     Art. 9. Nos procureurs généraux près nos cours sont spécialement chargés de faire révoquer lesdites patentes par une décision spéciale de la cour, toutes les fois qu’il sera à leur connaissance qu’un juif patenté fait l’usure ou se livre à un trafic frauduleux.
     Art. 10. Tout acte de commerce fait par un juif non patenté sera nul et de nulle valeur.
     Art. 11. Il en sera de même de toute hypothèque prise sur des biens par un juif non patenté, lorsqu’il sera prouvé que ladite hypothèque a été prise pour une créance résultant d’une lettre de change ou pour un fait quelconque de commerce, négoce ou trafic.
     Art. 12. Tous contrats ou obligations souscrits au profit d’un juif non patenté, pour des causes étrangères au commerce, négoce ou trafic, pourront être revisés par suite d’une enquête de nos tribunaux. Le débiteur sera admis à prouver qu’il y a usure ou résultat d’un trafic frauduleux, et, si la preuve est acquise, les créances seront susceptibles, soit d’une réduction arbitrée par le tribunal, soit d’annulation, si l’usure excède 10 pour 100.
     Art. 13. Les dispositions de l’article 4, titre 1er du présent décret, sur les lettres de change, billets à ordre, etc., sont applicables à l’avenir comme au passé.
     Art. 14. Nul juif ne pourra prêter sur nantissement à des domestiques ou gens à gages, et il ne pourra prêter sur nantissement à d’autres personnes qu’autant qu’il en sera dressé acte par un notaire, lequel spécifiera dans l’acte que les espèces ont été comptées en sa présence et celle des témoins, à peine de perdre tout droit sur les gages, dont nos tribunaux et cours pourront, en ce cas, ordonner la restitution gratuite.
     Art. 15. Les juifs ne pourront sous les mêmes peines recevoir en gage des instruments, ustensiles, outils et vêtements des ouvriers, journaliers et domestiques.
     Titre III. — Art. 16. Aucun juif, non actuellement domicilié dans nos départements du Haut et du Bas-Rhin, ne sera désormais admis à y prendre domicile.
     Aucun juif non actuellement domicilié ne sera admis à prendre domicile dans les autres départements de l’Empire, que dans le cas où il y aura fait l’acquisition d’une propriété rurale et se livrera à l’agriculture, sans se mêler d’aucun commerce, négoce ou trafic.
     Il pourra être fait des exceptions aux dispositions du présent article, en vertu d’une autorisation spéciale émanée de nous.
     Art. 17. La population juive dans nos départements ne sera point admise à fournir des remplaçants pour la conscription ; en conséquence, tout juif conscrit sera assujetti au service personnel.
     Dispositions générales. — Art. 8. Les dispositions contenues au présent décret auront leur exécution pendant dix ans, espérant qu’à l’expiration de ce délai, et par l’effet des diverses mesures prises à l’égard des juifs, il n’y aura plus alors aucune différence entre eux et les autres citoyens de notre Empire, sauf néanmoins, si notre espérance était trompée, à en proroger l’exécution pour le temps qu’il sera jugé convenable.…
     Les dispositions de ce décret ne sont point applicables aux juifs établis à Bordeaux et dans le département de la Gironde et des Landes.
  25. On lit dans le catéchisme juif de Bavière, au chapitre des Devoirs : « D. Les lois qui règlent les rapports d’humanité d’un juif envers un autre juif sont-elles applicables aux non-israélites ? — R. Évidemment oui, car la loi fondamentale des devoirs : « Aime ton prochain comme a toi-même, » s’étend aussi bien aux gentils qu’aux Israélites. Il est écrit : « Si un étranger demeure parmi vous dans votre terre, vous ne le maltraiterez point ; il sera comme s’il était né parmi vous, et vous l’aimerez comme vous-mêmes, car vous aussi vous avez été étrangers sur la terre d’Égypte. »
  26. MM. Molé, Pasquier et Portalis fils, maîtres des requêtes.
  27. Ce qui suit, sur la situation des juifs en Pologne, en Prusse et en Autriche, a été écrit en 1857. On sait assez que les modifications survenues, notamment en Pologne, n’ont été que des aggravations.
  28. L’empereur actuel a rendu plusieurs ordonnances favorables à la situation des juifs. Le Ghetto de Moscou a été supprimé.
  29. Dans ces derniers temps (cette note est de 1857) un grand nombre d’Israélites qui étaient partis pour la Russie ont été repoussés à la frontière de cet empire parce qu’ils ne se trouvaient pas compris dans la catégorie des juifs auxquels les lois permettent de séjourner en Russie.
     Afin d’éviter aux Israélites prussiens cet inconvénient, le ministre de l’intérieur a fait recueillir toutes les lois et ordonnances actuellement en vigueur qui concernent la résidence des juifs étrangers en Russie, et il en a adressé des exemplaires aux régences des provinces, avec ordre de les communiquer à tout Israélite qui demanderait un passe-port pour la Russie. Voici la substance de ces dispositions : 1o Les Israélites étrangers arrivant en Russie ne pourront résider que dans les villes frontières où existent des douanes et des bourses, et encore seulement dans celles d’entre ces villes qui sont situées dans les provinces où il n’est pas interdit aux juifs de séjourner. Ils n’y pourront demeurer que pendant l’espace d’une année, et ils devront se conformer aux lois qui régissent les commerçants étrangers, c’est-à-dire, qu’ils ne seront admis à faire aucun autre commerce que le commerce en gros à la Bourse et dans les limites du district douanier. Toutes les autres affaires commerciales leur sont formellement interdites. À leur arrivée, ils sont tenus de présenter, outre un passe-port complètement en règle, des pièces constatant que leur séjour en Russie est indispensable pour eux-mêmes ou pour les personnes, qui les y auraient envoyés. Les juifs étrangers n’ont pas le droit de visiter les foires dans l’intérieur de l’empire, à moins qu’ils n’en aient obtenu une autorisation spéciale du gouvernement
     2o Les Israélites étrangers pourront entrer en Russie pour y suivre des procès ou autres affaires judiciaires ; mais à cet effet ils devront produire des documents authentiques qui prouvent l’existence réelle de tels procès ou affaires, qui indiquent les lieux où ceux-ci sont pendants, et qui démontrent surtout la nécessité de la présence personnelle du voyageur.
     3o Les juifs étrangers qui se proposent de créer en Russie des fabriques ou des manufactures seront admis à s’y établir, à la charge de prouver préalablement qu’ils possèdent des moyens pécuniaires suffisants pour la fondation de pareils établissements pour leur propre compte.
     4o Enfin, l’entrée en Russie sera libre pour les juifs étrangers qui, avec la permission du gouvernement ou des autorités administratives, viendront y remplir les fonctions de rabbin ou exercer la profession de médecin.
  30. Les quartiers Nowowiniarska et Franciskanska.
  31. Malgré le paragraphe de la constitution qui reconnaît la liberté des cultes, ou distingue en Prusse quatre catégories de religions : 1o Les communions expressément reconnues ; il y en a deux : la communion évangéllque et le catholicisme ; 2o les communions reconnues, mais non privilégiées ; il y en a quatre : les séparatistes (ou vieux luthériens), les frères moraves, les unitaires de Bohême et les réformés français ; 3o les cultes tolérés, parmi lesquels il faut compter les quakers, les sectateurs de Renge, les grecs et les juifs ; 4o enfin, les sectes nouvelles, obligées de solliciter la permission d’exister.
     Les relisions tolérées, et le judaïsme, par conséquent, n’ont pas le droit de célébrer un culte public.
  32. L’article 12 de la constitution prussienne du 31 janvier 1850 est ainsi conçu : « La jouissance des droits civils et politiques est indépendante de la confession religieuse. » M. Wagener, qui l’attaqua en 1856 est l’ancien rédacteur en chef de la Gazette de la Croix. Il demandait l’abolition de ce paragraphe, a attendu, disait-il, que le principe dont il est l’expression est contraire à ceux d’un Étal chrétien. « Cette proposition fut appuyée par vingt-neuf membres. Elle donna lieu à 264 pétitions qui ont été recueillies par un écrivain très-distingué, M. le docteur Philippson grand rabbin de Magdebourg, sous ce titre : « Der Kampf der Preuzischen Juden für die Sache des Gewissensfreiheit. » Magdebourg et Leipzick, 1850.
  33. Il y a des exceptions, mais en très-petit nombre, et par faveur spéciale. Ainsi on a nommé un juge israélite au tribunal de Berlin, en lui interdisant de siéger dans les causes où il y a prestation de serment.
  34. Voici les termes de la loi : « La jouissance des droits politiques dépend de la confession chrétienne. » Constitution du 13 avril 1852, § 20.
  35. Lettre adressée de Schwerin, le 4 décembre 1855, à la Boersenkalle de Hambourg : « Notre diète va aussi avoir à s’occuper des droits des israélites. Les juifs ont acquis, depuis 1848, le droit de citoyens dans les villes et en même temps la faculté inséparable d’acheter des terres. Depuis quelque temps l’exercice de ce droit leur est interdit par ordre du gouvernement, parce qu’aux termes de l’article 377 de la convention, les juifs ne peuvent pas posséder des terres dans le Mecklembourg. Les villes ont protesté contre cette interdiction, la haute cour d’appel s’est même prononcée contre le gouvernement dans cette question, et a déclaré que la faculté d’acquérir des terres n’est qu’un corollaire nécessaire du droit de citoyen dans les villes. La diète vient de nommer une commission chargée de l’examen de la question, et la ville de Sclnverin a aujourd’hui même réélu pour son représentant M. Bernard Cohen, qui appartient à la religion juive. »
  36. Voici un fait récent que j’emprunte à l’Œsterresche Zeitung : « À Taschau, près de Carlsbad, quelques Israélites avaient fait l’acquisition de plusieurs petits terrains, tout en se conformant à l’ordonnance d’octobre 1853, qui veut qu’ils obtiennent l’autorisation de l’empereur. La municipalité exigea immédiatement les impôts des acquéreurs ; mais dès qu’elle les eut reçus, elle prononça la confiscation des biens au profit des pauvres. Les Israélites appelèrent de cette décision à l’autorité supérieure, qui leur a accordé une année pour régulariser la possession, mais la municipalité persistant dans ce qu’elle prétend être son droit, a porté l’affaire au ministère. »
  37. La même loi sur les mariages existe en Bavière. Il est digne de remarque qu’en Bavière, où les juifs n’ont pas les droits civils, ils jouissent des droits politiques. Il y a un Israélite dans la chambre des députés. Notons aussi que les juifs sont assez libres dans plusieurs des provinces autrichiennes. Il y a beaucoup d’officiers juifs dans l’armée et de fonctionnaires juifs dans les administrations publiques de l’empire ; mais leur religion est un obstacle presque insurmontable pour leur avancement.
  38. J’ai visité le Ghetto à la fin de 1866. Je fixe cette date, parce que les renseignements que je donne ici, et que j’ai recueillis sur les lieux, ne tarderont pas, je l’espère, à devenir inexacts.
  39. Les Archives Israélites du 1er janvier 1857 contiennent la pièce suivante : « Inquisition de Ferrare. Il est par la présente permis au juif…, natif de Ferrare, de s’absenter pendant l’espace d’un mois, afin de se rendre à Bologne pour affaires commerciales, sous la condition expresse que sa conduite sera exempte de toute offense, soif contre notre sainte religion, soit contre les bonnes mœurs, durant son absence du Ghetto ; et que, dès qu’il sera de retour, il remettra au plus tôt la présente à l’inquisition et ne pourra plus s’absenter sans nouvelle permission écrite ; déclarant que la présente licence sera de nulle valeur, si le porteur, dès son arrivée au lieu de sa destination, ne la présente immédiatement à l’évêque, à l’inquisition, ou à leur vicaire dudit endroit, et s’il n’y fait apposer leur visa. Elle sera également sans valeur si les mêmes personnages croient, par de justes raisons, ne devoir pas y avoir égard….
     « Ferrare, le… nov. 1856.
    « Pour le vicaire du saint-office,
    « Fr. Ph. Menghi, des frères Prêcheurs. »
  40. « Nous nous abstiendrons de rappeler de quels châtiments sévères Dieu, dans les saintes Écritures, a ordonné de punir le blasphème, la non-observance des fêtes, la profanation des églises, la violation du jeûne et l’immoralité. Nous ne rappellerons pas non plus de quelle manière les lois civiles et canoniques punissent ces crimes. Tout le monde sait que, d’après le caractère du crime et des personnes et selon les circonstances des temps, les peines ordinaires ont toujours été soit l’excommunication, soit la prison, soit l’amende, soit la flagellation, soit l’exil, soit même la mort. » (Mandement du cardinal-évêque d’Osimo.)
  41. Édit de Mgr Patrizi, président du tribunal de l’inquisition, janvier 4 866 ; édit général du saint-office promulgué par le P. Thomaso Vincensio Alraldi, inquisiteur pour les villes et diocèse d’Ancône, Cosimo, etc.
  42. Voici les termes d’une circulaire récente (1857) du ministre de l’intérieur : « Les décrets royaux rétablis ne permettent aucune controverse sur les matières religieuses ; il ne sera pas permis non plus de discuter l’opportunité de la conservation en Espagne de l’unité religieuse, jadis héroïquement défendue par les Espagnols au prix de leur sang. »