La Liberté de conscience (Cinquième édition 1872)/4.I

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Hachette et Cie (Cinquième éditionp. 319-321).

QUATRIÈME PARTIE.

CONCLUSION GÉNÉRALE.

CHAPITRE I.

Le régime des concordats est incompatible avec la liberté
des cultes.


Il faut ici éviter une équivoque.

L’État a des lois : il ne peut y renoncer au gré des sectaires.

L’État protège les personnes ; il punit l’assassinat. Il ne peut tolérer une religion qui prescrit des sacrifices humains, parce que ce serait permettre l’assassinat.

Il protège la propriété ; il punit le vol. II ne peut permettre qu’on vole, sous prétexte de religion. De même, il punit l’adultère. Il appliquera donc la loi à tout citoyen convaincu d’adultère, fût-il mormon.

En un mot, les cultes ne sauraient être exemptés de la réglementation commune ; mais ils ne doivent être soumis qu’à la réglementation commune.

Il est bien entendu que l’État ne doit pas exagérer la réglementation ; que, soit dans ses prescriptions, soit dans ses prohibitions, il doit se borner au nécessaire. Car sans cela, il exprimerait une doctrine, et par conséquent l’imposerait. Il supprimerait donc la liberté scientifique, qu’il doit respecter et protéger. Mais quand la loi subsiste, elle est tenue pour nécessaire, jusqu’à ce qu’elle soit abrogée. On peut la discuter ; on ne peut l’enfreindre.

Si l’État se borne à interdire une religion qui ne peut être professée sans violation de la loi, ou à contraindre les religions existantes à ne pas violer la loi, il fait acte de conservation pour lui-même, il ne fait pas acte de violence contre les religions.

Mais si, en dehors des actes formels, expressément condamnés par la loi écrite, il se fait juge du dogme, le proscrit ou le limite, intervient dans la discipline, nomme ou révoque les ministres, il se rend coupable d’usurpation : 1o parce que ses actes ne sont pas nécessaires, 2o parce qu’il s’attribue une compétence qu’il n’a pas.

L’État n’a pas de doctrine religieuse ; il n’est ni métaphysicien, ni théologien. Il ne peut pas commettre un juge d’instruction ou un commissaire de police pour examiner des dogmes. En un mot, la religion ne peut être ni servante de l’État, ni maîtresse de l’État, ni protégée par l’État. Qu’est-ce qu’une religion subordonnée à l’État ? C’est l’erreur employée comme moyen de police. Je dis l’erreur ; car si la religion est vraie et divinement instituée, comment peut-elle être soumise à un pouvoir humain ? La vérité ne dépend de personne. L’empereur de Russie est pape ; il fait le dogme : s’il ne le fait, il peut le faire : donc, la religion russe n’est que l’erreur employée comme moyen de police.

Qu’est-ce qu’une religion maîtresse de l’État ? C’est la négation pure et simple de la liberté de conscience, de la liberté politique et de la liberté civile. L’Église commence par se déclarer infaillible, après quoi elle défend d’attaquer son dogme, c’est-à-dire de penser ; d’attaquer son autorité, c’est-à-dire de modifier la constitution et les lois ; d’attaquer sa morale, c’est-à-dire de se gouverner, dans la pratique de la vie, par une autre morale que la sienne.

Qu’est-ce enfin que le concordat ? C’est un traité conclu entre l’État et l’Église, pour se céder l’un à l’autre, au détriment de la liberté de conscience, une part de la souveraineté qu’ils n’ont pas. L’État vend à l’Eglise la liberté des citoyens, pour obtenir d’elle la paix et un appui ; l’Église vend à l’État ce qu’elle croit ou ce qu’elle dit être la vérité absolue, pour obtenir de lui le privilège d’enseigner seule, et celui de s’enrichir[1].

Conséquence : l’Église dans l’État est l’abdication de la foi religieuse ; l’État dans l’Église est la négation absolue de toute liberté ; le concordat est tout ensemble la foi avilie et la liberté proscrite. Il faut donc rejeter toute alliance entre le temporel et le spirituel. Proclamer leur séparation, ce n’est pas autre chose qu’exprimer le dogme à la fois si nécessaire et si simple de la liberté de conscience.



  1. Voyez ci-dessus, p. 224.