La Liberté de conscience (Cinquième édition 1872)/4.II

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Hachette et Cie (Cinquième éditionp. 322-345).

CHAPITRE II.

Arguments pour la liberté des cultes.


Il semble que la séparation absolue de l’Église et de l’État soit nécessaire à l’indépendance de chaque Église vis-à-vis de l’État, à l’égalité des Églises entre elles, à la fondation ou à l’introduction dans un pays d’une religion nouvelle, et même, considération grave quoique d’un ordre très-inférieur, à une équitable répartition de l’impôt.

1. Il n’est pas difficile de montrer que la séparation absolue est nécessaire à l’indépendance d’une Église vis-à-vis de l’État. Si l’État protège une religion, si seulement il lui donne des édifices et un salaire, cette religion devient, en dépit de tous les efforts contraires, une partie de l’administration publique. Elle entre dans l’État, comme tout ce qui fait partie de la police de l’État, avec l’obligation d’en subir la politique, d’en respecter et d’en faire respecter les lois fondamentales. En France, par exemple, où la religion catholique est aussi libre qu’elle puisse l’être sous le régime de la protection, le gouvernement a une très-grande part à l’administration, même spirituelle, de cette Église. Le concordat et les articles organiques qui sont au concordat ce qu’un règlement d’administration publique est à une loi, ne donnent pas seulement à l’État le droit de surveiller l’Église, ils lui confèrent en outre un droit d’intervention très-réel et très-important dans les affaires intérieures du catholicisme, comme au temps où le roi de France était le roi très-chrétien.

D’abord l’État nomme les évêques[1] et approuve la nomination des curés[2] : il tient par là tout le personnel. Ce droit de nomination se concevait à la rigueur sous François Ier, qui l’obtint du pape Léon X, et sous ses successeurs orthodoxes ; mais aujourd’hui, après la Révolution de 1789, et l’abolition définitive du titre de religion d’État, le droit de nommer les évêques, c’est-à-dire les juges de la foi catholique, peut être exercé par un protestant ou un juif. N’est-ce pas un grand abaissement, un grand danger pour une Église ? Quand le pape a maintenu ce droit du pouvoir civil dans le concordat de 1801, il a fait stipuler qu’une nouvelle convention serait nécessaire si jamais le pouvoir exécutif en France passait en des mains hérétiques[3].

Mais cette clause est devenue inexécutable par la force des choses ; et il ne reste plus à l’Église, depuis plus de cinquante ans, qu’à faire des vœux pour que les pouvoirs qui se succèdent en France exercent ce droit formidable avec intelligence et honnêteté ; car le droit d’investiture que le Pape s’est réservé ne constitue à son profit qu’un simple droit de Veto, d’une application difficile et souvent dangereuse[4].

En ce qui concerne l’enseignement, quoique l’Église ait beaucoup gagné depuis 1848, et qu’elle ait part à la direction de l’Université, tout en conservant ses propres écoles, nous voyons qu’elle ne peut arriver à constituer ses facultés de théologie sur des bases solides[5]. Ce n’est pas que l’intervention du pouvoir civil lui paraisse plus intolérable dans la nomination des professeurs du dogme, que dans celle des curés et des évêques ; mais elle craint la surveillance universitaire, l’esprit universitaire, qui peut se communiquer d’une faculté à une autre, l’influence d’une hiérarchie différente de la sienne ; et elle préfère concentrer l’enseignement de la théologie dans les séminaires où il a moins de force et d’éclat, avec moins de périls.

Même difficulté pour les édifices consacrés au culte. Quoique traitée généreusement, la religion n’est plus maîtresse chez elle. Ni le temple, ni la sacristie, ni le cimetière, ni la maison curiale ne sont au curé[6]. Il dépend, pour tout le matériel, de l’autorité du conseil de fabrique. Il en est membre, mais à la condition de ne jamais le présider[7]. Ce conseil où siège nécessairement le maire, ne peut prendre une détermination importante que sous l’approbation du préfet ou du gouvernement, selon les cas.

Je ne parle pas de l’interdiction des processions dans certaines localités[8], des entraves mises à la réunion des conciles et des synodes[9], de l’autorisation préalable exigée pour l’ouverture d’une chapelle[10], des communautés religieuses défendues ou supprimées, ou autorisées sous certaines réserves[11] ; ni des mesures de police qui tiennent moins exclusivement à la nature des concordats, telles que les restrictions mises au droit d’hériter et de posséder, restrictions importantes, qui empêchent l’Église de redevenir propriétaire dans le sol, et d’ajouter à ses droits la force et l’importance que donne la richesse territoriale[12]. Je ne parle pas non plus de l’assimilation de tous les délégués du pape aux agents diplomatiques, assimilation qui a pour effet de rendre l’autorité civile maîtresse des relations d’un évêque avec le chef de l’Église universelle[13].

Mais ce qui a une importance capitale, c’est la règle qui rend tout bref du pape, toute nomination, tout décret d’un concile général, caduc pour la France, s’il n’est visé par le conseil d’État, et inséré au Bulletin des lois, avec l’exsequatur du gouvernement[14]. Cette règle donne au pouvoir civil autorité sur le dogme même ; et il est clair que, si le chef de l’État refusait de donner son homologation à la définition d’un article de foi, le clergé français serait dans l’alternative, ou de se séparer de Rome, ou de renoncer aux bénéfices qu’il tient du protectorat. Ce n’est pas que ce droit de l’État, tout exorbitant qu’il est, puisse faire l’ombre d’un doute sous le régime de la protection : l’État, par le concordat, conclut avec une religion un contrat synallagmatique ; à partir de ce moment, cette religion ne peut plus se modifier elle-même, sans que l’État soit appelé et y consente, car toute modification dans la situation d’une des parties, modifie les conditions du traité. Le droit de l’État à viser toutes les publications de la cour de Rome est donc fondé en raison ; mais plus il résulte nécessairement du régime de la protection, et plus il montre ce qu’une Église perd à devenir partie d’un corps politique.

Cette expression dont je me sers à dessein est parfaitement juste ; et elle est à elle seule un argument contre le régime des concordats. En vain une Église protégée voudrait-elle échapper à cette dénomination en invoquant sa mission spirituelle : les prêtres protégés et salariés sont évidemment des fonctionnaires. Ils dépendent du ministre des cultes ; ils reçoivent de lui des ordres. Ils sont astreints à prononcer certaines prières[15], à rendre aux autorités civiles certains honneurs, à paraître dans les réceptions et les cérémonies officielles. Si l’État ne les contraint pas à porter un costume de son choix, c’est qu’il dédaigne d’user de son droit incontestable à cet égard[16]. Le premier Empire avait fait insérer dans le catéchisme le devoir d’honorer et de servir fidèlement l’empereur[17]. Le serment des évêques et des curés, réglé par le concordat, est ainsi conçu ; « Je jure et promets à Dieu sur les saints Évangiles, de garder obéissance et fidélité au gouvernement établi par la Constitution de la république française. Je promets aussi de n’avoir aucune intelligence, de n’assister à aucun conseil, de n’entretenir aucune ligue soit au dedans soit au dehors, qui soit contraire à la tranquillité publique ; et si, dans mon diocèse ou ailleurs, j’apprends qu’il se trame quelque chose au préjudice de l’État, je le ferai savoir au gouvernement. Et si, tam in diœcesi meâ quàm alibi, noverim aliquid in Statûs damnum tractari, gubernio manifestabo[18]. »

Il est donc parfaitement vrai de dire que le régime de la protection entame la liberté des Églises, et qu’une religion n’est vraiment dans la plénitude de son caractère sacré, que quand il lui est permis de s’isoler absolument de l’État.

2. Je tire un autre argument en faveur de la séparation, de la position nécessairement inégale que le régime de la protection fait aux Églises. En fait, il est bien évident que, si la distribution des budgets et des édifices religieux est faite avec partialité, et s’il y a un culte mieux partagé que les autres, il devient dominant, non par sa force propre, ce qui serait juste, mais par la force que l’État lui donne, ce qui constitue une atteinte à la liberté religieuse. Cependant, peut-on compter sur une répartition strictement proportionnelle et sur une justice toujours égale ? Les membres du gouvernement n’appartiendront-ils pas eux-mêmes à une communion particulière ? Même en supposant les chefs de l’État toujours impartiaux et intègres, comment pourront-ils tenir la balance égale entre une majorité et des minorités ? entre des Églises dont les besoins et les exigences sont considérables, et d’autres qui ne demandent, pour ainsi dire, que la permission de vivre[19] ? La statistique, en pareille matière, est très-difficile à établir ; elle est d’ailleurs très-variable par la nature même des choses. Ainsi l’injustice n’est pas seulement possible, elle n’est pas seulement probable ; elle est, en quelque façon, nécessaire, et ni l’impartialité ni le talent de ceux qui gouvernent ne suffisent pour en garantir leurs administrés.

3. Si un budget des cultes se comprend parfaitement au point de vue des contribuables et de l’établissement de l’impôt dans un pays où il n’y a qu’une religion, les difficultés se pressent dès que toutes les religions sont accueillies et que les cultes, par les conditions mêmes de leur organisation intérieure, sont inégalement rétribués.

Il y a plus : nous ne parlons jusqu’ici que des cultes déjà existants ; mais le législateur peut-il poser en principe qu’il ne se fondera pas de culte nouveau ? Ce serait attenter à la liberté. Peut-il vouloir que les cultes anciens aient seuls des droits, et que les cultes qui pourraient se fonder à l’avenir n’en aient point ? Ce serait constituer en faveur de certaines religions un droit d’aînesse, et remplacer une religion d’État par plusieurs religions d’État. Donc, si les cultes anciens reçoivent un salaire, et un salaire proportionnel, il faudra assurer aux cultes nouveaux les mêmes avantages et le même revenu. Cela ne fait pas de doute, et cela crée une difficulté presque inextricable, car il ne peut dépendre du premier prophète venu de s’ériger en ministre d’un culte et de se donner ainsi de sa propre autorité, des droits sur le trésor public qui constitueraient une véritable oppression du budget. L’obligation de payer crée pour l’État le droit de contrôler. C’est donc lui, grâce au budget, qui décidera si un culte est un culte ou une momerie ; si une religion est réellement une religion ; si les prophètes, si les prêtres sont autre chose que des charlatans ou des imposteurs. Il faudra qu’une religion nouvelle obtienne sa patente de l’autorité administrative et qu’elle fasse reconnaître ses droits par un commissaire de police. Voilà donc, par cette nécessité d’une autorisation préalable, la liberté des cultes détruite ou grandement compromise, et l’État transformé en théologien et en théologien tout-puissant, lui qui, par son principe, est indifférent à toutes les religions positives. Qui ne serait effrayé de telles conséquences ?

Je le répète donc : pour assurer l’indépendance des Églises, l’égalité et la liberté des cultes, et pour ne pas courir le risque de frapper un impôt injuste, on doit souhaiter la suppression des budgets et la séparation absolue de l’État et des Églises.

4. Qu’est-ce qu’une Église protégée ? c’est une Église gouvernée. C’est aussi une Église limitée, car on lui mesure la propagande. La publication d’un livre, l’ouverture d’une chapelle n’est plus une question de foi ; c’est une question de police. Un livre de controverse, donné ou prêté à un voisin, est une contravention, passible d’emprisonnement et d’amende, à la loi du colportage[20]. On ne peut se réunir pour prier en commun, pour entendre un prédicateur, sans la permission préalable de l’autorité.

Cette nécessité d’une autorisation est imposée aux cultes reconnus et salariés, comme aux cultes nouveaux, qui n’ont pas encore obtenu leur place parmi nos institutions[21]. La si ce fait était isolé ou s’il se rattachait à des faits antérieurs de la même nature ; loi ne distingue pas à cet égard ; et l’on pourrait citer des cas où l’autorité administrative s’est opposée à l’établissement d’un nouveau lieu de prière, même pour un culte reconnu. S’il n’y a qu’une réunion temporelle et fortuite, aucune peine n’est applicable, si ce n’est au propriétaire de la maison qui ne peut en aucun cas se passer de la permission du maire. Si la réunion est annoncée à l’avance pour un jour déterminé, les tribunaux, suivant une jurisprudence qui paraît établie, appliqueront la peine portée par l’article 291 du Code pénal.

Dans les nombreux procès auxquels cet article 291 a donné lieu, les défenseurs ont fait valoir plusieurs moyens juridiques. Ils ont soutenu, entre autres thèses, que cet article était abrogé virtuellement par les Constitutions qui proclament la liberté des cultes. Ils ont insisté sur la différence profonde qui sépare les associations et les cultes. M. Dupin, comme procureur général, a fait lui-même cette distinction en 1836. « Le culte, dit-il, c’est l’adoration de la Divinité avec des croyances, des rites et des cérémonies particulières. Il est fort distinct des associations, même pour objets religieux ou réputés tels, par exemple, des congrégations, des confréries, des ligues, etc., qui peuvent couvrir un tout autre but et être contraires à la religion même dont elles ont pris le masque… La communauté du culte résulte, non de l’association ou du choix des personnes, mais de l’identité des croyances ; ce n’est pas par forme d’association que les coreligionnaires se réunissent, c’est par identité des croyances[22]. » M. Dupin disait devant la même Cour, dans le procès du pasteur Oster (20 mai 1846) : « Quant au gouvernement, il doit égale protection à chaque culte ; c’est pour lui un devoir absolu. Ce droit et ce devoir sont incompatibles avec l’autorisation préalable exigée par l’article 291. » Lors de la discussion de la loi de 1834, M. Dubois (de la Loire-Inférieure), esprit à la fois très-élevé et très-pratique, proposa un amendement pour distinguer nettement le droit d’association et le droit de réunion. Son amendement fut rejeté, ainsi qu’une proposition analogue de M. Roger (du Loiret), après ces paroles du garde des sceaux, qui le déclarait inutile : « Voilà la grande distinction à faire, dit le ministre : s’agit-il de réunions qui ont seulement pour but le culte à rendre à la Divinité et l’exercice de ce culte, la loi n’est pas applicable, nous le déclarons de la manière la plus formelle ; mais s’agit-il d’associations, qui auraient pour objet ou pour prétexte les principes religieux, la loi leur est applicable. » Le rapporteur de la loi à la Chambre des pairs répéta la même doctrine : « Si cette déclaration n’est pas dans la loi elle-même, dit-il, elle en forme du moins le commentaire officiel et inséparable. C’est sous sa foi que l’article a été voté par l’autre Chambre et qu’il pourra l’être par vous ; et il n’est pas à craindre qu’un tribunal, en France, refuse de l’entendre ainsi[23]. » Cependant, malgré ces prévisions, malgré les déclarations d’un ministre de la justice, malgré l’autorité de M. le procureur général Dupin, malgré une décision de la Chambre des députés, en date du 20 avril 1844, qui renvoie au garde des sceaux quatre-vingt-dix pétitions relatives à la liberté des cultes, la plupart des tribunaux ont considéré comme des réunions tenues par des associations, toutes les réunions religieuses ayant un caractère de périodicité. Un arrêt rendu par la Cour d’Amiens le 25 mars 1847 dit explicitement que « ce qui distingue les associations des simples réunions temporaires et accidentelles, c’est la permanence et la périodicité. » Déjà en 1843, M. le duc de Broglie avait constaté, à la tribune de la Chambre des pairs, cette tendance des tribunaux à interpréter l’article 291 dans le sens le plus défavorable à la liberté des cultes, malgré les promesses les plus solennelles du ministre de la justice dans la discussion de la loi du 10 avril 1834.

Voici ses propres paroles : « La jurisprudence paraît désormais fixée en sens inverse de la pensée des rédacteurs de l’article 5 de la Charte.

« Il suit de là qu’aujourd’hui en France : premièrement, aucun culte ne peut exister s’il n’est établi par la loi ou autorisé par l’administration, laquelle peut refuser l’autorisation si elle le juge convenable, y mettre telle condition que bon lui semble, et la révoquer quand elle l’a accordée ; et secondement, que le culte même autorisé par l’administration ne peut être exercé dans une localité quelconque sans l’autorisation de l’autorité municipale, qui peut refuser cette permission et paralyser par là le vœu de la loi et l’autorisation de l’administration supérieure.

« C’est l’état des choses. »

Et il n’a pas changé depuis[24] ; car tous les procès intentés à des pasteurs protestants, ont abouti à des condamnations lorsque la périodicité a été établie. Même en l’absence de la périodicité, il a suffi aux tribunaux qu’une réunion eût été annoncée d’avance, pour en conclure l’existence d’une association. Voici, en effet, l’un des considérants d’un arrêt rendu le 20 mai 1857 par le tribunal de Jonsac (Charente-Inférieure) : « Attendu, dit le tribunal, que de l’instruction et des débats il résulte que, dans les premiers jours du mois de février dernier, Massy (c’est le pasteur) dit à Rambaud fils, étant à Montendre : « J’irai vous voir mercredi prochain, 11 du présent mois, vers les deux heures de l’après-midi ; » à quoi Rambaud répliqua : « Soit, nous vous attendrons, et j’engagerai quelques-uns de mes amis à se réunir à nous ; » qu’en effet, le jour indiqué, 11 février dernier, Massy accompagné de Sedans, se rendit vers les quatre heures du soir chez Rambaud, au village de Gros-Jean, dans la commune de Rouffignac ; que bientôt après leur arrivée, il survint un grand nombre de personnes, plus de cinquante, auxquelles Massy dit qu’il était venu pour lire l’Évangile, ce qu’il fit… » Voilà le délit ; il est là tout entier. C’est pour avoir lu l’Évangile devant cinquante personnes, après avoir averti l’une d’elles à l’avance du jour et de l’heure où il ferait cette lecture, que M. le pasteur Massy a été condamné par le tribunal de Jonsac. Ces détails ne paraîtront pas trop minutieux aux amis de la liberté de conscience, et il ne faut pas oublier que l’article 2 du décret du 25 mars 1852 a consacré par une disposition expresse la jurisprudence des tribunaux[25].

Un décret rendu le 19 mars 1859 et qu’on a, à juste titre, considéré comme un progrès vers la liberté religieuse, a transporté au conseil d’État le droit précédemment attribué aux préfets, d’accorder ou de refuser l’autorisation qui, aux termes de la loi actuelle, doit précéder les réunions religieuses et l’ouverture de nouveaux lieux de culte. Cette organisation nouvelle est certainement plus rationnelle ; elle donne des garanties beaucoup plus sérieuses ; elle permet d’espérer la formation d’une jurisprudence constante et libérale. Il ne faut pas méconnaître cependant qu’en réglementant l’exercice d’un droit contraire à la liberté, elle le consacre.

5. Si les cultes salariés sont ainsi gênés dans leur exercice, et surtout dans leur extension par la protection du gouvernement, les cultes non salariés sont dans une position plus fâcheuse encore, car ils n’ont aucun des bénéfices de la protection, et ils supportent toutes les entraves de l’administration.

Les ministres des religions salariées touchent seuls un traitement du trésor public[26] ; seuls, ils ont droit à la protection de la loi dans l’exercice de leur ministère[27] ; seuls, ils sont exemptés du service militaire[28], du service de la garde nationale[29] et du jury[30] ; seuls enfin, ils jouissent d’une part déterminée de l’autorité publique, par la présence d’un certain nombre de leurs représentants dans les conseils de l’Université[31], et même, pour le culte catholique, dans le premier corps politique de l’État[32].

Donc toute religion qui n’a pas été reconnue par une loi, ou ce qui revient au même, toute religion dont les ministres ne sont pas salariés en vertu d’une loi de l’État, est une religion tolérée, dépendante, qui, malgré le texte des Constitutions diverses, n’obtient pas pour son culte la même protection que les autres religions. Ce n’est donc pas une religion libre.

Il est dur de subir cette infériorité. Il est étrange de la subir dans un pays qui, depuis près de quatre-vingts ans, compte la liberté des cultes au nombre de ses droits les plus sacrés.

Cette nécessité d’une autorisation préalable était la conséquence naturelle du régime des religions d’Etat, et l’on ne peut guère s’étonner qu’elle soit restée dans notre légis- lation sous le régime mixte des concordats, c’est-à-dire des religions protégées. En effet, l’État qui, dans un concordat, stipule à son profit le droit de refuser les décrets d’une église par lui reconnue, et de s’opposer à l’extension de cette église dans une localité nouvelle, ne peut guère, s’il est logique, se désarmer en présence des églises inconnues qui viendraient à s’implanter dans le sol. Ceux qui regardent les concordats comme un régime définitif et excellent en lui-même, peuvent donc et doivent en quelque sorte se montrer partisans de l’autorisation préalable. Au contraire, ceux qui, comme nous, repoussent les concordats, peuvent se faire un argument de la connexité des concordats avec l’autorisation préalable ; car il est facile de montrer qu’un régime dont l’autorisation préalable est la conséquence, ne peut être considéré de bonne foi comme conciliable avec la liberté des cultes.

En effet, qu’est-ce que l’autorisation préalable, sinon le droit de proscrire une religion ? Nous écrivons dans la même loi le principe de la liberté des cultes, et la nécessité de l’autorisation préalable : s’il y eut jamais dans la législation d’un peuple une contradiction manifeste, la voilà. Les idées de liberté et de prévention s’excluent. Autant vaudrait dire, en vérité, qu’on accorde la liberté de la presse à condition que tous les écrits seront soumis à la censure[33]. « Je ne crois pas, dit M. de Broglie[34] que quand l’article 5 de la Charte a dit que chacun en France professait librement sa religion et obtenait pour son culte une égale protection, on ait entendu dire que chacun professait le culte qu’il lui serait permis de professer. »

Le décret du 19 mars 1859, que je citais tout à l’heure, est précédé d’un rapport dans lequel se trouve nettement établie une distinction fondamentale entre la liberté de conscience et la liberté des cultes, entre le for intérieur et le culte extérieur : l’un, entièrement libre et inviolable ; l’autre soumis, non-seulement à certaines mesures d’ordre et de pénalité, mais à une législation essentiellement restrictive et préventive. M. Guizot, qu’on n’accusera jamais de méconnaître les conditions et les nécessités de l’ordre, a porté, sur cette déclaration officielle, le jugement qu’on va lire : « Nous ne saurions, dit-il[35], laisser passer sans protestation des idées et des paroles qui porteraient atteinte à l’essence même de nos libertés et aux principes sur lesquels elles se fondent. Ce n’est pas seulement la liberté de conscience et du for intérieur, c’est bien la liberté des cultes qui nous a été et nous est promise par toutes nos Constitutions[36]. Nous sommes très-convaincus qu’il n’entre aujourd’hui dans la tête de personne de porter atteinte à la liberté religieuse intime et individuelle ; personne ne songe à pénétrer au dedans de chaque âme et à y établir la force en matière de foi. Il n’y a que l’inquisition qui ait prétendu abolir la liberté de conscience, et nous avons droit aujourd’hui à quelque chose de plus que de ne pas subir l’inquisition. Nous avons droit à la liberté des cultes réelle, efficace, garantie. C’est la terre de Chanaan, promise et assurée, sinon encore pleinement possédée. Nous serons reconnaissants de toutes les mesures qui nous feront faire un pas, même petit et lent, vers ce but ; mais nous ne serons satisfaits que lorsque nous l’aurons atteint, et d’ici là nous réclamerons constamment les principes fondamentaux de la liberté religieuse, et nous poursuivrons nos efforts pour la faire triompher. »

Ceux qui croient nous donner la liberté de conscience parce qu’ils ne font pas d’enquête sur notre croyance, et ne nous contraignent pas à suivre les exercices d’un des cultes autorisés par la loi, confondent la liberté de n’avoir pas de religion avec celle que nous réclamons d’en avoir une. Louis XIV allait plus loin, je l’avoue, après la révocation de l’édit de Nantes, car il forçait les protestants à assister à la messe. Mais le droit de ne pas mentir à Dieu et aux hommes ne peut être assimilé à la liberté des cultes. Quand, sous la Convention, la Commune de Paris installa ce culte dérisoire de la déesse Raison, il aurait donc suffi, pour que les catholiques fussent libres, qu’on ne les obligeât pas à fléchir le genou devant cette idole, et à chanter des hymnes en l’honneur du matérialisme dans leurs cathédrales profanées ? Non, les catholiques ont été libres, le jour où on leur a rendu la publicité de leur culte. La liberté ne peut s’entendre de la simple pensée d’un dogme renfermé dans le cœur de celui qui l’adopte, et qui par là même, échappant nécessairement à toute investigation humaine, n’aurait pu être l’objet d’une loi soit permissive, soit prohibitive. Professer une religion, c’est la pratiquer en faisant les actes qui constituent l’exercice d’un culte[37]. La surveillance de l’autorité destinée à réprimer les abus du droit, ne doit pas en gêner et en empêcher l’exercice[38].

Mais, dit-on, les catholiques eux-mêmes sont, par le concordat, soumis à l’autorité du gouvernement : leur liberté est limitée et conditionnelle. Au moins peut-on répondre qu’ils ont volontairement consenti à cette condition. Mais quand il serait vrai que la liberté des catholiques n’est pas entière, qu’en pourrait-on conclure ? Vous en faites un argument contre les religions nouvelles : pauvre argument qui conclut d’un mal à un autre mal ; et nous, nous en faisons un argument irrésistible contre le concordat, et contre l’autorisation préalable.

On fait grand bruit des conséquences possibles de la suppression de l’autorisation préalable. Même sous le régime de la religion d’État, nous dit-on, le parlement avait le droit d’intervenir dans la police du culte, d’autoriser la publication des bulles du pape ou de la défendre, tant il est vrai qu’en aucun temps l’autorité civile n’a pu rester désarmée en face des prétentions religieuses. Mais personne ne demande l’impunité pour les prêtres d’aucun culte. Que leurs doctrines soient contraires au Code pénal, et la compétence de l’État sera entière pour prononcer une condamnation. Qui en doute ? Et alors que signifient ces alarmes ? Pourquoi parler d’un État dans l’État ? Certes, il ne faut pas exagérer l’efficacité des lois de police en matière religieuse : mais dès qu’il s’agit seulement de sauvegarder la morale générale et l’existence politique du gouvernement établi, les moyens répressifs sont évidemment suffisants ; d’où il suit que le régime préventif n’a pas d’excuse, et que la liberté est de droit.

En fait, s’il y a une association religieuse qui puisse être ou devenir un danger pour le pouvoir temporel, c’est l’Église catholique, et elle seule. Je n’en fais pas un argument contre elle ; loin de là : elle doit ce caractère à sa puissante et merveilleuse hiérarchie, au nombre immense de ses fidèles, à la grandeur de son dogme, à l’institution de ses sacrements. Est-il raisonnable de conclure de cette Église séculaire et puissante, à quelque doctrine nouvelle dont l’État surveillera les premiers pas, et qu’il arrêtera avec une évidente facilité dans ses commencements, si elle menace la morale et la paix publique ? Les citoyens qui demandent la liberté de se réunir pour adorer Dieu, ne demandent pas apparemment que leurs réunions soient secrètes. Ils se réuniront en plein jour, dans un lieu public, sous les yeux de leurs concitoyens, sous la surveillance des magistrats[39]. Quand on vient, à propos de ces réunions solennelles, parler d’associations secrètes, de conciliabules politiques sous une forme religieuse, d’attentat à la morale publique, d’impuissance des lois répressives contre un culte naissant, publiquement professé, sans racines dans le sol, et sans autre appui qu’un troupeau d’adeptes nécessairement restreint, ne comprend-on pas à quelle exagération l’on s’abandonne, et quels misérables prétextes on oppose à la revendication d’un droit sacré ?

Oui, c’est un droit, et ce qui le prouve, c’est que ses adversaires invoquent contre lui, en plein dix-neuvième siècle, les mêmes arguments qu’on opposait à la liberté naissante, quand il s’agissait en 1789 d’ébranler le principe tyrannique des religions d’État. On nous parle d’unité religieuse, quand nous invoquons la liberté de penser. On nous menace d’un abaissement du sentiment religieux par le spectacle de sectes dissidentes[40] ! Vaine prudence, qui demande à la fois l’injuste et l’impossible ; l’injuste, puisqu’elle va à supprimer la liberté ; l’impossible, puisqu’elle devrait, pour être logique, remonter au delà de 1789, et restaurer la religion d’État. Hélas ! savent-ils si peu l’histoire, qu’ils osent encore alléguer cette chimère de l’unité religieuse ? Ne voient-ils pas à toutes les pages de nos annales qu’il en coûte moins de souffrir un schisme que de l’écraser ? Ont-ils oublié les scènes sanglantes de la Ligue et des Dragonnades ? et tous les pouvoirs ébranlés, jusqu’au pouvoir royal, par les ridicules querelles qu’enfanta la bulle Unigenitus ? Qu’espèrent-ils d’un système bâtard qui consiste à chercher l’unité religieuse dans un temps de scepticisme et de discussion universelle, et à la chercher sans avoir même le seul secours qui puisse donner à des hommes politiques l’illusion d’y atteindre, le secours d’une religion d’État ?




  1. Concordat de 1804, art. 4.
  2. Concordat de 1801, art. 10, § 2.
  3. Concordat de 1801, art. 17 : « Il est convenu entre les parties contractantes que, dans le cas où quelqu’un des successeurs du premier consul actuel ne serait pas catholique, les droits et prérogatives mentionnés dans l’article ci-dessus, et la nomination aux évêchés, seront réglés, par rapport à lui, par une nouvelle convention. »
  4. M. Parisis, dans son livre des Cas de conscience, distingue avec raison deux sortes de religions d’État : celles dont le pouvoir civil reconnaît la suprématie sur lui-même, et celles qu’il soumet, au contraire, à sa propre autorité. M. Parisis ne dit pas, mais il fait entendre que si le catholicisme avait le nom de religion d’État, en France, en conservant le concordat de 4 801, il serait une religion d’État de la seconde sorte, c’est-à-dire une religion d’Étal asservie, ayant à la fois l’odieux de la domination qu’elle exercerait sur les autres cultes, et la honte de l’assujettissement dans lequel la retiendrait le pouvoir civil. II y a sans doute une grande différence entre la condition faite au catholicisme par le concordat, et l’organisation imposée au judaïsme par le pouvoir civil en 1808 ; cependant, il est difficile de ne pas apercevoir la portée des paroles suivantes, que nous empruntons au livre de Mgr l’évêque d’Arras : « Toutes les sectes religieuses (il parle des différentes communions protestantes) sont venues se soumettre au joug dégradant de cette nouvelle idolâtrie, et pour que rien ne manquât en France à cette conjuration de la matière contre l’esprit, de la terre contre le ciel, le judaïsme lui-même est venu, le dernier, il est vrai, mais enfin il est venu recevoir honteusement des mains du pouvoir civil son organisation tout entière, et reconnaître pour son plus grand pontife, c’est-à-dire pour le supérieur unique de son plus grand rabbin, le ministre politique des cuites, quel qu’il puisse être. » (Parisis, Cas de conscience, p. 48.)
  5. Loi du 13 mars 1804, art. 4 et 5. « À l’avenir, on ne pourra être nommé évêque, vicaire général, chanoine ou curé de première classe, sans avoir soutenu un exercice public et remporté un certificat de capacité sur tous les objets énoncés en l’article 2.
     « Pour toutes les autres places et fonctions ecclésiastiques, il suffira d’avoir soutenu un exercice public sur la morale et sur le dogme, et d’avoir obtenu sur cet objet un certificat de capacité. »
     Ordonnance du 25 décembre 1830, art. 2 et 3. « À dater du 1er janvier 1835, nul ne pourra être nommé archevêque ou évêque, vicaire général, dignitaire ou membre de chapitre, curé dans une ville chef-lieu de département ou d’arrondissement, s’il n’a obtenu le grade de licencié en théologie, ou s’il n’a rempli pendant quinze ans les fonctions de curé ou de desservant.
     « À compter de ladite époque, nul ne pourra être nommé curé de chef-lieu de canton, s’il n’est pourvu du grade de bachelier en théologie, ou s’il n’a rempli pendant dix ans les fonctions de curé ou de desservant. »
     Ces ordonnances sont tombées en désuétude, à cause du nombre très-restreint des ecclésiastiques qui sont revêtus des grades exigés.
  6. « Il faut bien l’avouer, le concordat a remis l’existence matérielle du clergé aux mains du gouvernement, et celui-ci, par des envahissements successifs, a fini par s’attribuer, en outre, la propriété des presbytères, des évêchés, des séminaires, des temples, etc. Il résulte de cet ordre de choses, pour l’Église vis-à-vis de l’État, une situation inférieure et dépendante qui tend à devenir de plus en plus servile ; pour l’État vis-à-vis de l’Église, des habitudes de suprématie offensante et des tendances de plus en plus manifestes à l’oppression. » (Parisis, Cas de conscience, p. 110.)
  7. C’est du moins la pratique constante. Mais il faut reconnaître que la loi ne s’explique pas clairement à cet égard. Elle se contente de dire que le maire sera placé à la gauche du président et le curé à la droite. (Décret du 30 décembre 1809, art. 4.) M. le cardinal Gousset (Théol. mor., t. Ier, p. 70) conclut que l’interdiction n’existe pas. M. Vivien (Études admin., t. II, p. 268) est d’un avis opposé.
  8. Articles organiques, titre III, art. 45. « Aucune cérémonie religieuse n’aura lieu hors des édifices consacrés au culte catholique dans les villes où il y a des temples destinés à différents cultes. »
  9. Art. org., titre Ier, art. 4. « Aucun concile national ou métropolitain, aucun synode diocésain, aucune assemblée délibérante n’aura lieu sans la permission expresse du gouvernement. »
  10. Art. org., titre III, art. 44. « Les chapelles domestiques, les oratoires particuliers ne pourront être établis sans une permission expresse du gouvernement, accordée sur la demande de l’évéque. »
  11. Loi des 13-19 février 1790, portant interdiction des vœux solennels ; loi du 18 août 1792 portant suppression de toutes les communautés religieuses. Art. org., titre II, § 1, art. 11. « Les archevêques et évêques pourront, avec l’autorisation du gouvernement, établir dans leurs diocèses des chapitres cathédraux et des séminaires. Tous autres établissements ecclésiastiques sont supprimés. »
     Consulter le rapport de Portalis à l’empereur, en date du 25 messidor an X.
     Décret du 3 messidor an XII, art. 1. « À compter du jour de la publication du présent décret, l’agrégation ou l’association connue sous les noms de Pères de la Foi, d’Adorateurs de Jésus ou Paccanuristes, actuellement établie à Belley, à Amiens, et dans quelques autres villes de l’Empire, sera et demeurera dissoute.
     « Seront pareillement dissoutes toutes les autres congrégations ou associations formées sous prétexte de religion et non autorisées.
     « Art. 2. Les ecclésiastiques composant lesdites agrégations ou associations se retireront, sous le plus bref délai, dans leurs diocèses pour y vivre conformément aux lois et sous la juridiction de l’ordinaire.
     « Art. 3. Les lois qui s’opposent à l’admission de tout ordre religieux dans lequel on se lie par des vœux perpétuels, continueront d’être exécutées selon leur forme et teneur.
     « Art. 4. Aucune agrégation ou association d’hommes ou de femmes ne pourra se former à l’avenir sous prétexte de religion, à moins qu’elle ; n’ait été formellement autorisée par un décret impérial, sur le vu des statuts et règlements selon lesquels on se proposerait de vivre dans cette agrégation ou association.
     « Art. 5. Néanmoins, les agrégations connues sous les noms de Sœurs de Charité, de Sœurs Hospitalières, de Sœurs de Saint-Thomas, de Sœurs de Saint-Charles et de Sœurs Vatelottes, continueront d’exister, etc. ; à la charge par lesdites agrégations, de présenter, sous le délai de six mois, leurs statuts et règlements pour être vus et vérifiés en conseil d’État sur le rapport du conseiller d’État chargé de toutes les affaires concernant les culte ». »
     L’institut des Frères des Écoles chrétiennes est autorisé par le décret du 17 mars 1808 (décret organique de l’Université) dont l’article est ainsi conçu : « Les Frères des Écoles chrétiennes seront brevetés et encouragés par le grand maître, qui visera leurs statuts intérieurs, les admettra au serment, leur prescrira un habit particulier et fera inspecter leurs écoles. » Les congrégations hospitalières de femmes sont autorisées sous certaines conditions et mises sous la protection de la mère de l’empereur par le décret du 18 février 1809.
     Enfin la loi du 24 mai 1825 autorise, à certaines conditions (art. 1-3), l’établissement des congrégations religieuses de femmes, sans examiner si elles ont un but charitable ou si elles sont uniquement fondées pour des motifs ascétiques.
  12. Art. 909 du Code civil ; art. 910 et 937.
  13. Art. org., titre I, art. 2. « Aucun individu se disant nonce, légat, vicaire ou commissaire apostolique, ou se prévalant de toute autre dénomination, ne pourra, sans autorisation du gouvernement, exercer sur le sol français, ni ailleurs, aucune fonction relative aux affaires de l’Église gallicane. »
  14. Art. org., titre I, art. 1 « Aucune bulle, bref, rescrit, décret, mandat, provision, signature servant de provision, ni autres expéditions de la cour de Rome, même ne concernant que les particuliers, ne pourront être reçus, publiés, imprimés, ni autrement mis à exécution sans l’autorisation du gouvernement. »
  15. Concordat, art. 8. Art. org., titre III, art. 49. « Lorsque le gouvernement ordonnera des prières publiques, les évêques se concerteront avec le commandant militaire du lieu, pour le jour, l’heure et le mode d’exécution de ces ordonnances. »
  16. Art. org., titre III, art. 43. « Tous les ecclésiastiques seront habillés à la française et en noir. Les évêques pourront joindre à ce costume la croix pastorale et les bas violets. » — Titre II, sect. 1, art. 12. « Il sera libre aux archevêques et évêques d’ajouter à leur nom le titre de citoyen ou celui de monsieur. Toutes autres qualifications sont interdites. »
  17. « D. Que doit-on penser de ceux qui manqueraient à leur devoir envers notre empereur ? — R. Selon l’apôtre saint Paul, ils résisteraient à l’ordre établi de Dieu même, et se rendraient dignes de la damnation éternelle. »
  18. Concordat, art. 6 ; art. 7 : « Les ecclésiastiques du second ordre prêteront le même serment entre les mains des autorités civiles désignées par le gouvernement. » Art. org., titre II, sect. 4, art. 27 : « Les curés ne pourront entrer en fonctions qu’après avoir prêté, entre les mains du préfet, le serment prescrit. »
  19. Budget de 1867 ; dépenses du culte catholique : 45 911 950 ; des cultes non catholiques (protestants et Israélites}, 3 134 000 fr.
  20. M. Baesner ayant été condamné pour fait de colportage par la Cour de Colmar, son appel est venu à la Cour de cassation, quia rendu l’arrêt suivant, à la date du 30 avril 1859. — « La Cour,
     « Sur le moyen tiré de ce que le fait de simple communication d’un exemplaire d’un écrit par une personne à une autre n’est pas un fait de distribution dans le sens légal ;
     « Attendu qu’en déclarant que la disposition de l’article 6 de la loi du 27 juillet 1849 est générale et absolue, que dès lors elle s’applique à tout fait, même accidentel, de colportage et de distribution, l’arrêt attaqué reconnaît qu’il ne faut pas confondre, avec les distributions qu’il veut punir, les communications bienveillantes de livres et d’écrits ;
     « Qu’après avoir établi en droit cette distinction qui ressort du texte comme de l’esprit de la loi, il constate en fait que Baesner est coupable d’avoir, le 17 décembre 1858, colporté et distribué, sans être pourvu de l’autorisation exigée par la loi, le petit livre allemand intitulé : Enseignement de l’Écriture sainte sur la vénération de la Vierge Marie ;
     « Que pour donner à ce fait unique, qui sert de base à la prévention, son véritable caractère, pour reconnaître s’il y a eu simple communication ou distribution dans le sens légal, la cour impériale de Colmar a dû rechercher dans les habitudes du prévenu, comme dans ses antécédents, « Attendu que c’est à ce point de vue qu’elle a constaté que Baesner, entraîné par son ardeur de prosélytisme, a consenti à devenir l’agent de la distribution clandestine de petits livres allemands traitant, avec plus ou moins de convenance, de matières religieuses ;
     « Qu’elle a relevé également que, dans son interrogatoire, il a reconnu avoir distribué de petits livres semblables à ceux trouvés en sa possession à diverses personnes, sans s’inquiéter du culte auquel elles appartenaient ;
     « Qu’en expliquant par les faits qui l’ont précédé l’acte du 17 décembre 1858, et en déclarant qu’il était la suite de ses habitudes de distribution et la continuation de l’œuvre de propagande dont il s’était constitué l’agent, la Cour impériale de Colmar n’est pas sortie des bornes de la prévention telle qu’elle résultait de l’ordonnance du juge d’instruction et de la citation donnée au prévenu ;
     « Qu’après avoir ainsi établi que le livre dont il s’agit avait été remis par Baesner, non à titre de communication officieuse et bienveillante, mais dans le but de le répandre et de le publier, elle a pu, sans violer la loi, reconnaître dans le fait incriminé les caractères du colportage et de la distribution qui, à défaut d’autorisation, tombent sous l’application de l’article 6 de la loi du 27 juillet 1849 :
     « Sur le second moyen, tiré de la violation des principes de la liberté religieuse :
     « Attendu que la doctrine consacrée par l’arrêt attaqué ne porte aucune atteinte au principe de la liberté de conscience et des cultes garantie par le droit public de la France et par la Constitution ;
     « Que si, dans les considérations de fait qu’il développe, l’arrêt s’exprime dans des termes regrettables sur les opinions religieuses de l’inculpé, sur les effets et les dangers du prosélytisme, et sur l’antagonisme qu’il peut amener entre les divers cultes, il ne fait entre eux aucune distinction, et fait ressortir la contravention, non du caractère de l’écrit distribué, mais de sa distribution sans autorisation ;
     « Qu’ainsi l’arrêt attaqué n’a sous aucun rapport violé la loi, dont il a fait au contraire une juste application aux faits par lui déclarés constants,
     « Par ces motifs, rejette, etc. »
  21. C’est ce qui résulte clairement des termes généraux de l’article. On lit dans les considérants d’un arrêt de la Cour de cassation, en date du 12 avril 1838 : « Que les dispositions de l’article 5 de la Charte se concilient avec la nécessité d’obtenir l’autorisation du gouvernement dans les cas prévus par l’article 291 du Code pénal ; qu’en effet, l’ordre et la paix publics pourraient être compromis, si des associations particulières, formées au sein des différentes religions ou prenant la religion pour prétexte, pouvaient, sans la permission du gouvernement, dresser une chaire ou élever un autel partout et hors de l’enceinte des édifices consacrés au culte ; que les articles organiques du concordat du 18 germinal an X ne permettent pas qu’une partie du territoire français puisse être érigée en cure ou en succursale, qu’aucune chapelle domestique, aucun oratoire particulier soient établis sans une autorisation expresse du gouvernement ; que le libre exercice de la religion professée par la majorité des Français doit se renfermer dans ces limites ; qu’il est soumis à ces restrictions ; que les articles organiques du culte protestant les reproduisent sous les formes appropriées à ce culte, et que les articles 291 et 294 du Code pénal ne contiennent que des dispositions analogues… » Cette analogie constatée par la Cour de cassation est réelle ; mais il est clair que les cultes reconnus obtiendront toujours l’autorisation, tandis que les cultes non reconnus sont seuls exposés à ne pas l’obtenir ; et, en fait, ils ne l’obtiennent presque jamais. — Cf. un arrêt de la Cour de cass. du 22 avril 1843.
  22. Dalloz, année 1836, t. I, p. 223.
  23. Consultez le plaidoyer de M. Jules de Laborde, avocat à la Cour de cassation, dans l’affaire de Montargis, 12 avril 1838 ; p. 32, 33 et 39.
  24. Lorsque l’Assemblée constituante de 4 848 discuta la loi sur les clubs, M. Durand (de Romorantin) proposa et fit adopter un article qui consacrait le droit absolu des citoyens de se réunir sans autorisation préalable pour l’exercice de leur culte. « Qu’est-ce que la liberté de croire, dit-il, sans la liberté de manifester extérieurement ses croyances ? Qu’est-ce que la liberté de conscience, si ceux qui ont les mêmes croyances ne peuvent se réunir pour adorer la Divinité selon que leur conscience leur inspire de le faire ? « L’article 49 de la loi fut volé en ces termes : « Les dispositions du présent décret ne sont point applicables aux réunions ayant pour objet exclusif l’exercice d’un culte quelconque. »
     L’année suivante, et par conséquent sous l’empire de la même législation, M. Pilatte, ministre de l’Évangile, n’appartenant à aucune des deux Églises protestantes reconnues pat l’État, écrivit au ministre des cultes pour lui demander si des prédications qu’il avait faites périodiquement à Paris pouvaient être incriminées. Il reçut du ministre la réponse suivante :
    Paris, le 27 février 1849.

    « Monsieur, vous avez appelé mon attention sur les circonstances qui se rattachent aux poursuites dirigées contre vous au sujet de réunions dans lesquelles vous vous seriez livré à la prédication, en qualité de ministre de l’une des Églises chrétiennes non reconnues par l’État ; en même temps vous exprimez l’intention d’ouvrir un lieu de culte, et vous me demandez des directions sur ce que vous auriez à faire pour éviter ces difficultés.
     « En assurant à tous les cultes une égale liberté et une égale protection, l’article 7 de la Constitution de 1848 n’a pas fait, entre ceux qui sont reconnus et ceux qui ne le sont pas, d’autre distinction que celle relative au salaire de leurs ministres.
     « Le droit que vous revendiquez est donc incontestable, et rien ne s’oppose à ce que vous professiez librement votre culte, sauf à l’autorité chargée de la police municipale à exercer sur le lieu dans lequel vous vous réunirez à cet effet, et dans la limite de ses attributions, la surveillance qui lui appartient en pareille matière. Il suffit donc que vous lui fassiez connaître les jours, lieux et heures de vos réunions.
     « Vous savez, d’ailleurs, que s’il s’élevait des difficultés à leur sujet et que leur caractère vînt à être mis en doute, ce serait une question d’appréciation qui rentrerait naturellement dans les attributions des tribunaux ordinaires, et vous auriez à faire valoir devant eux les considérations de droit et de fait qui militeraient en votre faveur.

    « Le ministre de PInstruction publique et des Cultes,
    « De Falloux. »

    Cette lettre exprimait assurément la volonté des auteurs de la Constitution de 1848. Mais les tribunaux continuèrent à ne reconnaître d’autres cultes que les cultes salariés par l’État ; et, dans tous les cas, le décret du 25 mars 4 852 a mis fin à la législation invoquée par M. de Falloux, et replacé les cultes salariés dans la situation où ils étaient avant la révolution de 1848.

  25. Décret du 25 mars-2 avril 1852. — Louis-Napoléon, président de la République française, vu les articles 291 et suivants du Code pénal, qui prononcent les peines applicables à ceux qui font partie des associations ou réunions illicites ; vu la loi du 10 avril 1834 sur les associations ; vu le décret du 28 juillet 1848 sur les clubs ; sur le rapport du ministre de la police générale ; considérant que le droit d’association et de réunion doit être réglementé de manière à empêcher le retour des désordres qui se sont produits sous le régime d’une législation insuffisante pour les prévenir ; qu’il est du devoir du gouvernement d’apprécier et de prendre les mesures nécessaires pour qu’il puisse exercer sur toutes les réunions publiques une surveillance qui est la sauvegarde de l’ordre et de la sûreté de l’État ; considérant que la loi du 22 juin 1849, suspensive du décret du 28 juillet 1848, ayant déjà reconnu le danger des clubs, avait décidé qu’un projet de loi serait présenté à l’Assemblée pour interdire les clubs et régler l’exercice du droit de réunion, décrète :
     Art. 1. Le décret du 28 juillet 1848 est abrogé, à l’exception toutefois de l’article <3 de ce décret qui interdit les sociétés secrètes.
     Art. 2. Les articles 291, 292 et 294 du Code pénal, et les articles 1, 2, et 3 de la loi du 10 avril 1834 sont applicables aux réunions publiques, de quelque nature qu’elles soient.
     Art. 3. Le ministre de la police, etc.
  26. Le traitement du clergé des cultes reconnus n’est pas garanti par la Constitution du 14 janvier 1852, mais, malgré cette omission, rien n’a été changé à cet égard, et le régime antérieur subsiste.
  27. Code pénal, art. 260 : « Tout particulier qui, par des voies de fait ou des menaces, aura contraint ou empêché une ou plusieurs personnes d’exercer l’un des cultes autorisés… » (Loi du 12 août 1848, art. 5.)
  28. « Seront considérés comme ayant satisfait à l’appel et comptés numériquement en déduction du contingent à former… 5o les élèves des grands séminaires régulièrement autorisés à continuer leurs études ecclésiastiques ; les jeunes gens autorisés à continuer leurs études pour se vouer au ministère dans les autres cultes salariés par l’État. » (Loi du 21 mars 1832, art. 44 ; et Cf. art.42 de la loi du 22 mars 1834 surla garde nationale.)
  29. La loi de 1846 dit seulement : ce Les ministres des différents cultes, les élèves des séminaires et des Facultés de théologie. » Mais la loi ne reconnaissant d’autres cultes que les cultes salariés, il n’y a pour elle d’autres ministres des cultes que les ministres salariés.
  30. « Les fonctions de juré sont incompatibles avec celle de ministre d’un culte reconnu par l’État. » (Loi du 9 juin 1853, titre I, art. 3.)
  31. « Le conseil supérieur se compose de trois membres du Sénat, de trois membres du conseil d’État, de cinq archevêques ou évêques, de trois membres des cultes non catholiques. » (Décret du 9 mars 1852, chap. II, art. 6.)
  32. « Le Sénat se compose : 1o des cardinaux, des maréchaux, des amiraux… » (Constitution du 44 janvier 1852, titre IV, art. 20.)
  33. Voici les paroles adressées par l’empereur Napoléon le lendemain de son sacre, à une députation protestante : « Je veux que l’on sache bien que mon intention et ma ferme volonté sont de maintenir la liberté des cultes… et si quelqu’un de ceux de ma race, devant me succéder, oubliait le serment que j’ai prêté, et que, trompé par l’inspiration d’une fausse conscience, il vînt à le violer, je le voue à l’animadversion publique, et je vous autorise à lui donner le nom de Néron. »
  34. Chambre des pairs, séance du 11 mai 1843.
  35. Société biblique protestante de France, séance publique annuelle du 4 mai 1869.
  36. Charte de 1814, art. 5. Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire, du 22 avril 1815, art. 62. Charte du 14 août 1830, art. 5. Préambule de la Constitution de 1848, art. 8. Constitution, art. 7. Constitution du 44 janvier 1852, art. 26.
  37. Ce sont les termes mêmes d’un arrêt rendu par la cour royale de Rennes le 1er août 1828.
  38. Arrêt de la cour d’Orléans, 9 janvier 1838. Plaidoyer de M. de Lalorde, p. 18 sqq.
  39. Décret du 7 vendémiaire an IV, La Convention nationale considérant que les lois auxquelles il est nécessaire de se conformer dans l’exercice des cultes…. doivent exiger des ministres de tous les cultes une garantie purement civique contre l’abus qu’ils pourraient faire de leur ministère pour exciter à la désobéissance aux lois de l’État.
     Art. 17. L’enceinte choisie pour l’exercice d’un culte sera indiquée et déclarée à l’adjoint municipal dans les communes au-dessous de cinq mille âmes ; et dans les autres, aux administrations municipales de canton ou arrondissement. Cette déclaration sera transcrite sur le registre de la municipalité ou de la commune, et il en sera envoyé expédition au greffe de la police correctionnelle du canton. Il est défendu à tous ministres du culte et à tous individus d’user de ladite enceinte avant d’avoir rempli cette formalité.
  40. « Qu’est-ce qui rehausse le caractère national ? C’est la préoccupation des choses de l’âme. Il est important pour un pays que ces préoccupations soient vives et profondes. Malheur à un pays dont l’horizon se rétrécit et qui ne s’occupe plus que d’intérêts matériels ! Mais la préoccupation des choses de l’âme, de la vérité religieuse, ne va pas sans discussion. Elle amène le choc des idées, elle provoque des divisions, elle ne se conçoit pas sans prosélytisme. Otez le prosélytisme, et vous aurez la paix, mais la paix des tombeaux, la paix de la mort. » (Procès de Jonsac, broch. in-8. Meyrueis, 1857. Plaidoyer de M. E. de Pressensé, p. 10)