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La Logique déductive dans sa dernière phase de développement/3/08

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Dualité logique

110. Il y a donc une loi de dualité (ou de corrélation) aussi dans la Logique [109] ; c’est M. Peirce qui en 1867 lui donna ce nom et lui reconnut une étendue que les seules de De Morgan [107] ne permettaient pas de soupçonner.

D’abord je précise le plus grand champ d’application de la dualité logique.

Cette loi s’applique (comme on verra tout de suite [111]) à toute dans laquelle chaque variable représente une et — en dehors des écritures du type «  », «  », etc. et des signes de ponctuation — on trouve seulement les symboles

Elle s’applique aussi aux à double rôle, c’est-à-dire dans lesquelles les variables sont toutes des ou toutes des conditions, et par suite, en dehors des variables et des signes de ponctuation, on ne trouve que les symboles


mais, même en ce cas, on opérera comme si chaque variable devait représenter une , pour interpréter ensuite la corrélative comme à double rôle.

111. J’appelle transformation corrélative celle au moyen de laquelle, une du type considéré [110] étant donnée :

1) tout «  » de réunion est changé en «  » ; et, réciproquement, tout «  » d’intersection (même sous entendu, dans des écritures du type «  » [ 29]) est changé en «  » ;

2) on échange entre elles les deux entre lesquelles se trouve un «  » d’inclusion ;

3) tout «  » est changé en «  », et réciproquement.
xxxxOn ne doit pas faire d’autres changements ; par suite, les symboles «  », «  » et les signes de ponctuation demeureront toujours invariés, ainsi que le symbole «  » d’affirmation alterne, le symbole «  » d’affirmation simultanée (ordinairement sous entendu [ 2]), le symbole «  » d’implication et les variables, sauf dans le cas 2).
xxxxAinsi la transformation corrélative résulte réciproque par définition, c’est-à-dire si est une du type considéré et si est sa corrélative (obtenue en assujettissant à la dite transformation), alors la corrélative de est derechef .

112. Avant de justifier la loi de dualité (selon laquelle, si une du type considéré [110] est vraie, alors sa corrélative [111] aussi doit être vraie), il est bon de se familiariser avec la transformation corrélative. Commençons par les les plus simples, dans lesquelles on trouve seulement les symboles «  » ; il y a dualité entre les  72 et 73 [94], 74 et 75 [ibid.], 78 et 80 [95], 79 et 81 [ibid.], 82 et 83 [ibid.].

Si l’on veut des corrélatives dans lesquelles entre aussi le symbole «  », on n’a qu’à observer les  103 et 104 [107], 105 et 106 [ibid.], ainsi que je viens de dire [109] ; tandis que les  68 et 69 [92], 92 et 94 [98], 93 et 95 [ibid.] nous offrent des couples de corrélatives dans lesquelles entre aussi le symbole «  ».

Celles-ci sont toutes des à double rôle dans lesquelles, en opérant comme si chaque variable devait représenter une [110], on ne trouve que les symboles «  » qui soient assujettis à la loi de dualité.

Mais, par exemple, dans la  84


on trouve deux «  » (dont un sous entendu entre «  » et «  ») dont le premier seulement est assujetti à la transformation corrélative (car, si a, b, c sont des , le premier est un symbole d’intersection, tandis que le second est tout de même un symbole d’affirmation simultanée) ; donc sa corrélative est la  87

Pour un autre exemple, dans la  88


il y a trois «  » dont seulement le premier et le troisième sont assujettis à la transformation corrélative (car, si a, b, c sont des , ils sont des symboles d’inclusion, tandis que le deuxième est tout de même un symbole d’implication) ; donc sa corrélative est la  89

Ainsi donc la  90

a pour corrélative


c’est-à-dire (en échangeant entre elles les lettres a et b, et aussi c et d) la  91

On se tromperait donc en croyant réciproques entre elles des telles que les  85 et 86


car on assujettirait à la transformation réciproque un symbole d’affirmation simultanée (le «  » qui est sous entendu dans la première) ou d’affirmation alterne (le premier «  » de la seconde). Ces ont respectivement pour corrélatives les P
107.                    
108.                    (Mc Coll, a. 1878.)

113. Nous avons donné plusieurs exemples de dualité entre des à double rôle [112] ; maintenant, nous allons en donner entre des qui appartiennent exclusivement à la théorie des .

Les  18 et 19 [68] sont corrélatives entre elles, ainsi que les P


(dont se compose la  20, à cause de la  4), ainsi que les  32 et 34 [74], 33 et 35 [ibid.], 36 et 37 [ibid.], 70 et 71 [92][1].

114. Ainsi qu’il arrive dans la géométrie projective [109], il y a des logiques qui (sauf un changement de lettres, sans aucune importance) ont pour corrélatives les mêmes P ; on peut les appeler auto-corrélatives.

C’est le cas, par exemple, du syllogisme en Barbara dans sa forme collective [82  47,105]


(1)


que la dualité transforme dans la P


(d’où, en appliquant au signe «  » sous-entendu la propriété commutative [ 73] et en échangeant entre elles les lettres a et c) on retourne à la (1).

De même pour le sorite dans sa forme collective [ 101].

Parmi les auto-corrélatives il y a aussi des égalités sur lesquelles la dualité ne produit d’autres effets que l’échange des deux membres entre eux ; par exemple, la de Schröder (a. 1890)


109.


qui est vraie pour les deux rôles des signes «  » et «  » et que l’on peut vérifier pour les dans la fig. 7 [p. 70][2].

115. L’idéographie logique adoptée par M. Peano ajoute aux autres mérites celui très remarquable de rendre très aisée et immédiate la transformation corrélative [111], parce que cette transformation s’obtient en renversant les caractères typographiques qui correspondent aux symboles à transformer[3].

La loi de dualité, dont il me parait superflu de relever l’importance intrinsèque, nous offre aussi le pourquoi de certains faits que par d’autres voies on n’avait pas expliqués ; par exemple le fait que chacun des signes «  » et «  » a la propriété distributive par rapport à l’autre (parce que les  78 et 79 [95] ont respectivement pour corrélatives les  80 et 81), tandis que le signe «  » a la propriété distributive (à gauche) par rapport au signe «  » mais non (ni à gauche, ni à droite) par rapport au signe «  » [97].

En effet la  84


n’a pas pour corrélative la fausse [97]


mais la  87


et ainsi la transformation corrélative nous conduit d’une dans laquelle entrent deux «  » (dont un sous entendu) à une dans laquelle entrent un «  » et un «  » (sous entendu), sans que cela forme aucunement un cas d’exception.

116. Je m’attends a la question suivante : d’où tire-t-on la certitude que, une vraie du type considéré [110] étant donnée, sa corrélative [111] aussi doit être vraie ?

Dans quelques éditions du Formulaire (par exemple celle de l’an 1902) on dit que « la loi de dualité dépend des deux points de vue de l’extension et de la compréhension, sous lesquels on peut envisager les «  » [26].

Examinons la valeur de cette explication.

Nous avons déjà remarqué [27] que, les a et b étant données, si
« a contient b » au point de vue extensif,
alors
« b contient a » au point de vue compréhensif ;
et réciproquement.

Donc, dans le passage d’un langage à l’autre (de l’extension et de la compréhension) la formule «  » devient «  », c’est-à-dire qu’elle est assujettie à la transformation corrélative [111]. Admettons pour un moment (ce qui n’est pas vrai[4]) que cela arrive sans exception pour toute formule composée moyennant les symboles considérés [110] ; quelle conséquence pourra-t-on en tirer ?

Ce ne sera pas la loi de dualité, mais la dualité entre les deux langages dont je viens de parler ; au sens que, si par exemple est une du type considéré [110] qui soit vraie dans un des deux langages, la qu’on obtient en assujettissant à la transformation corrélative devra être vraie dans l’autre langage ; de manière que et exprimeraient un même fait par deux langages différents !

Or la loi de dualité, dont nous avons vu de nombreuses applications, [112, 113] dit tout autre chose : et précisément que, si est vraie dans un des deux langages (pour nous celui l’extension [27]), aussi est vraie dans le même langage ; de manière que (sauf le cas des auto-corrélatives [114]) et expriment dans le même langage deux faits différents !

117. Il faut donc démontrer la loi de dualité moyennant l’analyse des symboles dont il s’agit [110], en les considérant toujours au même point de vue (par exemple celui de l’extension, ainsi que nous l’avons fait jusqu’à présent)[5].

Soit une du type considéré [110].

Pour compliquée qu’elle soit, au moyen des substitutions littérales opportunes (dont je vais donner un exemple en note), on peut la transformer de manière qu’elle se compose seulement des formules du type
« a  »,«  »,«  »,
«  »,«  »,«  »,«  »(I)


dans lesquelles a, b, c,… sont des  ; ces formules étant reliées entre elles par des signes «  » d’affirmation alterne, «  » sous entendus d’affirmation simultanée, «  » d’implication, «  » d’égalité entre des conditions, outre que par des signes de ponctuation[6].

En assujettissant la à la transformation réciproque [111], on obtiendra une dans laquelle à la place des formules (I) on trouvera respectivement les formules
« b  »,«  »,«  »,
«  »,«  »,«  »,«  »(II)

dans lesquelles a, b, c,… sont aussi des et reliées entre elles comme les (I) dans la .

Or, en posant
«  »,«  »,«  », … , (III)


des connues [ 36, 37, 96, 99, 105, 106] on déduit


c’est-à-dire les formules (II) sont équivalentes ordonnément aux formules (I) dans lesquelles a, b, c,… sont remplacés par a’, b’, c’,…

Ainsi donc, pour ce qui précède, la , corrélative de la , est égale à la , qu’on peut obtenir tout de suite de la en y remplaçant a, b, c…, par a’, b’, c’,…

Mais, puisque a, b, c,… sont des , a’, b’, c’,… (III) sont aussi des [, 58] ; donc, si la est vraie (catégoriquement [52], c’est-à-dire quelles que soient les a, b, c,…), aussi la doit être vraie ; par suite, aussi la , corrélative de , doit être vraie ; car, pour ce que je viens de dire, elle est égale à la .

118. La loi de dualité est donc un moyen sûr de preuve et un moyen aussi puissant que facile de découverte ; car, si d’une manière quelconque on parvient à démontrer une du type considéré [110], la vérité de sa corrélative doit être admise ipso facto (et d’ailleurs sa démonstration ne serait autre chose que le raisonnement corrélatif de celui qui aurait servi à démontrer la première ).

119. Nous savons que les à double rôle sont celles dans lesquelles, outre que des variables et des signes de ponctuation, on trouve seulement les symboles


et nous savons aussi que ces sont susceptibles de dualité [110].

Remarquons à ce point qu’on pourrait considérer comme à double rôle mêmes celles dans lesquelles on rencontre aussi des formules du type «  » ou bien «  » ; pourvu que (au moment de considérer que a désigne une condition par rapport à x, au lieu d’une ) on remplace ces formules par «   » ou bien «   » (car «  » et «  », étant des noms propres [37], ne sont pas susceptibles de plusieurs rôles[7]).

Ainsi, par exemple, si a et b sont des conditions par rapport à x, les  70, 71 deviennent



c’est-à-dire : « a implique b » signifie qu’il n’y a pas des valeurs de x qui vérifient a et ne vérifient pas b ;

« b implique a » signifie que toute valeur de x vérifie a ou ne vérifie pas b.

On peut simplifier l’écriture de la dernière (toujours en supposant que a et b soient des conditions par rapport à une même variable), en l’écrivant ainsi :


c’est-à-dire « b implique a » signifie qu’une au moins des conditions a et «  » est vérifiée, quel que soit x.

C’est ainsi que, dès le commencement, nous avons précisé la signification de toute implication [54].

  1. Parmi les que nous avons eu l’occasion de remarquer, sont aussi corrélatives les  7 [66] et 14 [67], 8 et 17 [ibid.], 54 et 55 [88], 76 et 77 [94] ; tandis qu’il y a seulement une apparence de corrélativité entre les  3 [64] et 15 [87], 13 [66] et 16 [67].
  2. La transformation réciproque ne produit aucun effet sur les  24, 25, 26 [70], 96, 98 [99] : elle produit un simple échange de lettres dans la  99 [99] et la commutation d’une affirmation simultanée dans les  52, 53 [87]. Donc ces sont aussi auto-corrélatives.
  3. Cela est évident pour les signes «  », «  » ; en outre, les signes «  » ne changent pas en les renversant. Le signe «  » deviendrait «  », et en effet, la formule corrélative de «  » serait «  » [31] ; mais l’on préfère écrire à sa place «  », en conservant ainsi le symbole «  » [32] et en échangeant entre elles les variables [111].
  4. Je me propose de justifier ailleurs cette assertion, qui est contraire à l’opinion commune ; ici il n’est pas nécessaire de le faire, parce que ce n’est pas sur elle que s’appuie ma réfutation.
  5. Ma première démonstration de la loi de dualité, que j’avais donnée à ce point de la leçon, présupposait plusieurs notions de Méthodologie, dont j’avais dû anticiper concisément l’exposé. Maintenant, pour suivre un ordre plus systématique, je préfère en différer la publication (voir la note en tête de cet ouvrage) et la remplacer ici par une autre démonstration dont l’idée, un peu vague, m’a été suggérée, dans une conversation, par le prof. E. E. Levi, de l’Université de Gênes.
  6. Comme exemple des substitutions littérales dont je viens de parler, analysons la formule
    (1)

    qu’on trouve dans la  71. En posant «  », par suite de la propriété substitutive de l’égalité [84] la (1) devient «  » ; qui, en posant «  », devient «  ». Réciproquement, de cette dernière, moyennant les dites substitutions, on retourne à la (1). Par suite, la (1) est équivalente à l’expression


    qui est formée par trois formules du type (I) (on remarquera que, si dans la (1) a et b sont des , c et d doivent être aussi des [ 24, 14, 57, 58]). Ces trois formules sont reliées entre elles par un «  » sous entendu d’affirmation simultanée et par un «  » d’implication, outre les signes de ponctuation (subordonnément auxquels il faudra modifier ceux de la dont la formule (1) n’est qu’une partie).

  7. L’avertissement n’est pas inutile, car on serait tenté de donner un second rôle même aux symboles «  », avec les significations respectives :
    condition absurde (ou condition jamais vérifiée, quelle que soit la valeur de la variable) qu’on appelle aussi : fausseté logique ou impossibilité logique ;
    condition illusoire (ou condition toujours vérifiée, quelle que soit la valeur de la variable) qu’on appelle aussi : vérité logique ou nécessité logique. Si l’on voulait représenter ces idées par des symboles spéciaux, il faudrait donc en employer de nouveaux (par ex., «  » et «  ») ; mais ce qui va suivre [120] montre qu’on compliquerait les choses inutilement.