La Logique déductive dans sa dernière phase de développement/3/10

Alessandro Padoa

La Logique déductive dans sa dernière phase de développement

Gauthier-Villars, 1912 (p. 95-96).

On démontre une $\mathrm {P}$ sans se soucier de ce qu’elle dit

126. Jusqu’à présent, sauf peu d’exceptions, je me suis contenté de vous persuader (par l’intuition immédiate, par des exemples, par la vision de figures, par le souvenir de vos expériences, par la facilité d’en faire de nouvelles) de la vérité des $\mathrm {P}$ logiques que je vous ai énoncées ; c’est-à-dire que j’ai fait de l’empirisme logique, ainsi que l’on fait de l’empirisme mathématique dans les écoles primaires.

Maintenant je vais vous donner un exemple de la puissance de nos $\mathrm {P}$ logiques comme formes de raisonnement, c’est-à-dire comme moyen de preuve ; elles conduisent à ce résultat paradoxal : qu’on peut démontrer une P, même sans se soucier de savoir ce qu’elle dit.

Prenons par exemple la $\mathrm {P}$ à double rôle

115.                    $a\smallfrown b\supset c\smallsmile d\,.\,=\,.\,a\smallfrown \lnot d\supset c\smallsmile \lnot b$
qui a été découverte par Peirce en 1880 (et dans laquelle, pour plus de clarté, j’ai écrit le signe « $\smallfrown$ » que j’aurais pu sous entendre entre a et « $\lnot d$ » ).

En supposant que « $a,\,b,\,c,\,d\,\varepsilon \,\mathrm {Cls}$ », et en remarquant [$\mathrm {P}$ 7, 14, 24] qu’alors « $a\smallfrown b$ », « $c\smallsmile d$ », « $a\smallfrown \lnot d$ », « $c\smallsmile \lnot b$ » sont aussi des $\mathrm {Cls}$, je prends les deux membres de la $\mathrm {P}$ 115 et je les transforme séparément, moyennant la $\mathrm {P}$ 70 [$\mathrm {P}$ 29], en obtenant :

$(a\smallfrown b)\smallfrown \lnot (c\smallsmile d)=\wedge \qquad (a\smallfrown \lnot d)\smallfrown \lnot (c\smallsmile \lnot b)=\wedge$

d’où, respectivement [$\mathrm {P}$ 103, 25],

$(a\smallfrown b)\smallfrown (\lnot c\smallfrown \lnot d)=\wedge \qquad (a\smallfrown \lnot d)\smallfrown (\lnot c\smallfrown b)=\wedge$

d’où, en ordonnant (moyennant les propriétés commutative et associative du signe « $\smallfrown$ » [$\mathrm {P}$ 73, 75]), on arrive au même résultat :

$a\smallfrown b\smallfrown \lnot c\smallfrown \lnot d=\wedge$

Or, comme toutes ces transformations sont invertibles et par suite [$\mathrm {P}$ 52] chacun des deux membres de la $\mathrm {P}$ 115 est égal à la dernière formule, ces deux membres sont égaux entre eux [$\mathrm {P}$ 44, 46] ; ce qui prouve la verité de la $\mathrm {P}$ 115 (pour le passage du premier rôle au second, voir le § 108).

Sa corrélative serait [111]

$c\smallfrown d\supset a\smallsmile b\,.\,=\,.\,c\smallfrown \lnot b\supset a\smallsmile \lnot d$

c’est-à-dire la même $\mathrm {P}$ (sauf le changement réciproque des lettres a et b en c et d) ; donc la $\mathrm {P}$ 115 est auto-corrélative [114].

En l’exprimant par le langage pseudo-arithmétique [39], elle dit que : « un facteur de l’$\mathrm {Hp}$ et un terme de la $\mathrm {Ts}$ peuvent changer de place, en perdant ou en prenant le signe « $\lnot$ » selon qu ils en étaient précédés ou non, et en changeant entre eux leurs qualités de facteur et de terme ».