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La Vérité sur l’Algérie/06/17

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CHAPITRE XVII

La mentalité algérienne reflétée par la presse algérienne.


Je ne voudrais point faire une concurrence déloyale à la rhétorique algérienne en disant que la presse est le miroir d’un pays. Car j’estime que la France vaut beaucoup mieux que la presse française, Et malgré tout je crois que l’Algérie vaut également beaucoup mieux que sa presse. Je ne vais cependant pas jusqu’à dire avec M. Casteran (Télégramme, 30 mai 1899) : « On se fait journaliste à Alger aussi facilement que cireur », ni à faire miennes les déclarations de « Mohammed Biskri » dans sa Lanterne du 28 avril 1898 :


« … J’y vas faire comme les roumis qu’y savent plus comment boulotter, y sont journalisses, seulement comme mon journal y sera a moi tout seul j’y mettra dessu ce que j’y voudra, et personne y dira met ça ou met aut’chose, moi seul j’y commandera, parce que personne y paie. »


Mais si je trouve excessif cet autodénigrement[1]… il me semble qu’il n’y a pas moins d’excès dans le portrait flatteur que la Vigie algérienne publiait le 23 juin 1881.

C’était :


« Je termine par ce passage de l’article dominical du Petit Alger sur la presse algérienne :

« Nous n’éprouvons aucune hésitation pour dire que le journalisme algérien peut être comparé avec le journalisme de la métropole sans qu’il en résulte un désavantage pour lui. En France on est bien vite un grand journaliste lorsqu’on a quelque facilité de plume et qu’on est entré dans l’engrenage ; il n’y a pas pour lui de questions neuves, ou il y en a peu ; ce n’est pour ainsi dire qu’un courant de rédaction. Ici c’est tout le contraire. Ce qu’on appelle le bulletin politique tient le second rang dans un journal algérien ; le premier rang appartient au bulletin colonial, c’est-à-dire à toutes les questions particulières au pays touchant la colonisation, l’administration des populations indigènes, la sécurité des frontières, la constitution de la propriété immobilière, les rapports du gouvernement de la colonie avec celui de la métropole, l’aménagement des eaux, etc…

« Pour écrire sur tous ces problèmes il ne suffit pas de savoir tourner la phrase, de connaître le genre polémique et d’avoir acquis une instruction générale ; il faut de plus et surtout posséder son sujet ; et nous entendons par là avoir fait les études nécessaires pour connaître l’Algérie. »

« Suit une appréciation très bienveillante de chacun des écrivains de la presse d’Alger, suffisamment désigné pour qu’il se reconnaisse.

« L’auteur de cet article se déclare complètement désintéressé dans la question. Il n’est pas journaliste, dit-il. Je n’en crois rien. En tout cas, moi qui le suis par profession, par vocation et par tempérament, je mets toute modestie à part, et je me range à l’avis de mon confrère masqué. « Il est plus « difficile d’être journaliste en Algérie qu’en France » et aux arguments à l’aide desquels il le démontre j’ajoute celui-ci : le découragement qui s’empare d’hommes laborieux et de bonne foi, qui usent leur vie à chercher des solutions aux problèmes multiples dont l’étude est leur constante préoccupation, et qui savent d’avance qu’ils se heurteront à l’ignorance, à la sottise, à la malveillance, de ceux auxquels ils s’adressent. »


C’est assez réussi comme spécimen de la suffisance algérienne. Mais c’est de 1881. L’Algérie « brûle les étapes du progrès ». Il s’est fait beaucoup mieux depuis. Il y a tout ce qu’on trouve dans la Dépêche algérienne, dans les Nouvelles… Vous verrez au chapitre Séparatisme.

Voici quelques extraits entre mille sur le goût.

C’est dans la Revanche du Peuple, 5 avril 1902, cette définition de l’accolade :


« Comment se fait-il qu’il soit allé sur le ponton le jour de l’arrivée et qu’il a sucé la gueule du député sortant ? Était-ce le baiser d’Iscariote ? »


Ce portrait de Drumont :


« Jamais rien d’aussi repoussant n’a soulevé le dégoût humain : Figurez-vous un vieux laid et sale au poil hirsute et graisseux, au nez de ghetto, aux prunelles troubles d’alcoolique, à la face méchante et sournoise, suant la bassesse et l’hypocrisie, marqué des ignominieux stigmates de crapuleuses débauches séniles. Le chenapan qui a conscience de sa laideur se montre peu et répand à profusion des portraits embellis. »


Et ces traits délicats à l’adresse de M. Régis :


« Au salon du Coin de Reboul, à Marseille, M. Gabriel M…, du Moniteur d’Endoume, et M. Jean F…, de la Tribune du Pas-des-Lanciers, deux éminents critiques d’art, s’arrêtent devant le tableau no 169, représentant une nature morte, fleurs et feuilles de rose, signée Caroline de Milano ; sur la cimaise en lettres d’or médaille d’asphalte.

« — Comme il excelle dans les feuilles de rose ! dit Gabriel M…

« — Ah ! quel beau coup de pinceau ! répond M. Jean F…

« Ensemble :

« — Vraiment, c’est épatamment léché. »

Les bonnes maisons qui ne recevaient pas la littérature distinguée de l’Antijuif recevaient celle de la Revanche du Peuple.

Ça ne pouvait tout de même pas, je crois, faire compensation… dans cette course à l’ordure il n’était pas possible de dépasser les antijuifs.

Déjà vous en avez lu quelques preuves. Encore. Voici :

« Les descendants du bouc exhalent l’odeur de leur ancêtre ; leurs excréments même sont crochus.

« Dieu a fait le juif un jour d’ivresse et de honte. Il l’a façonné de fiente et de vomi, maçonné d’urine, pétri de crachats ; ensuite il le passa au diable qui par délicatesse le lécha.

« D’où cet enduit ineffaçable, cette putréfaction de l’âme et de la peau. Leurs doigts triturent l’or et les pellicules. Dans leurs regards dansent les flammes jumelles de la luxure et de l’usure. Leurs pieds sont faits pour la boue et le sang. À l’égout, ces charognes ! » (Silhouette, 1er mars 1896.)

M. Gourgeot qui signait ses articles : « Gourgeot, officier de la Légion d’honneur », voyait (Antijuif, 27 février 1898) « à travers les syllabes d’un nom suinter le pus d’une conscience juive ».

Un autre disait d’une famille d’industriels espagnols naturalisés :

« Cette famille se complaît aujourd’hui à pincer de la guitare avec les boyaux des malheureuses qu’elle affame. »

Mais cela était trop littéraire. La note vraie c’était l’ordure toujours. Quand la lectrice pouvait croire qu’elle en avait savouré le plus ignoble on lui présentait plus ignoble encore.

Si je me contentais de vous l’affirmer, vous ne pourriez croire, il faut que vous lisiez ce que d’Artagnan écrivait :

« M….

« … Le bouc ignoble, soufflant par tous les pores un rut dénaturé, et qui avait la manie du raccrochage des jeunes gens au débarcadère du transatlantique avait, sur notre accusation formulée sur des témoignages authentiques, caché un instant sa hideuse manie, craignant des poursuites. On ne le voyait plus rôder sur les quais, les yeux rouges et suintant par les larmiers un liquide jaunâtre identique à du pus, le faciès étiré, la démarche titubante comme celle d’un alcoolique. Et cela étonnait tous ceux qui connaissaient ce pollueur de virginités masculines.

« Cette passion excrémenteuse, enracinée dans cette âme de juif, ne pouvait évidemment disparaître, le juif étant inaccessible à toute bonification morale. Au contraire, elle fermentait faute d’expansion et M… en proie à des désirs dénaturés arpentait son ghetto de prostitution, comme une hyène féroce, n’osant sortir et crevant de faim sexuelle.

« D’Artagnan (29 mai 1898). »

Oui…

Voilà ce que les fillettes du grand annoncier commanditaire de l’Antijuif lisaient dans le journal de leur père, dans le journal que leur mère voulait toujours en place d’honneur sur la table de son salon…

Oui…

L’ordure antijuive, Alger s’en nourrissait. On approuvait les ignominies écrites comme on approuvait les ignominies réalisées.

M. Casteran écrivait le 22 avril 1899 dans le Télégramme :

« L’année dernière nous menions à toutes brides un train d’enfer contre les juifs. Après s’être vengés sur pas mal d’entre nous, nous eûmes en des explosions superbes de rage de magnifiques revanches. Matée, réduite, apeurée, la tourbe hébraïque se concerta, et le silence, l’humilité succédèrent à ses vociférations et à son arrogance. Cette leçon pour suprême qu’elle fût était impuissante à calmer nos haines ; il fallait qu’après l’œuvre de la rue s’accomplît celle du Parlement. »

Notez que le journal qui se glorifie ainsi des « explosions superbes de rage » était celui des gens qui se disaient antisémites de raison.

Un autre journal qui se piquait d’être encore plus raisonnable publiait ceci :

« Max Régis est révoqué…

« … Vraiment on croit rêver !…

« … Si en procédant comme il l’a fait, M. le président du conseil avait voulu démontrer aux Algérois qu’il entendait ne mettre un terme qu’aux excès de l’antisémitisme, — tout en faisant mes réserves — je me serais incliné devant la mesure. Je me serais dit, en journaliste qui en a vu tant d’autres, et qui a été le témoin de bien des erreurs…

« … Je dois cette déclaration à M. Dupuy… Les excès de l’antisémitisme il n’est personne parmi nous qui les réprouve…

« … Une clameur dominera tous les mots d’ordre… la clameur de l’Algérie qui veut rester française : « À bas les juifs ! »

Cela était signé Lys du Pac, Dépêche algérienne du 12 janvier 1899.

Et vous vous demandez ce que sont ces gens-là…

C’est les gens qui prétendent refléter exactement l’opinion de leur pays. C’est le journal qui tient l’Algérie parce qu’il dit — affirme-t-il — ce que l’Algérie veut qu’on lui dise.

Aussi quand l’Algérie ne sait plus ce qu’elle fait, il approuve tout, même les excès. « À bas les juifs ! » pour lui ces simples mots contiennent toutes les réformes de l’Algérie.

Quand, deux mois après, les juifs, essayant de détourner contre d’autres un peu de la haine qui les accable, inventent le péril anglo-protestant, sa conviction « À bas les juifs ! » n’empêche pas la bonne Dépêche de les servir en présentant M. Cambon comme un traître :

« Malheureusement en ce temps-là les fonctions gubernatoriales étaient occupées par un haut dignitaire à qui le pachalik devait servir uniquement de marchepied pour atteindre à une ambassade.

« Et il était tout naturel, du moment qu’on ambitionnait de représenter la France à Londres, qu’on ne fît rien pour indisposer ces messieurs du Foreign office. La propagande anglaise — sous couvert d’anglicanisme — s’exerça donc en toute liberté, Julio Cambone regnante… »

C’est signé Lys du Pac, Dépêche algérienne, 15 mars 1899.

C’est merveilleux cette confusion volontaire entre M. Jules Cambon et son frère l’ambassadeur à Londres.

Quelle morale !

Je vais vous dire.

C’est encore dans la Dépêche algérienne que j’ai lu :

« Est-il permis de codifier la morale en la prétendant applicable à toutes les races humaines et à tous les âges de leur développement ?

« Que grande est l’erreur de ceux qui le penseraient, oublieux qu’en ce monde tout dans l’ordre moral, comme dans l’ordre intellectuel, comme dans l’ordre matériel est en transformation continuelle !…

« La morale est la lunette au travers de laquelle nous apercevons la justice et l’équité. Mais ce n’est pas tout que de diriger l’instrument sur le tableau divin où nos devoirs sont peints en images sacrées. Il est avant tout important de l’approprier à notre vue personnelle de la mettre au point. » (Dépêche algérienne, 1er février 1898.)

C’est bien cela…

La race nouvelle prétend mettre la morale au point, l’approprier à sa vue personnelle… » Et voilà pourquoi nous ne nous entendons plus. Non seulement nous ne parlons plus la même langue, mais nous n’avons plus le même esprit. Pour leurs appétits nouveaux, il faut morale nouvelle… C’est triste !…

  1. Il y a tout de même dans la presse algérienne quelques personnalités honnêtes et de talent ; il y eut des journalistes algériens comme les Marteau, les Pierre Batail et d’autres, qui ont livré et livrent encore le bon combat. Mais c’est le cas de répéter rari nantes