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Le Batteur d'estrade (Duplessis)/II/XXXIII

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A. Cadot (tome Vp. 33-39).

XXXIII

LE VOLADERO.


Il fallut à M. de Hallay, malgré la torche dont il était muni, quelques minutes pour s’habituer aux ténèbres qui emplissaient le souterrain. Sa curiosité et son intérêt étaient tellement surexcités, qu’il ne songeait plus ni aux acerbes paroles du Batteur d’Estrade, ni aux dangers de sa propre position. Les prunelles dilatées outre mesure, les nerfs du visage contractés par une émotion puissante, il subissait dans toute son intensité la terrible fièvre de l’or ! Joaquin Dick, placé à deux pas en arrière, le regardait avec une mélancolie mêlée de pitié.

— Eh bien ! monsieur, lui dit-il, pourquoi n’avancez-vous pas ? Dois-je vous rappeler sans cesse que nos moments sont précieux, et ne croirez-vous au péril que lorsqu’il ne sera plus temps de l’éviter ? Donnez-moi votre torche, je vais vous guider.

Le jeune homme ne bougea pas. Il semblait ne pas avoir entendu.

— Señor, s’écria-t-il tout à coup, je voudrais bien voir vos trésors.

Joaquin Dick retrouva un instant son sourire moqueur et méprisant d’autrefois, mais redevenant presque aussitôt triste et grave :

— Toujours mon même orgueil ! murmura-t-il. Impitoyable pour les vices que je n’ai pas, complaisant et plein d’admiration pour mes fautes !

Se retournant vers M. de Hallay et élevant la voix :

— Soit, monsieur, répondit-il, venez voir combien l’or, dépouillé du prestige que la convention lui donne, est peu de chose par lui-même.

Joaquin Dick se dirigea vers l’un des endroits les plus obscurs et les plus reculés de la grotte ; puis, prenant des mains de M. de Hallay la torche qu’il portait et en frappant l’espèce de lumignon résineux contre une pierre qui faisait saillie, il remplit l’espace de myriades de rouges étincelles.

— Voilà ! dit-il froidement.

Une dizaine de coffres d’un bois tellement noirci par le temps qu’il n’était plus possible de reconnaître son essence, étaient rangés, ou, pour être plus exact, alignés contre les parois du souterrain. Dans ces coffres, dont chacun était haut d’environ quatre pieds et large de trois, on apercevait une couche médiocrement épaisse d’une poussière d’un jaune pâle, terreux, sans reflets, et qui ressemblait assez à la gomme-gutte grossièrement concassée.

— Quoi ! c’est là votre fameux trésor ? s’écria M. de Hallay avec un désappointement visible.

— Oui, monsieur, ce trésor qui, hier encore, a été cause que plus de deux cents cadavres ont jonché le désert !… Le trouvez-vous donc indigne de votre curiosité ?

M. de Hallay tarda un peu à répondre : le premier moment de la désillusion passé, il s’était mis à considérer l’or avec une vive attention.

— Toute cette poussière et ces pépites réunies ne doivent pas s’élever à une bien grande somme ! dit-il, comme en se parlant à lui-même.

— Vous vous trompez !

— À combien estimez-vous donc, señor, la valeur de ce trésor ?

— Je vous avouerai très-franchement qu’il me serait impossible de vous donner un chiffre exact, car il y a bien des années que je n’ai eu la fantaisie de remuer cette poussière. Toutefois, une appréciation approximative est très-facile. Chaque coffre contient six à sept cents livres d’or, ce qui correspond à huit cent mille francs ou à un million. Ajoutez maintenant un zéro, puisqu’il y a dix coffres, et vous arriverez à un total de huit à dix millions, ce qui, pour un homme rangé et modeste, constitue réellement une fort honnête aisance.

M. de Hallay garda le silence : son attention tournait à une contemplation extatique ; à plusieurs reprises il parut, comme s’il était attiré par une force invisible, vouloir toucher cet or ; mais chaque fois il résista à cette vertigineuse tentation.

— Prenez donc une poignée de ces pépites pour les examiner plus à votre aise, lui dit Joaquin Dick, à qui cette significative et involontaire pantomime n’avait pas échappé.

M. de Hallay, après une indécision de courte durée, obéit à l’invitation du Batteur d’Estrade ; il promena d’abord sa main légèrement et avec distraction sur la surface inégale et grenue de la poussière métallique. Peu à peu ses doigts, comme s’ils voulaient tirer des accords d’un clavier, s’agitèrent et firent bruire l’or ; alors, subitement emporté par une irrésistible attraction, il plongea son bras jusqu’au coude au fond du coffre, et se mit à remuer l’or avec une machinale frénésie.

Bientôt il devint d’une pâleur de mort et son corps prit une rigidité de marbre ; ses yeux, d’une mobilité inquiète et irrégulière, prouvaient seuls que la vie, loin de l’abandonner, au contraire, avait acquis en lui une activité extraordinaire ; les pulsations de son pouls et les battements de son cœur se succédaient avec une rapidité inouïe : il était sur le seuil de la folie.

Tout à coup un tremblement nerveux, trop bien motivé par cette surexcitation terrible, agita ses bras puissants et souleva sa large poitrine ; alors il se tourna lentement vers Joaquin, qu’il regarda comme s’il ne s’expliquait pas sa présence en ce lieu.

La respiration du jeune homme était si oppressée qu’elle produisait une espèce de sifflement alternativement rauque et strident.

Le Batteur d’Estrade, qui n’avait pas cessé de suivre d’un œil attentif et observateur les diverses phases par lesquelles M. de Hallay achevait de passer, jugea sans doute qu’il était temps de mettre un terme à cette expérience, car le saisissant par l’épaule il le secoua avec rudesse. À ce contact brutal, le jeune homme frissonna, et une vive rougeur brûla ses joues.


À quoi cela vous mènerait-il de m’assassiner.

— À quoi cela vous mènerait-il de m’assassiner ? lui demanda froidement Joaquin Dick. Non-seulement vous seriez incapable d’emporter la dixième partie de cet or, mais vous ne sauriez pas même sortir du souterrain.

La voix du Batteur d’Estrade produisit sur M. de Hallay l’effet de la douche glacée qui tombe sur le crâne de l’insensé et éteint le feu de son cerveau. Il parut se réveiller en sursaut et sortir d’un rêve.

— Vous assassiner ! señor, répéta-t-il sans trop se rendre compte des paroles qu’il prononçait, et comme s’il voulait gagner du temps pour reprendre son état normal.

— Parbleu, oui, m’assassiner ! Vous portiez déjà la main à votre poignard. Oh ! je ne songe nullement à vous faire, non pas un crime, mais même un reproche de cette intention. Je sais parfaitement bien que vous n’aviez pas la conscience de vos actions.

— Partons… éloignons-nous, señor, interrompit vivement M. de Hallay.

— Volontiers !

Joaquin Dick raviva la torche et se remit en route ; il n’avait pas fait vingt pas qu’il s’arrêta, et poussant une exclamation de surprise et de satisfaction :

— Monsieur de Hallay, dit-il en ramassant un petit sac de toile qui gisait à terre, voici un trésor que je ne m’attendais pas à trouver, et qui est mille fois plus précieux à lui seul que ces dix coffres remplis de poussière et dont la vue vous a causé une si singulière tentation.

— Quel trésor ?

Joaquin Dick ouvrit le sac, y glissa sa main et en retira une poignée de farine de maïs humide.

— Elle est un peu avariée, dit-il, mais les estomacs affamés ne sont point exigeants. J’ai dû plusieurs fois la vie à une nourriture bien inférieure à celle-ci.

— Mais sommes-nous donc exposés, señor, à mourir de faim ?

— Dame ! je l’ignore ! Tout ce que je sais, c’est que nous sommes poursuivis, que la saison est très-avancée, et que, de peur d’éveiller des soupçons, je suis parti ce matin sans emporter les moindres provisions de bouche. C’est réellement dommage, n’est-il pas vrai, monsieur, que l’on ne puisse pas manger de l’or ? sans cela nous aurions aisément rempli ici nos besaces. Le fruit que l’on cueille à l’arbre apaise la faim et calme la soif ; mais, hélas ! l’or que l’on ramasse dans le sable n’est utile à rien par lui-même.

Joaquin venait à peine de prononcer ces dernières paroles, lorsqu’il atteignit l’extrémité du souterrain. Une énorme pierre, qui se détacha comme par enchantement dès que le Batteur d’Estrade eut fait jouer le ressort qui la rendait mobile, donna issue aux deux hommes.

Le premier objet qu’ils aperçurent fut Gabilan. L’intelligent animal était exact au rendez-vous que lui avait assigné son maître.

— Allons, montez en croupe, monsieur, dit Joaquin, et poursuivons notre chemin !

Après un silence de quelques minutes, M. de Hallay prit la parole. Gabilan galopait toujours avec la même vitesse qu’il avait montrée depuis le matin.

— Señor Joaquin, il est une explication que je voudrais bien avoir de vous. Comment se fait-il que vous ayez osé me conduire dans le souterrain qui renferme vos richesses ? Cette confiance me paraît bizarre.

— Je vous fais grâce, monsieur de Hallay, de l’épigramme par trop facile que me présente une telle question dans votre bouche, et j’arrive tout de suite à ce que vous me demandez. De deux choses l’une : ou vous serez tué, ou vous serez sauvé. Si vous parvenez à vous soustraire à la vengeance de Lennox, il est probable, certain même, que vous ne songerez pas, du moins d’ici à longtemps, à revenir visiter les bords de la rivière Jaquesila ; j’aurai donc tout le loisir possible pour enlever mon or, et quand je dis mon or, c’est par habitude, car cet or ne m’appartient plus.

— Que dites-vous ? interrompit le jeune homme avec un vif étonnement.

— Je me considère à présent comme le gardien et le dispensateur des richesses que vous venez de voir et non plus comme leur propriétaire : elles sont aux pauvres ! Mais c’est là un détail qui ne saurait vous intéresser. Je termine mon explication : si je succombe dans la tâche ardue que je me suis imposée, eh bien ! alors, ce monceau de pépites restera à tout jamais enfoui dans les entrailles de la terre, et j’emporterai du moins, en mourant, la consolante pensée que cet or ne donnera lieu à aucun crime. Du reste, ne vous imaginez point, monsieur de Hallay, que j’aie voulu tenter sur vous une expérience ! Non : je savais à l’avance ce qui devait arriver. Si je vous ai fait passer par ce souterrain, c’est que cela abrégeait de près d’une lieue notre route.

— Je ne comprends pas, señor, dit le jeune homme, que, portant une affection si extraordinaire à Antonia, vous la déshéritiez ainsi, dans le cas où il vous arriverait un malheur, de cette fortune vraiment royale ?…

Le Batteur d’Estrade haussa les épaules.

— C’est justement parce que j’aime la comtesse d’Ambron de toutes les forces de mon âme, que je ne lui ai pas légué, et ne lui léguerai jamais mes trésors ! Je veux qu’elle soit heureuse !…

Joaquin Dick, après cette réponse, arrêta brusquement Gabilan, et tendit le cou dans la direction du vent. Le froncement de ses sourcils et un mouvement d’épaules qui exprimait l’irritation et le dépit firent penser à M. de Hallay qu’un changement, sans doute mauvais, venait de se produire dans leur position : il ne se trompait pas.

— Il est inutile que nous continuions notre route, dit Joaquin : Lennox a déjà découvert notre piste, et je ne serais pas même surpris qu’il fût tout près de nous. Si je n’ai pas pris garde à sa présence, c’est que je sais qu’il n’a nullement l’intention de vous tuer d’un coup de carabine… Il vous destine à fournir un attrayant spectacle à ses Peaux-Rouges… le spectacle d’une longue agonie et d’une épouvantable torture. Maintenant il est allé retrouver et chercher ses Indiens. Fuir ! à quoi cela nous avancerait-il ? À rien. Nous ne ferions que reculer de quelques heures une catastrophe inévitable. Ah ! si j’avais pu réussir à échapper seulement pendant un jour, à la vigilance de cet enragé, alors nous aurions été à l’abri de ses poursuites ; car la distance qui nous aurait séparés de ses Peaux-Rouges aurait été telle, qu’ils se seraient refusés à le suivre. À présent, je le répète, que faire ? L’inquiétude que me cause l’état d’Antonia me prive des ressources ordinaires de mon esprit. Je manque aujourd’hui de spontanéité et d’inspiration.

M. de Hallay et Joaquin mirent pied à terre ; ce dernier, tout en parlant, avait dessellé Gabilan. Il resta ensuite silencieux.

— Monsieur de Hallay ! s’écria-t-il tout à coup d’une voix singulièrement accentuée, avez-vous réellement du courage ?

Le jeune homme tressaillit d’indignation et de colère ; il allait se récrier, mais le Batteur d’Estrade ne lui donna pas le temps de prendre la parole :

— Allons, bon, voici votre amour-propre qui s’insurge. Vous vous figurez sans doute que je veux vous insulter ? Je vous assure que ce n’est nullement mon intention ! Vous n’avez pas compris ma question, voilà tout ! Je sais parfaitement bien que vous ne tremblerez ni devant le canon d’une carabine, ni devant la lame d’un couteau ! Je reconnais aussi, si cela peut vous être agréable, que vous remplissez brillamment votre rôle dans un combat ! Mais ces choses-là ne constituent, à mes yeux, que le courage élémentaire !… Le vrai courage, selon moi, est celui qui n’a besoin pour se produire ni de l’excitation de la lutte, ni du stimulant de l’orgueil ! C’est le courage qui est prêt à toute heure et se plie à toutes les circonstances…

— Où voulez-vous en arriver, señor ?

— À vous donner un conseil.

— Lequel ?

— Mon Dieu ! celui de vous brûler la cervelle.

— Me brûler la cervelle, répéta froidement le jeune homme, et pourquoi donc ?

— Parce que votre position est désespérée, et qu’il est cent fois préférable pour vous d’en finir brusquement avec la vie, que de tomber entre les mains de Lennox. À la lâcheté et au crime près que présente un suicide, c’est le moins désagréable de tous les dénoûments. Quant à vous, les circonstances sont telles, qu’elles vous permettent, il me semble, de disposer de votre existence ! Ne croyez pas au moins que je vous conseille cet expédient avec l’arrière pensée et le désir de m’affranchir de la responsabilité que j’ai assumée ! Vous auriez tort. Je n’ai au contraire, en ce moment, que votre seul intérêt en vue.

— Réellement, señor ?

— Parole d’honneur !

Le regard soupçonneux et tenace que M. de Hallay fixa sur le Batteur d’Estrade anima, s’il est permis de s’exprimer de la sorte, le silence qui suivit.

— Eh bien ! demanda Joaquin, vous ne m’avez pas répondu ?

— Je vous remercie infiniment, señor, de votre bonne volonté. Mais là, franchement, vous n’avez pas été heureux dans le choix de votre moyen. Je me serais attendu à mieux de votre riche imagination. Le suicide est la ressource des imbéciles et des faibles. Soyez assuré que je n’y aurai jamais recours.

— Je vois que vous ne m’avez pas bien compris ! Votre mort anticipée ne pourrait pas s’appeler un suicide.

— Ah ! et comment la nommeriez-vous ?

— Une simplification !… ou, si vous le préférez, une évasion !… mais, certes, pas autre chose !… Vous oubliez toujours, marquis, que vous devez fatalement tomber tôt ou tard entre les mains de Lennox !… Or, une fois au pouvoir de mon vieil et vindicatif ami, vous avez le droit de vous considérer comme étant mort… à la cérémonie près du poteau des tortures !… Enfin, du moment que cet expédient n’est pas de votre goût, il ne me reste plus qu’à me taire.

Joaquin Dick se mit à se promener de long en large, et sans plus s’occuper de M. de Hallay que s’il n’était pas là.

Après, un quart d’heure de ce monotone exercice, il s’arrêta devant le jeune homme.

— J’ai trouvé une autre voie, lui dit-il tranquillement.

— Ah ! et laquelle ?

— Dame ! comme je ne sais pas encore si elle est praticable, je vous demanderai la permission de ne vous la communiquer qu’après que je me serai assuré de la possibilité de son exécution. Voulez-vous attendre ici mon retour ou bien m’accompagner ?…

— Où allez-vous ?

— Tenter une expérience, et je puis même ajouter une expérience assez curieuse ! Tenez, venez avec moi, cela vous distraira.

Le ton tranquille et dégagé, de Joaquin Dick le faisait ressembler à un désœuvré de salon causant de choses frivoles et indifférentes.

— Soit, allons ! répondit le jeune homme.

Joaquin Dick se mit à marcher du pas nonchalant d’une personne que rien ne presse ; après une demi-heure, il s’arrêta.

— Nous sommes arrivés ! dit-il.

— Où cela, arrivés ?

Au voladero !

M. de Hallay le regarda avec un certain étonnement.

— Qu’appelez-vous un voladero ?

— Vous ne savez pas ce que signifie le mot : voladero ?

— Non.

— Eh bien ! je vais faire mieux que de vous l’expliquer ; je vais vous montrer la chose elle-même.

Les deux hommes se trouvaient alors sur le large plateau d’une montagne élevée : Joaquin s’avança jusqu’aux dernières limites du terrain, et indiquant du doigt à M. de Hallay le vide d’une profondeur effrayante qui leur coupait le passage :

— Tâchez d’apercevoir la base de la montagne !… De l’hésitation ?… Allons donc, vous ne me soupçonnez pas, du moins j’aime à le croire pour vous, de vouloir vous pousser dans le gouffre ! Ah ! j’oubliais : prenez une pierre, et faites en sorte de remarquer l’endroit où elle tombera lorsque vous la jetterez dans l’abîme !… Mais mettez-vous donc à plat ventre, et n’avancez qu’en rampant !… autrement vous seriez pris de vertige !…

La curiosité de M. de Hallay était excitée au dernier degré ; il s’empressa de se conformer aux recommandations de son guide.

— Eh bien ! demanda Joaquin Dick quand il vit le jeune homme allonger sa tête au-dessus de l’abîme, apercevez-vous la base de la montagne !

— Non.

— Jetez votre pierre… Est-ce fait ?

— Oui…

Joaquin Dick laissa passer une dizaine de secondes, puis élevant de nouveau la voix :

— Avez-vous observé, ainsi que je vous en ai prié, l’endroit où cette pierre a touché terre ?

M. de Hallay se recula en silence, puis se relevant un peu plus loin :

— C’est effrayant, répondit-il, la pierre a disparu dans l’espace comme si elle avait été dévorée par le vide !… Quelle est l’explication de ce phénomène d’optique ?

— Elle est très-simple ! Un voladero est une montagne creusée de telle sorte, que son sommet s’avance au détriment de sa base. Supposez, en un mot, un arc que l’on couperait au milieu, sans qu’il cessât d’être tendu : l’endroit creusé représenterait la base, et l’extrémité où est attachée la corde, le sommet !

— Je comprends parfaitement ; mais pourquoi avez-vous dit tout à l’heure que nous étions arrivés ? Quel rapport y a-t-il entre cette idée qui vous est venue et ce voladero au haut duquel nous nous trouvons !

— Un rapport intime. Je me suis souvenu qu’étant, il y a deux ans, dans ces mêmes parages-ci, je tirai sur un faisan qui, mortellement atteint, tomba dans l’abîme. Quelques heures plus tard, le hasard m’ayant conduit au pied de ce voladero, il me fut impossible de retrouver le gibier. que j’avais abattu. Surpris et humilié de cet insuccès, je m’opiniâtrai dans mes recherches avec une obstination égale à celle que j’aurais mise à découvrir la piste d’un ennemi ; mais ce fut en vain : mes peines furent perdues. La pensée me vint alors que ce faisan avait bien pu être retenu dans sa chute par quelque rocher. J’examinai avec soin le voladero, et il me sembla, en effet, que le ton général et uniforme de la pierre offrait vers le sommet une teinte plus foncée. Je présumai que cette teinte provenait d’une excavation. Commencez-vous, monsieur, à deviner quel est mon projet ?

— Non, señor !

— Regardez ceci et réfléchissez encore.

M. de Hallay suivit de l’œil le doigt de Joaquin Dick, qui lui désignait un arbre solitaire, situé à quelques pieds seulement des confins de la plate-forme.

— Y êtes-vous maintenant, marquis ?

— Pas davantage !…

— Allons, décidément, vous n’étiez pas né pour la vie du désert.

Le Batteur d’Estrade dénoua du pommeau de la selle qu’il venait d’ôter à Gabilan une reata[1], longue d’environ une soixantaine de pieds, et l’attacha solidement au tronc de l’arbre. Cette opération terminée, il s’avança jusque sur le bord de l’abîme, et y jeta le lien de cuir.

— Comprenez-vous, monsieur ? dit-il froidement.

M. de Hallay était fort pâle.

— Allez-vous donc essayer de descendre dans ce gouffre ? demanda-t-il.

— Vous avez la compréhension lente, monsieur, répondit en souriant le Batteur d’Estrade. Oh ! ne soyez pas inquiet sur mon compte, ma reata est de force à supporter un poids dix fois plus lourd que celui de mon corps. Si pourtant j’allais lâcher prise, car on doit tout prévoir, croyez-moi, le meilleur parti que vous auriez à prendre serait de suivre le conseil que je vous ai donné… de vous brûler la cervelle !… Oui, il est convenu que ce moyen manque d’ingéniosité, mais il est sûr et infaillible, et si vous saviez le menu des tortures que vous servira Lennox, vous n’hésiteriez pas !… Du reste, à moins d’un étourdissement peu probable, j’aurai l’honneur de vous revoir tout à l’heure !… À bientôt.

Joaquin Dick se mit à genoux sur le bord du précipice en lui tournant le dos, puis retirant à lui cinq, ou six pieds de la corde de cuir afin de ne pas s’écraser les mains contre le roc, il se laissa tomber à la renverse. M. de Hallay ne put retenir une sourde exclamation d’effroi.

La tension du lien de cuir prouva bientôt à M. de Hallay que le Batteur d’Estrade n’avait pas été entraîné par le poids de son propre corps, poids décuplé par l’élan qu’il avait pris. Après une dizaine de secondes, les mailles tendues du lien se relâchèrent. Joaquin était-il tué ? Non ; car, une demi-minute plus tard, sa tête dépassa le niveau de la plate-forme ; encore une seconde, et il fut sur ses pieds. Son visage, impassible, ne décelait aucune trace d’émotion. On eût dit, à le voir s’essuyer tranquillement les genoux, qu’il venait d’accomplir un simple exercice de gymnastique ordinaire.

— Monsieur de Hallay, dit-il, vous avez eu raison de vous refuser à vous brûler la cervelle ; il vous reste encore une chance de salut.

— Quelle chance ?

— J’avais deviné juste, lors de l’épisode du faisan. Il y a une excavation dans le voladero. Dame ! je n’oserai vous affirmer que cet asile soit précisément un séjour enchanteur ; mais il est fort habitable. Dix pieds de long, sur six de large. C’est un logement convenable. La hauteur du plafond laisse un peu à désirer ; nous serons obligés, pour marcher, de nous tenir courbés ; mais on ne peut pas trouver tous les avantages réunis. L’essentiel, pour nous, et surtout pour vous, c’était de dénicher un refuge inexpugnable. Or je vous assure, et je n’ai pas besoin, j’en suis persuadé, d’insister davantage pour que vous ajoutiez foi à mon assertion ; je vous assure, dis-je, que, connût-on notre retraite, personne, pas même Lennox, ne tentera de venir nous y attaquer.

M. de Hallay resta assez longtemps à réfléchir. Joaquin Dick respecta ses méditations.

— Señor, dit enfin le jeune homme, je ne rougis point de vous avouer que cette descente dans le voladero me cause une répulsion très-grande. Toutefois, mon appréhension n’est nullement insurmontable, et je suis assuré de la vaincre du moment qu’il me sera prouvé que cette chance de salut est la dernière qui me reste !… J’accepte donc conditionnellement votre offre. Maintenant, une objection : en supposant même que nous parvenions à dérouter Lennox dans ses recherches, comment parviendrons-nous à sortir plus tard de ce que vous appelez notre refuge, et de ce que je serais tenté d’appeler, moi, notre tombeau ?… Cette considération mérite, il me semble, toute votre attention !

— Je m’étonne vraiment, monsieur de Hallay, répondit le Batteur d’Estrade, que vous me jugiez assez dépourvu de bon sens et de raison pour vous proposer de vous enterrer vivant ! Appuyez votre oreille par terre… là, contre cette crevasse à peine perceptible, et vous entendrez comme un bruissement sonore qui vous apprendra que le sol que nous foulons en ce moment-ci aux pieds n’est ni plein ni tassé ; l’air circule librement à travers ses pores. Le peu de temps que j’ai passé à examiner notre futur refuge m’a suffi pour y constater la présence d’un filon de pierres calcaires et friables. Rien ne nous sera donc plus facile que de creuser un boyau souterrain qui nous conduira jusqu’à la plate-forme. Oh ! vous avez tort de secouer ainsi la tête d’un air de doute. La composition géologique des voladeros est tout exceptionnelle. Maintenant, comme je ne mets pas en doute que nous n’ayons bientôt des nouvelles de Lennox, venez m’aider, je vous prie, dans les apprêts de notre descente.

_ Joaquin Dick, suivi de M. de Hallay, se dirigea vers de hautes et épaisses broussailles qui couvraient le versant de la montagne opposé au voladero.

— Choisissez et coupez les broussailles et les arbustes les plus desséchés que vous trouverez, dit le Batteur d’Estrade. Il s’agit, en un mot, de réunir le plus de matières combustibles que nous pourrons.

Joignant aussitôt l’exemple à la parole, Joaquin Dick se mit avec ardeur à la besogne. Le jeune homme s’empressa de l’imiter. Il était facile de s’apercevoir que l’influence que le Batteur d’Estrade avait prise sur le marquis grandissait rapidement.

Ce né fut qu’après plus de deux heures d’un travail obstiné et non interrompu, que les deux hommes s’arrêtèrent.

— Maintenant, dit Joaquin, il nous faut transporter nos provisions là où elles auront leur utilité et leur emploi.

Une demi-heure plus tard, une espèce de bûcher circulaire entourait l’arbre qui s’élevait solitaire au bord de l’abîme.

— Voilà qui est fait ! dit Joaquin. Nous pouvons, ou, pour être plus exact, vous pouvez vous reposer, car moi je ne connais pas la fatigue. Ne vous asseyez pas encore… j’oubliais un dernier détail !… Veuillez, je vous prie, tenir votre chapeau en l’air au bout de votre bras… non, pas ainsi… tournez vers moi le côté sur lequel s’appuie ordinairement votre front !… C’est cela !…

M. de Hallay n’avait pas eu le temps de soupçonner l’intention du Batteur d’Estrade, que ce dernier, levant rapidement sa carabine, avait fait feu, sans même l’épauler, sur le but que lui présentait le marquis. La balle traversa le chapeau à une hauteur d’environ deux pouces au-dessus de ses bords.

— Cette ruse est vieille et grossière, dit-il tranquillement, mais elle réussit souvent. Du reste, j’ai remarqué que les choses les plus simples sont en général les meilleures.

M. de Hallay regardait Joaquin avec une véritable stupéfaction.

— Vous désirez encore une explication, monsieur, n’est-ce pas ? dit le Batteur d’Estrade. Vous ne devinez donc rien aujourd’hui ? Votre chapeau pourra induire Lennox en erreur. Ce cher ami, qui connaît le calibre de ma carabine et qui n’ignore pas la haine que je vous porte, se persuadera peut-être que je vous ai tué. À présent, je n’ai plus besoin de vous ; vous pouvez, monsieur, vous asseoir !

Joaquin Dick se mit alors à siffler d’une façon toute particulière, Gabilan ne tarda pas à accourir à ce signal.

— Cher ami, dit Joaquin en l’embrassant sur les naseaux, il faut nous séparer. Te donner un rendez-vous m’est impossible. J’ignore quand je serai de retour. Écoute-moi bien, Gabilan. Tu vas te mettre tout de suite en route pour le rancho de la Ventana ; là, tu trouveras des soins empressés, une bonne table et un gîte agréable. À revoir, mon bon ami ! allons, va-t’en.

Que la noble et intelligente bête eût compris textuellement les paroles de son maître, ce n’était guère probable ; mais ce qu’il n’était pas possible de mettre en doute, c’est que le sens exact et général de ce que venait de lui dire Joaquin ne lui avait pas échappé.

Gabilan fit entendre un hennissement plaintif et parut hésiter ; mais, prenant tout à coup bravement son parti, il s’éloigna à fond de train et sans retourner une seule fois la tête. Joaquin Dick soupira tristement : cette obéissance par trop empressée le peinait ; Gabilan était son seul ami.

N’ayant plus qu’à attendre passivement l’événement qu’il avait prédit et qu’il jugeait inévitable, c’est-à-dire le retour de Lennox, accompagné de ses Peaux-Rouges, le Batteur d’Estrade s’enveloppa dans son zarape et s’assit derrière le bûcher, de façon à ne pas apercevoir M. de Hallay. Trois heures se passèrent sans que ces deux hommes, absorbés chacun de son côté dans de tristes et profondes réflexions, échangeassent une seule parole.

Ce fut Joaquin Dick qui, le premier, mit un terme à ce silence.

— Monsieur de Hallay, dit-il, je vous annonce l’approche de l’ennemi !…

Le jeune homme se leva vivement.

— Venez par ici, poursuivit le Batteur d’Estrade… Là, c’est cela… N’avez-vous, dans votre costume, aucune couleur éclatante ? Non. Bien ! Appuyez-vous contre le bûcher de façon à ce que votre corps se confonde, dans le lointain, avec cette masse de bois. Lennox a un regard plus perçant que celui de l’aigle ! À présent, attendez… Dans dix minutes au plus, grâce à la position élevée que nous occupons, nous apercevrons l’ennemi.

Les dix minutes n’étaient pas encore écoulées, que M. de Hallay distingua confusément dans le lointain une masse noire qui semblait rouler avec la rapidité d’une avalanche. C’était, une troupe de trente Peaux-Rouges montés sur d’admirables chevaux sauvages. Lennox, à pied, courait en avant.

— Le moment d’agir est arrivé, dit Joaquin, vous êtes-vous arrêté à un parti.

— Oui, señor !

— Lequel ?

Le jeune homme indiqua du geste le voladero.

— Ma foi ! c’est tout ce que vous avez de mieux à faire. Vous avez vos pistolets sur vous, n’est-ce pas ?… Alors tout est au mieux… Cela ne nuit jamais, comme le prétend le proverbe, d’avoir deux cordes à son arc… À présent, voulez-vous que je passe le premier ? Je crois que cela vaudrait mieux. Une fois arrivé dans notre refuge, je pourrai vous aider. Ah ! un conseil. Comme l’anfractuosité où nous nous retirons n’est pas perpendiculaire avec le sommet du voladero, il vous faudra imprimer un mouvement de pendule à la reata. Je vous préviens que cette oscillation n’a rien d’agréable et offre un certain danger. Je serais, certes, ravi de vous voir vous casser la tête, mais je serais au désespoir de contribuer, même d’une façon indirecte, à cet accident. Allons, venez !

Ce fut non pas avec hésitation, mais bien avec lenteur, que le jeune homme se conforma à cet appel ; on voyait que, fermement décidé à courir cette chance terrible, il réunissait ses forces pour ne pas faiblir au moment suprême. Joaquin Dick se dirigea alors vers le bûcher qu’il avait dressé autour de l’arbre, et, allumant une mèche soufrée, la plaça au milieu des ronces et des lianes. Presque au même moment, une flamme vive et claire s’éleva dans les airs.

— Que faites-vous ? s’écria M. de Hallay, incertain s’il devait ou non s’opposer à cette action.

— J’imite Fernand Cortez, tout en le perfectionnant ! j’assure notre retraite, et je brûle nos vaisseaux. Dépêchons-nous, avant que la reata ne soit attaquée, nous avons le temps de gagner notre asile.

Le Batteur d’Estrade passa autour de son cou les deux extrémités de son zarape, dans lequel il avait déjà placé la selle de Gabilan ; puis, prenant la reata, il se laissa couler dans l’abîme. Un nouveau succès couronna cette seconde tentative.

M. de Hallay, resté sur la plate-forme, jeta autour de lui un regard inquiet, presque honteux, puis, ne voyant que l’immensité solitaire du désert, il tomba à genoux et adressa à Dieu une courte et fervente prière.

Une voix qui semblait sortir des entrailles de la terre le fit se relever avec une précipitation extrême : c’était le Batteur d’Estrade qui l’appelait,

M. de Hallay saisit à son tour le lien de cuir, et, imitant la manœuvre qu’il avait vu faire à Joaquin, il se jeta à reculons dans le voladero. Le jeune homme avait mal calculé son mouvement : dans la crainte d’être repoussé avec violence contre la paroi du rocher, il n’avait pas pris assez d’élan ; au lieu donc d’atteindre, grâce au balancement de pendule, l’anfractuosité de la montagne, il resta suspendu et flottant perpendiculairement dans l’espace : la base du voladero était à plus de trois cents pieds au-dessous de lui ; il ferma les yeux.

Joaquin Dick le considéra pendant quelques secondes avec une expression tellement complexe et extraordinaire, que l’observateur le plus sagace n’aurait pu parvenir à l’interpréter ! C’était, s’il est permis de parler de la sorte, comme un hiéroglyphe du cœur !

Du reste l’indécision du Batteur d’Estrade ne dépassa pas la durée d’un éclair :

— Courage, dit-il d’une voix mâle et vibrante qui redonna une souple vigueur aux musclés contractés du misérable ; courage ! Tâchez de mettre en branle la reata, et saisissez le canon de ma carabine.

Alors, avec une générosité sublime ou insensée, Joaquin Dick s’avança jusqu’à la dernière ligne de la roche friable qui s’éboulait sous son poids, et, se penchant sur le vide, il tendit sa carabine à M. de Hallay.

La voix de Joaquin avait fait rouvrir les yeux au jeune homme ; la vue du secours qui lui arrivait lui rendit toute sa présence d’esprit, tout son sang-froid ; il fit un effort surhumain et parvint à s’accrocher au canon du rifle. Toutefois, le mouvement du pendule, arrivé à son terme, attira son corps en arrière.

Joaquin Dick s’arc-bouta sur ses jambes et, voûtant son dos, fit un héroïque et suprême effort. Pendant une seconde, la mort tint ces deux hommes. Le Batteur d’Estrade ne lâcha pas sa carabine, et la mort céda. M. de Hallay était sauvé. La première action du jeune homme, lorsqu’il se vit en sûreté, fut de vouloir se jeter au cou de son sauveur ; mais un geste froidement impérieux du Batteur d’Estrade l’arrêta :

— Je vous ai secouru parce que le devoir me l’ordonnait, monsieur de Hallay, lui dit-il, mais je ne vous cacherai pas que ça aurait été une vive satisfaction pour moi si vous vous étiez brisé le crâne !…

Le jeune homme baissa la tête et ne répondit pas ; pour la première fois de sa vie il reconnaissait et s’avouait tacitement la supériorité complète et en tout d’un autre homme sur lui.

— Appuyez-vous donc contre la muraille, reprit Joaquin, le vertige pourrait se saisir de vous si vous restiez où vous êtes. Vous êtes bien pâle, monsieur, reprit peu après le Batteur d’Estrade, avez-vous donc eu peur ?

— Oui, señor, répondit M. de Hallay, avec une simplicité digne, et qui ne manquait pas d’une certaine grandeur.

— S’il m’était permis d’oublier votre conduite à l’égard d’Antonia, je vous tendrais volontiers la main, monsieur, lui dit Joaquin ; car je croîs, et cette opinion est en moi toute récente, que vous n’êtes pas complètement perdu pour le bien. Il y a quelque chose en vous…

Le jeune homme allait répondre ; mais le Batteur d’Estrade lui fit signe de se taire ; puis, approchant sa bouche de son oreille :

— Lennox arrive, lui dit-il à voix basse ! Ah ! très-bien, voici l’arbre qui s’écroule avec la reata !… Le feu aura, en consumant l’herbe, effacé et détruit nos traces ! Je suis assez curieux de savoir comment mon vieil ami démêlera tout ce mystère ! Mais, ne chantons pas encore victoire ! Lennox possède le génie de la vengeance.

Un quart d’heure plus tard, les deux fugitifs entendaient résonner au-dessus de leur tête le bruit dés pas de Lennox et des Indiens.

Les recherches des Peaux-Rouges furent longues et minutieuses, mais elles n’aboutirent à rien : de temps à autre leurs exclamations d’étonnement et de dépit attestaient l’inutilité de leurs démarches.

Enfin, M. de Hallay et Joaquin les entendirent s’éloigner.

Le jeune homme adressa alors au Batteur d’Estrade un joyeux signe d’intelligence ; celui-ci hocha lentement la tête, et approchant de nouveau ses lèvres, de l’oreille de son compagnon :

— Ne vous réjouissez pas encore ; murmura-t-il, Lennox est resté, et, croyez-moi, il ne s’en ira pas de sitôt.

Peu à peu la nuit arriva. : M. de Hallay se blottit contre la partie du rocher la plus éloignée du précipice ; il craignait l’agitation de son sommeil ; il avait tort, car jusqu’au lendemain matin il ne lui fut pas possible de fermer les yeux.

Quant à Joaquin Dick, enveloppé dans son zarape, il ressemblait à une statue égyptienne. Son immobilité de pierre cachait l’agitation de son cœur ; les lointains souvenirs de sa jeunesse, unis aux événements récents qui s’étaient produits depuis un mois dans son existence, lui firent passer la nuit entière entre sa Carmen et son Antonia. Aussi, lorsque l’aube éclaira l’horizon, fut-il surpris de l’apparition du jour. Il avait perdu la conscience du temps.

Son premier soin fut d’appuyer son oreille contre la voûte de l’excavation. Un sourire plein de bonhomie anima doucement son visage ; il venait de distinguer la respiration de Lennox étendu sur le sol, et il applaudissait en connaisseur à la ténacité intelligente de son vieil ami.

  1. Le lazzo, quand il est de cuir, prend le nom de reata.