Le Caucase (Dumas)/10

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Charlieu (p. 45-48).

CHAPITRE X.

Le secret.

Au nombre des trois Kabardiens que nous ramenions entre nous était non-seulement un danseur remarquable, Bajeniock, mais un musicien distingué, Ignacieff.

Ignacieff, gros, court, bâti en Hercule dans sa taille trapue, avec son papack large comme ses épaules, et dont les frisons lui descendaient jusqu’au nez, sa barbe rousse dont les poils lui descendaient jusqu’à la ceinture, était un des types les plus grotesques et en même temps les plus terribles que j’aie jamais vus.

Il jouait de ses bras courts et robustes du violon, avec cette singularité qu’il tenait le violon de la main droite et l’archet de la main gauche.

Il mettait la même énergie à appuyer son archet sur les cordes de son violon, qu’il eût mis à faire grincer une scie sur un morceau de bois de fer.

Notre hôtesse pouvait désormais danser, non-seulement avec les jambes, mais avec les bras.

Nous avions cru d’abord qu’elle serait un peu effrayée à la vue des trois visages que nous lui ramenions ; mais sans doute elle les connaissait, car elle les accueillit avec un charmant sourire, donna une poignée de main à Bajeniock, et échangea quelques mots avec Ignacieff et Mikaëlouk.

Ignacieff tira son violon de dessous sa tcherkesse et se mit à jouer la lesguinka.

Sans se faire prier autrement, Leila se mit à danser à l’instant même, et Bajeniock lui fit vis-à-vis.

J’ai déjà parlé de la tristesse profonde de la danse russe : elle ressemble à ces danses des funérailles que les Grecs menaient aux tombeaux des morts. Les danses de l’Orient ne sont guère plus gaies, à moins que, comme celles des almées et des bayadères, elles ne tombent dans les danses expressives.

Et encore sont-elles libertines, cyniques même, mais jamais gaies.

Ce ne sont point des danses, mais une marche lente en avant et en arrière, où les pieds ne quittent jamais le sol, où les bras, beaucoup plus occupés que les jambes, font le mouvement d’attirer ou de repousser, où la mélodie est toujours la même et se prolonge à l’infini, bien sûr qu’est le musicien que danseurs et danseuses peuvent exécuter ces sortes de mouvements tout une nuit sans être le moins du monde fatigués le matin.

Le bal dura jusqu’à minuit, la même danseuse suffisant à Bajeniock, à Mikaëlouk et à Kalino, qui de temps en temps, n’y pouvant tenir, changeait la danse lesguienne ou kabardienne en danse russe.

Quant à Ignacieff, qui eût dû être le plus fatigué de tous, attendu que c’était lui qui se donnait le plus de mouvement, il semblait être infatigable.

À minuit, on entendit une certaine rumeur dans la cour, puis dans le corridor : c’étaient les compagnons de nos chasseurs qui les venaient chercher. Ils étaient en costume de campagne, c’est-à-dire qu’au lieu de leurs tcherkesses d’apparat avec lesquelles ils nous avaient reçus, ils étaient vêtus de tcherkesses en lambeaux.

Celles-là, c’était leur costume de guerre : c’étaient celles que les expéditions nocturnes avaient effilées aux ronces et aux épines ; pas une qui n’eût sa trace de balle ou de poignard, pas une qui n’eût ses taches de sang.

Si elles avaient pu parler, elles eussent raconté les luttes mortelles, les combats corps à corps, les cris des blessés, les dernières imprécations des mourants.

Au drapeau l’histoire belliqueuse du jour, à elle les légendes sanglantes de la nuit.

Chaque homme avait sa carabine à deux coups sur l’épaule et son long kangier à la ceinture ; pas une de ces carabines dont les balles n’eussent donné la mort, pas un de ces kangiars dont le fil n’ait séparé, non pas une tête, mais dix têtes des épaules.

Pas d’armes intermédiaires.

Les compagnons de Bajeniock, de Mikaëlouk et d’Ignacieff leur avaient apporté leurs tcherkesses de campagne et leurs carabines.

Quant à leurs kangiars, ils ne les quittent jamais, quant à leurs cartouches, elles sont toujours bourrées de poudre et de balles.

Nos deux danseurs et le musicien revêtirent leurs habits de guerre ; pendant ce temps, Moynet, Kalino et moi nous nous armions de notre côté.

Nous fûmes prêts en même temps qu’eux.

— Yedem, dis-je en russe.

Cela voulait dire : Partons.

Les chasseurs nous regardèrent avec étonnement.

— Expliquez-leur, dis-je à Kalino, que nous partons avec eux, et que nous voulons être de l’expédition.

Kalino leur traduisit mes paroles et le signe affirmatif que Moynet fit de la tête.

Bajeniock, qui était le sergent-major, et qui avait d’habitude le commandement de l’expédition, devint sérieux.

— Est-ce bien vrai, demanda-t-il à Kalino, ce que dit le général français et son aide de camp ?

Rien ne leur eût pu ôter l’idée que j’étais un général français et que Moynet ne fût mon aide de camp.

— C’est parfaitement vrai, répondit Kalino.

— Alors, continua Bajeniock, il faut que les deux Français sachent quelles sont nos habitudes, libre à eux, du reste, de ne pas s’y conformer, puisqu’ils ne sont pas de la compagnie.

— Les habitudes ? demandai-je, voyons cela.

— Jamais deux chasseurs n’attaquent un Tchetchen ; un homme vaut un homme, on se bat donc homme contre homme.

Si on appelle au secours, alors seulement deux hommes peuvent se mettre contre un, mais on n’appelle jamais au secours.

Si un chasseur est attaqué par deux, trois, quatre montagnards, autant de chasseurs viennent à son secours qu’il y a de montagnards, pas un de plus, pas un de moins.

Si l’on peut tuer de loin, tant mieux ; on a une carabine, c’est pour s’en servir.

Maintenant, comment les Français comptent-ils faire ?

Kalino nous transit la demande.

— Comme vous faites vous-même, pas autrement.

— Vous embusquerez-vous tous les trois ensemble, ou vous placerez-vous comme nous et avec nous ?

— Je désirerais, répondis-je, et je crois que c’est le désir de mes compagnons, que chacun de vous pût être près d’un de nous.

— Soit, je me charge du général, Ignacieff se chargera de l’aide de camp ; vous, qui êtes Russe, vous ferez comme vous l’entendrez.

Kalino voulait absolument être où il y avait le plus de danger, combattre un Tcherkesse et le tuer en amateur, c’était pour lui la croix de Saint-Georges.

C’est-à-dire la plus belle des croix russes.

Minuit sonna, nous étions prêts, on partit. D’abord la nuit semblait sombre à ne pas voir à quatre pas devant soi, mais au bout de cent pas, nos yeux étaient déjà familiarisés avec l’obscurité ; pas un homme, pas une femme n’était dehors ; des chiens seulement se levaient de temps en temps sur les seuils des portes ou traversaient la rue, mais sans doute leur instinct leur disait qu’ils avaient affaire à des amis, pas un n’aboya.

Nous sortîmes de la ville, et nous nous trouvâmes sur la rive droite de la rivière Yaraksou ; arrivés là, le bruit des cailloux qu’elle roulait avec son eau absorba le bruit de nos pas.

Nous voyions devant nous la montagne comme une masse noire.

La nuit était superbe, le ciel tout brodé de diamants ; jamais le beau vers de Corneille, cette obscure clarté qui tombe des étoiles, n’avait eu sa plus exacte application.

Nous avions fait un quart de lieue à peu près, quand Bajeniock fit signe d’arrêter.

Il est impossible d’être obéi avec plus de précision qu’il ne le fut.

Il se coucha, mit l’oreille contre terre et écouta.

Puis se relevant :

— Ce sont des Tatars de la plaine, dit-il.

— Comment peut-il savoir cela ? demandai-je à Kalino, qui me traduisit sa phrase.

Kalino reproduisit mon interrogation.

— Leurs chevaux marchent l’amble, dit Bajeniock ; au milieu de leurs rochers, les chevaux des montagnes sont bien forcés de marcher le pas ordinaire.

En effet, cinq ou six minutes après, nous vîmes passer dans l’obscurité une petite troupe de cavaliers composée de sept ou huit personnes.

Elle ne nous vit pas, Bajeniock nous ayant recommandé de nous cacher derrière la saillie formée par la rive droite de l’Yaraksou.

Je demandai le motif de cet excès de précaution.

Souvent les montagnards ont des espions parmi les gens de la plaine, un des hommes que nous venions de voir passer pouvait être un espion, se séparer de sa petite troupe et donner avis aux Tatars.

Nous attendîmes donc qu’ils fussent tout à fait hors de vue pour nous remettre en route.

Au bout d’une demi-heure de marche, nous vîmes un bâtiment qui blanchissait à notre gauche.

C’était la forteresse russe de Enezapnaïa, c’est-à-dire le point le plus avancé de toute la ligne.

La pente des montagnes vient mourir au pied de ses murailles, et nous entendions sur ces murailles la voix de la sentinelle qui criait : Sluchaï, écoute !

Nous aussi nous écoutâmes, mais cette voix reproduite par une sentinelle, puis par une seconde, puis par une troisième, pour s’éteindre tout à fait, n’eut pas un quatrième écho, et s’évanouit dans l’air, comme le cri d’un esprit de la nuit.

Nous continuâmes de marcher dix minutes encore à peu près, puis presque à pied sec nous traversâmes l’Yaraksou, suivant à travers des buissons épineux la pente de la montagne jusqu’à ce que nous trouvâmes une seconde rivière aussi desséchée que la première ; nous la traversâmes comme elle et nous nous engageâmes dans une espèce de chemin frayé par les pâtres, lequel nous conduisit cette fois près d’une troisième rivière plus large et évidemment plus profonde que les deux autres.

C’était l’Axaï, un des affluents du Téreck.

L’autre, que nous venions de traverser presque à sa source, était l’Yamansou.

Avant que je me fusse rendu compte à moi-même de la façon dont nous allions traverser la rivière, Bajeniock m’avait fait signe de monter sur ses épaules.

La même invitation était faite à mes deux compagnons par Ignacieff et Mikaëlouk.

Nous nous fîmes prier juste ce qu’il fallait pour ne pas être indiscrets, et nous enfourchâmes nos montures.

Les chasseurs avaient de l’eau jusqu’au-dessus du genou.

Nos porteurs nous déposèrent sur l’autre rive.

Puis, en silence, Bajeniock reprit sa route en descendant le cours de la rivière cette fois et en suivant la rive gauche de l’Axaï.

Je ne devinais pas grand’chose à la manœuvre, mais je me taisais, comprenant la nécessité du silence et me réservant d’en demander l’explication plus tard.

À mesure que nous descendions, l’Axaï devenait plus large et devait devenir plus profond.

Un de nos hommes échangea un signe avec Bajeniock et s’arrêta.

Cent pas plus loin, un second s’arrêta à son tour.

Cent pas plus loin, un troisième.

Je compris que l’on se plaçait à l’affût.

Pendant tout son cours dans la montagne, la rivière était guéable. Or, en revenant de leurs expéditions nocturnes, les Tchetchens ne s’amusaient pas à la remonter ; ils se jetaient avec leurs chevaux où ils se trouvaient, voilà pourquoi de cent pas en cent pas les chasseurs se plaçaient le long de la rivière.

Tous s’arrêtèrent les uns après les autres. Bajeniock, qui marchait en tête, s’arrêta naturellement le dernier.

Moi avec lui.

Il se coucha à terre, me fit signe d’en faire autant. Comme il ne parlait pas français, que je ne parlais pas russe, nous ne pouvions nous entendre que par signes.

Je fis comme il faisait, m’abritant ainsi que lui sous un buisson.

On entendait, pareils à des lamentations d’enfants, les cris des chacals qui rôdaient dans la montagne.

Ces cris et le bruit de l’eau de l’Axaï étaient les seuls qui troublassent le silence de la nuit. On était trop loin de Kasafiourte pour entendre la vibration de l’horloge, et d’Enezapnaïa pour entendre la voix des factionnaires.

Tous les bruits qui venaient à nous à ce point de la montagne où nous étions étaient des bruits ennemis, qu’ils vinssent des hommes ou des animaux.

Je ne sais ce qui se passait dans l’esprit de mes compagnons, mais ce qui me frappait, c’était le peu de temps qu’il faut pour amener dans la vie les plus étranges contrastes.

Il y avait deux heures à peine, nous étions au milieu de la ville dans une chambre bien chaude, bien éclairée, bien amie ; Leila dansait en coquetant de son mieux avec ses yeux et avec ses bras ; Ignacieff lui jouait du violon ; Bajeniock et Mikaëlouk lui faisaient vis-à-vis, nous battions des mains et des pieds, nous n’avions pas une pensée qui ne fût gaie et joyeuse.

Deux heures s’étaient écoulées, nous étions dans une nuit froide et sombre, au bord d’une rivière inconnue, sur une terre hostile, couchés la carabine à la main, le poignard au côté, non pas comme cela m’était arrivé vingt fois à l’affût d’une bête sauvage, mais en embuscade, attendant pour tuer ou être tués des hommes comme nous, faits à l’image de Dieu comme nous, et nous nous étions jetés en riant dans cette entreprise, comme si ce n’était rien de perdre son sang ou de verser celui des autres.

Il est vrai que ces hommes que nous attendions étaient des bandits, des hommes de pillage et de meurtre, laissant derrière eux la désolation et les pleurs. Mais ces hommes étaient nés à quinze cents lieues de nous, avec des mœurs autres que nos mœurs ; ce qu’ils faisaient, leurs pères l’avaient fait avant eux, leurs ancêtres avant leurs pères, leurs aïeux avant leurs ancêtres.

Pouvais-je véritablement demander à Dieu de me secourir si je courais un danger que j’étais venu si inutilement, si imprudemment chercher ?

Ce qu’il y avait d’incontestable, c’est que j’étais sous un buisson au bord de l’Axaï, que j’y attendais les Tchetchens, et qu’en cas d’attaque ma vie dépendait de la justesse de mon coup d’œil ou de la force de mon bras.

Deux heures s’écoulèrent ainsi.

Soit que la nuit s’éclaircît, soit que mon œil s’habituât aux ténèbres à force de sonder l’obscurité, j’en étais arrivé à voir parfaitement de l’autre côté du fleuve.

Je ne perdais pas de vue la rive opposée, quand il me sembla entendre à ma droite un faible bruit.

Je jetai les yeux sur mon compagnon ; soit qu’il n’entendît pas, soit que ce bruit lui parût sans importance, il n’y semblait pas faire attention.

Le bruit devenait de plus en plus perceptible ; il me semblait entendre le pas de plusieurs personnes.

Je me rapprochai insensiblement de Bajeniock, lui mis la main gauche sur le bras, et étendis la main droite du côté où cette fois j’entendais bien distinctement le bruit.

— Nicevo, me dit-il.

Je savais assez de russe pour traduire nicevo.

— Ce n’est rien, — m’avait répondu Bajeniock.

Je n’en restai pas moins l’œil fixé du côté d’où venait le bruit.

Alors je vis à vingt pas de moi s’avancer un grand cerf à la magnifique empaumure ; il était suivi de sa biche et de deux faons.

Il s’approcha sans défiance du cours d’eau et se mit à boire.

Ce n’était rien, avait dit Bajeniock ; en effet, ce n’était pas le gibier que nous attendions.

Je ne pus m’empêcher de le mettre en joue. Oh ! si j’avais pu lâcher le coup, il était bien à moi.

Tout à coup il releva la tête, tendit les naseaux vers la rive opposée, respira l’air, jeta une espèce de cri d’alarme, et se rejeta dans la montagne.

Je connaissais trop les habitudes des animaux sauvages pour ne pas comprendre que toute cette pantomime de mon cerf indiquait que de l’autre côté de la rivière il se passait quelque chose d’insolite.

Je me retournai vers Bajeniock.

— Smirno, me dit-il.

Je n’avais pas compris la parole, mais je compris le geste ; il me disait de ne pas bouger et de m’effacer le plus que je pourrais contre terre.

Je lui obéis.

Lui se glissa comme un serpent le long de la rive du fleuve, continuant de le descendre, et par conséquent s’éloignant de moi.

Tant que je pus, je le suivis des yeux.

Quand je l’eus perdu de vue, mon regard se reporta naturellement de l’autre côté de l’Axaï.

Alors, en même temps qu’il me semblait entendre le galop d’un cheval, je distinguai dans l’obscurité un groupe plus confus que ne l’eût été celui d’un simple cavalier.

Le groupe s’approchait sans devenir plus explicable. Ce que je compris aux battements de mon cœur, plus encore que par le témoignage de mes yeux, c’est qu’un ennemi était devant nous.

Je regardai du côté d’Ignacieff, personne ne bougeait ; on eût dit que la rive du fleuve était déserte.

Je regardai du côté de Bajeniock, il avait disparu depuis longtemps.

Je reportai ma vue de l’autre côté de la rivière, et attendis, immobile.

Le cavalier était arrivé au bord de l’Axaï, il se présentait à moi diagonalement, et je pouvais voir qu’il traînait une personne à pied à la queue de son cheval.

C’était un prisonnier ou une prisonnière.

Au moment où il poussa son cheval dans l’eau, et où celui ou celle qu’il traînait après lui fut obligé de l’y suivre, on entendit un cri lamentable.

C’était un cri de femme.

Tout le groupe était déjà dans le fleuve, à deux cents pas au-dessous de moi.

Que faire ?

Au moment où je m’adressais cette interrogation, la rive du fleuve s’éclaira tout à coup, un coup de feu se fit entendre, le cheval battit l’eau convulsivement de ses pieds, et tout le groupe disparut dans la tempête soulevée au milieu du fleuve. Un second cri, cri de détresse comme le premier, poussé par la même voix, retentit.

Cette fois je courus du côté où s’accomplissait le drame. Au milieu de cette espèce de tourbillon qui continuait d’agiter le fleuve une flamme brilla, un coup de feu jaillit.

Puis un troisième coup de feu partit du bord, puis j’entendis le bruit de quelqu’un qui s’élançait à l’eau. Je vis comme une ombre se dirigeant vers le milieu de la rivière. J’entendis des cris, des imprécations, puis tout à coup bruit et mouvement, tout cessa. Je regardai autour de moi, nos compagnons les plus rapprochés m’avaient rejoint et attendaient, immobiles comme moi.

Alors nous vîmes venir à nous quelque chose d’impossible à reconnaître dans l’obscurité, mais qui, cependant, de seconde en seconde se dessina plus clairement.

Lorsque le groupe ne fut plus qu’à dix pas de nous nous distinguâmes et nous comprîmes.

L’agent moteur était Bajeniock ; il tenait son kangiar entre ses dents, portait sur son épaule droite une femme évanouie, mais qui n’avait pas lâché son enfant, qu’elle tenait entre ses bras, et de sa main gauche, par la seule tresse de cheveux qu’elle eût au milieu du crâne, une tête de Tchetchen trempant à moitié dans l’eau.

Il jeta la tête sur la berge, y déposa la femme et l’enfant, et dit en russe d’une voix où il était impossible de distinguer la moindre émotion :

— Maintenant, mes amis, lequel de vous a une goutte de vodka ?

Au reste, ne croyez pas que ce fût pour lui qu’il la demandât.

C’était pour la femme et l’enfant.

Deux heures après nous rentrions à Kasafiourte, ramenant en triomphe l’enfant et la mère, parfaitement revenus à la vie.

Mais j’en suis encore à me demander si l’on a le droit de se mettre à l’affût d’un homme comme on se met à l’affût d’un cerf ou d’un sanglier.