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Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 1/03/02

La bibliothèque libre.
E. Arrault et cie (1p. 122-158).


§ 2. — RECRUTEMENT


I. — Généralités.


« Le correcteur a des origines diverses ; mais on peut affirmer, sans crainte d’être démenti, qu’il n’y a peut-être pas un seul correcteur dans les cent imprimeries de Paris qui ait fait de cet emploi le but prémédité de ses études ou de ses travaux antérieurs. C’est par accident qu’il devient correcteur.

« Souvent c’est un compositeur intelligent qu’une cause quelconque éloigne de sa casse et qui se consacre à la lecture des épreuves. Ce correcteur est d’ordinaire plus typographe que lettré : les études indispensables lui font défaut ; il n’a pas fait ses humanités, comme disaient nos pères. C’est à la correction des premières et à la revision des tierces qu’il excelle…

« Ou bien c’est un jeune homme sans fortune, élevé au collège ou au séminaire. Ses études achevées, il s’est trouvé en présence d’un problème terrible : vivre. Il a été d’abord maître d’étude ou régent dans un collège de l’Université ; quelquefois, s’il sort du séminaire, il s’est engagé imprudemment dans les ordres et a plus tard quitté la soutane. Ces deux déclassés se sont longtemps débattus avant de trouver un asile. La typographie leur a ouvert ses bras accueillants. Ils s’y sont jetés, et, pour la plupart, ils y restent, s’efforçant d’acquérir ce qui leur manque au point de vue du métier et apportant l’appoint de leurs études antérieures à leurs connaissances qui s’accroissent chaque jour.

« Il y a encore le correcteur que l’on peut appeler amateur. C’est un étudiant peu fortuné, un homme de lettres sans éditeur qui cherche passagèrement quelques ressources dans la lecture des épreuves. Il serait étonnant qu’il fût habile.

« Le correcteur femme existe aussi ; mais cette espèce, du reste très rare, n’apparaît jamais dans l’atelier typographique ; on ne l’entrevoit qu’au bureau du patron ou du prote. Nous n’en parlerons pas… par galanterie[1]. »

Boutmy dont le livre fut écrit, croyons-nous, vers l’année 1883, assista aux derniers moments d’une époque qui ne devait pas tarder à disparaître. Il connut le typographe « compagnon du tour de France », qui chaque semestre, aux moments de calance, quittait Paris pour le Nord, le Midi ou le Centre ; il vécut côte à côte avec cette bohème littéraire, administrative et judiciaire, dont les révolutions successives de 1848, 1852 et 1870 emplirent les bureaux de correction des imprimeries parisiennes ; il assista aux premières tentatives de groupement de la classe typographique ouvrière. À ce titre les renseignements qu’il a parcimonieusement mesurés ont une importance toute particulière.

Mais non moins savoureux, pensons-nous, seront jugés par le lecteur ces curieux souvenirs qu’une bonne fortune inespérée nous a permis d’obtenir de l’un de ces « demi-vieux » qui, quelques années après la publication du livre de Boutmy, fut correcteur en l’une des typographies les plus importantes de la Capitale[2] :

« Il y a quelque trente-cinq années, dans plusieurs grandes Maisons de Paris, travaillaient des virgulards surgis des quatre coins de l’horizon et dont, pour quelques-uns, le passé n’était point vulgaire.

« À la suite de quelles circonstances étaient-ils venus échouer dans ce refuge des espérances irréalisées qu’était alors pour un grand nombre la correction ?

« Dans l’un des plus confortables palaces correctionnels qui existaient à cette époque on pouvait voir, assemblés côte à côte, en deux rangées de pupitres scolaires, des évadés de la Médecine, de la Magistrature, de l’Administration (avec un A), des Chemins de Fer, de la Politique et de l’Église. Une vraie réunion d’intellectuels, pétillants d’esprit et de malice, à l’occasion ; et cette occasion, fort reposante, on la faisait naître toutes les fois qu’on le pouvait.

« L’Église était représentée par un ex-séminariste auquel la perspective du célibat avait dû paraître trop sévère. Comme beaucoup de ses confrères avaient fait avant lui, ainsi que nombre d’autres ont agi depuis, il avait obliqué vers la correction. On l’avait surnommé Le Bœuf, si grande, si persévérante était son ardeur au travail ; les dix heures de la journée étaient par lui consciencieusement remplies ; … inconsciemment il faisait du taylorisme. Aussi, les plus dures besognes, celles qui avaient rebuté plusieurs de ses devanciers, lui étaient réservées. Entre autres labeurs ingrats, on lui avait confié la correction d’une revue hebdomadaire, grave, austère, dont pour un rien le rédacteur en chef, homme considérable, cassait aux gages le meilleur des collaborateurs : la moindre peccadille était jugée cas pendable par cet omnipotent, qui imposait le remplacement du correcteur fautif.

« Le dauphin, Le Bœuf veux-je dire, accepta l’épreuve avec respect et s’en acquitta avec une scrupuleuse minutie. Chaque semaine, il « montait en loge » ; alors le monde extérieur cessait d’exister pour lui : il perdait une partie du boire et du manger, il ne songeait plus au sommeil, et pendant trois jours on le désignait du nom de la revue que si bien il accommodait : ainsi avait-il l’illusion de participer à la renommée de son maître sévère. — Impassible sous les lazzi, dédaigneux des moqueries, patiemment, persévéramment, comme ceux de son pays montagneux, Le Bœuf poursuivait son dur labour. Durant plusieurs mois il tint ferme ; ce fut un record et il acquit… une sérieuse considération. Mais à ce métier l’infortuné abîma sa vue et contracta des céphalalgies « quasi-permanentes », disait-il. De loin en loin, pour reprendre haleine, il lui arrivait de s’arrêter après la lecture de quelques pages plus ardues que les autres ; il soupirait alors en une plainte douloureuse : « Ma tête, ma pauvre tête ! »

« À cet appel de détresse, le représentant de la Médecine, le confrère Lerio, ex-major de la Marine, levait sa hure hirsute et commençait un cours de quelques minutes sur les maladies mentales consécutives aux céphalalgies trop fréquentes ; une consultation amicale terminait le discours.

« Durant cette conversation, les plumes s’arrêtaient, les yeux se reposaient, les cerveaux se calmaient : premiers résultats tangibles de l’intervention de la Faculté. — Malencontreusement dans l’air flottait la terrible allusion aux maladies mentales : pour faire diversion, le Beauceron Lemut, rompant son mutisme habituel, évoquait quelque souvenir classique, ou, si l’occasion était propice, fredonnait un joyeux refrain.

« Le Lévrier se plaignait-il de battements de cœur provoqués par l’empressement avec lequel il se hâtait vers le bureau — parce que, depuis toujours, il partait tardivement de son lointain domicile, — l’obligeant ex-médecin de la Marine, dont fort exercée était l’oreille et grande la bonté, intervenait aussitôt : chose plaisante, si ce dernier ne créait pas les maladies, tout au moins suscitait-il les malades ; d’ailleurs, ces consultations avaient l’avantage de récréer les plumitifs, « en les instruisant quelquefois », ajoutait un loustic.

« Un jour, un confrère qui dans le voisinage de la Maison avait « planté un beau drapeau » eut des ennuis… Les réclamations se faisaient pressantes ; la foudre menaçait ; il conta ses malheurs d’une façon lamentable. Et l’on vit ce spectacle étrange : représentant… la Justice, Water, un Belge, ex-procureur du Roi, se leva : passé de l’autre côté de la barricade, « pour une fois, savez-vous », ce magistrat ne sut prononcer un réquisitoire : il… conseilla le débiteur !

« De loin en loin, quand une opportune absence de l’Argus, chef aux yeux pénétrants et surtout à l’oreille fine, le permettait, se produisaient des scènes de haut comique. On relançait un ex-fonctionnaire Administratif, irréductible adversaire de tout ministère, quel qu’il fût, et on l’amenait à raconter pour la xme fois quelques-unes des croustillantes anecdotes de sa vie d’étudiant en droit, « en cette vieille ville du Midi, renommée pour la beauté de son ciel, le charme de sa vie agréable et douce, non moins que pour ses distractions mondaines ».

« Comme tout comique qui se respecte, le collègue faisait d’abord la sourde oreille, puis soudain se ravisait, ajustant sur son abondante chevelure blanche un béret de couleur rouge flamboyant. À la façon dont le geste avait été exécuté, les spectateurs savaient s’il y avait chance ou non de décider le récalcitrant à égrener ses souvenirs de jeunesse tumultueuse, et dans l’affirmative, surtout lorsqu’il s’agissait de lui faire jouer le grand jeu, ils se mettaient à plusieurs pour le travailler. Alors l’interpellé renouvelait le récit d’une des expéditions faites, en fin d’un bon repas, à l’office du restaurant où il prenait pension ; ses expressions avaient le sel rabelaisien de circonstance, mais sa mimique, cependant assez expressive, paraissait toujours insuffisante à quelques-uns qui affectaient obstinément de ne point comprendre ; excité, notre Méridional, dont la jeune vieillesse semblait défier les années, précisait et, dans l’ardeur de sa démonstration imitative, maintes fois il faisait avec fracas basculer son pupitre. C’était la fin attendue ; toujours elle provoquait un fou rire général, cependant que l’intéressé vaguement déconcerté ajoutait avant de rétablir l’équilibre de son pupitre : « Qu’auriez-vous dit si vous aviez entendu le retentissant tumulte d’une table chargée de vaisselle trop hâtivement basculée et qui brusquement vous laissait en détresse, faisant accourir le patron… quand ce n’était pas la patronne ! »

« À la suite d’un faux aiguillage, Lesiffleur, un chef de gare, s’était réfugié en ce bureau de correction. Taillé en Hercule, d’humeur paisible, la figure enluminée d’un rouge brique, cet homme parlait peu, travaillait ferme et parfois, quand la nuit avait été pénible, sommeillait doucement. Il avait fait la campagne de 1870 en qualité de carabinier : si de cette terrible aventure il avait conservé quelques souvenirs, nul ne le savait, car on ne parvenait point à les lui… extirper. Du Nord il était, froid, peu communicatif. Le pernod, qu’il appréciait à un haut degré, n’arrivait point à l’émouvoir ; mainte bonne langue affirmait que, pour regagner son domicile, le soir, quelques mominettes espacées chez plusieurs « troquets » attitrés lui servaient de guides et remplaçaient toute « toquante » : habitude d’autan, il ne ratait jamais le train… Par quelle suite de circonstances fut-il, au matin d’une glaciale nuit d’hiver, trouvé privé de sentiment près d’un pont, loin du chemin de fer dont chaque jour il utilisait la voie pour venir au bureau ? On ne le sut jamais, mais la rumeur — vox Populi, vox Veritatis — en rendit le malfaisant pernod responsable !

« Homme à tous égards respectable, aux idées et aux mœurs d’un autre siècle, Mathusalem, l’Ancêtre, était un exemple vivant de scrupuleuse conscience et de volonté peu commune. Tant qu’il lui fut possible de se rendre au travail, il refusa obstinément de se faire hospitaliser : « il eût pris, disait-il, la place de plus malheureux que lui ». Épris des théories de Fourier, d’Auguste Comte, quelque peu Saint-Simonien, il vivait d’une étrange vie intérieure : ses idées l’aidaient à supporter sa pénible et laborieuse vieillesse avec une douce résignation, sans souci de ses intérêts matériels : il avait employé à former une bibliothèque nombreuse et bien choisie le peu économisé en sa longue existence. Quand ses jambes refusèrent définitivement de le porter, il accepta de se laisser hospitaliser : ayant donné tout son effort, il ne refusa plus le repos ! »

« En combien d’autres Maisons ne trouvait-on pas de même des types peu ordinaires ?… Je me souviens de ce demi-normalien, licencié ès lettres, admissible à l’École Normale supérieure, qui longtemps fut précepteur réputé. Quand il avait toute sa tête, quel brigand de fin lettré, quel fureteur qui, pour s’entretenir intellectuellement, ne cessait de travailler ! Mais, hélas ! quel dévoyé au repentir intermittent : mécontent parfois de lui-même, il se réfugiait chez les Trappistes pour s’y refaire une… conscience. Échoué pour quelques semaines en une École typographique aux environs d’Auteuil, il disparut certain jour : un modeste héritage lui était inopinément tombé du ciel ; cet accident fut ce qui pouvait lui survenir de plus regrettable : il consomma sa ruine.

« Mon normalien n’appartenait point à l’Académie de la rue Saint-Jacques près la rue Soufflot, au quartier Latin, mais il était digne de figurer parmi cette élite extraordinaire, de déclassés, d’étudiants de la trentième année, qui s’y réunissaient assidûment. Là seulement, affirmaient les intéressés, on dégustait la meilleure absinthe de Paris. C’était merveille d’entendre les reparties, d’écouter les fines satires du fait divers quotidien, d’assister aux assauts d’esprit, de surprendre l’érudition des membres de cet étrange cercle littéraire. J’ai ouï dire que l’un des non moins remarquables et non moins assidus de ce cénacle était Lerio, l’ex-médecin de la Marine, ce « correcteur en l’imprimerie » qui fut mon collègue. »

Souvenirs d’antan, vous nous remémorez une époque plus lointaine : médecins, officiers, fonctionnaires plus ou moins titrés, ecclésiastiques, magistrats, vous nous faites revivre les temps héroïques du xvie siècle ; des gentilshommes, des notaires garde-notes, des chanoines, des greffiers vous fûtes les continuateurs littéraires ; des compagnons typographes frondeurs et bohèmes, mais intraitables sur l’honneur, vous avez été les dignes successeurs techniques.


II. — Les divers types de correcteur.


I. Le correcteur amateur ne saurait qu’au titre de simple mémoire figurer dans cette étude : quels que soient les motifs plus ou moins légitimes, les raisons plus ou moins louables qui, quelques années durant, maintiennent ce « stagiaire » en marge de la corporation, trop souvent il n’éprouve que dédain pour des collègues « commissionnés » non moins instruits. La fréquentation, certain jour, certaines heures, d’un monde tout différent fait parfois oublier à cet intellectuel besogneux que ses voisins, eux aussi, passèrent de longs moments sur les bancs de l’école ou du collège. D’avoir choisi un « métier », d’avoir abandonné la carrière libérale à laquelle leurs études les destinaient, l’amateur n’a point cependant le droit de leur tenir rigueur ou de faire montre d’une supériorité factice. Dans la correction, la valeur d’un homme ne se prouve point en paroles, en gestes plus ou moins civils : elle se déduit de ses actes. Trop souvent, ce maçon amateur mis au pied du mur est inférieur à sa tâche.

Passons.

II. « Le correcteur femme existe aussi. » « Cette espèce », peut-être très rare à l’époque de Boutmy, a, depuis, fait quelques progrès. Dire que ce type « n’apparaît jamais dans l’atelier typographique » serait maintenant fort osé. Il est, d’ailleurs, des correcteurs hommes qui possèdent les qualités et les… défauts de leurs collègues femmes ; et, n’en déplaise à Boutmy, il est de fort, de très honnêtes correctrices, comme il en est de bonnes, comme il en est d’excellentes au point de vue professionnel.

Il ne faut pas croire en effet que les hommes seuls se sont distingués dans l’imprimerie. « Charlotte Guillard s’est signalée par un nombre considérable d’éditions estimées et recherchées des amateurs. Instruite par Berthold Rembolt[3], son premier mari, elle épousa en secondes noces, au cours de l’année 1520, Chevalon[4], qui la laissa veuve en 1542. Pendant plus de cinquante ans, elle a soutenu les fatigues et la dépense de l’imprimerie ; mais ses plus beaux ouvrages sont ceux qu’elle fit pendant sa seconde viduité. On a d’elle une Bible latine, avec les notes de Jean Bénédicti, et un Grégoire en deux volumes, si corrects que l’errata n’est que de trois fautes[5]. » — D’après H. Martin[6], « le premier ouvrier — le prote-correcteur, faut-il croire — de cette imprimerie, qui avait conservé l’enseigne Au Soleil d’Or[7], fut la sœur de la veuve Rembolt, Michelle Guillard, qui épousa Guillaume du Bois. »

Ces exemples ne sont pas isolés, comme on serait tenté de le croire ; on nous permettra de rapporter ici d’autres faits non moins probants :

On sait ce que fut Plantin[8] : homme d’une haute culture intellectuelle, imprimeur dont le renom s’étendit bien au delà des frontières de sa petite patrie d’adoption, caractère droit alliant à une force morale qui lui permit de supporter mainte catastrophe une honnêteté à laquelle tous ses contemporains rendirent hommage.

On ne peut ainsi s’étonner que « Plantin[9] ait, dès leur prime jeunesse, initié ses enfants, et aussi ses petits-enfants, à craindre, à honorer et à aimer Dieu, le Roi, les magistrats et les autorités et à aider leur mère dans les besognes journalières[10]. Mais ce qui nous frappe et nous semble étrange, c’est d’apprendre que ses fillettes devaient corriger des épreuves en toutes langues, parce qu’à cet âge elles étaient trop faibles pour accomplir plus lourde besogne. Quoique probablement cette lecture d’épreuves n’ait comporté qu’une comparaison attentive entre la composition typographique et la copie manuscrite, toujours est-il qu’elle constitue un exercice auquel nous ne songerions jamais à soumettre aujourd’hui nos enfants.

« Les filles de Plantin ont toutes fait ce travail dans la mesure de leurs moyens. Madeleine, la quatrième, était la plus habile : elle lisait les textes hébreux, syriaques et grecs, qu’elle devait porter, lorsqu’elle n’avait que treize ans, à Arias Montanus, résidant alors dans la maison de Jean van Straelen, où il surveillait la composition de la fameuse Biblia Regia[11]… Marguerite, l’aînée, se distingua dès sa jeunesse par une grande vivacité d’esprit. Plantin l’appelle « une des meilleures plumes de tous les païs de par deçà pour son sexe[12] »… Henriette, la cadette, était la moins douée. Lorsqu’elle avait huit ans, dit son père, elle ne faisait d’autre besogne qu’aider sa mère dans le ménage. Elle ne corrigeait pas encore d’épreuves « pour la tardivité de son esprit lent ». Les jeunes filles travaillaient dans la chambre des correcteurs… La lecture des épreuves était également un des petits moyens dont Plantin avait composé son « art d’être grand-père »…

Ce n’est donc point de nos jours seulement que « les fonctions de correcteur furent remplies par des dames » ; ce fut bien avant l’époque de Boutmy, on le voit, qu’elles assumèrent avec la charge de fonctions techniques la responsabilité littéraire d’un atelier, et certaine au moins se montra à la hauteur de sa tâche.

Ne peut-on ainsi estimer par trop vif et trop radical l’arrêt rendu par Boutmy contre le « correcteur femme », et injustifiée la critique qui semble le clouer au pilori de l’opinion ? Une brebis galeuse prouve-t-elle que tout le troupeau est contaminé ; un correcteur inférieur à sa tâche, homme ou femme, est-il le signe indéniable que la corporation n’a plus rien qui vaille ? Pour dix femmes entrevues au bureau du patron ou du prote, il en est un cent dont la pudeur s’effaroucherait terriblement du soupçon que dans l’esprit de plusieurs cette présence paraît comporter. Et avec ça, Boutmy, que certains correcteurs hommes ne sont jamais entrevus au bureau du patron ou du prote, pour des motifs sur lesquels il est préférable de garder le silence ?

Doit-on conclure de ces lignes que nous sommes partisan du « correcteur femme » ? Nullement, et ce serait nous supposer tout gratuitement des sentiments qui ne sont pas et n’ont jamais été les nôtres. La place de la femme est au foyer ; elle doit consacrer tous ses soins à l’embellissement du logis, à l’éducation des enfants, à l’au-dedans. La présence de la femme à l’usine, à l’atelier, se concilie mal avec sa fonction sociale. Mais le respect est dû à l’épouse que des circonstances exceptionnelles éloignent de la maison, le respect est dû à la mère qui peine durement pour nourrir sa nichée, le respect est dû à la jeune fille qui vient en aide aux siens…, non sans risques pour elles-mêmes : car est-il bien sûr que le « correcteur femme » entrevu au bureau du patron ou du prote soit le seul coupable ? Qui se chargera de répondre ?

Il faut éviter le « correcteur femme », la chose est entendue ; mais, quand le mal existe, il n’est pas nécessaire de l’exaspérer par la lutte ouverte ou par le mépris déclaré ; ce n’est point le parti le meilleur, on l’a vu, dans notre corporation, en des circonstances presque analogues, avec la femme compositrice.

III. Les discussions nées de l’origine et du mode de recrutement des correcteurs n’ont rien qui s’embarrasse des questions ou des considérations un peu oiseuses que nous venons de passer rapidement en revue. Le sujet est tout autre, et la controverse bien plus intéressante : le correcteur « est souvent un compositeur intelligent qui se consacre à la lecture des épreuves » ; « ou bien c’est un déclassé, élevé au séminaire ou au collège, auquel la typographie a ouvert ses bras accueillants ».

Cette différence d’origine a donné naissance à deux thèses irréductibles auxquelles ni de côté ni d’autre on ne semble vouloir apporter de tempérament : partisans du correcteur exclusivement typographe, défenseurs de l’homme instruit ont tour à tour — parfois aussi à tort et à travers — vanté les avantages d’un système, exagéré les inconvénients de l’autre.

1° « Les correcteurs pris en dehors de la typographie sont trop souvent — disent les uns — des déclassés, prétentieux mécontents, croyant tout connaître et n’ayant aucune notion pratique de la composition. Ils négligent les corrections techniques, les coquilles, etc. ; par contre, ils veulent corriger les auteurs dans leur style, voire même dans leur doctrine. »

Puis, défendant avec énergie la thèse contraire, ces mêmes critiques, en un tableau des plus flatteurs exposent les mérites du typographe devenu correcteur. Ils vantent sa modestie, son dévouement, le soin méticuleux qu’il apporte dans l’exécution de son travail, qualités inestimables qui suppléent sans peine au défaut de connaissances littéraires, scientifiques ou linguistiques.

2° À leur tour, les « intellectuels », non sans aigreur, ripostent avec une certaine vraisemblance : « Pour avoir, un jour de pléthore de lecture, marqué un deleatur, indiqué la suppression d’un doublon, signalé une coquille ou un bourdon, quelques compositeurs se consacrent d’emblée correcteurs.

« Parce que durant de longues années ils ont coté et paraphé maints feuillets de copie, manié réglettes, garnitures et biseaux, ils s’imaginent avoir tous droits à cette fonction de correcteur dans laquelle ils ne voient que la petite place enviée, sorte de maréchalat typographique. Ils estiment pouvoir s’imposer au choix du patron à meilleur titre — et surtout à meilleur compte — que le déclassé dont, sans le connaître même, ils dénigrent les connaissances au profit des leurs.

« Sans doute, grâce à leur travail et à leur persévérance, nombre de compositeurs sont parvenus à développer d’une manière remarquable ce que leur ont enseigné leurs maîtres de l’école primaire ou de l’école supérieure. En littérature française et dans quelques autres branches ils ont acquis des connaissances étendues ; mais combien se sont initiés aux langues vivantes et surtout aux langues mortes ? Le jour où, remplissant les fonctions de correcteur isolé, ils se trouveront en présence de manuscrits mal écrits et bourrés de citations latines ou autres, leur seule ressource sera de laisser en blanc ce que ni eux ni le typographe n’auront pu déchiffrer ; car, dans ces circonstances, le dictionnaire n’est d’aucun secours. »

L’anecdote suivante, extraite de la Circulaire des Protes[13], est une caractéristique fidèle de la situation qui vient d’être exposée : « Dans une grande Maison du Nord-Ouest, on décida un jour de n’employer comme correcteur que des personnes du pays, de préférence des typos, en recourant même, si besoin était, à des éléments étrangers à l’imprimerie. On ne devait pas se montrer très rigoureux, semble-t-il, sur le chapitre des connaissances. Un des nouveaux promus se trouva certaine fois devoir lire une copie dans laquelle était intercalé un court passage de Tite-Live. Un correcteur, qui appartenait au personnel de la Maison bien avant la mise en vigueur de la décision rapportée plus haut, conseilla à son collègue de faire mettre ce passage en italiques. « Je n’y avais pas songé, répondit ce dernier ; je ne savais pas d’ailleurs si c’était du latin ou de l’anglais. » — Tite-Live écrivant en anglais, la supposition est déjà plutôt anormale ; mais d’une phrase latine ne pouvoir distinguer un texte anglais est, pensons-nous, au-dessous des facultés d’un titulaire du certificat d’études primaires.

Ce fait divers est, à lui seul, une preuve évidente de l’erreur fâcheuse commise même par des Maisons réputées sérieuses, lorsqu’elles n’exigent pas pour le recrutement de leur personnel des garanties suffisantes au point de vue littéraire et technique.

Quelle appréciation un auteur méticuleux peut-il, dans ces conditions, porter sur la Maison à laquelle il a confié en partie le succès de son œuvre et la réputation de son nom ? Quelles craintes éprouvera-t-il de la possibilité pour cette Maison de mener à bonne fin le travail qu’il lui a remis ? Et comment se retiendra-t-il de manifester son inquiétude par des plaintes maintes fois trop justifiées ?

Quelle recommandation, alors, auprès d’un patron, et comment ne pas estimer qu’un tel correcteur, qualifié peut-être pour corriger des travaux administratifs et à peine pour être reviseur, ne saurait être à sa place dans une Maison de labeurs !

3° À cette situation dont ils ne peuvent nier les inconvénients, les partisans des correcteurs recrutés exclusivement dans l’imprimerie ont tenté d’apporter un remède : « On peut recommander au client de bien écrire les langues étrangères, lui dire que la Maison ne prend aucune responsabilité à cet égard… On peut encore recourir à une personne de la localité connaissant la langue… »

À moins d’avoir un faible pour la calligraphie, ou d’appartenir à une administration qui leur donne les loisirs d’envoyer des copies irréprochables, les auteurs écrivent plutôt avec nervosité. Une écriture hâtive, des mots inachevés, des lettres informes rendent leurs manuscrits illisibles… souvent pour eux-mêmes. C’est un mal dont ils ne guériront jamais, et auquel une Maison aurait peut-être, pour ses intérêts et sa réputation, regret d’avoir conseillé de porter remède.

D’autre part, combien d’imprimeurs sont dans l’impossibilité matérielle de recourir aux bons soins de personnes étrangères, de mettre en pratique une façon de procéder qui compliquerait singulièrement le travail et ne donnerait guère de notoriété à la Maison ?

Comment, d’ailleurs, concilier une telle contradiction : on refuse à un maître imprimeur le droit d’engager définitivement à son service un érudit auquel il lui sera loisible d’imposer l’obligation de devenir typographe, mais on lui reconnaît la faculté de faire appel temporairement à un linguiste auquel il ne pourra même pas songer à donner le conseil de s’initier aux notions élémentaires de typographie, à un humaniste qui ignorera jusqu’à la forme des signes de correction.

Ainsi, au milieu des discussions, des arguties, à chacun le parti pris fait à l’envi embrouiller la question : sous prétexte de « sauvegarder les intérêts de la corporation », nullement menacés au reste, on « regarde au dehors », et l’on cherche à éloigner de la profession « ces recrues que l’on voit accourir de tous les points de l’horizon social : officiers retraités propres à tout, puisqu’ayant commandé, clercs de tous ordres et de tous poils, instituteurs et fonctionnaires même, trop peu payés[14] » ; — et l’on dit bien haut, si l’on objecte dans ces conditions un léger favoritisme dont profiteront typographes et linotypistes, « qu’il serait étrange qu’il en fût autrement », « l’instruction et la culture générale des typos et des linos étant au-dessus de celles visées[15] »…

Chaque parti reste ainsi sur ses positions, au détriment des intérêts généraux et pour le plus grand dommage des exigences et des besoins particuliers.

Depuis ces dernières années l’imprimerie subit, du fait de l’introduction de la machine à composer, des transformations importantes, qui exigent plus qu’au temps passé de tous les collaborateurs d’un établissement célérité et capacité. Quelques précisions sur le mode de recrutement des correcteurs dans certains établissements ou dans maintes sociétés ne sauraient dès lors paraître dépourvues d’intérêt. Si le maître imprimeur ne peut tenir compte de toutes les discussions soulevées du fait de l’origine des correcteurs, à maints égards il lui importe cependant beaucoup de compter parmi son personnel un correcteur bachelier, un déclassé, de plus, ou un typographe correcteur, un parvenu, de moins.

Examinons certains faits.


III. — Recrutement des lecteurs d’épreuves
et des correcteurs de l’Imprimerie Nationale
.


Bien qu’il ne soit pas nécessaire de conseiller aux maîtres imprimeurs de suivre les errements de l’Imprimerie Nationale pour le recrutement de leurs correcteurs, il est bon cependant de savoir quelles règles l’Administration paraît s’imposer pour le choix de ces collaborateurs.

Dans cet établissement — qui certes n’est pas un modèle sous tous les rapports — le Service de la Correction comprend deux catégories d’agents qui « diffèrent essentiellement par le titre, le traitement et, dans une très faible mesure, par les fonctions : les correcteurs, dont le nombre est strictement limité, ne lisent que des bons à tirer ; les lecteurs d’épreuves, dont l’effectif est plus important, mais variable, assurent la correction en premières, les revisions et une grosse partie des bons à tirer[16]. Les correcteurs seuls sont commissionnés. »

Nous donnerons ici, d’après le plus récent arrêté[17] (22 mars 1920) que nous connaissions[18], quelques extraits des conditions de recrutement et d’admission à l’Imprimerie Nationale des lecteurs d’épreuves.


A. — Lecteurs d’épreuves et viseurs de tierces[19]


Article premier. — Les lecteurs d’épreuves sont affectés, selon les besoins du service et suivant leurs aptitudes, aussi bien à la correction des travaux administratifs qu’à celle des labeurs courants.

Art. 2. — Ils sont placés sous les ordres du prote de la composition ; toutefois, dans l’exercice de cette partie de ses attributions, tant au point de vue de l’exécution du travail qu’à celui de la discipline, le prote est assisté d’un lecteur principal.

Le lecteur principal répartit, entre les lecteurs, l’ouvrage qui lui est remis par le prote ; il en dirige et surveille l’exécution. Il propose au prote les mesures de toute nature qui lui paraissent propres à assurer, dans les meilleures conditions, la marche du service. Il participe à l’exécution des travaux de correction…

Art. 3. — Le lecteur principal, choisi parmi les lecteurs d’épreuves, est nommé par le Directeur, sous réserve de l’approbation ministérielle.

Effectif

Art. 4. — L’effectif total des lecteurs d’épreuves, titulaires ou stagiaires, y compris le lecteur principal, est fixé à 1/11 de l’effectif des compositeurs aux pièces ; si le nombre de ces compositeurs excède un multiple de 11 de plus de 5 unités, cet excédent est compté pour onze.

Les compositeurs affectés à l’atelier de distribution sont comptés parmi les compositeurs aux pièces.

Viseurs de tierces

Art. 5. — Les viseurs de tierces sont assimilés aux lecteurs d’épreuves. Ces postes sont attribués aux lecteurs recrutés parmi les ouvriers typographes de l’Établissement. Lorsqu’une vacance se produit, le poste est donné au plus ancien des lecteurs de cette catégorie qui en font la demande ; à défaut de candidature, le Directeur y affecte d’office, pour une période minimum de deux ans, le moins ancien.

Si les nécessités du service l’exigent et à défaut de lecteurs recrutés parmi les ouvriers typographes, le Directeur désigne, pour remplir les fonctions de viseur de tierces, des lecteurs recrutés à la suite du concours public.

Art. 6. — L’effectif des viseurs de tierces est fixé à quatre.

Recrutement

Art. 7. — Le recrutement des lecteurs d’épreuves a lieu, pour les deux tiers des places, par voie de concours public, et, pour les autres, par voie de concours restreint entre les ouvriers typographes de l’Établissement.

À titre exceptionnel, seront dispensés de ce dernier concours les compositeurs mutilés de guerre, incapables de reprendre leurs anciens postes et qui, après avoir accompli à titre de lecteurs provisoires un stage minimum de six mois, seront reconnus posséder les aptitudes suffisantes. Les emplois vacants leur seront attribués de préférence. Il ne sera institué de concours soit public, soit restreint entre les ouvriers typographes de l’Établissement qu’après nomination de ces mutilés.

Art. 8. — Concours public. — Tout Français de bonnes vie et mœurs ayant satisfait aux prescriptions de la loi militaire, n’ayant subi aucune condamnation, âgé de vingt et un ans au moins et de trente-cinq ans au plus, et reconnu apte par le médecin de l’Établissement à remplir l’emploi, peut prendre part au concours public.

Le concours public comprend les épreuves suivantes :
xxxx1° Correction d’un texte français (au moins une page de texte et une page de tableau) ;
xxxx2° Au choix du candidat :
xxxxCorrection d’un texte latin (au moins une page de texte) ;
xxxxOu correction d’un texte scientifique (au moins une page de texte).

Chacune de ces épreuves est cotée de 0 à 20. Une note Inférieure à 8 est éliminatoire.

En outre, une cote spéciale, également de 0 à 20, est réservée à l’application judicieuse, claire et précise des signes de correction typographique, ainsi qu’aux preuves fournies par le candidat de son goût esthétique dans une note sur la disposition typographique des textes donnés à corriger. Cette cote spéciale est éliminatoire si elle est inférieure à 10.

Sont seuls admissibles les candidats dont la moyenne des notes n’est pas inférieure à 12.

La correction d’un texte grec et celle d’un texte en une ou plusieurs langues étrangères modernes ou anciennes autres que le latin et le grec (au moins une page de texte) sont facultatives. Elles donnent lieu chacune à une cote de 0 à 10. Cette cote ne compte dans le total des points que si elle est au moins égale à 5.

Sur leur demande les candidats sont autorisés à subir les deux épreuves indiquées au paragraphe 2 ci-dessus (correction d’un texte latin et correction d’un texte scientifique). Ils font connaître celle qui doit être considérée comme facultative. Pour cette dernière il leur est attribué une cote supplémentaire, comme il est dit ci-dessus pour la correction d’un texte grec ou d’un texte en langues étrangères.

Les candidats pourvus d’un diplôme de bachelier reçoivent un avantage de 5 points, et les candidats pourvus d’un diplôme de licencié, un avantage de 10 points.

Le jury comprend : le chef de l’Exploitation, un prote principal, un prote et deux correcteurs désignés chaque fois par le Directeur. En cas de nécessité, le Directeur peut aussi adjoindre au jury des examinateurs n’appartenant pas au personnel de l’Imprimerie Nationale.

Les candidats reconnus admissibles sont admis dans l’ordre de la liste de concours, au fur et à mesure des vacances. Tout candidat admis l’est à titre de lecteur d’épreuves stagiaire. Il est chargé de la lecture en première de travaux de difficulté progressive.

Le stage dure dix mois, pendant lesquels les stagiaires complètent leur instruction professionnelle par l’étude du règlement de composition typographique et de correction en vigueur dans l’Établissement ; ils doivent le posséder complètement à l’expiration de leur stage.

Pendant ces dix mois, à la fin du cinquième mois et avant la fin du dixième mois, chacun des stagiaires est l’objet d’un rapport spécial sur ses capacités, ses connaissances scientifiques, ses aptitudes et son application. Il est congédié, par arrêté du Directeur, s’il ne donne pas satisfaction…

Après les dix mois de stage, les lecteurs d’épreuves sont maintenus dans leurs fonctions si le dernier rapport dont ils ont été l’objet conclut à ce maintien.

Ils sont titularisés dans cet emploi après l’accomplissement d’une année de service.

Art. 9. — Concours entre les ouvriers typographes de l’Établissement. — Seront admis à ce concours :
xxxx1° Les ouvriers compositeurs titulaires âgés de moins de cinquante ans au 1er janvier de l’année du concours ;
xxxx2° Les ouvriers compositeurs temporaires comptant au moins six mois de services et exerçant leur emploi au moment où sera publié l’avis du concours.

Ce concours comprend :
xxxx1° Une dictée de difficulté moyenne (au moins une page) ;
xxxx2° Une imposition ou la vérification d’une imposition difficile ;
xxxx3° La correction d’une composition difficile formée de textes et de tableaux.

Chacune de ces épreuves est cotée de 0 à 20. Une note inférieure à 8 est éliminatoire.

En outre, une cote spéciale, également de 0 à 20, est réservée à l’application judicieuse, claire et précise des signes de correction typographique, ainsi qu’aux preuves fournies par le candidat de son goût esthétique. Cette cote spéciale est éliminatoire si elle est inférieure à 10.

Sont seuls admissibles les candidats dont la moyenne des notes n’est pas inférieure à 12.

La correction d’un texte grec et celle d’un texte en une ou plusieurs langues modernes (au moins une page de texte) sont facultatives. Elles donnent lieu chacune à une cote de 0 à 10. Cette cote ne compte dans le total des points que si elle est au moins égale à 5. Le jury du concours restreint sera le même que celui du concours public.

Les candidats déclarés admissibles sont admis dans l’ordre de la liste du concours, au fur et à mesure des vacances.

Les ouvriers compositeurs titulaires admis sont nommés directement à la dernière classe de lecteurs d’épreuves titulaires. Les ouvriers compositeurs temporaires admis restent lecteurs d’épreuves temporaires pendant une période égale à la différence entre le temps de service qu’ils ont accompli depuis leur dernier embauchage et une année. Avant l’expiration de ce délai, chacun d’eux fait l’objet d’un rapport analogue à celui prévu par l’article 8 pour les stagiaires provenant du concours public. Ils ne sont maintenus dans leurs fonctions que si ce rapport est favorable.

Si aucun candidat ne se présente au concours restreint ou si aucun des candidats ayant concouru n’est déclaré admissible, le tour de recrutement parmi les ouvriers compositeurs sera sauté.


B. — Correcteurs


Les services de la correction de l’Imprimerie Nationale ont été réorganisés par un décret du Président de la République en date du 6 mars 1912 :

Article premier. — Les cadres de la correction de l’Imprimerie Nationale comprennent des correcteurs et des correcteurs principaux…

Art. 5. — Un arrêté du Ministre des Finances déterminera les conditions de recrutement des correcteurs et des correcteurs principaux.

En conformité de cet article 5 le Ministre des Finances rendait, le 8 mars 1912, un arrêté dont nous extrayons les points suivants :

Article premier. — Les correcteurs sont utilisés en principe à la lecture en bon à tirer et particulièrement à celle des labeurs scientifiques et savants ; mais, si les besoins du service l’exigent, ils peuvent aussi être employés à la lecture ou à la correction de tout travail administratif ou de labeur.

Les correcteurs principaux sont chargés de la lecture en bon à tirer des travaux savants d’un caractère plus particulièrement délicat, tels que labeurs en langues étrangères et orientales, travaux de mathématiques, etc.

Le recrutement des correcteurs aura lieu au choix parmi les lecteurs d’épreuves des huit premières classes, nommés lecteurs à la suite d’un concours public.

Dans le cas où l’Administration ne croirait pas devoir exercer son choix, les emplois de correcteurs seront mis au concours public ; le programme et les conditions de ce concours seront les mêmes que ceux arrêtés pour le concours public à l’emploi de lecteur.

À titre transitoire, les lecteurs d’épreuves actuellement en fonctions seront assimilés, pour le recrutement des correcteurs, aux lecteurs nommés à la suite d’un concours public.

Art. 4. — Les correcteurs principaux peuvent être pris au choix sur une liste de candidatures comprenant :
xxxx1° Les correcteurs de l’Établissement pourvus au moins du diplôme de licencié ès lettres ou de licencié ès sciences ;
xxxx2° Tous les autres candidats appartenant à l’Imprimerie Nationale et pourvus d’un diplôme de docteur.
xxxxTous ces candidats devront d’ailleurs posséder des connaissances très étendues de linguistique générale et avoir fait des études spéciales des langues orientales.
xxxxDans le cas où l’Administration ne croirait pas devoir exercer son choix, les emplois de correcteurs principaux seront mis au concours entre tous les candidats provenant de l’intérieur ou de l’extérieur.
xxxxLa limite d’âge pour la présentation à ce concours est fixée à trente-cinq ans. Les candidats déjà compris dans le personnel sont affranchis de cette condition.

Art. 5. — La date du concours est rendue publique un mois au moins à l’avance, par l’insertion au Journal officiel d’un avis qui est également porté à la connaissance des bureaux et des ateliers de l’Imprimerie Nationale et à celle des candidats déjà inscrits.

Art. 6. — Les demandes d’inscription doivent être remises à la Direction de l’Imprimerie Nationale huit jours au moins avant la date du concours. Elles doivent être établies sur papier timbré et se trouver accompagnées :
xxxx1° De l’acte de naissance du postulant ;
xxxx2° Des titres universitaires requis que les postulants pourraient posséder ou de pièces en tenant lieu ;
xxxx3° Des certificats des services antérieurs que les postulants pourraient compter comme correcteurs dans les imprimeries du commerce ;
xxxx4° De l’indication, qui peut être suffisamment donnée au corps de la demande, des langues orientales ou étrangères dont le candidat aurait fait une étude spéciale.

Art. 7. — Le concours pour l’admission à l’emploi de correcteur principal consiste en la correction de textes fautifs, remis par le Directeur au président du jury à l’ouverture de la séance. Ces textes comprennent :
xxxxÉpreuve obligatoire. — Une page en chacune des langues française, latine et grecque, et une page en chacune des quatre divisions scientifiques : mathématiques, physique, chimie, histoire naturelle.
xxxxÉpreuve facultative. — Une demi-page en chacune des langues orientales ou étrangères que les candidats auraient, au moment de l’inscription, déclaré connaître. Les textes en langues mortes et en langues étrangères vivantes, corrigés par les concurrents, doivent être, par eux, traduits en français. Le jury pourra aussi exiger des concurrents, s’il le juge utile, une dissertation française de quatre pages au moins.

Art. 8. — Il est accordé six heures aux concurrents pour la remise des épreuves placées entre leurs mains. Toute communication entre eux et l’extérieur est interdite pendant la durée entière du concours. Les lexiques grecs et latins seront les seuls livres laissés à leur disposition.
xxxxLes opérations du concours sont constamment surveillées par l’un des membres du jury, lesquels peuvent se relever à cet effet.

Art. 9. — Chaque concurrent, après avoir terminé son travail, signe les épreuves qui lui ont été confiées et les remet au membre du jury chargé de la surveillance du concours, lequel les paraphe et les réunit sous une chemise portant le nom du candidat. À la fin de la séance, toutes les pièces ainsi classées sont placées dans une enveloppe cachetée, laquelle est remise au Directeur de l’Imprimerie Nationale pour être conservée jusqu’au jour fixé par le jury pour les examiner.

Art. 10. — Dans cette séance, le jury examine le travail des concurrents et, après une première élimination pour insuffisance générale, s’il y a lieu, il classe les concurrents maintenus selon l’ordre de mérite résultant de ses appréciations.

Art. 11. — À mérite égal, il est tenu compte aux concurrents, pour ce classement, des titres universitaires qui attesteraient leurs études littéraires et scientifiques, et, s’ils proviennent des cadres de l’Établissement, de la nature de leurs services antérieurs et des connaissances dont ils auraient fait preuve pendant la durée de ces services.
xxxxL’état de classement des concurrents est suivi d’une liste d’admissibilité, par ordre de mérite, qui peut comprendre plusieurs noms en vue des besoins éventuels de l’Imprimerie Nationale.

Art. 12. — Le procès-verbal relatant les opérations du concours est signé par tous les membres du jury et remis par le président au Directeur de l’Imprimerie Nationale, après la clôture de la séance.

Art. 13. — Le jury d’examen aux fonctions de correcteur principal est ainsi composé :
xxxxUn membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ou de l’Académie des Sciences, président ;
xxxxDeux professeurs agrégés de l’Université, section de grammaire ou des sciences ;
xxxxL’inspecteur de la typographie orientale à l’Imprimerie Nationale ;
xxxxLe chef du service de l’exploitation de l’Imprimerie Nationale ;
xxxxUn correcteur principal ;
xxxxCes deux derniers avec voix consultative seulement.
xxxxDes décisions spéciales peuvent adjoindre au jury, sur sa demande, des membres supplémentaires pour l’examen des connaissances des candidats sur les langues orientales ou étrangères.

Pour le recrutement de ses lecteurs et de ses correcteurs l’Imprimerie Nationale semble chercher, on le voit, à s’entourer de garanties qu’elle voudrait aussi complètes que possible.

Notons, toutefois, un certain nombre d’anomalies dont l’explication nous paraît assez difficile :

Il est regrettable, tout d’abord, que, parmi les épreuves auxquelles sont soumis les candidats étrangers à l’Établissement ne figure point une « épreuve de connaissances typographiques ». À notre avis, on ne saurait donner ce nom à la « correction d’un texte français (au moins une page de texte et une page de tableau) », « à l’application judicieuse, claire et précise des signes de correction typographique », non plus qu’à la « note sur la disposition typographique des textes donnés à corriger » : le goût esthétique dont un candidat sait éventuellement faire preuve peut être en contradiction formelle avec toutes les règles typographiques, surtout avec celles de l’Imprimerie Nationale qui sont un peu spéciales. Nous comprenons fort bien que les « corrections », dont le futur lecteur d’épreuves ou correcteur, grâce à son jugement et à ses connaissances, se tirera habilement, comportent en elles-mêmes l’application de maintes règles typographiques ; à ce point de vue le jury d’examen peut se former une première opinion, mais nous pensons que cette opinion sera toujours superficielle ; il en aurait été certes tout autrement avec la « correction d’une composition difficile formée de texte et de tableaux », analogue à celle à laquelle doivent satisfaire les ouvriers typographes de l’Imprimerie Nationale qui se présentent au concours de lecteurs.

Remarquons, d’autre part, que, si le programme fixé aux candidats extérieurs est avant tout — particulièrement pour le recrutement des correcteurs — un programme d’examen de connaissances littéraires, par contre celui auquel les « ouvriers typographes de l’Établissement » sont astreints est surtout un programme typographique. Cette dualité d’attitude est bien faite pour surprendre, puisque les uns et les autres ont dans le labeur journalier à satisfaire, semble-t-il, aux mêmes obligations. Il est plus étonnant, encore, de remarquer que, si dans le concours entre les ouvriers typographes « la correction d’un texte grec et celle d’un texte en une ou plusieurs langues modernes », facultatives, donnent lieu à une cote spéciale, le latin est complètement oublié. La raison de cette omission n’apparaît nullement et ne saurait se justifier : à l’Imprimerie Nationale la connaissance du latin nous semble aussi indispensable que dans les imprimeries particulières, les auteurs faisant, même dans les ouvrages courants, un usage fréquent de cette langue en des expressions nombreuses.

Observons enfin que si, d’après les prescriptions de l’arrêté du 7 mars 1912, qui n’ont pas été abrogées, le candidat aux fonctions de lecteur d’épreuves doit exécuter ses corrections « sans la copie et sans le secours d’aucun livre », le candidat au poste de correcteur a la faculté d’utiliser au cours de son examen les lexiques grecs et latins laissés à sa disposition. Sans doute, ce dernier doit, en sus de la correction, effectuer la traduction des textes qui lui sont remis, et cette nécessité peut, à la rigueur, aux yeux de certains justifier une attitude différente ; mais il est aisé de répondre que, pour bien corriger un texte latin ou un texte grec, il est indispensable de pouvoir en connaître par la traduction la signification exacte ; dans une certaine mesure le candidat correcteur se trouve donc avantagé à ce point de vue sur le candidat lecteur.

Il apparaît ainsi que les examens prescrits pour le recrutement des lecteurs d’épreuves et des correcteurs de l’Imprimerie Nationale ne sont point, en théorie, exempts de quelques critiques. Mais que valent, en pratique, ces examens ? Quelle valeur professionnelle accorder aux candidats qui satisfont à leurs prescriptions ? Disons-le de suite, l’Imprimerie Nationale elle-même ne paraît pas se fier entièrement en la garantie que devraient cependant comporter ces épreuves : estimant en effet que le candidat peut parfois, grâce à une chance particulière, sortir de l’examen à son avantage, elle se réserve, pendant un stage de dix mois, le droit de surveiller les capacités techniques et littéraires de l’admissible, ses connaissances scientifiques, ses aptitudes et son application.

Le principe est excellent ; il semble, dès lors, qu’il devrait donner les résultats les meilleurs au point de vue matériel et moral. Le fait serait, d’ailleurs, parfois exact, si nous en croyons, d’après le Journal officiel, M. Louis Marin, député de Meurthe-et-Moselle :

Le 24 novembre 1910, le Parlement discutait le budget de l’Imprimerie Nationale. M. Louis Marin intervint dans la discussion, pour parler assez longuement de l’organisation des ateliers de typographie orientale de cet Établissement. Après avoir fait ressortir l’obligation d’accorder un traitement spécial aux ouvriers et employés chargés d’assurer et de surveiller l’exécution des travaux en langue orientale, qui exigent des connaissances typographiques et linguistiques très sérieuses, il ajoutait : « … Parmi ces travailleurs modestes qui ont une compétence admirable et qui représentent la direction linguistique de l’atelier, voici, par exemple, un homme dont il faut faire applaudir le nom par les vrais travailleurs, M. Guérinot, qui a le titre de lecteur de l’Imprimerie Nationale. Il est docteur ès lettres, licencié ès sciences, docteur en médecine, spécialiste de l’indianisme, pouvant être chargé depuis longtemps dans un de nos grands établissements d’une chaire de sanscrit[20]. »

M. Louis Marin, on le voit, ne ménageait point les louanges : c’est un acte dont il y a lieu de se réjouir ; il ne craignit pas non plus, ce même jour — et il faut l’en féliciter — de faire entendre maintes critiques qui auront leur place dans une autre partie de cette étude[21].

Mais il aurait pu aussi rappeler utilement certain fait dont la Presse fit grand bruit un mois environ plus tôt. Le 8 octobre 1910, le journal le Gaulois publiait les lignes suivantes[22] :

L’Imprimerie Nationale va être, comme on le sait, prochainement rattachée au Ministère des Finances, où l’on suppose qu’un contrôle efficace viendra à bout des abus de toute nature qui se sont implantés dans la gestion de l’Établissement.

Certains faits sont invraisemblables de cocasserie.

Ainsi le Règlement exige que, chaque année, ait lieu un concours pour le recrutement des correcteurs. Or, depuis six ans le concours se borne à une convocation adressée à tel particulier déterminé, auquel on fait subir à huis clos un semblant d’examen pour justifier l’admission. C’est de cette façon que l’Imprimerie Nationale a augmenté son personnel d’un ouvrier chapelier, nommé correcteur « au concours ».

Au service des brevets du Conservatoire des Arts et Métiers sont détachés trois employés de l’Imprimerie Nationale. Voici en quels termes l’un d’eux tout récemment était présenté par un fonctionnaire de la maison à un personnage en visite : « J’ai l’honneur de vous présenter M. Z… entré ici pour faire son droit. »

Deux jours plus tard, Paris-Journal répondait par cet article :

À L’IMPRIMERIE NATIONALE
Lecteurs et Correcteurs

Il est admis que tout va de mal en pis dans les établissements de l’État. Aucun n’échappe à la critique, l’Imprimerie Nationale moins que tout autre.

Parmi les dires que l’on colporte sur, cette institution, il en est un qui ne manquait pas de piquant : on prétendait que le Règlement pour le recrutement des correcteurs avait été éludé et que l’on avait remplacé le concours exigé par un semblant d’examen, grâce auquel un ouvrier chapelier venait de se voir désigné pour ce poste de correcteur auquel il n’était nullement préparé.

Nous avons demandé à M. Dupré, directeur de l’Imprimerie Nationale, ce qu’il fallait croire de cette histoire.

« Rien, nous a-t-il répondu.

« D’abord, aucun texte de notre Règlement ne dit que les correcteurs seront recrutés par voie de concours public.

« Pourtant nos correcteurs sont très soigneusement recrutés, et l’on ne prend pas, comme on semble l’insinuer, les plus chaudement recommandés. Ils sont choisis parmi nos lecteurs d’épreuves, un tour à l’ancienneté et un tour au concours entre eux. Aucun abus ne peut se produire, grâce aux précautions que nous prenons.

« Quant à nos lecteurs d’épreuves, ils doivent passer un sérieux examen d’admission. Plusieurs sont munis de diplômes universitaires, et le dernier entré est licencié ès lettres.

« De là à l’ouvrier chapelier dont on parle il y a loin.

« On nous a reproché également d’avoir, parmi nos employés détachés au service des brevets du Conservatoire des Arts et Métiers, un jeune homme qui poursuit ses études de droit. Mais en quoi cela peut-il nous gêner qu’un employé fasse son droit, si notre service ne souffre pas de ses études ? Nous ne pouvons, au contraire, que le féliciter. »

Et, après ces déclarations, nous ne pouvons manquer d’être convaincu que tout se passe correctement chez les correcteurs.

Les cocasseries signalées par le Gaulois ne manquaient pas de sel. Nous nous étions demandé s’il n’y avait pas lieu de les considérer comme une boutade de postulant fatigué d’attendre. Le Ruy-Blas en date du 22 octobre dissipa notre perplexité en publiant, sous le titre Népotisme, un article dont nous reproduisons l’alinéa suivant :

M. le Directeur feint de s’indigner, notamment, qu’on ait osé prétendre qu’un ex-ouvrier chapelier occupait, à l’Imprimerie, un emploi de correcteur. Il a presque raison, M. le Directeur. Car nous avons découvert, à la suite d’une courte enquête, que le correcteur visé n’est pas un ancien chapelier, en effet, mais un ancien tailleur de Villeneuve-d’Agen, patrie de M. Chaumié déjà nommé. Ce chevalier de l’aiguille a d’ailleurs dans l’Établissement un frère, pourvu d’un emploi supérieur. Tous les deux ont pénétré là par faveur, c’est-à-dire sans titre ni droit — ni passé professionnel, — en faisant la nique au concours…

Étrange administration, en vérité ! Mentalité plus étrange encore, celle d’un Honorable dont le favoritisme aboutit à ce résultat ; « avoir en même temps comme lecteur d’épreuves et comme correcteur un docteur ès lettres et un ancien tailleur d’habits ».

Ne peut-on penser, malgré les éloges adressés du haut de la tribune parlementaire à l’un des meilleurs et plus instruits correcteurs, que l’Imprimerie Nationale se soucie fort peu de la dignité, de la science, des mérites de ses plus dévoués serviteurs,… et encore moins des règlements que lui imposent ses grands-maîtres.

Le temps est lointain certes où le Pouvoir exigeait de l’imprimeur — et de son subordonné le correcteur — « qu’il soit congru en langue latine et qu’il sache lire le grec, dont il sera tenu de rapporter le certificat du recteur de l’Université ».

Pour compléter ces lignes, nous croyons pouvoir donner maintenant quelques extraits des conditions d’admission auxquelles doivent satisfaire les candidats désireux de faire partie des différentes sociétés de correcteurs qui existent à l’heure actuelle.


IV. — Syndicat des Correcteurs de Paris.


conditions d’admission


En France, une seule société existe qui soit composée exclusivement de correcteurs, le Syndicat des Correcteurs de Paris et de la Région parisienne[23] ; bien que jouissant, en fait, d’une certaine autonomie, avec ses statuts particuliers et sa cotisation personnelle, elle est adhérente à la 21e section de la Fédération française des Travailleurs du Livre dont elle dépend en réalité.

Les conditions d’admission[24] au Syndicat sont les suivantes d’après les statuts adoptés en assemblée générale le 30 mars 1919 :

Conditions d’admission et de réadmission. — Art. 2. — Tout correcteur désirant faire partie du Syndicat ne doit appartenir à aucune organisation similaire poursuivant le même but ni à aucun syndicat patronal, soit comme adhérent, soit comme fonctionnaire.

Art. 3. — Toute demande d’admission ou de réadmission doit être libellée sur une formule délivrée au siège social, puis adressée directement au secrétaire général. Elle doit indiquer : les nom et prénoms, le lieu et la date de la naissance du postulant, l’endroit et les conditions de son travail, le temps depuis lequel il exerce la profession.

Art. 4. — Tout correcteur, aussitôt sa demande parvenue au siège social, est admis, après enquête et avis favorable du Comité, à passer un examen technique, afin que toutes garanties de ses capacités professionnelles puissent être données aux maîtres imprimeurs ou aux directeurs de journaux s’adressant au Syndicat.
xxxxSeuls les correcteurs ayant appartenu au Syndicat et ne figurant plus sur ses contrôles, par suite de démission ou de radiation, ne sont pas soumis à la formalité de l’examen. Néanmoins, le Comité peut toujours se prononcer sur leur cas et ne pas retenir leur demande, s’il le juge à propos. Au cas où la décision du Comité serait considérée par le postulant comme injuste ou arbitraire, il peut en appeler à la plus prochaine assemblée générale.

Art. 5. — Une commission composée de cinq membres titulaires et de deux membres suppléants, renouvelables tous les ans, est chargée de constater les connaissances techniques des candidats admis par le Comité à passer l’examen. Ce dernier la désigne et doit la choisir en dehors de ses membres. Un règlement intérieur détermine les conditions de l’examen technique.

Le « Règlement intérieur relatif à l’examen » dont parle l’article 5 des Statuts est ainsi rédigé :

Article premier. — L’examen technique se compose :
xxxx1° D’une épreuve typographique contenant des erreurs d’orthographe et de syntaxe ;
xxxx2° D’une épreuve typographique de connaissances générales ;
xxxx3° D’une épreuve de connaissances typographiques ;
xxxx4° D’une épreuve de vitesse et de connaissances des choses de l’actualité ;
xxxx5° D’une épreuve de tierce.

Art. 2. — Trois jeux différents d’épreuves de chaque matière sont déposés au siège social.

Art. 3. — Le jour et l’heure de l’examen sont fixés par le Comité syndical, qui désigne, en même temps, deux de ses membres pour assister le Secrétaire général. Celui-ci doit aviser les postulants du jour et de l’heure choisis par le Comité.

Art. 4. — Les membres du Comité désignés doivent se réunir une demi-heure avant l’heure fixée aux postulants pour procéder au tirage au sort du jeu d’épreuves qui leur sera fourni. Chaque jeu sera simplement numéroté.

Art. 5. — L’examen passé, un dossier des épreuves de chaque candidat est constitué et remis immédiatement entre les mains de la Commission constituée convoquée à cet effet. Les noms des postulants ne doivent pas figurer sur les épreuves, mais simplement leur numéro d’ordre.

Art. 6. — La Commission doit se réunir le jour de l’examen. Elle donne son avis en mettant au bas de chaque épreuve : admis ou refusé. Elle remet ensuite chaque dossier entre les mains du Secrétaire général qui donne connaissance des décisions prises par elle à la plus prochaine séance du Comité. Celui-ci statue définitivement[25] en tenant compte des observations de la Commission.

Art. 7. — Les postulants peuvent se servir d’un dictionnaire mis à leur disposition par le Syndicat[26].

Art. 8. — Les trois premières épreuves seules sont éliminatoires. Quant aux deux autres, elles servent d’indication pour le placement.

Il convient, tout d’abord, de féliciter vivement le Syndicat des Correcteurs de Paris et de la Région parisienne d’avoir compris la nécessité de faire subir un examen de capacité à tous les candidats qui sollicitent leur inscription sur ses registres. Si les textes des épreuves sont convenablement choisis, si leurs difficultés techniques et littéraires ne sont pas un vain mot, si l’examen a lieu dans des conditions normales, en dehors de tout esprit de parti ou de favoritisme, cette formalité est, pensons-nous, le moyen le plus sûr de se rendre compte des capacités des futurs syndiqués.

Par de nombreux points l’examen imposé par le Syndicat se rapproche du programme tracé par l’Imprimerie Nationale pour le recrutement de ses lecteurs d’épreuves[27]. Sur un point il lui est peut-être préférable : il comporte en effet une « épreuve de connaissances typographiques », celle-ci, nous l’avons dit antérieurement[28], ne pouvant, si elle est bien comprise, laisser aucun doute dans l’esprit des membres de la Commission d’examen sur le plus ou moins de valeur typographique des candidats.

Il est regrettable, toutefois, que l’examen comporte seulement « une épreuve typographique de connaissances générales ». D’abord, l’expression « connaissances générales » est plutôt vague. L’histoire, la géographie, l’arithmétique, l’algèbre, la chimie, la physique, la médecine, la cosmographie, comportent des connaissances générales au même titre que le droit, la mécanique, l’histoire naturelle, même la religion, etc., dont tous les correcteurs doivent posséder des notions suffisantes. C’est, il semble, beaucoup pour une épreuve si celle-ci embrasse toutes ces connaissances ; ce n’est pas assez, au contraire, si elle n’aborde qu’un ou deux de ces sujets.

Il est enfin une épreuve dont il faut vivement regretter l’omission dans l’examen d’admission au Syndicat des Correcteurs : « la correction d’un texte latin, la correction d’un texte grec et celle d’un texte en une ou plusieurs langues modernes ».

Alors que l’Imprimerie Nationale, par les conditions d’examen imposées, semble accorder une préférence à l’érudit sur le typographe, le Syndicat des Correcteurs a volontairement composé un programme qui, au point de vue de l’admission, met sur le même rang, au détriment de leurs capacités littéraires, le correcteur typographe et le typographe qui aspire à devenir correcteur[29].

Sans vouloir insister, il est permis de dire que le grec, le latin et une ou plusieurs langues modernes (à la demande du candidat) auraient pu figurer dans le programme comme épreuves facultatives. À l’instar de « l’épreuve de vitesse et de connaissances des choses de l’actualité » et de « l’épreuve de tierce », elles auraient servi « d’indication pour le placement ».

Cette manière d’agir aurait assurément contribué grandement à rehausser, s’il est possible, le prestige matériel du Syndicat des Correcteurs ; elle aurait été aussi une tentative intéressante — la première, sans doute, qui aurait été réalisée à notre époque — dans la voie du relèvement de la situation du correcteur. Il n’est pas douteux en effet que nombre de correcteurs dont l’entrée et le maintien dans la profession donnent lieu à maintes critiques auraient été amenés à élever le niveau de leurs connaissances techniques et littéraires si, ces épreuves existant, ils avaient eu le désir d’adhérer au Syndicat des Correcteurs.


V. — Société amicale des Protes et Correcteurs d’imprimerie de France.


conditions d’admission


Une société s’est formée en 1897, sous le nom de Société amicale des Protes et Correcteurs d’Imprimerie de France, que ses adhérents appellent par abréviation l’Amicale[30], désignation que nous utiliserons exclusivement pour alléger notre rédaction.

D’abord réservée aux directeurs et aux protes, puis aux correcteurs, cette Société a ultérieurement agrandi sa sphère d’influence.

Aux termes de l’article 4 de ses Statuts, ses « membres participants se recrutent parmi les typographes qui dirigent effectivement une imprimerie, un atelier de composition ou de machines »… L’article 15 du Règlement intérieur précise ce qu’il faut entendre par les mots « dirigent effectivement » : « Pour faire partie de l’Amicale, un prote ou chef de service devra avoir au moins cinq ouvriers ou ouvrières adultes sous ses ordres. » Ainsi, aux protes et aux correcteurs sont venus s’ajouter les metteurs en pages chefs d’équipe, les chefs de matériel, les chefs conducteurs et, sous le nom de chefs de service, certains sous-ordres de direction qui de la typographie ne connaissent rien… ou presque rien.

Mais cette question est ici d’importance secondaire et hors de notre sujet.

D’après l’article 4 déjà cité, les membres participants de la Société, de l’Amicale, suivant l’expression consacrée, « se recrutent parmi les correcteurs en titre ». — Les rédacteurs de cet article n’ont point, et sans doute il faut le regretter, pris soin de définir exactement ce qu’il faut entendre par « correcteur en titre ». Seul, l’article 7 apporte un vague éclaircissement à ce sujet : « Pour qu’une demande d’admission soit prise en considération, il faut que le candidat justifie avoir rempli, pendant deux ans au minimum — dont une année au moins dans la même Maison — les fonctions qui lui donnent le droit d’entrée dans la Société. »

Ainsi, les deux premières années d’exercice de sa profession révolues, un correcteur a le droit de demander son affiliation à l’Amicale. Mais ce correcteur peut-il se considérer comme étant un « correcteur en titre », suivant l’expression de l’article 4 ? Toute la question est là pour nous.

Très franchement, très catégoriquement, une réponse négative s’impose. À moins de posséder des capacités exceptionnelles et des qualités remarquables, un apprenti correcteur, après deux années d’exercice de la profession, ne saurait — si nous en jugeons d’après notre expérience personnelle — se dire « correcteur en titre ».

Aussi bien peut-être les auteurs des Statuts ont-ils compris combien précaires étaient, au point de vue d’un bon recrutement, les garanties de ces prescriptions ; et dans le but sans doute de parer à une erreur toujours possible et de ne permettre l’accès dans la Société qu’aux seuls sujets vraiment dignes d’y être admis, ont-ils songé à adjoindre à la condition principale quelques formalités supplémentaires, que prévoit l’article 7 : « Les demandes d’admission sont adressées au Président de la Société, sur une feuille spéciale que le candidat doit remplir entièrement et très lisiblement. »

Outre les renseignements d’état civil, toujours indispensables, cette feuille mentionne : la date d’entrée dans la profession ; la Maison dans laquelle le candidat est employé ; le genre de travaux dans lesquels l’imprimerie — et, dès lors, le correcteur — s’est, le cas échéant, spécialisée : travaux de ville, labeurs scientifiques ou littéraires, revues, journaux, etc. ; le travail confié au postulant : correction en premières, correction en secondes, revisions, tierces, correction d’un journal, etc. ; les différentes situations occupées antérieurement par le futur sociétaire ; les connaissances spéciales dont celui-ci peut se prévaloir : latin, grec, langues orientales, anglais, allemand, italien, espagnol, etc.

Reconnaissons-le, lorsque tous ces renseignements font, de la part du postulant, l’objet de déclarations sincères, aucune hésitation ne peut s’élever sur le droit de celui-ci à être admis dans la Société. Malheureusement, les réponses à un questionnaire — toujours jugé indiscret ou gênant — sont parfois ou incomplètes ou rédigées de manière ambiguë[31]. Le Conseil d’administration doit alors au milieu des arguties démêler la vérité :

Les renseignements fournis sont contrôlés par le Conseil d’Admi- nistration, qui statuera sur l’admission après un préavis obligatoire du Bureau de la région à laquelle appartient le candidat.

Art. 8. — Entre la publication, dans la Circulaire, de la demande d’adhésion et l’admission définitive, devra s’écouler un délai d’au moins deux mois, pour permettre aux membres de la Société connaissant le candidat de faire parvenir au Conseil d’Administration de l’Amicale les renseignements qu’ils jugeraient susceptibles de l’intéresser à propos de l’adhésion.

Il serait certes intéressant, arrivé à ce point de notre étude, de rechercher impartialement quel rôle l’Amicale tient, non point seulement dans le recrutement — nous voulons dire dans l’accès à la profession — des correcteurs, mais encore dans leur instruction technique et dans leur formation pratique. De quelle influence jouit la Société sous ce rapport auprès des maîtres imprimeurs ; quelle autorité possède-t-elle dans le monde typographique ; quels efforts a-t-elle, soutenue par l’aide précieuse et déjà imposante de ses sept cents membres, faits dans ce sens ? Plus simplement même, aux termes de ses Statuts, l’Amicale peut-elle et doit-elle se préoccuper de ces questions si importantes pour l’avenir de notre corporation ?

Sans outrepasser les limites fixées à une critique impartiale, nous pouvons estimer que sur le premier point — recrutement — l’Amicale a tenu jusqu’ici un rôle par trop effacé, et que certains inconvénients en sont résultés pour la sauvegarde des intérêts dont elle a assumé la charge.

Nous verrons, dans une autre partie de cette étude, quels efforts l’Amicale a tentés « pour le relèvement du prestige professionnel et l’amélioration de la situation de ses membres[32] » ; mais dès maintenant il semble nécessaire de dire que ces efforts ont été insuffisants, parce que trop intermittents.

Enfin, pour répondre à une autre de nos questions, nous dirons que l’Amicale non seulement peut, mais qu’elle doit se préoccuper de l’instruction littéraire et de la formation technique du correcteur. Pour obtenir « un relèvement du prestige professionnel », pour « améliorer la situation de ses membres[33] », il est indispensable d’abord de « relever » le niveau de leurs connaissances typographiques et de s’assurer de la réalité de leurs capacités littéraires ; ces premiers points acquis, il est non moins indispensable pour l’Amicale de guider ses adhérents dans l’exercice de leur profession, de dissiper leurs incertitudes, de les éclairer de conseils judicieux, enfin d’écarter de leur route ces causes d’accidents dont les conséquences sont maintes fois si pénibles.

Sans doute, pour satisfaire à ces desiderata, l’Amicale a créé un organe, la Circulaire des Protes, qu’elle aurait voulu être un technique de tout premier ordre. Mais il faut avouer que jusqu’ici cette tentative n’a pas atteint pleinement le but cherché : les dissertations, les développements, les rapports sur la vie sociale de l’Amicale que l’on y rencontre ont parfois mis ce périodique en état d’infériorité manifeste sur nombre de journaux professionnels. D’autre part, alors que l’on aurait pu espérer, en raison même de la nature de la Société, recruter un nombre fort élevé de collaborateurs émérites, trop souvent on retrouve dans les colonnes les mêmes noms de rédacteurs. De ce fait, les sujets et les idées manquent de cette diversité, de cette variété qui fait le principal intérêt de tout périodique. Sur ce point, la Société a incontestablement un long effort à accomplir avant de s’estimer avoir donné satisfaction à son programme. Enfin, la Circulaire des Protes, en quelque sorte réservée aux membres de l’Amicale, est peu connue en dehors de sa sphère d’action ; elle n’a ainsi aucune influence sur les « typographes », — et, conséquemment, sur les correcteurs — non adhérents à la Société, et c’est là au point de vue du recrutement de l’Amicale, comme au point de vue de la formation professionnelle du correcteur, une lacune regrettable.

Et, dès lors que la « formation professionnelle du correcteur » a lieu en dehors et indépendamment de l’Amicale, dès lors que cette dernière accepte celui-ci sur la foi de renseignements parfois sujets à caution, dès lors qu’elle ne peut affirmer qu’il est réellement typographe et érudit, comment les efforts tentés jusqu’ici par elle pour le relèvement du prestige professionnel et l’amélioration de la situation matérielle de cet adhérent ne se heurteraient-ils pas à des obstacles redoutables ? Pour consolider, pour fortifier un mur qui menace ruine, un architecte ne commence point son travail vers le milieu de la construction. Il s’assure d’abord que la base est solide, résistante, à l’abri de toute épreuve ; s’il en est autrement, le maçon répare, reconstruit au besoin, et sur de nouvelles fondations élève un monument durable. L’Amicale n’aurait-elle pas commis cette erreur de tenter une rénovation sur une base dont les assises n’offrent qu’une sécurité relative ?

Cette anomalie paraît, d’ailleurs, avoir frappé nombre d’esprits, et maintes idées se sont fait jour qui prétendent porter remède à une situation jugée pour le moins paradoxale.

Il y a quelques années, un projet fut élaboré qui classait les protes — et également les correcteurs — en catégories distinctes, suivant leur situation, leurs fonctions et aussi — disons-le bien vite — suivant… l’importance de leurs versements à la Caisse de l’Amicale[34]. Ce projet n’eut point les honneurs d’une discussion en Assemblée générale ; de telles critiques avaient en effet accueilli sa publication que l’auteur crut devoir le retirer.

Il semble pourtant que, sur un point particulier, son auteur M. Leconte ait fait preuve du louable désir de relever le niveau professionnel des correcteurs membres de l’Amicale, ou, plus simplement, de s’assurer si leurs capacités techniques leur donnaient le droit de prendre rang dans la Société. S’il n’est pas besoin assurément de classer les correcteurs en catégories ou en première, deuxième et troisième série, on peut estimer toutefois — M. Dumont et d’autres encore pensent tout au moins, croyons-nous, de cette façon[35] — qu’il serait convenable, avant leur admission dans la Société, de leur faire subir un examen de capacité. Les dires d’un candidat sont trop souvent intéressés, les affirmations d’un collègue sont non moins fréquemment dénuées de cette sincérité obligatoire dans maintes circonstances pour le bon renom de tous. L’examen, un examen sérieux, des connaissances techniques et littéraires du postulant serait préférable à toutes les affirmations, à toutes les enquêtes.

De l’avis de ses partisans, cet examen — dont le programme pourrait combiner convenablement le concours littéraire de l’Imprimerie Nationale avec l’examen technique du Syndicat des Correcteurs[36] — n’aurait rien qui puisse effrayer les correcteurs ayant le désir ou comprenant la nécessité d’adhérer à l’Amicale[37]. Ceux-là sauraient en effet que d’avoir subi convenablement les épreuves imposées peut leur donner le droit de se dire vraiment correcteurs et typographes et de prétendre à une situation plus avantageuse.

Le recrutement de l’Amicale parmi la corporation des correcteurs se trouverait, du fait de l’examen, singulièrement ralenti ; nombre de ceux-ci insuffisamment préparés ou ne remplissant pas les conditions exigées se trouveraient éliminés avant même d’avoir posé leur candidature. Mais il n’y aurait là rien qui doive inquiéter ; la situation serait analogue à celle signalée, un jour, à l’Assemblée générale du Syndicat des Correcteurs de Paris : dans cette organisation, de 1914 à mars 1919, « soixante demandes d’admission ont été formulées, trente-six candidatures seulement ont été agréées ». D’ailleurs, l’Amicale n’a pas à s’inquiéter « du souci de ne pas encombrer inutilement la corporation[38] », les candidats qui lui viennent appartenant déjà à la profession ; ce qui seul lui importe, c’est, après un contrôle sérieux, après des renseignements pris sur chaque candidature, de déclarer que les correcteurs qu’elle compte parmi ses membres sont qualifiés pour exercer leur profession.

À l’encontre des considérations qui viennent d’être impartialement résumées, il en est, même parmi les non-intéressés, qui s’effraient de ce qu’ils estiment « une innovation… regrettable ». Ceux-là vont répétant sans cesse, à tout propos et à tout venant : « N’oublions pas que nous sommes une Amicale, et que chez nous tout doit être traité entre amis, entre camarades. » Et, chose surprenante, ces mêmes amis, ces mêmes camarades, tout les premiers, dans les réunions, dans les congrès, se lamentent des résultats d’un mode de recrutement dont ils sont les plus fermes défenseurs. Aucun d’eux ne consentira jamais à modifier, en un sens ou dans l’autre, des « errements » dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont, eux aussi,… regrettables. Avec une pudibonderie qui pourrait paraître risible, ils s’effraient : « Un examen pour les correcteurs candidats à l’Amicale ! » Un peu plus ils se voileraient la face !

Cependant, si « le mot examen est gros, la chose l’est infiniment moins et n’a de quoi effrayer personne[39] » … Sans doute, on peut estimer qu’il est « peu élégant d’interroger de futurs confrères, de leur décerner un brevet de capacité. Mais disons, d’abord, qu’il y a la manière ; que des gens qui ont eu ce scrupule n’auront jamais l’allure de mauvais pions ; que l’examen sera un examen écrit, sans embûches, loyal, impartial ; qu’enfin, nous ne demanderons, en somme, aux candidats que ce que nous savons nous-mêmes.

« Nous avons le droit de prétendre que tous ceux qui entrent dans notre profession doivent savoir l’exercer. De cette façon nous ferons peut-être entrer dans la tête de bien des gens qu’on ne s’improvise pas correcteurs et que la correction est un métier. Enfin, nous offrirons aux patrons des garanties[40] » sérieuses en faveur des candidats aux emplois vacants, en même temps que nous sauvegarderons les intérêts de notre corporation.

Quelle impossibilité morale et matérielle y aurait-il, d’ailleurs, à instituer l’examen au nombre des conditions auxquelles un candidat devrait satisfaire avant son admission à la Société ?

Le Syndicat des Correcteurs de la région parisienne n’en fait-il pas la condition essentielle à laquelle doivent se soumettre les postulants qui réclament leur inscription sur ses registres ? L’Imprimerie Nationale n’impose-t-elle pas un examen à ses lecteurs d’épreuves et à ses correcteurs ? Dans maintes imprimeries, dans nombre d’industries, dans certaines professions, dans les ateliers des grandes Compagnies, avant d’être admis, les « solliciteurs » ne sont-ils pas astreints à un stage plus ou moins prolongé — sorte d’examen — au terme duquel seulement, s’ils ont donné satisfaction, ils sont considérés comme appartenant définitivement au personnel ?

Un patron avisé n’oublie jamais de préciser la nature de l’emploi offert. S’il écoute les assertions des postulants, il n’est pas cependant obligé de les croire à la lettre : un employé se juge à l’œuvre… aussi bien dans l’industrie que partout ailleurs. Si le patron ne fait point, au moment de leur entrée dans sa Maison, subir un examen à ses salariés, tout au moins réserve-t-il son jugement jusqu’au jour où il pourra déclarer « qu’il les a vus au travail ». L’examen est plus long, plus complet et, partant, plus difficile.

D’après ceux qui en réclament avec énergie l’adoption, l’examen serait, pour les correcteurs, la base aux puissantes assises sur laquelle l’Amicale tenterait d’asseoir l’œuvre du relèvement moral et matériel de la corporation. Le recrutement des candidats à la profession s’en trouverait certes grandement modifié, et l’on ne verrait plus — il faut l’espérer — ces exemples déplorables de « déclassés exerçant la profession de correcteur parce qu’ils n’en trouvent pas d’autre ou pas de meilleure ».


VI. — À l’Étranger.


En Angleterre — pays où les syndicats ont une importance économique et ouvrière ainsi qu’une autorité tout autres que celles dont ces organisations jouissent en France — la situation est fort différente. L’Anglais n’estime point qu’un examen soit nécessaire au correcteur pour appartenir à une association syndicale ; toutefois, il pense, avec juste raison, croyons-nous, qu’il ne peut être donné à n’importe quel compositeur typographe d’accéder à la profession et aux fonctions de correcteur. Lors de son admission au syndicat, l’intéressé reçoit, à titre de pièce d’identité, une carte corporative. Si, dans l’exercice de ses fonctions, le correcteur syndiqué est, de la part de son patron, l’objet, le sujet plutôt, d’une plainte, le syndicat retire la carte et dès lors exclut de son sein le coupable. Ainsi le patron « juge à l’œuvre » ; l’association confirme l’arrêt, mais ne se soucie point de délivrer elle-même un brevet de capacité.


  1. Boutmy, Dictionnaire de l’argot des typographes, p. 44.
  2. À ce « demi-vieux », littérateur technique en ses ultimes journées de labeur, dont l’amitié trentenaire nous fut précieuse et profitable, nous voulons adresser ici un merci sincère et un souvenir ému.
  3. Berthold Rembolt, originaire de Strasbourg, fut un moment (avant 1510) l’associé de Gering ; vers 1513, il s’était établi rue Saint-Jacques en la maison à l’enseigne le Coq et la Pie ; il mourut en 1518.
  4. Claude Chevalon reprit la direction de l’imprimerie de Rembolt.>
  5. Bertrand-Quinquet, Traité de l’Imprimerie, p. 12 (an VII).
  6. Paris à travers les siècles, t. I, p. 310.
  7. Nous rappelons que très fréquemment les ateliers possédaient une enseigne particulière, distincte de celle de la maison en laquelle ils étaient établis.
  8. Voir page 82.
  9. D’après M. Maurice Sabbe, conservateur du Musée Plantin-Moretus, les Grands Belges : Christophe Plantin, p. 11 et 12 ; 1920.
  10. Correspondance de Plantin, II, 172.
  11. Voir pages 83, 440 et 502.
  12. Correspondance, II, 173.
  13. Organe officiel de la Société amicale des Protes et Correcteurs d’Imprimerie de France (n° 203).
  14. D’après un Rapport présenté au Syndicat des Correcteurs de Paris (Bulletin du 30 mars 1919).
  15. Cette dernière assertion pourrait peut-être donner lieu à controverse intéressante. « Il faudrait encore voir », comme dit l’autre
  16. « Quand le prote le juge nécessaire, ils [les lecteurs d’épreuves] peuvent être chargés de la lecture de n’importe quelles épreuves », disait l’article Ier de l’arrêté du 7 mars 1912.
  17. Modifiant l’arrêté du 7 mars 1912, dont la Circulaire des Protes (n° 211, septembre 1913) avait donné le texte.
  18. Communication des services de la Direction de l’Imprimerie Nationale.
  19. À toute époque, croyons-nous, la Direction de l’Imprimerie Nationale prend note des demandes qui lui sont adressées en vue de prendre part aux concours d’admission.
  20. Journal officiel, 25 nov. 1910, p. 2941 (Circulaire des Protes, n° 179, janvier 1911).
  21. Voir page 520.
  22. Circulaire des Protes, n° 179, janvier 1911.
  23. Un Syndicat de Correcteurs existait, à Paris, dès l’année 1882 ; d’après Boutmy, il comprenait alors parmi ses adhérents la plupart des membres de la Société fraternelle des Correcteurs des Imprimeries de Paris, société de secours mutuels fondée on 1865, mais qui eut son ancêtre en 1848, si nous en croyons les statuts dont la Bibliothèque Nationale possède un exemplaire, imprimé par Lacour, à Paris (in-8°) (voir p. 448, note 3).
  24. Nous passons sous silence les droits d’affiliation qui sont fort élevés et dont le versement obligatoire constitue également une condition d’admission.
  25. Définitivement est une expression qui indique mal la situation du candidat, à ce moment : « La Commission met au bas de chaque épreuve : admis ou refusé » ; et le Comité, sur les observations du Secrétaire général, « statue définitivement ». Si l’on s’en tient rigoureusement à la lettre de cette expression, le candidat à dater de ce moment ferait définitivement partie du Syndicat. Or la situation est tout autre, ainsi que l’indique l’article 6 des Statuts : « Art. 6. — Aussitôt le candidat admis par la Commission d’examen, notification doit en être faite aux syndiqués par la voie de l’organe fédéral. — Si, quinze jours après l’insertion, aucune observation relative au postulant ne parvient au Comité syndical, l’admission devient définitive. »

    Le mot définitivement de l’article 5 du Règlement intérieur relatif à l’examen signifie simplement que les conclusions de la Commission d’examen sont définitives seulement après rapport du Secrétaire général et approbation du Comité : le refusé est alors écarté ; l’admis reste toujours un candidat dont l’admission provisoire doit être mentionnée dans l’« organe fédéral » et « notifiée aux syndiqués » qui ont le droit de présenter des observations et peut-être de s’opposer à l’admission… définitive.

  26. Il est bon de remarquer que, dans l’examen d’admission au titre de lecteur d’épreuves à l’Imprimerie Nationale, le candidat fait la correction… « sans le secours d’aucun livre ».
  27. Voir page [[Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/159 |137]].
  28. Voir page [[Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/164 |142]].
  29. L’article 11 des Statuts confirme implicitement cette manière de voir : « Art. 11. — Tout Fédéré du Livre, devenu ou voulant devenir correcteur, doit demander son transfert, après avoir réuni les conditions exigées aux articles 2 et 3 et satisfait aux dispositions de l’article 4. Il est également exonéré du droit d’affiliation. »

    Le Rapporteur de la Commission de révision des Statuts va même plus loin. Dans le Rapport présenté au nom de la Commission, à l’Assemblée générale du Syndicat, le 30 mars 1919, il dit très nettement : « Une dernière objection s’est élevée. Cet examen étant technique, les linos et les typos sont avantagés. Évidemment, et il serait étrange qu’il en fût autrement. N’oublions pas qu’ils ont le droit de transfert. Aussi bien l’examen ne sera, le plus souvent, pour eux, qu’une formalité, l’instruction et la culture générale des typos et linos étant au-dessus de celles visées par l’examen. » — Nous croyons devoir présenter ici une remarque : pour être bon correcteur, être typographe est une chose assurément indispensable ; mais il est non moins nécessaire d’être érudit et lettré : toutes les connaissances techniques imaginables ne combleront jamais les lacunes d’une instruction incomplète. Le Rapporteur paraît l’oublier, — et l’instruction dont il parle n’est point celle dont nos devanciers se faisaient une obligation.

  30. Le titre donné dès l’origine à la société était « Société amicale des Protes et Correcteurs d’Imprimerie de Province ». — La première Assemblée générale constitutive de la Société fut tenue à Lyon le 6 juin 1897 ; mais dès 1891 le programme qui servit de base aux Statuts était rédigé par J. Comet, Billaud, Misaël Lefèvre, Gustave Robert, Guyet, etc. ; la Circulaire des Protes parut, croyons-nous, en 1895 ; le premier Président de l’Amicale, fut Théotiste Lefevre qui veilla aux destinées de la Société du 6 juin 1897 au 1er août 1921 ; son successeur fut A. Gcoffrois (de Bordeaux).
  31. Si nous en croyons les observations maintes fois présentées au cours des réunions auxquelles il nous a été donné d’assister.
  32. Voir page 548.
  33. Article 2 des Statuts : But de la Société.
  34. Circulaire des Protes, novembre 1912, p. 201.
  35. Ibid., mars 1921, p. 36, et mai 1921, p. 78.
  36. Voir encore sur ce sujet : Circulaire des Protes, juillet-août 1909 (M. Dumont) et mars 1921 (L. Bothy).
  37. « Comment sera constituée la Commission chargée de présider à l’examen dont vous parlez ? » nous a-t-on demandé. — On voudra bien remarquer que nous nous bornons à développer ici « maintes idées » dont nous ne sommes point le protagoniste ; il n’est pas dans notre intention — et nous n’en avons point la possibilité, on le comprendra — de compléter les lacunes des projets d’autrui.
  38. D’après le Bulletin du Syndicat des Correcteurs et Aides-Correcteurs de Paris, numéro du 30 mars 1919.
  39. D’après le Rapport de la Commission de revision des Statuts du Syndicat des Correcteurs de Paris (Bulletin du 30 mars 1919).
  40. Ibid.