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Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 1/12/02

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E. Arrault et cie (1p. 485-548).


§ 2. — SITUATION MATÉRIELLE DU CORRECTEUR


I. — Les salaires.


A. — Généralités


Tous les témoignages du passé s’accordent pour affirmer que, dès les premiers temps de l’imprimerie, le correcteur ne fut « point considéré par le maître comme un inférieur, comme un salarié, mais comme un collaborateur, comme un ami ». Très souvent même, il n’était que cela, n’ayant avec le personnel qu’un seul lien, l’œuvre entreprise ; un seul souci, la beauté du travail ; un seul but, l’achèvement heureux du livre.

Cette situation n’était point sans quelques exceptions, il faut le croire ; elle ne devait d’ailleurs pas durer. Déjà, avant que soit écoulé le siècle qui eut l’honneur de présider à la naissance de l’art typographique, les textes laissent entrevoir la certitude d’une rémunération versée au savant qui déchiffre, qui annote ou qui complète le manuscrit et assure la revision des épreuves. Celui-ci travaille tantôt pour le Soleil d’Or (Sol aureus), tantôt pour le Chevalier au Cygne, ou pour le Soufflet Vert. Parfois, à l’instar des compagnons, le correcteur vit au milieu de l’atelier ; il s’assied alors à la table des maîtres ; son salaire est fixe, sans aucun rapport avec l’œuvre accomplie et le temps de travail. D’autres fois, le correcteur est chargé d’une tâche bien déterminée, qui l’oblige à une préparation attentive du travail et à des recherches longues et soignées ; la rémunération est débattue d’un commun accord avec le maître sans aucun égard à la longueur du temps. Mais, dans l’un comme dans l’autre cas, le correcteur compte parmi les membres de la famille industrielle et artistique de l’imprimeur : il prend part à ses joies et à ses peines, comme il s’associe à ses succès et à ses déboires.

Dès le début du xvie siècle, à côté ou à la place des ateliers primitifs — ateliers de famille, suivant nombre d’écrivains[1] — se créèrent des établissements où les maîtres, « principalement des libraires, sans connaître par eux-mêmes le métier, organisèrent le travail dans le but exclusif de réaliser de forts bénéfices ». De ce jour la classe ouvrière était née dans notre profession : éclose sous un régime de liberté, sous la protection de l’Université qui fut « la fille aînée et bien-aimée des rois », jouissant de toutes les faveurs et de toutes les prérogatives accordées à celle-ci, l’imprimerie n’emprunta d’abord aux usages corporatifs des autres métiers que quelques-unes de leurs coutumes : telle est, tout au moins, la conviction acquise à la lecture des auteurs (L. Radiguer, P. Mellottée, etc.) qui ont étudié la vie et les usages des ateliers typographiques depuis leur origine.

Le « travail en conscience[2] », cela est certain, fut le seul que l’on connut, dès le début, à l’imprimerie de la Sorbonne, comme à celles de la rue Saint-Jacques, puis à Lyon et dans les autres villes, au fur et à mesure que la typographie s’étendit : tour à tour, les compagnons composaient, corrigeaient et imposaient ; puis ils préparaient le papier, l’encre et les balles et imprimaient ; enfin, ils rangeaient le matériel et secondaient le maître dans toute sa besogne. Plus tard, une division du travail devait s’opérer : un certain nombre de compagnons « exécutèrent les ouvrages délicats » ou difficultueux, qui ne pouvaient supporter le mode de rémunération ordinaire à la tâche ; ils aidèrent le prote dans ses fonctions et furent chargés des soins à donner au caractère et au matériel ; parmi les autres, on distingua « les cassiers et les metteurs en pages : les cassiers faisaient les compositions proprement dites ; … les metteurs en pages imposaient[3], c’est-à-dire disposaient dans les formes les paquets de composition exécutés par les cassiers » ; parfois cependant un « compagnon cumulait les deux fonctions[4] » du cassier et du metteur.

Le genre de salaire et l’époque de son paiement subirent maintes modifications : la rémunération avait lieu pour une part en argent, pour le reste en nature, « feu, lict, hostel et lumière », ou simplement « pain, vin et pitance » ; en 1571, un édit auquel, semble-t-il, maîtres et compagnons apportèrent d’eux-mêmes pendant quelque temps maintes dérogations, ordonna que le salaire en argent serait désormais d’usage général. Le règlement des salaires fut d’abord peut-être annuel ; plus tard, il eut lieu à époques indéterminées, à l’achèvement du travail ; ensuite il devint mensuel, puis bimensuel et, enfin, hebdomadaire.

Le taux de la rémunération des compagnons en conscience n’est que fort rarement mentionné dans l’énorme fatras de documents concernant notre profession qui nous est parvenu. « Si l’on relève avec minutie tous les ouvrages publiés par les moindres imprimeurs au xve et au xvie siècle, l’on ne s’est jamais demandé quelle était la situation de ceux qui faisaient ces livres, quelles étaient leurs aspirations, quel était leur salaire[5]. » Lorsque, en 1539, après les grèves de Lyon et les demandes des maîtres imprimeurs parisiens, les rois commencèrent à légiférer sur le « faict de l’imprimerie », l’obscurité de la question qui nous occupe s’illumine de quelques rayons de lumière ; mais « c’est à peine si dans les manuscrits, si dans les actes notariés ou publics, nous trouvons une trentaine d’indications de salaires. Sous l’ancien régime, l’ouvrier est trop bas dans l’échelle hiérarchique de la société pour attirer l’attention des économistes. On ne s’en préoccupe pas, et on n’en tiendra compte que lorsqu’il s’imposera à l’attention en se soulevant[6] ».

Le salaire du « travail aux pièces », à la tâche plutôt, n’était point calculé comme il est d’usage de nos jours une sorte de série de prix existait, comprenant la composition, la correction, la mise en pages et l’imposition[7] (on assimilerait assez volontiers cette situation, avec quelques restrictions cependant, au travail en commandite) ; suivant le caractère, suivant le nombre des lignes et leur longueur, suivant le format[8] (in-folio, in-4o, in-8o), suivant le texte (français, latin ou grec) la feuille était tarifée un prix déterminé[9]. Lorsque le compagnon assumait le travail du cassier et du metteur, grâce à sa rémunération « à tant la feuille, il récupérait sur l’une de ces fonctions ce que l’autre pouvait avoir de désavantageux[10] ».

Ce système hybride devait donner naissance à des plaintes nombreuses, en raison des multiples fonctions étrangères au travail proprement dit[11], auxquelles le compositeur était astreint : les doléances des compagnons sur « la misère à laquelle ils sont réduits par l’avarice desdicts maistres sont incessantes dès les premières années du xvie siècle. Les récriminations prirent même parfois un ton si violent, particulièrement au cours de la grève lyonnaise de 1539, que le Pouvoir crut devoir intervenir.

Le roi pensait, peut-on supposer, que les règles tracées par lui, en cette circonstance, puis modifiées en 1571, fixeraient à jamais pour l’imprimerie une limite à des réclamations dont les autres corporations pourraient prendre prétexte pour élever de semblables prétentions et créer un état de choses dangereux pour l’ordre public[12]. Mais les compagnons, encouragés par les quelques résultats heureux obtenus ou excédés des injustices commises à leur égard — les deux opinions sont également vraies — n’eurent garde de se considérer « tenus à tousjours » par les termes d’édits que les rois déclaraient « perpétuels et irrévocables ». Les requêtes, les mémoires, les remontrances, les monopoles, les grèves furent les armes pacifiques ou violentes dont les ouvriers firent tour à tour usage pour appuyer leurs demandes et obtenir une solution conforme à leurs désirs. Et l’autorité royale qui, une première fois, avait cru pouvoir, pour le bien du « noble art » et la sauvegarde des intérêts généraux, intervenir dans un conflit essentiellement corporatif, dut jusqu’à la fin de l’ancien régime arbitrer des sentences dont fréquemment l’une ou l’autre des parties chercha à éluder les prescriptions.

Ce n’est que grâce à ces actes des autorités de l’ancien régime qu’il est loisible de donner certaines précisions générales sur la situation financière de l’ouvrier imprimeur ou du compositeur, au cours du xvie, du xviie et du xviiie siècle.

Malheureusement, en raison même de sa situation qui fait de lui un chef — alors qu’il est prote-correcteur, — ou qui lui crée une place à part — s’il est simple correcteur, — et le met ainsi au-dessus et en dehors des partis, le correcteur n’est que rarement nommé dans ces actes du Pouvoir (Parlement, Conseil privé, roi). Aussi les documents officiels font-ils complètement défaut sur le salaire que recevait le correcteur pour la rémunération de ses « bons et loyaux » services.

À peine, dans l’important et si instructif travail que constitue pour notre corporation la Bibliographie lyonnaise de M. Baudrier, avons-nous trouvé une trentaine de mentions concernant le prélecteur, le collationneur ou le correcteur d’imprimerie : la plupart sont relatives à des taxes, à des impositions, ou mentionnent la présence des intéressés à la conclusion par-devant notaires d’actes privés ; une dizaine, au plus, contiennent des indications, aussi nettes que précieuses, sur le contrat de travail, sa durée et le salaire d’un correcteur au xvie siècle.

Force nous sera donc, en écrivant rapidement ce paragraphe, de nous borner maintes fois à rappeler les salaires des ouvriers compositeurs. On en déduira aisément, par approximation, le taux des appointements alloués au correcteur. Lorsqu’un document précis viendra dissiper l’obscurité qui enveloppe cette question, ce sera une bonne fortune dont le lecteur profitera avec le plus vif plaisir.


B. — Les salaires au xvie siècle


a. — En France


Sentence du sénéchal de Lyon du 31 juillet 1539 — Un arrêt du Conseil privé, en date de 1536, condamne « un quidam, maistre imprimeur, notamment de Lyon, qui vouloit retrancher la nourriture accoustumée desditz compagnons ». À cette époque, le compagnon reçoit un salaire mensuel ; il mange chez son patron, « mais à une table spéciale, celle des employés de l’atelier » ; s’il n’est point marié, le maître lui doit le logement.

Dès cette date, les ouvriers élèvent les plaintes les plus vives « contre la désordonnée avarice desditz maistres », cependant que ces derniers ripostent : « Il en a d’aulcuns des compagnons que l’on ne peut contenter de nourriture, soit en vin, pain, pitance, et qui veulent faire la feste, d’un jour ouvrier, et besongner aux jours de feste. »

Les patrons avaient-ils réellement raison de se plaindre, les ouvriers avaient-ils légitime sujet de récriminer ? Il est malaisé de faire à chacun un juste partage des responsabilités ; nous savons seulement qu’en avril 1539, après entente, les typographes lyonnais « monopollés » avaient « discontinué ledict train d’imprimerie, quitté leur besongne et desbauché les aultres compagnons et apprentis » ; ils justifiaient leur attitude par trois griefs principaux : « Leurs maîtres ne les nourrissaient plus comme autrefois, leurs gages avaient été réduits, enfin on ne les laissait pas libres d’organiser leur travail à leur gré[13]. »

Désireux de couper court à toutes récriminations, les maîtres proposèrent de payer les salaires entièrement en argent ; à cet effet, ils offrirent la somme de 6 sols 6 deniers pour chaque journée de travail (5 francs de notre monnaie actuelle[14], d’après M. Hauser ; 3 fr. 90 à 4 francs, selon M. d’Avenel[15]). Les compagnons repoussèrent cette proposition : ils estimaient, sans doute, que la somme de 6 sols 6 deniers était insuffisante pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille ; mais les documents ne disent point expressément que tel fut le motif du refus opposé aux maîtres. Les ouvriers, qui réclamaient la liberté « d’organiser leur travail à leur gré, opposèrent seulement que l’art d’impression exige que l’on commence « l’un quant l’autre » à travailler et que, « allans boire et manger hors la maison dudict maistre, l’un viendroit tost, et l’aultre tard, et si, leur seroit donné occasion d’eulx desbaucher, allans ainsi vivre par tavernes ».

Le sénéchal de Lyon accepta de trancher le différend : après avoir entendu les représentants des deux parties (cinq compagnons et dix maîtres), il rendit sa sentence le 31 juillet 1539 : les ouvriers obtenaient satisfaction en ce qui concernait les salaires : « Le salaire nourriture subsistait à côté du salaire argent ; le maître devait fournir aux compagnons, à chacun suivant son rang, « pain, vin et pitance, eu égard à ce qu’on leur fournissait auparavant, cinq ou six ans dernièrement passés » et « sans avoir égard aux usages qui ont été suivis depuis quatre ou cinq ans en ça ». Pour éviter de nouvelles difficultés, une sorte d’inspection fut instituée : « toutes les contestations relatives à la nourriture devaient être examinées par le Bureau de l’Aumône qui devait en référer à justice[16] ».

Cette sentence, qui contenait, en outre, nombre d’autres prescriptions constituant une sorte de code du travail dans l’imprimerie, fut approuvée le 21 août par le Pouvoir royal, qui en ordonna l’enregistrement pour lui donner toute sa valeur légale.

Édit de Villers-Cotterets du 31 août 1539. — Tout aussitôt, les maîtres imprimeurs parisiens, émus de quelques revendications ouvrières isolées, et alors que cependant tout le monde « besongnoit » encore, soumirent au roi un projet de réglementation inspiré des prescriptions du sénéchal de Lyon. Le 31 août 1539, par un édit daté de Villers-Cotterets, François Ier acceptait les demandes des maîtres. La question des salaires était l’objet de plusieurs articles :

« IX. Item que lesdits maistres fourniront auxdits compagnons les gages et sallaires pour chacun mois respectivement et les nourriront, et leur fourniront la depense de bouche raisonnablement et suffisamment selon leurs qualités en pain, vin et pitance, comme on a fait de coutume louable.

« X. Item s’il y a aucune plainte de pain, vin ou pitance, lesdits compagnons pourront avoir recours au prévôt de Paris ou aux conservateurs de nos privilèges ou à leurs lieutenants pour y pourvoir sommairement. Et sera ce qui en sera ordonné exécuté inclusivement, nonobstant appel, comme en matière d’aliments.

« XI. Item lesdits gages et despens desdits compagnons commenceront quand la presse commencera à besongner et finiront quand ladite presse cessera… »

Le 14 octobre 1539, le roi ordonna l’enregistrement de l’édit du 31 août et par lettres patentes du 19 novembre 1541 en prescrivit le maintien et l’entière exécution[17].

Ainsi, faute par eux de pouvoir s’entendre sur la valeur réelle de leurs gages, le roi ordonna aux compagnons d’accepter et aux maîtres de « fournir aux compagnons les gages et salaires par chacun mois respectivement,… comme on a fait de coutume louable ». — Quel pouvait être le taux de cette « coutume louable » pour un compagnon, typographe ou imprimeur, ou pour un correcteur ? Excepté le chiffre de 6 sols 6 deniers que les compagnons lyonnais repoussèrent, nous ne connaissons rien qui puisse nous éclairer sur le salaire du premier à cette époque. Pour le second, nous rencontrons dans la Bibliographie lyonnaise de M. Baudrier[18] un renseignement des plus précieux :

Rhoman Philippe, d’abord maître imprimeur, puis libraire et « prélecteur d’imprimerie », fut en relations avec la plupart des imprimeurs et des lettrés de son époque. En 1551, « maistre Philippes Romain » est déclaré dans les Nommées[19] « correcteur et imprimeur » ; en 1555, il est dénommé « correcteur de l’imprimerie » ; il est appelé de ce même titre dans des contrats de vente du 12 mars 1559 et du 21 juin 1560.

— Voici le contrat le concernant : « Le 23 mai 1557, Philippe Romain, prélecteur en l’imprimerie, loue, pour six mois, à dater de la Saint-Jean prochaine, ses services à Geoffroy Beringuier, moyennant la somme de 10 écus d’or, payable en une seule fois, à la Noël suivante, et deux autres écus d’or qu’il reconnaît avoir reçus le 20 du présent mois. Beringem[20] s’engage, en outre, à le nourrir à sa table. »

Tout d’abord, cherchons ce que pouvait représenter, en monnaie actuelle (1910), les 12 écus d’or accordés à Philippe Romain pour son engagement. D’après M. P. Mellottée[21], en 1575 (cette année est l’époque la plus proche de 1557 pour laquelle nous ayons rencontré le renseignement), « l’écu d’or vaut 3 livres ». La valeur intrinsèque de la livre tournois en francs, indiquée par M. d’Avenel, pour la période de 1541 à 1560, est de 3 fr. 34, soit, pour les 36 livres de Philippe Romain, 120 francs ; le pouvoir d’achat de l’argent à cette date est évalué par le même auteur à trois fois celui de notre temps (1910). Le salaire de Philippe Romain aurait donc été, pour six mois, de 360 francs, auxquels il faut ajouter la dépense de nourriture, ou 650 à 700 francs environ d’après M. Mellottée. Le salaire annuel de notre correcteur se serait ainsi élevé, le cas échéant, au moins à 2.000 francs[22], le double exactement du tarif accepté par le même M. Mellottée, étudiant le contrat de Denys Cotterel[23], un compagnon typographe.

On conviendra aisément que ce chiffre est fort élevé pour l’époque ; il n’a rien, toutefois, qui doive nous surprendre. Il est en concordance — si l’on tient compte des mœurs et des usages différents suivant les pays, du genre de travail, de la valeur reconnue au correcteur et des préférences des maîtres — avec les tarifs de l’imprimerie Plantin, à Anvers, que nous étudierons plus loin[24]. Il est la preuve manifeste qu’à cette époque le correcteur occupait une situation de premier ordre dans la hiérarchie typographique, et que nombre de maîtres considéraient comme un de leurs principaux devoirs de lui assurer une situation matérielle équivalente.

À l’appui de ces considérations, nous donnerons quelques autres exemples de contrats de travail qui illustreront de manière indiscutable, pensons-nous, ce que nous avons dit relativement à la situation du savant chargé de « prélire », de « collationner » ou de reviser un travail :

Jacques Bonnaud de Sausset, in utroque jure licentiatus, sur les sollicitations de Constantin Fradin (1475-1536), imprimeur-libraire à Lyon, accepte « la correction et l’examen du traité[25] de Jean de Terre-Rouge » Contra rebelles suorum regum…, moyennant « une bonne rétribution ». Jacques Bonnaud appartenait à l’Université de Montpellier. Le volume parut en 1526 ; il comprend, avec la préface, 143 feuillets à deux colonnes, in-4o gothique. — Il est à penser que la bonne « rétribution », dont nous regrettons de ne point connaître le taux, donna satisfaction à Bonnaud de Sausset : ce dernier se fit, au reste, un devoir d’exprimer au libraire, dans la préface du volume, combien il lui était reconnaissant ; il ajoutait « que ce fut sur les prières réitérées de Fradin et de plusieurs de ses amis de l’Université, et aussi par l’appât du prix offert à son travail, qu’il se décida à entreprendre cette traduction, car il était fort pauvre et manquait de livres qui lui furent généreusement fournis par le libraire-éditeur[26] »

En 1560, Pierre Fradin, imprimeur à Lyon, où il exerça de 1548 à 1567, est chargé de l’impression d’un livre intitulé Ordonnances et Privilèges des Foires de Lyon, volume de format in-8o, de 115 pages de texte. M. Baudrier a retrouvé dans les archives de la ville une mention relative à cet ouvrage intéressante pour notre sujet : « Le Consulat fit payer, le 12 octobre 1560, à Barthélemy Aneau, pour avoir fait la prélection, redressement, correction et accomplissement de ces privilèges[27] et 48 livres tournois à Pierre Fradin, qui en avait imprimé 500 exemplaires[28]. »

Enfin, voici les conditions auxquelles Michel de Villeneuve (alias Michel Servet) avait accepté, comme nous l’avons vu antérieurement[29], de « prélire la glose ordinaire sur la Bible contenant six volumes, de l’ortograffier, de restituer les dictions grecques et hébraïques », etc. : … « Et ce pour et moyennant le prix et somme de quatre cens livres tournois. Lequel prix lesdicts de la Porte, de Gabiano, Vincent et Joncte, tous ensemble et chacun d’eux seul et pour le tout sans division, confessent debvoir audit de Villeneufve pour cause du présent marché et promettent les luy payer assavoir présentement cinquante livres tournois, lesquelles les ayant payé comptant et réallement, desquelles cinquante livres il s’est tenu pour content et le reste assavoir, en fin de chacun volume corrigé et rendu, cinquante livres et le surplus, en fin de ladite œuvre et répertoire parachevé, promettent lesdites parties d’une part et de l’aultre pour eulx et les leurs, par leurs sermens et sous obligation et ypothèque de tous leurs biens, avoir agréable, tenir et accomplir chacune partie en droit soy tout le contenu en ces présentes sans jamais contrevenir sur payne de tous cousts, despens, dommaiges et intérests, eulx soubsmectans à toutes cours Royaulx de sénéchaucée, offte séculier audit lieu et aultres renoncants. » « Fait à Lion, en la maison d’habitation dudit Lucembourg, le lundy quatorziesme jour de février l’an mil cinq cens quarante. Présents, Gaspard Tressel, marchant libraire, et Jehan Rambert, tournier, habitant dudit Lion[30]. »

Suivant les évaluations de M. d’Avenel, les 400 livres accordées à Me Michel de Villeneuve, docteur en médecine, représenteraient, au taux de notre monnaie de 1905, une somme de 5.350 francs environ[31]. L’œuvre ayant paru en 1542, Me de Villeneuve, pour accomplir la tâche qu’il avait acceptée, travailla pendant trente mois environ.

Il nous paraît certain — prenant la liberté d’anticiper quelque peu sur les événements — que les prescriptions royales ultérieures sur le « faict des salaires » dans l’imprimerie ne furent jamais applicables au « prélecteur », au « collationneur », non plus qu’au « correcteur d’imprimerie » ou au prote : les divers édits, les ordonnances, les lettres patentes, les arrêts du Conseil du roi qu’il nous a été donné de consulter n’indiquent point pour le correcteur, comme ils le firent à maintes époques pour les compagnons, le taux maximum au delà duquel le maître ne peut engager un ouvrier ; toujours, à notre sens, le tarif des gages de ce serviteur fut, après la loi de l’offre et de la demande, basé sur des considérations inhérentes à la personne, à son savoir, à sa notoriété et au travail à exécuter, — et ce ne fut certes que justice.

Revenons maintenant à l’étude de ces édits qui, à défaut d’autres documents, sont une source de renseignements et de points de comparaison fort précieux.

Édit de Gaillon de 1571. La sentence du sénéchal de Lyon (31 juillet 1539), les lettres patentes du roi (21 août 1539), l’édit de Villers-Cotterets (31 août 1539), non plus que les arrêts du Parlement ne donnèrent satisfaction ni aux maîtres ni aux ouvriers. La sentence était à peine rendue, l’édit à peine enregistré, que les doléances des compagnons se firent plus pressantes, les plaintes plus nombreuses, et la lutte plus vive.

Ainsi le roi se trouva dans la nécessité d’intervenir à nouveau ; il le fit par l’édit « perpétuel et irrévocable » de mai 1571 qui fut donné à Gaillon. Cet acte reproduisit nombre de règles posées par l’édit antérieur de 1539 ; les articles modifiés le furent dans un sens qui certes ne paraissait point favorable aux ouvriers :

D’après les articles 10 et 11, les maîtres ne sont plus tenus de nourrir leurs ouvriers, « sauf à augmenter leurs gages comme il appartiendra » : « Pour obvier aux plaintes qu’ont ci-devant faites lesdictz compagnons pour leurs vivres… dont s’ensuivaient plusieurs desbauches et querelles, lesdictz compagnons se nourriront doresnavant eulx-mêmes ainsi qu’ils font aux Allemagne, Flandre, Italie et ailleurs, soit dans leurs maisons ou aultrement en pension, comme bon leur semblera sans que lesdictz maistres soient tenuz de les nourrir. » Les gages seront désormais payés au mois ou à la semaine, « comme ils s’accorderont ensemble » : pour donner une garantie aux compagnons et éviter les discussions, « les libraires jurés de ladite Université de Paris, maîtres imprimeurs et notables bourgeois non suspects aux parties » étaient chargés de fixer le taux de ce salaire.

Sur le point particulier des salaires, l’évolution du Pouvoir royal est très nette : En 1539, les maîtres sont tenus de fournir gages et salaires, mi-partie argent, mi-partie nourriture, « comme on a fait de coutume louable » ; le roi s’en réfère aux usages : maître et compagnon, en présence l’un de l’autre fixent la rémunération convenable à chaque cas, et sans doute suivant ce régime de liberté restreinte que crée la loi de l’offre et de la demande. En 1571, le paiement du salaire en nourriture est défendu ; la rémunération argent est seule permise ; le roi, désireux d’éviter pour l’avenir des difficultés nouvelles, rompt brusquement avec le passé : le régime de libre discussion est aboli ; mais Charles IX se garde d’indiquer lui-même « aucun maximum ou minimum » : afin de mieux permettre de proportionner le salaire de chacun selon sa valeur « sans que ceux qui pour leur paresse ou moindre dextérité ne pourront rendre tant de besogne s’en puissent plaindre[32] », une sorte de commission est instituée qui reçoit la charge « de fixer le taux des salaires ».

Le Pouvoir royal s’estima sans doute avoir donné satisfaction à tous. Les maîtres imprimeurs n’élevèrent point de doléances contre une réglementation nouvelle dont nombre d’articles leur étaient entièrement favorables ; tout au contraire, ils en réclamèrent avec insistance l’application. Mais les compagnons dont la situation avait été aggravée sur certains points refusèrent de se soumettre. L’édit de Gaillon était à peine enregistré (4 septembre 1571) que « le procureur du roi était obligé d’adresser (1er octobre 1571) une requête au Parlement pour réclamer des mesures contre les compagnons qui, « en haine de l’édit, auraient commencé à faire quelques monopolles et assemblées illicites avec armes »…

Déclaration du 10 septembre 1572. — Le 17 juin 1572, les ouvriers, après s’être préalablement concertés malgré la défense qui leur en était faite, adressaient au Parlement une longue supplique, Remontrances et Mémoires pour les compagnons imprimeurs de Paris et de Lyon, opposans contre les libraires, maîtres imprimeurs desdits lieux et adjoints. Après un préambule fort étendu les sollicitants examinent, article par article, les conséquences de l’édit sur leur situation morale et matérielle. L’obligation à laquelle les astreint l’article 11 — ils devaient se nourrir eux-mêmes, on l’a vu — paraît aux compagnons devoir amener une « perturbation considérable dans le métier ». « L’impossible gît, affirment-ils, en ce que les compagnons sont astraints par une usurpation des libraires et maîtres sur eux de rendre chacun jour une certaine besogne à laquelle à peine peuvent-ils suffire, ores qu’ils ne bougent bonnement, comme l’on dit, de la selle et ne se débauchent ; là où ils étaient contrainctz d’aller quatre ou cinq fois à la ville prendre leur réfection, comme leur est force, à cause de la violence du travail, il est certain qu’ils consumeront une partie de leurs journées en leurs allées et venues, ou en attendant un leur compagnon, ne se pouvant faire qu’ils se puissent accommoder ensemble de despenses ni d’habitation… Au contraire, estant nourriz ensemble chez les maistres, durant leurs repas, ils peuvent conférer de leur commune besogne, faicte et à faire… » L’obligation qu’on veut leur imposer serait pourtant « un grand bien, repos et proufict aux compagnons », et ils s’y soumettraient volontiers, si « eu esgard à la desbauche causée pour estre contrainct de se nourrir en ville », leur tâche était réduite. — Enfin les ouvriers ajoutaient : « Le salaire devoit être augmenté non toutesfois au gré et jugement des libraires et maistres imprimeurs, qui sont vrayment leurs parties adverses, et seroyent juges en leurs causes à la ruyne desdictz pouvres compagnons : lesquels ils doibvent payer par leurs mains. Ains doibt la taxe estre faicte par un nombre esgal et paecil des maistres et compagnons plus anciens, qui scavent et cognoissent au vray labeur, subjection et industrie de l’imprimerie : et y appelans, comme adjointz ou supernuméraires, quelques notables bourgeois ou marchans nommez par les deux parties. S’il y a quelque desbauche et querelle, le magistrat y est tousjours, pour les corriger et refréner, avec les peines légitimes. Mais il y a différence d’introduire un désordre au lieu d’un reiglement, et d’arracher le bon grain et la zizanie ensemble. »

En réponse aux Remontrances des compagnons, les patrons rédigèrent un mémoire « très habile, mais trop général », dont les considérations n’étaient point une réfutation directe et concluante des faits et des inconvénients si longuement exposés au roi[33].

Après avoir consulté les avocats et les procureurs au Parlement, ainsi que les membres du Conseil privé, Charles IX rendit, le 10 septembre 1572, une déclaration sur l’édit concernant la réformation de l’imprimerie.

Enregistrée le 17 avril 1573, cette déclaration maintenait au sujet de la nourriture les prescriptions de l’édit de 1571 : « Sera inhibé et défendu à tous maistres imprimeurs de ne nourrir lesdictz compagnons soit soubz prétexte de les prendre en pension ou sous autre couleur que ce soit directement ou indirectement. » — Mais, en ce qui concernait les salaires, le roi revenait sur le sentiment, exprimé en 1571, de faire établir un tarif par « les libraires jurés de l’Université, maîtres imprimeurs et notables bourgeois non suspects aux parties ». Il repoussait, d’autre part, pour solutionner cette question, la suggestion des compagnons de la constitution d’une sorte de commission arbitrale composée d’un « nombre esgal et pareil des maistres et compagnons plus anciens », auxquels seraient « adjointz quelques notables bourgeois ou marchans nommez par les deux parties ». Se constituant lui-même l’arbitre des deux adversaires, Charles IX fixait, pour Paris, le salaire des ouvriers à la somme de 18 livres tournois par mois, soit 7 sols par jour (M. Hauser : 5 fr. 50 environ de notre monnaie de 1896 ; M. d’Avenel : 4 fr. 50) ; pour Lyon, le sénéchal, ou son lieutenant, était chargé de régler cette question[34].

La déclaration du 10 septembre 1572 ne changea point du jour au lendemain les usages qui pendant un siècle avaient réglé les rapports des maîtres et des compagnons. Le Pouvoir central n’a point encore acquis à cette date cette autorité, cette force qu’on lui connaîtra plus tard, prélude de celle qui nous gouverne aujourd’hui. Le roi est loin ; ses serviteurs sont parfois indulgents ; le maître est près, et les besoins urgents : le système de rémunération argent-nourriture, prescrit par l’édit du 31 août 1539, mais aboli par celui de 1571, continua quelque temps encore.

Dans la Bibliographie lyonnaise[35], M. Baudrier rapporte un contrat postérieur de huit années à la déclaration du 10 septembre 1572 : Le « samedy 20 février 1580, Denys Cotterel, compagnon imprimeur, s’afferme, lui et ses services, à Pierre Michel, maistre imprimeur à Lyon, pour un an à partir du 1er mars prochain, pour le prix de 12 écus d’or[36], payables par quart de trois mois en trois mois. Pierre Michel promect nourrir Denys Cotterel des despends de bouche, lui fournir couche et logis comme il est de coustume ; promect aussi ledit Cotterel de non absenter, ni servir à autre s’il n’y a cause légitime. »

À ce contrat ajoutons encore le suivant : « 1er juillet 1598 : Benoit Laroche, dit Torchon, compagnon imprimeur, loue ses services, moyennant la somme de 12 écus par an, à Thibaud Ancelin. Outre son gage, Ancelin promet l’entretenir bien honnêtement de ses dépens de bouche, couche et chauffe[37]. »

« En 1626, à Troyes, on rencontre encore des contrats où il est stipulé que le compagnon sera logé, nourri, couché[38]. »

En 1643, d’après M. Morin, Sébastien Moreau est embanché, à Troyes, chez Nicolas Dupont, à raison de 13 sols par jour, plus « le lict, hostel, feu et lumière ».

Le 18 juin 1654, Nicolas Martin s’engage à travailler pour Edme Nicot, imprimeur à Troyes, moyennant 13 sols par jour[39], plus sans aucun doute les avantages accordés à Sébastien Moreau.


b. — À l’Étranger


Les trois exemples que nous venons de citer nous ont entraîné loin de l’ordre chronologique ; il est nécessaire de retourner en arrière pour faire connaître, par quelques exemples, quelle était, en cette même période que nous venons de parcourir (1539-1572), la situation d’un correcteur dans un pays voisin du nôtre. L’étude sera plus aisée, plus sûre aussi, grâce à l’admirable richesse des « livres de comptes[40] » du Musée Plantin à Anvers.

En 1568, Philippe II d’Espagne envoie à Anvers Arias Montanus pour diriger l’édition et surveiller la correction de la Bible polyglotte dont Plantin avait accepté d’assumer la charge de l’impression. Pour tout le temps que son chapelain devait séjourner aux Pays-Bas, le roi lui accorda une indemnité annuelle de 300 ducats de 2 florins chacun[41].

Le 5 février 1558, Plantin inscrivait dans son journal : « Ledict jour 5e de février 1558, payé à Pierre de la Porte et à Cornelis (il s’agit ici, affirme M. Rooses, de Cornelis van Kiel, appelé encore Cornelis Kiliaan ou Kilien), dit spécial, 24 pages composées de journal in-24, lectre non pareille, 18 sous. » — Le samedi 12 février 1558, autre mention : « À Cornelis pour six jours de travail, à 5 patards par jour, fl. 1,10. »

Le futur philologue néerlandais commença donc sa carrière à l’imprimerie plantinienne comme simple ouvrier compositeur. Un mois après, il était nommé contremaître et venait habiter à l’imprimerie. « Le dimanche 6e jour de mars est venu Cornelis… demeurer ceans aux despens et pour tasche commune doibt avoir 13 patards par semaine, sauf à rabbattre les faultes qui pourraient être faictes à l’imprimerie, à rabbattre selon son esgale portion, et aussy luy payeray ce qu’il pourroit faire davantage, s’il advient ainsi… et aussi m’a promis ledict Cornelis… de prendre garde aux lectres, pastes, formats et aultres ustensiles, asscavoir, de les faire serrer et mectre en ordre par ceux à qui il appartiendra. » Peut-être, bien que son engagement n’en fasse pas mention expresse, Kiliaan fut-il, dès cette époque, chargé de lire quelques épreuves.

Lors de la déconfiture de Plantin en 1562, Kiliaan quitta l’imprimerie ; mais, aussitôt le retour de son patron à Anvers, il revint le trouver. Le 8 décembre 1563, les registres de comptes mentionnent son nom. « Le 14 janvier 1564, Plantin lui accorde 7 et 1/2 patards pour chaque forme de poètes in-8o ; c’est évidemment d’un travail de correcteur qu’il s’agit. Ce fut l’année suivante seulement que Kiliaan revint demeurer à l’imprimerie ; cette fois, son emploi de correcteur est expressément désigné dans le contrat. Le 24 juin 1565, Plantin mentionne dans ses registres qu’il a fait avec Cornelis Kiliaan un accord suivant lequel il lui payera 4 florins pour chaque mois qu’il vaquerait à la correction pour certaines presses et compositeurs, et il porte en compte pour les dépenses de son correcteur 4 et 1/2 florins par mois. » Le 2 février 1567, Plantin écrit : « Doresnavant je luy payeray, le temps que je ne tiendray que trois ou quatre presses, 12 patards par semaine outre les despenses, et en cas que je ne tinsse que deux presses, je seray quicte pour la despense. » Du 22 juin 1567 au 30 mai 1571, notre correcteur reçoit 4 florins par mois, et son nom est inscrit parmi ceux des travailleurs ordinaires de l’imprimerie ; le 31 mai 1571, Plantin lui accorde 30 sous par semaine. En 1582, Kiliaan est payé à raison de 4 florins « par semaine » ; le biographe de Plantin croit pouvoir affirmer que le correcteur venait de se marier et qu’il n’habitait plus à l’imprimerie : on sait, en effet, qu’en 1583 il occupait, rue Saint-Esprit, une maison appartenant à Plantin. Le 27 janvier 1586, Plantin s’engage à compter à Cornelis Kiliaan 100 florins par an et à supporter les frais de son entretien et de celui de sa fille. À partir du 12 mai 1591, jusqu’à sa mort survenue le 15 avril 1607, les gages de Kiliaan restent fixés à 150 florins par an.

Outre son salaire habituel, Kiliaan reçut quelquefois des indemnités spéciales : ainsi, le 8 décembre 1563, Plantin lui verse la somme de 3 et 1 /2 florins pour mettre la Grammaire de Brechtanus en flamand ; et, le 9 septembre 1580, 13 florins pour la correction de l’Herbier de Mathieu de Lobel.

En 1564, Raphelengien, qui devait épouser la fille aînée du célèbre imprimeur anversois, entrait chez son futur beau-père en qualité de correcteur. La première année de son engagement, il gagnait 40 florins ; la seconde année, 60 florins ; le logis et la table lui étaient, en outre, gratuitement fournis. Mais, même avant son expiration, le contrat était heureusement modifié en faveur de Raphelengien : dès le commencement de 1566, Plantin lui paie 25 florins par trimestre ; en 1570, ses gages sont élevés à 160 ; en 1572, à 200 ; en 1577, à 300 ; et, en 1581, à 400 florins par an.

Dans le contrat intervenu, le 1er novembre 1563, lors de l’entrée de Mathieu Ghisbrechts à l’imprimerie plantinienne, il est stipulé qu’en retour de ses services il avait droit au manger, au coucher et à une somme de 60 florins par an. Il resta chez Plantin jusqu’en 1567, commenta le Salluste imprimé en 1567, et fit encore d’autres travaux. »

« Le 14 octobre 1574, Nicolas Steur d’Audenarde vint habiter chez Plantin pour servir de correcteur en grec, hébreu, latin, etc., aux gages de 60 florins par an ; il y resta jusqu’au 20 juin 1576. »

Le 1er juin 1580, Olivier van den Eynde ou a Fine s’engageait à servir d’aide aux correcteurs. Il était stipulé au contrat que Plantin lui fournirait la nourriture et le logement. Si, au terme de l’engagement, dont la durée était de quatre années, le maître n’était pas satisfait, van den Eynde aurait à lui payer 12 livres de gros, c’est-à-dire 72 florins pour chacune des années. Il resta comme correcteur au service de Plantin jusqu’au 22 juin 1585 ; plus tard, le 12 juin 1588, il revint occuper encore une fois les mêmes fonctions et les garda jusqu’au 15 mai 1590. Il toucha, d’abord, outre les « despens », 2 florins par semaine ; dans la suite son salaire fut porté successivement à 2 fl. 6 s., 2 fl. 10 s., à 3 et à 4 florins par semaine.

On le voit, les contrats de l’imprimerie plantinienne comportaient de manière générale la rémunération en nature — les « despens », suivant l’expression : nourriture et logement — et en espèces. Cette dernière paraît assez variable : elle était, sans aucun doute, débattue entre le maître et le candidat qui énumérait ses titres littéraires, français, latin, grec, hébreu, etc., et ses capacités techniques ; son taux était peut-être aussi, après quelque temps de stage, calculé d’après la considération qu’avec plus ou moins de raison Plantin accordait à l’un (Raphelengien) ou à l’autre (Cornelis Kiliaan) de ses correcteurs.

À ces salaires de correcteurs on nous permettra de comparer rapidement quelques salaires de compagnons, soit imprimeurs, soit compositeurs[42] : « Les ouvriers ordinaires gagnaient chez Plantin une moyenne de 100 à 110 florins annuellement. Les bons ouvriers dépassaient parfois ce chiffre. Georges van Spangenberg, l’imprimeur, gagna en 1568, 122 florins 16 1 /2 sous ; Gilles de Villenfagne gagna, l’année suivante, 130 florins. Les compositeurs habiles touchaient un salaire plus élevé. Ainsi, en 1566, Corneille Tol gagna 150 florins ; Josse Neersman reçut, du 1er juillet 1569 au 1er juillet 1570, 165 florins. » Ces compagnons n’étaient point, semble-t-il, « aux despens ».

« Nous rencontrons deux ouvriers compositeurs demeurant pendant quelque temps dans l’imprimerie même. Ce sont Jacques Roche, qui, en 1563, outre le logis et la nourriture, reçoit 13 sous par semaine, et Josse Meersman, qui, le 1er octobre 1576, s’engage à servir Plantin moyennant 50 florins par an et ses despens. Le 27 novembre 1577, un nouveau contrat intervient avec ce dernier ouvrier, et Plantin s’engage à lui payer 100 florins par an, outre les dépenses. »

Les livres de comptes de l’imprimerie plantinienne se poursuivent jusqu’au xixe siècle. Ils sont incontestablement, pour l’étude des salaires dans notre profession, une mine d’une richesse exceptionnelle, où nous aurions été heureux de continuer à puiser si les circonstances nous l’avaient permis. — En France, nous ne possédons malheureusement rien de semblable ; nos grandes imprimeries du xvie siècle (les Estienne), du xviie (les Vitré[43] et Cramoisy[44]) et du xviiie (les Didot, les Le Breton) ont disparu sans laisser, croyons-nous, les documents qui constituaient le bilan de leur vie commerciale et industrielle. Force nous est dès lors de nous borner strictement aux généralités.


C. — Les salaires au xviie siècle


Le 14 juillet 1654, un arrêt du Parlement de Paris fixe pour les compositeurs ordinaires le salaire mensuel de 24 à 27 livres ; les compositeurs de grec reçoivent 33 livres par mois.

Ces chiffres indiquent-ils le taux minimum des salaires typographiques au xviie siècle ; plutôt sont-ils une moyenne, ou encore, comme dans l’édit de 1572, un maximum derrière lequel les maîtres abritent leur résistance aux prétentions des compagnons ?

Il est difficile de répondre affirmativement à l’une ou à l’autre de ces questions[45]. Bornons-nous à dire que M. Levasseur[46] donne un chiffre légèrement supérieur à celui indiqué au début de ce paragraphe : d’après ses documents, les salaires journaliers des compagnons imprimeurs auraient été d’environ 2 livres, c’est-à-dire à peu près 5 fr. 50 à 6 francs de notre monnaie[47].

À tout bien considérer, il n’y aurait pas cependant, entre le salaire fixé par le Parlement, en 1654, et les documents rencontrés et cités par M. Levasseur une différence aussi considérable que les chiffres paraissent le comporter au premier abord. On sait que, sous l’ancien régime, le nombre des journées de travail était, au plus, de vingt chaque mois de l’année. Le salaire mensuel d’un typographe se serait ainsi élevé, d’après M. Levasseur, à 40 livres au maximum, alors qu’il était officiellement fixé de 27 à 33 livres. Il faut, en outre, remarquer que, d’après le régime de libre discussion entre maître et compagnon, le taux de la rémunération pouvait varier suivant les capacités, les fonctions et la confiance que le patron accordait ou reconnaissait à l’ouvrier. Enfin, toute règle, toute loi, même et surtout sous l’ancien régime, comportait assurément des exceptions[48].

En province, le taux des salaires était évidemment inférieur à celui des salaires accordés aux compagnons de la capitale[49]. Nous en avons déjà donné maints exemples au xvie siècle[50]. En voici un autre : « En mai 1660, Nicolas Oudot embauche deux compagnons pour travailler à Sens, sur différents livres liturgiques qu’il faisait en société avec l’imprimeur Louis Prussurot. Ces compagnons sont payés 6 livres par semaine, qu’il y ait ou non des fêtes ; ils couchent ensemble dans une chambre garnie louée par Oudot[51]. » — Le salaire annuel des ouvriers de Nicolas Oudot était ainsi de 312 livres, ce qui, au taux moyen de 2 fr. 85 la livre, donnerait, d’après M. Levasseur, une somme de 1.000 francs en chiffres ronds. En acceptant, par ailleurs, comme salaire moyen d’un typographe parisien, le chiffre mensuel de 33 livres, intermédiaire entre celui de M. Levasseur (40 livres) et celui du Parlement (27 livres), on obtient, toujours à la valeur de 2 fr. 85 la livre, 94 francs par mois, soit pour une année 1.130 francs en chiffres ronds [52]. — D’où une différence de gain de 46 livres, ou 130 francs environ, en faveur de Paris, qu’il faut réduire à 100 francs seulement, en tenant compte de la « chambre garnie louée par Nicolas Oudot ».

Attirés par les salaires plus élevés pratiqués dans les imprimeries parisiennes, nombre de typographes — et de correcteurs aussi, nous le savons[53] — émigraient de la province vers la capitale. Les qualités professionnelles de ces immigrants étaient, il faut le croire, fort appréciées des maîtres, de même que la vertu d’économie qu’ils pratiquaient volontiers. Aussi étaient-ils toujours accueillis avec faveur. Les compagnons parisiens s’en plaignaient avec amertume : «  La plupart travaillent en arrivant, au préjudice des apprentis de Paris parce que les maîtres les préfèrent par la raison que les apprentis de Paris ne sauraient jamais acquérir le degré de science qui est nécessaire ; d’ailleurs, les Liégeois et les Avignonnais, habitués à ne pas gagner grand’chose dans leur pays, se contentent aisément de ce que le maître veut leur donner, et cela fait qu’ils ont la préférence[54]

Par un contrat en date du 8 juin 1548 — que nous pensons être un contrat d’apprentissage — Macé Bonhomme, imprimeur à Lyon, assure à son apprenti correcteur André Saulnier un salaire convenable[55]. En 1580, Plantin agit de même à l’égard d’Olivier van den Eynde qui s’engage à servir d’abord d’aide aux correcteurs[56]. M. Morin cite, lui aussi, un exemple d’apprentissage rémunéré à un tarif assez élevé ; l’apprenti devait-il devenir correcteur ? Nicolas Le Cœur, le 8 janvier 1640, passe contrat avec Jacques Oudot, maître imprimeur, à Troyes. Durant la première année de l’engagement, Le Cœur recevra à titre de salaire — en plus, sans doute, en sa qualité d’apprenti, du « lict, hostel, feu et lumière » — 5 sols par jour ; la deuxième année, 6 sols[57]. « Le Coœur sera monstré, enseigné », et « s’il faict plus d’ouvrage que n’ont coustume d’en faire les aultres compagnons, il sera payé en surcroît[58] ». — Ainsi, à plus d’un demi-siècle de distance, Nicolas Le Cœur, un apprenti, reçoit une rémunération analogue à celle que M. Baudrier attribue, d’après un contrat de 1580, à Denys Cotterel, compagnon lyonnais[59] ; et, fait assurément exceptionnel, cette rémunération est presque la moitié de celle accordée, à Troyes également, exactement à la même date (1643 et 1654), aux compagnons Sébastien Moreau et Nicolas Martin[60].


D. — Les salaires au xviiie siècle


Au xviiie siècle, les salaires subirent une nouvelle hausse, due sans doute à une augmentation du prix de toutes choses : les compagnons reçurent en moyenne un salaire de 3 livres par jour, soit environ 6 fr. 80 de notre monnaie (la livre étant comptée, d’après M. d’Avenel, pour une valeur de 2 fr. 27) (1910).

« Dans un Mémoire violent, rédigé en 1725, les compagnons imprimeurs se plaignaient amèrement de ne pouvoir gagner : les plus habiles, au delà de 3 livres par jour ; les autres, 25 à 30 sols en moyenne. » En se gardant de toute exagération, on peut admettre que les ouvriers de notre profession recevaient alors un salaire journalier variant de 2 à 3 livres, soit une rémunération annuelle de 500 à 600 livres. Au taux de 2 fr. 27 donné plus haut, on voit qu’au début du xviiie siècle les typographes gagnaient de 1.135 à 1.360 francs environ, — ce que recevait à peu près en 1914 un compositeur ordinaire travaillant 300 jours par an dans une ville de province[61],

Cependant, dans son Histoire des Classes ouvrières en France[62], M. Levasseur cite un exemple qui pourrait, en quelque sorte, donner raison aux compagnons… de province : « Le Parlement de Dombes avait eu à intervenir plusieurs fois à propos de « querelles, disputes et batteries des ouvriers imprimeurs » et de « la cessation du travail que de tels désordres causent ». L’intendant qui avait été chargé, en 1731, par arrêt du Conseil d’État, de la surveillance des imprimeurs, fut saisi, l’année suivante, d’un différend entre les patrons et les ouvriers de Bourg qui voulaient gagner 40 sous par jour ; il vint, décida que le salaire serait de 30 sous et fit défense aux ouvriers de quitter la ville, » Le gain annuel des compagnons imprimeurs s’élevait ainsi de 850 à 900 francs environ pour 250 jours de travail. Comparée aux salaires parisiens, cette somme était évidemment minime ; mais il est bien certain qu’en cette contrée le coût de la vie était réellement inférieur à celui de Paris.

En 1777, à la suite de l’arrêt du Conseil, du 30 août, qui modifia la durée du travail, les compagnons parurent devoir demander une augmentation de salaires. Il n’en fut rien cependant ; les intéressés redoutèrent sans doute de se heurter à l’indifférence du Pouvoir royal qui les renverrait à se pourvoir devant les maîtres pour le règlement de cette question. Ils devaient, d’ailleurs, obtenir satisfaction en 1786, année au cours de laquelle se produisit, d’après M. Radiguer, une augmentation générale des salaires dans l’imprimerie.

Nous ne nous arrêterons pas à l’étude de la situation créée alors, car, moins de trois années après, les événements politiques devaient bouleverser entièrement l’édifice si péniblement élevé et plus difficilement maintenu dans notre corporation par l’ancien régime. Dès le 4 août 1789, date de l’abolition des privilèges, toutes « les prescriptions et toutes les règles relatives à la police des livres, à la réglementation des imprimeries tombèrent en désuétude ; puis, le décret du 2-17 mars 1791 abolissant les maîtrises et les jurandes, l’exercice du métier d’imprimeur devint libre ».

« La multiplication rapide des ateliers amena une hausse des salaires. Les anciens maîtres essayèrent de lutter ; mais la Chambre syndicale, ce lien qui les réunissait tous auparavant, et qui leur permettait d’exécuter les arrêts pris entre eux, n’était plus, en 1790, reconnue que par 36 patrons sur les 200 alors en exercice : elle était sans influence. Les imprimeurs furent dans l’obligation de subir les conditions qui leur étaient imposées. » D’ailleurs, la mains-d’œuvre faisait défaut ; la situation économique était difficile, et les événements politiques ne laissaient pas que d’inquiéter les esprits les moins prévenus parmi les patrons.

Les salaires augmentèrent dans des proportions assez élevées : en 1790, le prix de la journée d’un ouvrier typographe en conscience atteignait 5 livres ; en 1793, il était de 7 livres 10 sols ; en 1794, de 8 livres. Mais, en 1797, la tempête politique, dans laquelle la France a failli sombrer est apaisée : les salaires sont l’objet d’une diminution assez appréciable : ils s’abaissent progressivement au chiffre de 4 livres[63], taux normal d’avant 1790, et y demeurent stationnaires[64].

À cette époque, la nécessité de faire paraître le matin, dès la première heure, les nouvelles de la veille et de la nuit donna naissance au travail de nuit ; il fut rémunéré par une gratification exceptionnelle qui varia de 2 livres, 3 livres ou 4 livres 10 sols au double du prix gagné[65]. « Au double du prix gagné », car le travail aux pièces se multiplia, payé d’après un barème établi sur de nouvelles bases, le mille de lettres ; la lettre type était alors m.

« Le prix du mille de lettres n’était point uniforme comme de nos jours : il variait suivant le caractère (gros-romain, saint-augustin, cicéro, petit-romain, petit-texte, nonpareille) et suivant le format (in-folio, in-4o, in-8o, in-12, in-18, in-32). Il était moins élevé pour les gros caractères et les grands formats » : il oscillait de 6 sols pour l’in-folio composé en gros-romain à 10 sols pour l’in-32 composé en nonpareille[66].

Y eut-il, dès cette époque, à l’exemple des compositeurs aux pièces, des correcteurs aux pièces ? Nous n’avons pu le savoir. La chose, toutefois, est possible. Dans un manuscrit de 1771 (un peu antérieur conséquemment à l’époque qui nous occupe) M. P. Mellottée[67], parmi le détail d’évaluation d’une feuille d’impression, relève le renseignement suivant : « Lecture de première et seconde épreuve, 10 sols. » On sait qu’il n’était point d’usage alors, non plus qu’à notre époque, de faire entrer dans un devis le coefficient correction entendu au sens qui nous intéresse : il était compris dans cette somme appelée étoffes dont l’imprimeur majore son prix de revient et qui comprend tous les frais généraux de la Maison et les bénéfices[68]. Il est loisible dès lors de supposer que le détail rapporté par M. Mellottée indique une lecture aux pièces dont le maître imprimeur, connaissant le nombre de mille lettres entrant dans la composition, avait pu calculer exactement le coefficient de revient.

Avant d’aborder l’étude des salaires à l’époque contemporaine, la nécessité s’impose de résumer brièvement par une courte conclusion ce long exposé de la situation des ouvriers de notre corporation sous l’ancien régime.

L’un des auteurs que nous avons le plus volontiers, et avec le plus de fruit, consulté, M. P. Mellottée[69], nous dit ainsi son sentiment sur cette situation : « Les compagnons imprimeurs eurent toujours des salaires très nettement supérieurs à ceux de tous les autres ouvriers des époques que nous avons envisagées. Ils gagnaient en moyenne 6 sols 6 deniers (4-5 francs), lorsque les ouvriers des autres corporations recevaient 3 et 4 sols (2-3 francs); ils avaient 2 livres (5 fr. 50-6 francs) au xviie siècle, au lieu de 12 à 15 sols ; 3 livres (6 fr. 50-6 fr. 90) au xviiie siècle, lorsque dans les autres métiers on gagnait 15 à 20 sols.

« Il ne faut pas oublier certainement que les compagnons imprimeurs étaient d’un degré supérieur à leurs camarades des autres métiers, qu’il fallait une instruction qu’on ne retrouvait pas chez ceux-là, et nous serons certes les derniers à méconnaître leur capacité professionnelle et à contester qu’ils ne méritent point d’être avantagés.

« Cependant il était bon d’établir assez exactement leur situation, afin de faire justice de leurs plaintes perpétuelles qui tiennent plus à la nature même de l’esprit humain, jamais content de son sort, qu’à une réalité de fait. »

La situation des compagnons imprimeurs vue sous cet aspect, à de longs siècles d’intervalle, est-elle l’expression de l’exacte vérité ? Nous aurions aimé le penser, et surtout le croire. Malheureusement, à l’encontre de l’opinion de M. Mellottée, le biographe de Plantin apporte un témoignage formel et irrécusable, car il est tiré des livres de comptes mêmes du grand imprimeur anversois : « Un fait qui, tout indiscutable qu’il soit, paraît à peine croyable, c’est que les ouvriers employés à des travaux purement manuels gagnaient un salaire plus élevé que les typographes au service de Plantin. Ainsi, nous constatons que Plantin lui-même paie, en octobre 1578, à un ouvrier ardoisier 16 sous par journée. Le maître maçon gagne régulièrement, été et hiver, 12 sous ; le compagnon, 10 sous ; et son aide, 6 sous par jour. En 1578-1579, Plantin paie, en octobre, au maître charpentier 20 sous et aux ouvriers 16 ou 17 sous ; en juin, 20 sous au maître, et 18 sous au compagnon. En comptant l’année à 300 jours ouvrables, l’ouvrier maçon gagnait donc 150 ; l’ardoisier, 240 ; et le charpentier 255 florins par an[70].» Ni Kiliaan, ni van den Eynde, ni les autres collaborateurs de Plantin — à part Raphelengien — ne purent songer à rémunérations semblables.

Cet exemple n’est pas le seul que nous puissions opposer à la thèse de M. Mellottée : Couret de Villeneuve, qui fut imprimeur aux dernières années du xviiie siècle et dès lors homme certes bien placé pour juger de la réalité des choses, émet à propos des salaires du prote, du correcteur — notre sujet favori — et aussi de l’ouvrier compositeur, une appréciation qui concorde bien peu avec celle de M. P. Mellottée et semble donner vraiment raison au pessimisme maintes fois exprimé par M. L. Radiguer, dans son volume Maîtres imprimeurs et Ouvriers typographes. On nous pardonnera d’allonger notre sujet de quelques lignes qui nous semblent capitales :

« Convenons que depuis trop longtemps les ouvriers probes et intelligents gémissent sous le poids de la plus basse cupidité. Les entrepreneurs avides de gains illicites les regardent comme des leviers sur lesquels ils exercent leur puissance, les idées de justice se neutralisent par celles de leur intérêt personnel, et ils se trouvent imprimeurs par spéculation. Tous les efforts, tous les mouvements de l’atelier ne doivent tendre selon eux qu’à leur jouissance exclusive : ils ne voient ici que des machines, ils ne jettent pas un regard de bonté sur les forces qui les font mouvoir. Ici c’est un artiste sobre et instruit qui dirige la masse générale[71], là c’est un savant et laborieux correcteur dont toute l’attention se porte sur des épreuves d’ouvrages compliqués et souvent en différentes langues : un regard dédaigneux est souvent le prix de l’instruction qu’ils en reçoivent ; ces propriétaires ne savent et ne voient pas que cet art exige pour sa pratique la plus grande tranquillité d’esprit, qu’il faut à l’artiste une attention soutenue sur chaque mouvement qu’il produit, et dont tous les résultats sont combinés ; ils ne savent qu’il faut lui faire un sort assez doux pour que ses distractions ne préjudicient pas à la perfection de ses travaux. J’ai porté mon attention sur le plus grand nombre : j’ai vu qu’ils quittent peu les ateliers qui ont accueilli leurs premiers essais, et que, par reconnaissance, ils s’attachent à la fortune de leurs bienfaiteurs… Si huit années d’injustice ou d’oubli sur cette classe de citoyens utiles peuvent être réparées, il est temps de les rappeler à leurs titres acquis, de les faire jouir du produit de leurs labeurs, et de les mettre à portée de ne plus lutter avec les besoins en leur offrant le prix de leurs travaux assuré sur des bases incontestables…

« Ennoblissons un peu cet art sur lequel le dédain de l’orgueil s’est souvent plu à se reposer. Pourquoi les maîtres imprimeurs ne traitent-ils pas leurs principaux ouvriers comme les chefs d’administration traitent leurs expéditionnaires ; les banquiers et les négociants, leurs commis ? Pourquoi cette manière de les salarier à tant par jour ? Que ne fixent-ils l’époque de leurs honoraires par an, payables par mois ? Ces formes extérieures seraient plus décentes, et le mode de travail offrirait pour les uns et pour les autres des moyens plus confiants, parce qu’ils approcheraient les prétendues distances ; en effet, qu’est-ce qu’un ouvrier imprimeur, si ce n’est un commis qui se sert de voies plus expéditives que celle de la plume, usitée dans les bureaux, et qui multiplie rapidement les expéditions des minutes qui lui sont confiées[72]. »

La folie du nivellement égalitaire qui avait sévi si rudement sur la France pendant toute la période révolutionnaire avait-elle eu — ironie des choses ! — sa répercussion jusque sur les salaires de notre corporation qui avait apporté aux idées nouvelles l’aide la plus précieuse et la plus efficace ? Est-ce à dater de ces années sanglantes que les appointements du correcteur qui avaient été, ainsi que ceux du prote-correcteur, d’un taux toujours fort supérieur à ceux du compagnon, eurent une regrettable tendance à s’égaliser avec la banque du compositeur et de l’imprimeur ? Au cours de ces temps où les esprits se préoccupèrent surtout de questions politiques et patriotiques, la valeur technique et littéraire, en même temps que morale, fut-elle diminuée au point que les intéressés durent accepter les conditions nouvelles imposées par les maîtres ? Nous ne pouvons le supposer[73], car, en 1799, Bertrand-Quinquet écrivait : « Le prote doit toujours être en conscience, et on sent qu’il n’est pas possible autrement, son genre de travail ne pouvant être calculé… Ses soins assidus demandent un traitement supérieur. C’est d’après ses services qu’il faut apprécier justement ce qu’on doit le payer[74]. » On ne saurait certes mieux dire, mais…

Bien que les compagnons imprimeurs — et tout particulièrement les correcteurs — soient encore aujourd’hui, comme ils étaient autrefois, « d’un degré supérieur à leurs camarades des autres métiers » ; bien que la pratique de leur art nécessite à l’heure présente « une instruction » plus étendue que celle rencontrée dans des professions différentes ; bien que personne ne songe « à méconnaître leurs capacités professionnelles et à contester qu’ils méritent d’être avantagés[75] », avec combien de raison et de tristesse ne peut-on songer que les « dolentes » lignes de Couret de Villeneuve sont, en même temps que l’esquisse du passé, la peinture du présent.


E. — Les salaires au xixe siècle


a. — En France


Il n’entre point dans notre intention de suivre les fluctuations que les événements politiques imprimèrent aux salaires pratiqués dans notre corporation. Une étude semblable dépasserait, et de beaucoup, le cadre de cet ouvrage ; les moyens, d’ailleurs, nous manqueraient pour la mener à bonne fin. Nous nous bornerons à quelques exemples rapides.

En 1867, au cours de l’Assemblée générale de la Société des Correcteurs de Londres, qui eut lieu le 17 septembre, M. Harper examine s’il « n’existe pas une anomalie dans ce fait que le salaire minimum d’un compositeur soit le salaire maximum d’un correcteur. Il se demande ce que serait la civilisation sans la littérature, et la littérature sans les correcteurs. Qu’est-il permis au correcteur d’ignorer ? Il faut qu’il sache toute l’histoire, toute la géographie, toutes les sciences ; il faut qu’il sache aussi toutes les langues, et, malgré le soin et l’attention qu’il peut apporter dans l’exécution de sa tâche, il est souvent traité avec peu de civilité et de considération par des écrivains dont la copie n’est pourtant point de nature à autoriser une aussi impitoyable sévérité pour une défaillance accidentelle…

« M. Begg. — … La correction est un travail intellectuel, dont la valeur dépend des talents personnels du correcteur… »

La situation du correcteur français n’était ni meilleure ni supérieure à celle de ses collègues étrangers, si nous en croyons les lignes que le journal l’Imprimerie écrivait, à peine une année après, en 1868. L’Assemblée générale trimestrielle de la Société des Correcteurs de Paris avait eu lieu le 19 avril ; au cours de cette réunion, M. Didot, président honoraire, avait prononcé une sorte de discours-programme, proposant à la Société « de se diviser par sections pour élaborer les questions distinctes qui se rattachent à l’art si difficile du correcteur ». Malheureusement, dit le journal, les correcteurs, obligés, pour ajouter à leurs salaires du jour, d’emporter chez eux des épreuves qu’ils corrigent le soir, ont bien peu de loisir. M. Bernier, président, expose ainsi la situation : « Nous sommes tous parfaitement disposés à entrer dans la voie que nous indique notre vénérable président, et j’ai déjà eu l’occasion d’encourager et de faciliter des réunions de ce genre ; mais la question toujours renaissante du pain quotidien est l’écueil contre lequel viendront longtemps encore se briser, je le crains, ces tentatives. Tant que le correcteur ne sera pas rémunéré de façon à pouvoir se dispenser de ces travaux extraordinaires qui sont devenus indispensables à l’équilibre de son budget domestique, pourra-t-il apporter à l’examen des questions de langues, de grammaire et d’orthographe la sérénité d’esprit qui convient à de semblables études ? Se croira-t-il même le droit de frustrer son intérieur d’un gain devenu nécessaire à l’existence normale de sa famille[76] ? »

« Tout cela est fâcheux, car la Société des Correcteurs ne s’affirmera véritablement que par des travaux utiles à la profession. À quoi lui servirait alors de s’adjoindre, comme membres honoraires, des hommes qui, par leur savoir, par leurs connaissances spéciales, semblent être appelés là précisément pour l’aider dans sa tâche ? »

Voici, d’ailleurs, d’après le même M. Bernier, croyons-nous, quelle était, encore en cette année 1868, la situation du correcteur typographe : « … Un correcteur qui remplit ces conditions est un trésor pour une imprimerie. Aussi les lecteurs du Grand Dictionnaire[77] seront-ils étonnés d’apprendre que généralement les services si grands et si pénibles rendus par cet homme précieux sont rémunérés d’une façon insuffisante. Le maximum du traitement des correcteurs en seconde, dans les maisons dites à labeur, c’est-à-dire dans celles où se font les ouvrages de longue haleine, ne dépasse pas 8 francs pour dix heures de travail ; et encore ce prix est-il exceptionnel : deux ou trois correcteurs au plus, à Paris, sont arrivés à ce chiffre de salaire qui représente à peine une somme annuelle de 2.200 ou 2.300 francs, défalcation faite des jours fériés, c’est-à-dire à peu près les appointements d’un troisième de rayon aux Villes de France ou au Bon Marché ! La grande majorité des correcteurs en secondes touche de 6 à 7 francs par jour (dix heures de travail).

« Les correcteurs en premières gagnent par jour depuis 5 francs jusqu’à 6 francs et 6 fr. 50[78].

« Nous laissons en dehors de cette statistique les correcteurs de journaux, qui sont généralement payés par la rédaction, et dont le traitement, presque toujours mensuel, varie de 1.800 à 3.500 francs par an. »

L’esquisse que Boutmy, dans son Dictionnaire[79], tente de tracer de la situation d’un correcteur de son temps n’a plus dès lors rien qui doive surprendre : « Père d’une nombreuse famille, il se livrait à un travail surhumain. Pour se tenir éveillé, il prenait du café, auquel il mêlait de l’eau-de-vie. Celle-ci, finissant par former les deux tiers du breuvage, le tua. » Évidemment, notre correcteur eut bien quelque tort ; mais…

Chose surprenante, la situation des correcteurs ne devait point s’améliorer au cours des cinquante années qui nous séparent maintenant de l’époque à laquelle Bernier écrivit dans le Grand Dictionnaire les lignes que l’on vient de lire.

Le 7 mars 1912, le Journal officiel publiait un arrêté du Ministre des Finances portant réglementation du personnel des lecteurs d’épreuves et des viseurs de tierces employés à l’Imprimerie Nationale. Le paragraphe Salaires comportait les prescriptions suivantes :

Art. 6. L’échelle des salaires des lecteurs d’épreuves et viseurs de tierces comprend onze classes :

01re classe 
  
12 fr.  » par jour
02eclase 
  
11 fr. 50 clase
03eclase 
  
11 fr.  »classe
04eclase 
  
10 fr. 50 clase
05eclase 
  
10 fr.  »classe

06e classe 
  
09 fr. 50 par jour
07eclase 
  
09 fr.  »classe
08eclase 
  
08 fr. 50 clase
09eclase 
  
08 fr.  »classe
10eclase 
  
07 fr. 50 clase
11eclase 
  
07 fr.  »classe

Le salaire est acquis aux lecteurs d’épreuves pour tous les jours de l’année. Les heures supplémentaires de jour ou de nuit, faites pour assurer l’exécution des commandes ou la continuité du service, ne peuvent donner droit, en aucun cas, à une rétribution supplémentaire[80]

Les stagiaires[81] reçoivent un salaire de 7 francs par journée effective de travail… (art. 4).

Le même jour, un décret du Président de la République portait réorganisation du service de la correction à l’Imprimerie Nationale. L’article 2 réglait la situation des correcteurs :

Les traitements, les classes et le nombre des correcteurs et des correcteurs principaux sont fixés ainsi qu’il suit :

CORRECTEURS PRINCIPAUX
1re classe 
  
6.000 francs
2eclase 
  
5.700cl se
3eclase 
  
5.400cl se
4eclase 
  
5.100cl se
5eclase 
  
4.800cl se
6eclase 
  
4.500cl se
CORRECTEURS
1re classe 
  
5.000 francs
2eclase 
  
4.700cl se
3eclase 
  
4.400cl se
4eclase 
  
4.100cl se
5eclase 
  
3.800cl se
6eclase 
  
3.500cl se

Pour qui connaît les conditions de recrutement des correcteurs de l’Imprimerie Nationale[82], il apparaît clairement que ces salaires étaient notoirement insuffisants pour rémunérer convenablement les qualités de ces travailleurs modestes. Le 24 novembre 1910, M. Louis Marin, député de Meurthe-et-Moselle, n’avait pas craint de dire tout haut, à la tribune de la Chambre, ce que nombre de correcteurs pensaient tout bas, et il illustrait ses paroles de cet exemple : « M. Guérinot[83] a débuté (à l’Imprimerie Nationale), il y a huit ans, à raison de 10 francs par jour ; puis, son traitement est monté à 12 francs ; il est actuellement à 13 francs par jour ; de plus, étant payé à la journée, M. Guérinot n’est pas même commissionné. Non seulement il ne fait pas partie du personnel des cadres, mais depuis la publication du décret de 1908 on pourrait même se demander si sa situation est régulière. Le décret ne permet pas de donner plus de 12 francs à la journée ; on lui donne 13 francs parce qu’on sait qu’il mérite bien au delà ; mais l’Administration s’honorerait en lui faisant une situation régulière et meilleure. »

Pour compléter cet exposé par au moins un fait non officiel, on nous permettra de citer les lignes suivantes qu’un correcteur « grincheux » écrivait, en juillet 1913, dans la Circulaire des Protes :

« Le patron consciencieux reconnaît la valeur du correcteur, il sait qu’il est au même titre que prote et typos un des gros rouages de son imprimerie ; il voit en lui un auxiliaire précieux, et non les « frais généraux » ; aussi sait-il récompenser ses bons services par quelques surprises agréables telles que : gratifications à la fin de l’année en guise d’étrennes ; congés de huit ou quinze jours payés ; jours de maladie payés, etc., etc. ; en agissant ainsi, il sait attacher à sa Maison un collaborateur zélé et sérieux, sur qui il peut compter en tout temps. Je connais quelques-unes de ces imprimeries ; malheureusement elles sont rares.

« Par contre, nous avons des imprimeries très importantes dont le correcteur est à l’heure, à raison de 0 fr. 50 ou 0 fr. 55, alors que le typo a 0 fr. 60 ou 0 fr. 65 ; il est seul pour corriger la composition de 30 ou 35 hommes, faire la revision des tierces, et, comme on craint de le laisser inoccupé et, de ce fait, gagner son argent à ne rien faire, on lui donne, chaque samedi, les bordereaux des hommes aux pièces à vérifier.

« Dans une ville de l’Est, où la vie est excessivement chère, j’ai connu un correcteur marié et père de famille, touchant, pour douze, treize, voire même quelquefois seize heures de travail, la petite fortune de… 125 francs par mois. Il était seul pour lire les épreuves de 8 hommes aux pièces et de 12 typographes en conscience, pour corriger les compositions d’environ 25 femmes et voir les tierces de 8 machines. De plus, comme supplément de travail, il devait vérifier, toutes les quinzaines, les bordereaux des piéçards. Avec cela, un directeur — c’était une Société anonyme — grincheux, hargneux, sournois… Dans treize mois, il est passé dans cette imprimerie modèle quatre correcteurs, dont un marié, et deux protes… »

Nous ne saurions insister… Les événements qui durant cinq années longues et terribles ont tenu en suspens la vie de la France entière et ont si profondément bouleversé les conditions économiques et industrielles de notre pays n’ont apporté aucune modification à la situation morale et matérielle du correcteur : celui-ci est trop souvent resté, par la considération qu’on lui accorde, par les appointements qu’on lui verse à l’instar d’une aumône, à peine l’égal, plus fréquemment l’inférieur du typographe.

Un exemple suffira pour en donner la preuve manifeste.

L’arrêté[84] du 22 mars 1920, portant réglementation du personnel des lecteurs d’épreuves et des viseurs de tierces de l’Imprimerie Nationale, fixe ainsi, en son article 8, la rémunération accordée aux lecteurs d’épreuves stagiaires :

Les stagiaires reçoivent un salaire de 2 fr. 50 par heure effective de travail.

L’article 10 du même arrêté est relatif au traitement des lecteurs d’épreuves titulaires :

Le salaire est payé, pour tous les jours de l’année, d’après les taux ci-après :

1re classe 
  
148 fr.   » par semaine
2eclasse 
  
144 fr. 50par seaine
3eclasse 
  
141 fr.   »par seaine
4eclasse 
  
137 fr. 50par seaine
5eclasse 
  
134 fr.   »par seaine
6eclasse 
  
130 fr. 50par seaine
7eclasse 
  
127 fr.   »par seaine
8eclasse 
  
123 fr. 50par seaine
9eclasse 
  
120 fr.   »par seaine

Les lecteurs d’épreuves chargés du visa des tierces reçoivent un supplément de salaire journalier de 1 franc.

Les retards et les absences entraînent la suppression du salaire pendant la durée correspondante. Toutefois, le salaire est maintenu : 1° en cas d’absence motivée par une maladie dûment constatée par le médecin de l’Établissement et dans les conditions prévues à l’article 16 ; 2º sur la proposition du prote, après avis du lecteur principal, et à titre exceptionnel, soit en cas de retard justifié par une cause accidentelle, soit en cas d’absence de courte durée motivée par des circonstances majeures.

Les retards fréquents, les absences non autorisées ou non justifiées peuvent donner en outre, lieu à l’application de peines disciplinaires.

Heures supplémentaires. — Art. 11. — Les heures supplémentaires de travail fournies par les lecteurs d’épreuves et viseurs de tierces sont rétribuées suivant les règles adoptées pour les ouvriers compositeurs.

Ils reçoivent par heure supplémentaire, indépendamment de leur salaire, décompté à raison de 1/48 du salaire normal hebdomadaire, une gratification calculée sur un salaire horaire de base de 2 fr. 50 pour les lecteurs d’épreuves et de 2 fr. 625 pour les viseurs de tierces et déterminée comme suit :

Heures supplémentaires accomplies les jours ouvrables avant la rentrée normale du matin et après la sortie normale du soir.
taux de la gratification
La 1re et la 2e heure : 033 0/0 du salaire de base.
La 3e et la 4e xxxx : 050 0/0 du salairee base
Les heures suivantes : 100 0/0 du salairee base
Heures supplémentaires accomplies les dimanches et jours fériés.
Avant midi : 50 0/0 du salaire de base.
Après midi 100 0/0 du salairee base
Heures supplémentaires accomplies le samedi après la sortie normale du matin et jusqu’à 19 heures.
50 0/0 du salaire de base.

Heures anormales. — Art. 12. — Les heures anormales, c’est-à-dire les heures de travail accomplies avant la rentrée normale du matin et après la sortie normale du soir, mais dans la limite de la durée normale journalière de travail, donnent lieu à l’attribution d’une gratification horaire égale à 25 0/0 du salaire de base.

Enfin l’article 18 règle la rémunération accordée aux lecteurs d’épreuves employés « à titre provisoire » :

Les lecteurs d’épreuves occupés à titre provisoire reçoivent un salaire de 2 fr. 50 par heure effective de travail.

À la même époque, à Paris, le salaire horaire de base des ouvriers qualifiés de chaque catégorie (composition, presses, clicherie, reliure) était également, dans l’industrie privée, de 2 fr. 50[85].

À cette date encore, le salaire maximum annuel d’un correcteur de l’Imprimerie Nationale variait, suivant les catégories, de 7.000 à 10.000 francs ; celui d’un sous-prote atteignait, d’après sa classe, le chiffre de 7.500 à 11.000 francs ; alors que la rémunération des correcteurs principaux allait de 8.000 à 12.000 francs.

Nous ne nous arrêterons point à discuter le bien-fondé d’une attitude qui place l’ouvrier intellectuel-manuel dans une situation inférieure à celle du travailleur exclusivement manuel.

Alors que le correcteur, outre ses connaissances littéraires, doit acquérir toutes les notions typographiques indispensables au sous-prote, ce dernier n’est nullement tenu d’augmenter le bagage scolaire possédé au terme de ses classes élémentaires : il est cependant — injustice des choses ! — plus considéré, mieux payé. On ne saurait s’étonner dès lors de voir le lecteur d’épreuves ravalé à un niveau plus inférieur encore : alors que son collègue le correcteur essaye vainement de se hausser au niveau d’un chef subalterne, le lecteur d’épreuves est au plus l’égal du simple compositeur, du fondeur, du clicheur, du relieur.

Voilà bien le nivellement égalitaire dont une école récente de prétendus économistes entend faire le but de ses bruyantes réclamations ! Mais que le lecteur d’épreuves employé national, que le correcteur civil prenne garde : s’il ne résiste, s’il ne s’arc-boute sur la pente dangereuse sur laquelle tente de l’entraîner ou entend le laisser se briser une minorité tapageuse, bientôt il ne sera plus que l’inférieur du typographe, du conducteur, du galvanoplaste, et à peine l’égal du « préposé à l’entretien du bâtiment ».


b. — À l’Étranger


Quelle était avant 1914 la situation d’un correcteur dans les pays voisins de la France ?

Une statistique sommaire publiée par la Circulaire des Protes nous donne à ce sujet quelques indications qui nous paraissent suffisantes pour la comparaison que le lecteur voudra établir.

Les chiffres dont nous utiliserons les moyennes concernent l’Autriche et l’Allemagne ; ils datent de l’année 1909 et portent sur un nombre relativement élevé de correcteurs : 446, pour l’Autriche ; 1.089, pour l’Allemagne. — À cette époque, dans ces deux pays, le travail journalier moyen était de neuf heures au plus : pour les correcteurs de journaux, il variait entre 6 heures et 9 heures ; pour les correcteurs de labeur, entre 8 et 9 heures.

Pour l’Autriche, en ce qui concerne le salaire des correcteurs de labeurs, la ville de Trieste vient en tête avec un salaire horaire de 0 fr. 88 ; suivent les villes de Vienne et de Gratz, avec le chiffre de 0 fr. 85 ; les autres villes citées donnent, avec Klagenfurt, Czernowitz, Prague, Brunn, Laibach, Lemberg, Linz, Troppau, Innsbruck, Salzbourg, des salaires horaires variant de 0 fr. 79 à 0 fr. 66. — La moyenne horaire s’établit à 0 fr. 77.

Le salaire des correcteurs de journaux est relativement plus élevé ; établie par régions et non plus par villes, la statistique donne, à l’heure : pour la Basse-Autriche, 1 fr. 81 ; pour la Styrie, 1 fr. 30 ; pour la Bohême, 1 fr. 13 ; pour la Moravie, 1 fr. 10 ; pour la Carinthie, 1 fr. 04 ; pour le Tyrol, 0 fr. 94 ; pour le littoral, 0 fr. 86. — La moyenne horaire s’établit à 1 fr. 17.

Pour l’Allemagne, la statistique a groupé les différents résultats obtenus pour les correcteurs de labeurs et les correcteurs de journaux et les a établis par régions et non point par villes.

Berlin vient en tête avec un salaire journalier moyen de 8 fr. 16 ; puis, le Sleswig-Holstein, avec 7 fr. 80 ; l’Alsace-Lorraine, 7 fr. 75 ; Hambourg, 7 fr. 64 ; Leipzig, 7 fr. 53 ; le Rhin moyen, 7 fr. 36 ; Dantzig, 7 fr. 20 ; Brême, 7 fr. 18 ; Wurtemberg, 7 fr. 17 ; Dusseldorf, 7 fr. 13 ; Potsdam, 6 fr. 95 ; Königsberg, 6 fr. 94 ; Bavière, 6 fr. 80 ; Dresde, 6 fr. 80 ; Thuringe, 6 fr. 73 ; Erzgebirge, 6 fr. 71 ; Breslau, 6 fr. 69 ; Lübeck, 6 fr. 65 ; Saale, 6 fr. 55. — La moyenne journalière s’établit à 7 fr. 15.

Quelque sommaires que soient ces chiffres, on peut reconnaître que la situation des correcteurs dans les deux pays envisagés n’était nullement supérieure à celle des correcteurs français. — On remarquera, en outre, combien les conditions économiques influent sur les salaires, quelles que soient les capacités et la valeur professionnelle des intéressés. 

En 1920, d’après les renseignements qui nous ont été fournis, voici quelle était, à Londres, la situation d’un correcteur : variable suivant les fonctions confiées, le salaire s’élevait à la somme de 8 £ pour 42 heures de travail hebdomadaire dans un journal de nuit ; ce même salaire était de 7 £ 10 shellings pour 44 heures dans un quotidien de jour ; par contre, un correcteur de labeurs recevait une rémunération minimum de 5 £ 4 sh. pour les six jours dont the week-end lui permettait d’oublier agréablement les fatigues. Le compositeur londonien ayant un salaire de base de 5 £ 1 sh., le correcteur possédait sur son « jumeau » un léger avantage financier.

Il est nécessaire de faire remarquer que la différence de 3 shellings constatée ici entre la banque du correcteur et celle du compositeur correspond à une majoration pécuniaire à la base de 5 0/0 : cette majoration est, au point de vue syndical, le résultat d’un accord entre patrons et ouvriers[86].


II. — Le contrat de travail.


A. — De 1470 à la fin du xvie siècle


a. — En France


Aux premières années de l’introduction de l’imprimerie en France, le correcteur ou celui qui assume la direction littéraire de l’atelier se trouva lié à ses collaborateurs manuels par un contrat bien détereminé. Ce contrat pouvait être de deux sortes : à temps, c’est-à-dire pour une période fixe, dont l’expiration mettait fin ipso facto au contrat ; ou pour un travail désigné, et alors le contrat se prolongeait avec l’œuvre elle-même.

Sans nous préoccuper ici de savoir exactement de quelle nature furent les engagements de Jean de La Pierre, de Guillaume Fichet, de Pierre-Paul Vieillot, d’Erhard et de Guillaume Tardif, nous pouvons dire que de très bonne heure dans notre corporation le contrat de travail fut un acte solennel. Il n’était point, comme à l’heure actuelle, une simple convention verbale entre deux personnages, l’employeur et le futur employé, dont le seul souci est de connaître « s’il y a du travail », et dans quelles conditions. Le contrat était un acte écrit, notarié, passé en présence de témoins (ou de répondants pour l’apprenti[87]). Il énumérait soigneusement les conditions du travail : durée de la journée, objet du travail, nature et quotité du salaire ; il prévoyait, en cas de rupture prématurée du contrat, une indemnité en faveur du maître qui avait strictement satisfait à ses obligations ; il fixait un terme à l’engagement.

Les premiers contrats qui nous sont parvenus se conforment scrupuleusement à ces pratiques en usage dans les anciennes corporations.

En 1504, à Auxerre, un apprenti s’engage pour trois années. Son maître doit lui enseigner le métier ; en outre, il lui promet une rémunération de 100 sols tournois, une paire de chausses et une chemise. Mais l’apprenti devra donner à son maître une indemnité de 15 livres tournois, s’il vient à le quitter avant l’expiration du contrat.

Dans le Bulletin du Bibliophile, M. Claudin cite un contrat passé à Toulouse en 1512[88]. Là encore l’engagement est de trois années ; le maître se charge de l’instruction manuelle et doit donner à son apprenti, pour lui permettre de subvenir à ses besoins, d’abord trois, puis cinq ou six moutons. Des dommages-intérêts sont prévus au contrat.

En insérant dans leurs édits l’obligation du contrat pour notre corporation, les rois ne firent donc que confirmer un usage déjà général et rendre légale une coutume facultative. — Cette obligation se conserva à travers le temps ; les ordonnances royales, d’ailleurs, s’y réfèrent constamment, et c’est à ces prescriptions qu’il nous est donné de connaître le plus grand nombre des engagements tant des imprimeries françaises que des officines étrangères qui se conformèrent à l’usage du contrat écrit et notarié.

Les correcteurs, les protes également étaient astreints à l’obligation du contrat, nous l’avons déjà dit, et aussi à celle du préavis dont nous parlerons plus loin.

Rappelons ici quelques contrats :

« Le 23 mai 1557, Philippe Romain, prélecteur en l’imprimerie, loue pour six mois, à dater de la Saint-Jean prochaine, ses services à Geoffroy Beringuier[89] », maître imprimeur à Lyon.

Un autre correcteur de ce même Geoffroy Beringen[90] fut Théodore Zwinger, de Bâle, dont voici le contrat[91] : Anno 1548. Theodorus Zwingerus Basiliensis, cum Henrico Glaronensi, itineris comite, clam e patria discessit, libris quidem multis onustus, sed viatico pene omni destitutus, ut illud a litteratis dum iter faceret, eos nunc oratione, nunc carmine salutando, honesto titulo efflagitare cogeretur : donec Lugdunum usque arte typographica tunc insigne Galliæ emporium pervenisset, ubi operam suam Godefrido Beringo, calcographo, per triennium locavit et quotquot horas a negotiis reliquas et otiosas suffurari poterat, studiis dies noctesque impendit[92].

À maintes reprises, sans aucun doute, les compagnons, soit isolément, soit après s’être concertés, refusèrent d’exécuter entièrement les obligations de leur contrat. Le Pouvoir dut fréquemment intervenir.

En 1539, le sénéchal de Lyon interdisait aux ouvriers imprimeurs de quitter leur maître, tant que le travail ne serait pas achevé, et à celui-ci de renvoyer ses ouvriers pendant le même temps. Il s’agit ici d’un travail déterminé, objet d’un engagement pendant l’exécution duquel les deux parties contractantes sont tenues l’une à l’égard de l’autre d’obligations réciproques. Toutefois, une rigoureuse impartialité n’étant pas encore une règle dont un tel arbitre pouvait s’inspirer, le sénéchal permettait au maître d’enlever à l’ouvrier, pour le donner à un autre, une partie du travail ; malgré ce manquement à la parole, le compagnon ne pouvait quitter l’ouvrage.

Mais l’édit du 31 août 1539, rendu quelques jours après la sentence du sénéchal, ne devait pas même conserver ce semblant de vouloir égaliser les droits et les devoirs des deux parties : rendu à l’instigation et sur les données des maîtres, l’édit devait à ses promoteurs de leur accorder quelques faveurs particulières ; il n’y manqua point.

L’article 12 prescrit : « Item s’il prend vouloir à un compagnon de s’en aller après l’ouvrage achevé, il sera tenu d’en avertir le maître huict jours devant afin que durant ledict temps, ledict maistre et les compagnons besongnants avec lui se puissent pourvoir. »

L’article 13 ajoute : « Item si un compagnon se trouve de mauvaise vie, comme mutin, blasphémateur du nom de Dieu, ou qu’il ne fasse son debvoir, le maistre en pourra mectre un aultre au lieu de lui, sans que pour ce les aultres compagnons puissent laisser l’œuvre encommencée. »

Enfin l’article 14 ordonne : « Item que lesdictz maistres ne pourront soustraire, ni malicieusement retirer a eulx les apprentis, compagnons et fondeurs, ni correcteurs l’un de l’aultre, sur peine des intérêts et dommages de celui qui aura fait la fraude et d’amende arbitraire. »

Au lieu de calmer les esprits de Lyon et de Paris, l’édit les exaspéra. Les ouvriers, habitués à traiter d’égal à égal avec leurs maîtres, ne pouvaient accepter bénévolement un tel bouleversement des usages, une telle partialité. Ils admettaient qu’embauchés « pour exécuter une certaine tâche livrable à une époque déterminée, il leur fût défendu de quitter l’atelier pour entrer dans un autre avant l’achèvement complet de cette tâche (art. 12), mais ils ne pouvaient consentir à ce que le maître pût, sous prétexte de hâter le travail, leur en enlever une partie pour la confier ensuite à un autre ouvrier » (art. 6) ; ils se refusaient, en outre, à accepter le droit accordé au patron « de les renvoyer sans délai de préavis, sous prétexte de mauvaise conduite ou d’incapacité, alors qu’ils devaient, huit jours avant la fin de l’engagement (de l’achèvement de l’œuvre, conséquemment), prévenir le maître de leur intention de le quitter » (art. 13)[93].

La lutte engagée en 1539 dura jusqu’en 1544 ; le 11 septembre, un arrêt du grand Conseil ordonna péremptoirement aux compagnons de se soumettre aux prescriptions de l’édit de 1539, « à peine pour les contrevenants d’une amende de 100 marcs d’or ». Les ouvriers s’inclinèrent ; mais, un quart de siècle plus tard, d’une nouvelle réglementation devaient surgir de nouvelles plaintes.

L’article 7 de l’édit de mai 1571, rendu à Gaillon, maintient, pour l’ouvrier, la défense de rompre son engagement avant l’achèvement de l’œuvre commencée ; cette défense est portée sous peine de « tous dommages-interetz », et l’article 22 aggrave de singulière façon cette pénalité : « … Et s’il ne satisfait pas à la condamnation pécuniaire, dedans le temps qui lui sera préfix, la peine pécuniaire sera convertie en peine du fouet, ou autre peine corporelle que le cas le requerra. » — Le délai de préavis était maintenu pour le compagnon, de même que pour le maître le droit de renvoi immédiat. Pour s’assurer que ces prescriptions étaient rigoureusement observées, l’article 15 défendit aux imprimeurs « de recevoir aucuns compagnons sans s’enquérir premièrement, des maistres de la maison desquels ils sortiront récemment, si ilceux compagnons ont parachevé leurs labeurs, ou sans apporter lectres de leurs anciens maistres ».

Le 17 juin 1572, le roi recevait des compagnons un long mémoire de Remontrances exposant, pour chacun des articles de l’édit de 1571, les sentiments des ouvriers : « Il est inadmissible, disait le mémoire, que, « soubz couleur que la besongne » soit pressée, on en confie une partie à d’autres qu’à ceux qui ont été engagés pour l’exécuter (art. 7), car, à l’approche d’une série de jours de fêtes par exemple, le maître, pour n’avoir pas de salaire à payer pendant ce temps, fera finir l’ouvrage en augmentant le nombre des travailleurs qui en sont chargés. « La loy… doibt estre réciproque sans pencher d’un costé. » Le compagnon est tenu de terminer le labeur dont on le charge ; le maître, de son côté, ne doit pas en retirer une partie à son ouvrier ; c’est à lui de prévoir le temps qui sera nécessaire pour exécuter l’ouvrage. »

« Un compagnon ne peut commodément advertir son maistre de son partement huict jours avant l’ouvrage achevé (art. 13). Car il n’a les copies et ne peut sçavoir quand la besongne s’achèvera. » « Au fort serait esquitable que le maistre et le compagnon s’advertissent réciproquement l’un l’aultre du congé à prendre ou à bailler. »

« Fournir un certificat quand les compagnons changent d’atelier (art. 15) est « chose qui n’a jamais esté usitée, mais plus tost destestée « à l’imprimerie » ; ce serait les rendre esclaves des maîtres qui, par vengeance, pourraient les empêcher de travailler, en refusant de leur donner un certificat. »

Enfin les compagnons observent avec vivacité que les peines corporelles, permises par l’article 22, sont un mal « qui oncques ne fut practiqué en art, estat ne mestier quelconque, tant vil soit-il… Pareillement serait violer indignement la liberté naturelle des hommes… Eux sont plustost guidez à faire plus que le debvoir par vertu et honneur, que contraintz par force. »

Le 10 septembre 1572, le roi promulguait sa déclaration sur l’édit concernant la réformation de l’imprimerie. Sur de nombreux points l’édit de 1571 était modifié, donnant satisfaction aux doléances des compagnons. Désormais, « les maistres seront tenus avertir les compagnons, et les compagnons les maistres respectivement, huict jours devant la fin de l’œuvre : afin qu’ils ayent le moyen et le loisir d’eulx pourvoir ailleurs ». Si le maître, pour cause urgente, suspend le travail en cours d’exécution, il sera obligé « bailler aux compagnons besogne pareille en attendant que le premier œuvre se puisse reprendre ». Et si l’interruption dure plus de trois semaines, les compagnons pourront partir et se placer ailleurs, sans pouvoir être requis ensuite de revenir à l’atelier pour terminer le premier travail.


b. — Dans les Flandres


Il est intéressant de connaître quelle était à la même époque la coutume d’un pays voisin du nôtre.

Le 12 mars 1564, François Ravelinghen[94] — tel est le nom qu’il porte dans l’acte — s’engage par contrat à servir de correcteur pendant deux années entières chez Plantin, à Anvers ; à l’expiration de l’engagement, il achèverait les livres commencés, si Plantin ne parvenait pas à lui trouver un remplaçant à son goût. — En 1565, lors de son mariage avec Marguerite, la fille aînée de Plantin, Raphelengien promet de continuer son service pendant les trois années suivantes ou bien jusqu’à ce que la Bible en hébreu (édition de 1566) soit imprimée, et d’avertir Plantin six mois avant de le quitter ; dans le cas où Plantin viendrait à renoncer aux services de son gendre ou l’obligerait à établir ailleurs sa demeure (Raphelengien habitait l’imprimerie), il doit le lui signifier six mois d’avance.

Par contrat en date du 1er juin 1580, Olivier van den Eynde s’engage chez Plantin, pour une durée de quatre années : il doit servir d’aide aux correcteurs, faire des copies, des tables des matières, etc. Tous les détails de l’engagement sont soigneusement notés, même l’indemnité[95].

Ces contrats comportent les deux conditions générales — engagement pour une durée déterminée et pour un travail fixe — que nous avons indiquées plus haut. Il en est d’autres qui comportent seulement l’une ou l’autre ; nous en donnons plusieurs exemples d’après M. Max Rooses[96], en indiquant en même temps les salaires ou la rémunération — argent ou nature — accordés par Plantin : En 1564, Jean Isaac, sur les sollicitations du maître anversois, vient à l’imprimerie et y rédige un Abrégé du Dictionnaire hébreu de Pagnino : il reçoit la somme de 15 écus. — En 1564, Étienne de Walloncourt fait la table des Secrets d’Alexis au prix de 4 florins ; la même année, il accepte 30 florins pour avoir mis le nombre des versets sur les marges d’une Bible. — En 1558, Jean Canlerius, qui avait traduit les Singularitez de la France antarctique, reçut en cadeau cinq ouvrages. — En 1567, Plantin donne à Jacques Grevin 5 florins pour le texte des Dialogues ; cette même année, notre imprimeur accorde à Pierre de Savone 45 florins et 100 exemplaires pour son Instruction et Manière de tenir les Livres de comptes. — De 1568 à 1582, Antoine Senensis est gratifié d’un certain nombre de livres valant 377 florins et 6 sous : il avait copié et revu la Somme de saint Thomas d’Aquin. — En 1587, Balthasar Venuntius traduit en espagnol le Theatrum Orbis d’Ortelius et obtient pour ce travail 100 florins.


B. — Pendant le xviie et le xviiie siècle


a. — XVIIe siècle


L’ordonnance de 1572 devait servir de base à tous les règlements ultérieurs qui, jusqu’à la fin de l’ancien régime, constituèrent la charte de l’imprimerie et en rappelèrent, sans se lasser, les prescriptions principales.

Tout le cours du xviie et du xviiie siècle ne devait dès lors être qu’une longue suite de luttes entre les maîtres et les compagnons. — Les uns s’efforcent par tous les moyens en leur pouvoir de se soustraire aux prescriptions royales : ils refusent de se plier à la règle « qui les oblige à finir l’ouvrage commencé », ils ignorent qu’ils doivent « prévenir leurs maîtres un certain délai avant de les quitter », ils ne savent point qu’à leur entrée chez le nouveau maître ils sont tenus de présenter le certificat de travail de leur précédent patron. — Les autres « usent de toutes sortes de moyens pour restreindre la liberté des ouvriers et resserrer de plus en plus la discipline étroite à laquelle ils étaient déjà assujettis ».

La création, par lettres patentes du 1er juin 1618, de la Communauté des Libraires, Imprimeurs et Relieurs devait, semble-t-il, aggraver la situation. « Chargée de veiller à l’exécution des règlements » qui régissaient la corporation, elle crut bien faire en sollicitant maintes fois des mesures de rigueur et contre les maîtres et contre les compagnons qui enfreignaient les lois.

Les Registres de la Communauté, à l’aide desquels il est aisé de connaître l’état d’esprit des ouvriers et des patrons sont suggestifs des bienfaits (?) de l’organisation corporative. En juillet 1653, la Communauté se plaint « du peu de respect et du désordre que commettent les compagnons ». — Le 5 février 1654, elle demande conseil à ses membres sur les plaintes journalières « des désordres que commettent les compagnons, tant pour les prix qu’ils exigent que pour leurs desbauches ». Le 12 février suivant, elle s’adresse au Parlement « pour réduire et maintenir en leur debvoir les compagnons imprimeurs », « d’autant plus insupportables et insolents qu’ils se voyent plus nécessaires ». — Et, le 14 juillet de la même année, un arrêt du Parlement, rendu sur la demande de la Communauté, défend à nouveau « aux ouvriers à la tâche de quitter l’atelier avant d’avoir prévenu l’imprimeur huit jours avant et de se présenter sans certificat chez un autre maître » ; « les compagnons en conscience, c’est-à-dire employés au temps, sont tenus de prévenir leur maître un mois avant de le quitter ». Le maître qui embauchait un compagnon sans exiger le certificat était puni d’une amende. « Quant aux compagnons, ils pourraient être contrainctz par emprisonnement de leur personne, sans aucune forme ni figure de procès… sur le simple réquisitoire desdictz maistres. »

Il ne faut pas croire que c’était là pure et vaine formule. De nombreuses décisions prouvent que la menace était réelle. « En 1706, les Oudot, à Troyes, sont accusés d’avoir fait « enlever » un ouvrier nommé Jullien de chez Jacques Febvre l’aîné » ; un acte notarié enregistre la conciliation qui met fin à cette plainte. — En 1724, une sentence de justice « ordonne au compagnon Raymond de rentrer chez le sieur David qu’il avait quitté sans billet et condamne le sieur Quilleau qui l’a pris à 3 livres de dommages-intérêts par chaque jour qu’il l’a gardé ».

Chose extraordinaire : les maîtres qui se plaignent et réclament sans cesse des mesures de coercition, les compagnons qui protestent et exigent la liberté, semblent d’accord lorsqu’il s’agit de transgresser édits, ordonnances, règlements et sentences : « Le 20 juillet 1720, la Communauté constate avec regret que les imprimeurs continuent à embaucher les compagnons sans qu’ils fassent apparoir de leur congé par écrit. » Ainsi l’attitude des maîtres était frondeuse à l’égard des lois lorsque, la main-d’œuvre rare, il était nécessaire de donner satisfaction à un client ou de nuire à un confrère ; elle était soumise, au contraire, lorsqu’il s’agissait de sauvegarder leurs intérêts menacés par le départ intempestif d’un compagnon. Et, dans cette dernière circonstance, cette attitude ne paraît pas avoir été plus correcte que ne le fut à maintes reprises celle des ouvriers : Le 4 août 1654, les compagnons adressent au Parlement une requête demandant que défense soit faite aux maîtres de « semer des billets » : ces derniers avaient pris l’habitude de « s’envoyer entre eux des avertissements de ne pas embaucher tel ou tel ouvrier considéré comme mutin, cabaleur ou mauvais sujet ». On devine aisément combien de motifs plus ou moins plausibles pouvaient justifier ces qualificatifs ; le départ d’un atelier sans certificat de travail ne fut sans doute pas le moindre.


b. — XVIIIe siècle


Sans nous arrêter plus longuement sur cette situation, voyons quelle était la réglementation du contrat de travail au début du xviiie siècle.

Le 28 février 1723, un arrêt fut rendu en Conseil d’État, portant Règlement général de la librairie et de l’imprimerie. — L’ouvrier à la tâche abandonnant le travail commencé, sous prétexte que le maître en aurait confié, vu son urgence, une partie à un autre compagnon, était puni de 50 livres d’amende (art. 35). — Les « ouvriers en conscience » ne pouvaient « quitter leurs maîtres qu’en les avertissant un mois auparavant, et, s’ils avaient commencé quelque labeur, ils seront tenus de le finir, et les maistres ne pourront congédier lesdits ouvriers qu’en les avertissant un mois auparavant » (art. 37). — L’obligation pour les ouvriers de présenter, au moment de leur entrée dans un nouvel atelier, un certificat de leur précédent maître fut maintenue. Bien plus même, une sorte de contrôle fut institué destiné à s’assurer que maîtres et ouvriers se conformaient à cette prescription : chaque semaine, les maîtres devaient déclarer à la Communauté le nom des compagnons entrés dans leurs ateliers ou sortis.

Le 9 octobre 1724, un nouveau règlement et, le 27 août 1731, un nouvel arrêt du Conseil ordonnaient l’observation des prescriptions antérieures — dont maîtres et compagnons, en des modes différents, se plaignaient avec amertume — et aggravaient les pénalités.

Malgré toutes les ordonnances la situation resta la même : la résistance passive des compagnons mit en échec la volonté royale[97] ; le mauvais vouloir ou l’inertie de certains maîtres heurta de front les décisions de la Communauté[98]. Désireux d’en finir avec les abus qui, d’après le Pouvoir, « venaient moins de l’insuffisance des règlements que de leur inexécution[99] », le Conseil privé, en réponse à une demande des maîtres, rendit, le 30 août 1777, un arrêt portant règlement pour les compagnons imprimeurs. Les anciennes règles sont maintenues ; de nouvelles dispositions voient le jour ; et l’organisation de l’imprimerie telle qu’elle existe à Paris est étendue à tout le royaume.

Voici, au surplus, le texte des principaux articles de ce Règlement :

Article premier — Tous ouvriers des imprimeries du royaume, qui travaillent dans une ville où il y a une Chambre syndicale, seront obligés, dans le délai d’un mois, à compter de la date de l’enregistrement du présent arrêt en icelle, de se faire inscrire à ladite Chambre syndicale sur un registre destiné à cet effet ; lequel registre contiendra leurs nom et surnom, leur âge, le lieu de leur naissance, leur demeure, le nom du maître chez lequel ils travaillent, et depuis quel temps ils y travaillent, avec des observations relatives à leur conduite. Ils seront tenus d’avertir exactement de leur changement de demeure.

Art. 2. — Ceux qui travaillent dans les villes où il n’y a point de Chambre syndicale seront tenus de se faire enregistrer à celle dans l’arrondissement de laquelle ils demeurent, dans deux mois pour tout délai.

Art. 3. — Il sera délivré à chaque ouvrier un cartouche sur parchemin timbré du sceau de la Communauté, et signé des syndic et adjoints. Chaque ouvrier payera trente sous pour ce cartouche ou pour ce premier enregistrement.

Art. 4. — Les ouvriers seront tenus de porter ce cartouche pour le représenter toutes les fois qu’ils en seront requis par les officiers de la librairie et particulièrement lors des visites dans les imprimeries. S’ils l’égarent, ils seront obligés d’en prendre un autre, pour lequel ils payeront la somme de 15 sous.

Art. 5. — Un ouvrier sortant d’une imprimerie sera tenu sous trois jours pour ceux qui demeurent dans une ville où il y a une Chambre syndicale, et sous quinze jours pour ceux qui demeurent dans les villes où il n’y en a point, de porter ou d’envoyer à ladite Chambre son cartouche, sur lequel le maître de chez qui il sort aura mis son consentement et la raison pour laquelle il sort : il sera fait mention sur le registre, dudit consentement et des raisons et observations y contenues. Ce cartouche sera visé par le syndic et l’un des adjoints. Pour ce visa l’ouvrier payera 24 sous ; il payera la même somme à chaque mutation.

Art. 6. — Les maîtres seront tenus de faire exactement à la Chambre syndicale la déclaration des changemens qui surviendront dans leurs imprimeries, relativement à leurs ouvriers ou alloués, tant

pour leur entrée que pour leur sortie : ils seront tenus de déclarer aussi les quinze et dernier de chaque mois, les ouvriers qui auroient manqué à leur travail, soit par inconduite, soit pour affaires, soit pour cause de maladie, afin que les syndic et adjoints puissent en rendre compte. Ils enverront aussi à la fin de chaque mois à la Chambre syndicale un état général des ouvriers qui sont occupés dans leurs imprimeries.

Art. 7. — Les maîtres ne pourront recevoir dans leur imprimerie, aucun ouvrier qu’il ne se soit conformé au présent règlement ; et lorsqu’un ouvrier entrera chez eux, ils auront soin de faire mention sur son cartouche du jour de son entrée.

Art. 8. — Quand un imprimeur aura besoin d’ouvriers, il s’adressera à la Chambre syndicale, où on lui présentera la liste de ceux qui seront sans ouvrage. Il pourra aussi y prendre communication du registre : s’il n’en a besoin que pour peu de jours, il sera donné sans frais aux ouvriers, par les syndic et adjoints, une permission de travailler en attendant une place à demeure.

Art. 9. — Chaque année, il sera fait, aux Chambres syndicales, un appel ou visa général de tous les ouvriers travaillant dans les imprimeries de leur ressort : ils seront tenus d’y venir faire viser leurs cartouches, s’ils demeurent dans la ville où est établie la Chambre syndicale, et de l’envoyer viser s’ils demeurent dans les villes de l’arrondissenment ; et ce sous peine de six livres d’amende, qui leur seront retenues sur leur banque par les imprimeurs chez lesquels ils travaillent ; cet appel sera indiqué par lettres.

Art. 10. — Un ouvrier qui, pour être admis dans une imprimerie, serait convaincu d’avoir pris le nom et de s’être servi du cartouche d’un autre, sera puni exemplairement.

Art. 11. — Afin que tous les imprimeurs puissent connoître la capacité et la conduite des sujets qui leur viennent des différentes provinces du royaume, chaque Chambre syndicale enverra tous les ans à toutes les autres Chambres, dans le mois qui suivra l’appel, l’état des enregistremens faits dans le courant de l’année, avec la note des observations qui y seront relatives, et l’état des brevets de leurs alloués.

Art. 12. — Un ouvrier ne pourra être admis à travailler dans aucune imprimerie en province, s’il n’a fait viser son cartouche au bureau de la Chambre syndicale, dans l’arrondissement de laquelle se trouve la ville où il prétend travailler et s’il n’a payé 1 livre 4 sous pour le visa.

Art. 13. — Les imprimeurs du royaume ne pourront garder les ouvriers qu’ils ont, même actuellement dans leur imprimerie, si, dans un mois pour ceux qui demeurent dans les villes où il y a Chambre syndicale, et dans deux mois pour les autres, à compter de la date du présent arrêt, les ouvriers qu’ils occupent ne leur justifient du cartouche ci-dessus mentionné ; et ils seront tenus de dénoncer à la Chambre syndicale dans l’arrondissement de laquelle ils demeurent, ceux qui auroient refusé de s’y soumettre, afin qu’elle puisse en informer M. le Chancelier ou Garde des Sceaux.

Art. 14. — Les libraires, les fils de libraires ou d’imprimeurs-libraires du royaume, travaillans à l’imprimerie, seront exempts des susdits enregistremens et cartouches, en justifiant de leur qualité, soit par leur lettre de réception, soit par le certificat des officiers de la Chambre syndicale de laquelle ils seront dépendans ; lequel certificat leur sera délivré sans frais.

Art. 15. — Les protes ou directeurs des imprimeries seront assujettis aux mêmes devoirs : ils ne pourront, ainsi que les ouvriers travaillans à la semaine, vulgairement appelés ouvriers en conscience, quitter leurs maîtres, qu’en les avertissant un mois avant leur sortie : s’ils ont commencé quelque ouvrage, ils seront tenus de le finir ; ils ne pourront s’absenter même une demi-journée sans en prévenir leurs maîtres. Ils seront tenus d’être à l’imprimerie en été depuis six heures du matin jusqu’à huit heures du soir, et en hiver depuis sept heures du matin jusqu’à neuf heures du soir.

Art. 16. — Les maîtres ne pourront congédier les protes ni les ouvriers travaillans à la semaine, et appelés ouvriers en conscience, qu’en les avertissant quinze jours avant.

Art. 17. — Les ouvriers travaillans à leurs pièces seront tenus de se rendre à l’imprimerie au plus tard aux heures portées en l’article 15 ; ils continueront de jouir de la liberté d’aller travailler dans une autre imprimerie, lorsque l’ouvrage par eux commencé, ou dont ils auroient entrepris la continuation, sera entièrement achevé, en avertissant leur maître huit jours avant leur sortie.

Art. 18. — Le maître qui voudra accélérer un ouvrage commencé sera libre d’en donner une partie à d’autres ouvriers, sans que pour cela il soit permis à ceux qui l’auroient commencé de le quitter[100]

Art. 20. — Défend Sa Majesté à tous les imprimeurs, de recevoir aucuns ouvriers qui auront été congédiés d’une imprimerie pour débauches réitérées.

Art. 21. — Les ouvriers ne pourront, sous aucun prétexte que ce soit, faire aucun banquet ou assemblée, soit dans les imprimeries où ils travaillent, soit dans les cabarets ou ailleurs, sous peine de punition exemplaire ; leur défend pareillement Sa Majesté d’avoir bourse commune ou confrérie[101]

Art. 26. — Les plaintes respectives des maîtres contre les ou- vriers, et des ouvriers contre les maîtres, seront portées aux Chambres syndicales, pour y être jugées par les syndic et adjoints, à moins que leur gravité ne les obligeât d’en rendre compte à M. le Chancelier ou Garde des Sceaux, pour être par lui ordonné ce qu’il appartiendroit.

Nous ne nous arrêterons pas à commenter longuement les articles de ce règlement, le plus draconien que le Pouvoir royal ait jamais édicté à l’encontre de tous les ouvriers de notre corporation directeurs, protes ou correcteurs, compagnons et alloués ; aussi bien, on l’a vu, les maîtres eux-mêmes n’étaient pas épargnés. Le Conseil eut-il le pressentiment que ces stipulations pourraient susciter les colères des imprimeurs et aggraver une situation dont les patrons se plaignaient amèrement ; à la réflexion, les sommes exigées à chaque enregistrement parurent-elles si élevées aux officiers royaux eux-mêmes que ces derniers songèrent au refus possible de leur versement par les intéressés ? Les deux hypothèses sont possibles et expliquent le palliatif que l’on s’efforça d’apporter, par l’article 27, à des événements dont on redoutait les conséquences futures. Sous l’ancien régime, les compagnons de notre corporation, devenus vieux, infirmes, ne devaient compter que sur eux-mêmes, sur la charité des confrères de la « chapelle », elle-même toujours pauvre, et sur la bienveillance, aléatoire sans doute, des maîtres ; les caisses de retraites, les indemnités de maladie, les secours aux infortunes n’existaient point : l’État, être personnel et égoïste, songeait d’abord à lui-même et à ses nombreux parasites. Le règlement de 1777, qui demandait, qui exigeait tant, fit un premier pas dans la voie de la charité publique, dans le but sans doute de panser une blessure d’argent trop cruelle au plus grand nombre ; par l’article 27 il fut prescrit :

« La somme résultant de ce qui aura été payé pour les enregistremens, cartouches ou mutations, les frais prélevés, sera divisée annuellement en trois parties : la première, pour être distribuée par les syndic et adjoints aux anciens ouvriers infirmes et hors d’état de travailler, dont la conduite aura été exempte de reproches ; la seconde, aux ouvriers obligés de suspendre leur travail pour cause de maladie, et qui auroient besoin de secours ; la troisième enfin, aux ouvriers qui seroient au moins depuis trente ans dans la même imprimerie, et dont les maîtres certifieront l’exactitude et la probité. »

La manœuvre certes, était habile, encore que partiale en certains côtés de son application : le maître était appelé à donner sur un point son avis pour la répartition de fonds versés par toute la Communauté, alors qu’en bonne justice tous les ouvriers visés par l’article 27 auraient dû sans distinction jouir des avantages prévus. Les ouvriers, d’ailleurs, ne s’y trompèrent point, mais leurs objections portèrent sur un autre sujet, dont ils firent en quelque sorte une question préalable : « La récompense que nous promet l’article 27 est une chimère et ne peut avoir d’effet que si on fait attention aux dépenses qu’il faudra faire pour mettre cet article à exécution… » Le règlement prescrivait en effet, avant toute répartition, de « prélever les frais », et les maîtres seuls avaient l’administration de cette caisse.

M. Radiguer affirme que, « comme les règlements antérieurs, celui de 1777 ne fut pas appliqué : les maîtres donnèrent l’exemple de l’insubordination », refusant de signer les cartouches des compagnons quittant les imprimeries, embauchant les ouvriers sans exiger la production du congé, ou « semant des billets » ; de leur côté, les compagnons refusèrent de se soumettre aux prescriptions nouvelles que le règlement exigeait d’eux. D’ailleurs, dit encore M. Radiguer, « un des registres prescrits par l’article 5 existe à la Bibliothèque Nationale[102]. Il ne contient aucune déclaration de chômage… Il porte trois colonnes : dans celle de gauche on devait inscrire le numéro d’ordre ; dans celle de droite, les motifs de départ du compagnon de chez le maître ; dans celle du milieu, l’ouvrier écrivait sa déclaration ainsi libellée : « Je soussigné……, âgé de……, natif de……, demeurant……, paroisse……, déclare être sorti de l’imprimerie de M……, où je travaillais en qualité de…… depuis…… À Paris, en la Chambre Royale et Syndicale, le…… 17…… »

La déclaration du 4 août 1789 remit toutes choses au point : abolissant tous les règlements antérieurs, registres d’inscriptions, registres de chômage, elle renvoya, suivant la loi de l’offre et de la demande, chaque maître à se pourvoir isolément auprès des ouvriers, et chaque ouvrier à recourir séparément aux besoins des maîtres : ce fut le régime de la liberté absolue, régime qui comporte pour les uns comme pour les autres ses avantages et ses inconvénients, ainsi que le constatait, en l’an VII (1799), Bertrand-Quinquet :

« Il y avait autrefois pour l’entrée et la sortie des ouvriers, comme pour les apprentis, des règlements qui ne sont pas seulement tombés en désuétude, mais qui ont été entièrement détruits par la Révolution, et, en effet, beaucoup d’entre eux étaient contraires à la liberté et aux droits du citoyen. Mais chaque chose a ses abus ; aujourd’hui un ouvrier entre dans une imprimerie, en sort quand et comment lui semble ; un imprimeur renvoye également un ouvrier sans l’avertir d’avance ; et certes tout cela a de grands inconvénients. Il faudrait de part et d’autre des procédés ; il faudrait que l’ouvrier qui a commencé un labeur, à prix convenu, ne pût le quitter ; qu’un directeur ne pût renvoyer l’ouvrier également ; il est encore des imprimeries où cela se pratique, mais elles sont peu nombreuses. Sans doute, on sentira mieux par la suite les inconvénients qui résultent de cette manière actuelle de se conduire[103]. »


III. — La journée de travail.


A. — Sous l’ancien régime


Quelle fut, sous l’ancien régime, la durée du travail journalier exigée du correcteur ?

Dès les premières années de l’introduction de l’imprimerie en France, on peut assurer que, pour le correcteur, le temps de travail fut sans limite bien précise : la nécessité, l’urgence faisaient loi, ainsi que le souci et le désir de ne point retarder ou interrompre le labeur de l’atelier. Le « train » commencé se continuait jusqu’à l’achèvement de la besogne générale. Engagé pour une longue période ou simplement pour un travail déterminé, le correcteur était alors de ces savants qui, s’intéressant à l’art nouveau, fréquentaient l’échoppe, en assumaient la direction littéraire, et s’attardaient longuement à l’examen de l’œuvre. — C’est l’époque où les imprimeries existantes empruntent à l’atelier de famille nombre de ses caractéristiques, et où ceux qui travaillent vivent sur le pied de l’égalité[104].

Plus tard, dès le début du xvie siècle, alors que les échoppes « familiales » disparaissent, et que les établissements industriels s’élèvent, la situation se stabilise, si l’on peut dire. Bien que l’imprimerie vive sous un régime de liberté que les rois eux-mêmes ont souci de respecter[105], elle est dans la nécessité, pour se plier aux obligations de l’ordre social, d’emprunter aux autres corporations quelques-uns de leurs règlements.

La fixation des heures de travail fut sans conteste possible l’un des premiers soins des nouveaux maîtres. Il est hors de doute qu’au moment où Jean Petit[106] — qui fut libraire dès 1492 et s’associa d’abord avec Guy Marchand vers 1493, puis peut-être en 1510 avec Henri Estienne — utilisait jusqu’à quinze presses fonctionnant journellement, le temps de travail était strictement délimité.

L’édit de Villers-Cotterets, qui fut le premier acte du Pouvoir réglementant l’exercice de l’imprimerie, se borna, au reste, à enregistrer le fait coutumier : « Et commenceront à besongner par chascun jour à cinq heures du matin et pourront deslaisser à huict heures du soir qui sont les heures accoustumees d’ancienneté[107]. »

De cinq heures du matin à huit heures du soir, soit pendant quinze heures, apprentis et compagnons devaient légalement être à la disposition des maîtres, puisque les repas se prenaient chez ces derniers et non point en dehors de l’atelier. Mais il est certain qu’en fait la durée du travail était bien supérieure. L’article 6 du même édit de 1539 laisse supposer qu’en maintes circonstances les maîtres pouvaient apporter quelques dérogations aux prescriptions royales : « Item si le marchand à qui sera l’ouvrage veult avoir plus hâtivement l’œuvre quị ne se pourroit faire par ceulx qui l’auroient commencée, le maistre en pourra bailler une partie à faire à d’aultres imprimeurs ; néantmoins, lesdictz compagnons ne laisseront icelle encore qu’elle ne soit parachevée par eulx ou par lesdictz aultres. » Les compagnons étaient tenus de parachever l’œuvre commencée : quand les délais impartis étaient restreints, la main-d’œuvre insuffisante, le moyen n’apparaît pas clairement d’obtenir « plus hâtivement l’œuvre », même après en avoir « baillé une partie à faire à d’autres imprimeurs », sinon par une durée plus longue du travail journalier.

D’ailleurs, la besogne à accomplir était strictement délimitée, et le compagnon ne pouvait quitter l’atelier avant l’achèvement de la tâche. Dans leurs Remontrances au roi, du 17 juin 1572, les compagnons imprimeurs font remarquer que la production journalière, de 2.650 feuilles à Paris, est fixée à 3.350 à Lyon, « laquelle quantité à peine peuvent-ils fournir estans debout depuis deux heures après minuit jusques environ huit ou neuf heures du soir, tant l’hyver que l’été ». Un jugement du 26 juillet 1583 confirme implicitement cette déclaration : « Claude Cordier, natif de Champaigne, à présent compagnon imprimeur habitant Lyon, dict et déclare que, ung jour de lundy, il y a aujourd’huy quinze jours, que luy allant travailler de son estat d’imprimeur et comme franc-archier, en la maison de Jaques Rossin, maistre imprimeur, environ les deux heures du matin qu’est la mesme heure que les compagnons de l’art de l’imprimerie vont travailler,… fust assailli… à grands coups de pierres, de manière qu’il en fust blessé grandement à la teste[108]… »

On ne peut, en vérité, devant ces faits, que s’étonner de l’erreur de ces écrivains et de ces économistes qui nous parlent du temps heureux des corporations, des bienfaits de leur système réglementaire et de l’âge d’or que fut pour les métiers cette époque lointaine.

À la lumière des documents on voit combien fut parfois lamentable la situation de nos devanciers. On s’étonnera moins dès lors de leurs rancœurs, de leurs plaintes, de leurs violences même pour obtenir un peu de mieux être.

Mais poursuivons notre étude.

La situation semble avoir été la même dans tous les pays à l’époque qui nous occupe.

L’article 12 du règlement de l’imprimerie Plantin imposait aux ouvriers l’obligation de « venir à l’ouvrage le matin entre cinq et six heures. Avant de se mettre à la besogne ils devaient attendre que la revision fût collationnée et toutes les fautes corrigées. Leur travail commençait à sept heures ». Ainsi, pour assurer le « collationnement de la revision », le correcteur était astreint aux mêmes heures d’entrée que les compagnons.

Arias Montanus — un correcteur dont certes on peut dire que sa grandeur devait le soustraire aux obligations corporatives — constate lui-même[109] que, pendant toute la durée de la correction de la Bible polyglotte, « tous les jours, sans excepter les dimanches et les fêtes, il passe onze heures à écrire, à étudier et à corriger ».

« Tous les jours, sans excepter les dimanches et les fêtes ! » La dérogation aux prescriptions de l’Église était telle qu’en prêtre scrupuleux Arias Montanus ne pouvait que s’en plaindre, en la signalant.

Le travail du dimanche n’était point cependant une infraction aux commandements de Dieu seulement, c’était aussi une dérogation, une violation des ordonnances royales, des édits sur la réglementation de l’imprimerie. Dès le 31 août 1539, François Ier déclarait déjà[110] : « Item, que lesdictz compagnons feront et parachèveront les journées aux vigiles des festes, sans rien laisser pour faire ne besongner lesdictes festes, auxquels jours lesdicts maistres ne seront tenuz ouvrir imprimerie pour besongner si n’était pour faire quelque chose préparative et légère pour le lendemain. » (Art. 7.)

« Item iceulx compagnons ne feront austres festes que celles qui sont commandées par l’Église. » (Art. 8.)

Plus tard, le roi précise et complète une règle qui semble n’avoir été ici qu’ébauchée. Dans la déclaration du 10 septembre 1572, qui confirme l’édit de mai 1571, Charles IX édicte formellement « l’obligation d’observer le repos des dimanches et jours de fêtes » ; l’article 8 de l’édit de mai 1571 avait déjà mis au nombre des jours qui doivent être considérés par les compagnons imprimeurs comme fériés, la fête de saint Jean Porte-Latine, la demi-journée de Carême prenant et le Grand-Vendredy.

Tous les règlements ultérieurs furent unanimes sur ce sujet. L’article 6 de l’arrêt de 1683, notamment, s’exprime ainsi : « Il est expressément défendu à tous maîtres imprimeurs de faire travailler dans leurs imprimeries les dimanches et jours de fêtes ; et aux compagnons d’y travailler à la composition ou à l’impression d’aucun ouvrage, à peine contre les maîtres de 100 livres d’amende et de 10 livres contre chacun des compagnons. Pourront néanmoins les compagnons en cas de nécessité seulement préparer et tremper leur papier après les heures du service[111]. »

Cependant, malgré les édits et les règlements, le travail n’était point toujours suspendu le dimanche et les jours de fêtes. Un travail pressait-il ? Moyennant une gratification, il se rencontrait toujours quelque compagnon pour accepter la besogne supplémentaire.

Le prote-correcteur, bien que recevant un salaire mensuel, devait sans doute être tenu au moins de se présenter à l’atelier le dimanche, soit pour y assurer, le cas échéant, le début du « train de presse », soit pour veiller au rangement et à l’ordre que l’apprenti était chargé d’y apporter :

Les dimanches, il faut qu’éveillé de bonne heure
Je quitte au point du jour mon humide demeure ;
Si je tarde, j’entends notre prote aboyer :
Devinant aisément que c’est pour nettoyer,
Je me prépare encore à ce nouveau déboire…

dit Dufrène dans Misère des Apprentis[112].

Il était ainsi dans notre corporation des compagnons qui ne se reposaient jamais… à moins que le chômage n’imposât sa trêve qui parfois se prolongeait.

En 1650, les compagnons imprimeurs sollicitèrent une réduction de la durée du travail ou plutôt de la tâche journalière. Les maîtres consultés reconnurent — chose extraordinaire ! — le bien-fondé de la demande et se joignirent à leurs ouvriers pour obtenir du Parlement « de réduire la journée des dictz compagnons à faire à l’avenir que 2.500 feuilles des livres qui seront imprimez tout noirs à 2.200 des livres qui seront imprimez rouge et noir, pourveu toutesfois qu’ils n’abusent pas de la susdicte descharge et qu’ils travailleront doresnavant avec plus de soing et de curiosité qu’ils n’ont faict depuis asses longtemps[113] ». — La journée commençait encore, comme en 1539, à cinq heures du matin et finissait à huit heures du soir. Il était interdit aux compagnons de quitter l’atelier, même à l’heure des repas ; cependant, depuis 1572 défense expresse était faite aux maîtres de nourrir leurs ouvriers. En fait, ces deux prescriptions furent la cause de nombreux désordres : on but et on mangea à l’atelier, même pendant les heures de travail, au détriment de l’hygiène — dont on se souciait peu sous l’ancien régime, — du travail et du bon ordre.

On ne saurait toutefois affirmer que, partout en France, la durée du travail était celle prescrite par les ordonnances royales. Nicolas Le Cœur, engagé à Troyes, le 8 janvier 1640, par Nicolas Oudot, travaille de cinq heures du matin à sept heures du soir.

Le 30 août 1777, l’arrêt du Conseil portant règlement pour les compagnons imprimeurs ordonna (art. 15) aux ouvriers en conscience — « les protes ou directeurs des imprimeries sont expressément assujettis aux mêmes devoirs » — d’être présents au travail de six heures du matin à huit heures du soir en été, et de sept heures du matin à neuf heures du soir en hiver[114]. Les journées fort longues continuèrent à être coupées par des repos employés à boire et à manger ; l’apprenti allait aux provisions[115].

Quelque dix années plus tard, avec la Révolution qui vient d’éclater, les usages corporatifs vont disparaître et nombre de coutumes se modifier. « La durée du travail est réduite : dans la plupart des ateliers elle est fixée entre huit heures du matin et huit heures du soir. Au milieu du jour, deux heures sont accordées à l’ouvrier », qui désormais pourra prendre ses repas au dehors.

Sous l’ancien régime, la journée de travail était longue, mais le chômage était fréquent. Les doléances des compagnons sont incessantes sur ce sujet : ils donnaient comme raisons de cet état de choses le trop grand nombre d’apprentis, l’introduction des alloués dans l’imprimerie, la concurrence étrangère, la morte saison lorsque le Parlement ne siégeait point. On peut ajouter que les édits prescrivant le repos « les jours de fêtes ecclésiastiques », fort nombreuses alors, venaient augmenter pour la plupart des compagnons le nombre des jours de repos forcé ; les fêtes de métier, les « devoirs à rendre aux maistres trespassez » ainsi qu’aux compagnons diminuaient également la proportion des heures ouvrables. Tous comptes faits, M. L. Radiguer estime que l’ouvrier dans l’imprimerie « ne travaillait que deux cent cinquante jours environ dans son année » ; et M. Mellottée, « qu’il n’y avait pas plus de deux cent trente à deux cent quarante journées de travail annuel ». « Heureux celui qui recevait un salaire mensuel ! »


B. — À l’époque actuelle


De 1815 à 1825, la durée du travail fut, en moyenne, de douze heures par jour ; à partir de 1830, une réduction d’une heure s’imposa, « en raison de la gêne ressentie plus vivement par la profession » à cette époque. Mais de cette réduction, due exclusivement à des causes économiques, le Pouvoir ne devait point avoir l’initiative : la loi du 9 septembre 1848 fixait en effet la durée du travail journalier à douze heures, et le décret du 17 mai 1851 « mettait l’imprimerie au nombre des industries dans lesquelles ce maximum pouvait être dépassé ».

Le 30 mars 1900, une nouvelle loi fixa la durée du travail dans les ateliers mixtes (c’est-à-dire où travaillent en même temps des hommes adultes, des femmes et des enfants) à onze heures ; automatiquement, deux années plus tard (30 mars 1902), le travail devait être réduit à dix heures et demie, et à dix heures au terme de deux nouvelles années (30 mars 1904). Mais, en 1902, un décret du 28 mars reconnaissait à certains industriels (les imprimeurs étaient parmi eux) employant exclusivement des hommes adultes le droit de porter à quatorze heures par jour la durée du travail (fixée encore à douze dans ces ateliers) pendant cinquante jours par an ; dans les ateliers mixtes, la durée du travail pouvait être portée à douze heures soixante fois par an, et l’obligation du repos hebdomadaire levée quinze fois.

Enfin, la loi du 23 avril 1919 précise, dans son article 6, que la durée du travail effectif des ouvriers est de quarante-huit heures par semaine ; et le règlement d’administration publique (art. 6, § 3) accorde, pour travail extraordinaire, cent vingt heures à répartir annuellement sur cent vingt jours au plus, avec maximum de deux heures par jour.



  1. « Les imprimeries établies à la fin du xve siècle se présentent à nous avec tous les caractères des ateliers de famille, où tous ceux qui coopèrent à l’œuvre commune vivent de la même vie, sur le pied de l’égalité. Cela tenait au peu d’importance de ces premiers établissements où le maître travaillait côte à côte avec ses compagnons… Enfin, les livres étant tous, sauf de rares exceptions, publiés en latin, les imprimeurs et leurs aides possédaient une très haute culture intellectuelle, qui contribuait, pour beaucoup, au degré d’intimité qui régnait entre eux. » (L. Radiguer.)
  2. « On appelle ouvriers en conscience ceux qui sont à la journée ; et aux pièces, ceux que l’on paie à raison de la besogne qu’ils font » (p. 65), ou encore « ceux avec lesquels on fait prix à tant par feuille de composition ou de tirage » (p. 246) (Bertrand Quinquet, Traité de l’Imprimerie, an VII).
  3. Il est évident que les metteurs en pages devaient, outre la distribution de la copie et l’imposition, effectuer sur le plomb, et avant lecture, une sorte de vérification de la mise en pages ; on sait que les compositeurs aux pièces étaient tenus, d’après les conditions du contrat de travail, d’exécuter le travail par feuille, c’est-à-dire en feuille.
  4. D’après L. Radiguer.
  5. P. Mellottée, Histoire économique de l’Imprimerie, t. I, p. 309.
  6. Id., Ibid., p. 310.
  7. « Jusques à présent on a payé en France aux compositeurs aux pièces l’ouvrage à raison d’un prix fixe par feuille. » (Bertrand-Quinquet, Traité de l’Imprimerie, p. 246.)
  8. Bertrand-Quinquet, dans son Traité de l’Imprimerie (an VII), donne des calculs tout faits relatifs à cet objet, mais il ne détaille point les prix qu’il indique et ne les attribue pas à un ouvrage déterminé dont on puisse aujourd’hui encore apprécier toutes les conditions d’exécution. M. Mellottée (Histoire économique de l’Imprimerie, t. I, p. 441) reproduit un certain nombre des indications de Luneau de Boisgermain et de Couret de Villeneuve auxquelles nous faisons allusion ci-dessous dans la note 3 ; mais dans ces calculs nous ne trouvons qu’une seule mention relative à la correction : « Voici le détail d’une évaluation d’une feuille d’impression d’après un manuscrit de 1771 :
    xxxx « Dépense pour une feuille de mémoire en caractères gros-romain, in-4o ; à tirer à 100 exemplaires, à 10 livres la feuille :
    Composition 
      
    3 l. 5 s.
    Lecture de première et seconde épreuve 
      
    0 l10 s.
    Correction de la seconde 
      
    0 l05 s.
    Etc. »

    Ces calculs ne donnent, pensons-nous, aucune idée de la rémunération effective accordée au correcteur : pour bien fixer l’esprit, il eût fallu connaître de manière exacte le nombre de mille lettres contenues en la feuille, afin d’apprécier la partie du salaire à attribuer à la lecture de premières, puis celle relative à la lecture de secondes, enfin dégager du chiffre de 10 sols indiqué ici la part de frais généraux qu’il doit nécessairement contenir.
    xxxx Les autres exemples reproduits par M. Mellottée ne comportent pas de mention détaillée relative à un tarif quelconque de correction de manière générale, sous l’ancien régime, comme d’ailleurs à notre époque, les dépenses inhérentes à ce travail intellectuel, de première importance pourtant, sont récupérées par le maître imprimeur sous le nom d’étoffes, au même titre que celles afférentes… au lavage des formes, à l’emballage et à l’expédition des colis. Une telle promiscuité !

  9. La Bibliothèque Nationale possède (Bib. Nat., ms fr. 22069, f° 292) un manuscrit du xviiie siècle de Luneau de Boisgermain, qui contient à ce sujet de précieux renseignements. — « Désigné par la Convention pour fixer les tarifs des impressions faites aux frais du Gouvernement, l’imprimeur Couret de Villeneuve a laissé un Barème typographique dont les renseignements sont fort précieux (Bibl, Nat., ms., nouv. acq. fr., 4664, f° 14). » M. Mellottée, qui donne quelques extraits de ce Barème, ne signale aucun chiffre relatif à la rémunération réelle accordée au correcteur pour la lecture des feuilles dont il rapporte les tarifs de composition au « mille de lettres » (m étant la lettre type, d’après L. Radiguer).
  10. D’après L. Radiguer.
  11. Elles augmentèrent sans doute avec le temps ; Bertrand-Quinquet les énumère soigneusement et insiste à plusieurs reprises sur la nécessité de tenir la main à leur exécution.
  12. On craignait que la rébellion des compagnons imprimeurs ne fût imitée par d’autres corps d’état : « Car c’est donner, disait François Ier, un exemple et occasion aux autres compagnons et serviteurs de métier qui sont en notre royaume de faire quelquefois le semblable, qui est un vrai fondement et entretènement de mutineries et séditions qui tournent à la fin au grand détriment de la chose publique, » (D’après H. Hauser, Ouvriers du temps passé, p. 233.)
  13. D’après L. Radiguer, Maîtres imprimeurs et Ouvriers typographes.
  14. Calculée en 1905.
  15. Il est fort difficile, pour ne pas dire impossible, de fixer un rapport exact de la valeur de la livre tournois sous l’ancien régime à celle du franc de l’époque contemporaine (avant 1914). — La valeur nominale de la livre, c’est-à-dire son rapport avec le marc d’argent fin, varia fréquemment au cours des temps. La valeur réelle, le pouvoir d’achat, c’est-à-dire la quantité d’objets que l’on pouvait se procurer à l’aide d’une somme donnée, telle que la livre, est encore plus délicate à déterminer, puisque nous manquons la plupart du temps d’une base certaine pour l’estimation du prix de ces différents objets. Enfin, nous connaissons encore moins la quantité de choses jugées strictement indispensables par la classe ouvrière pour sa vie normale, et la limite au delà de laquelle certains achats étaient considérés comme luxueux. Aussi les divergences sont-elles nombreuses entre les écrivains qui se sont occupés de la question : elles vont du simple au double, et même plus parfois. — Les chiffres de base que nous donnons, empruntés à M. d’Avenel, permettront, malgré tout, au lecteur de se faire une idée approximative des salaires aux diverses époques envisagées.
  16. P. Mellottée, Histoire économique de l’Imprimerie, t. I, p. 329.
  17. Voir, dans la très intéressante étude de M. L. Radiguer (Maîtres imprimeurs et Ouvriers typographes), les récriminations et les doléances que les compagnons élevèrent à l’encontre de la décision royale, ainsi que les détails de la longue résistance qu’ils opposèrent, tant à Lyon qu’à Paris, à l’enregistrement de l’édit de Villers-Cotterets et de la sentence du sénéchal de Lyon.
  18. Troisième série, p. 172.
  19. Registres servant de base à l’établissement des taxes et des impôts.
  20. Il s’agit ici du même Geoffroy Beringuier dénommé ci-dessus. — Les modifications et les erreurs d’orthographe des noms propres sont fréquentes dans les actes notariés de l’ancien temps.
  21. Histoire économique de l’Imprimerie, t. I, p. 308.
  22. Nous pouvons estimer que les 12 écus d’or de 1557 représenteraient, en 1923, une somme égale à près de 7.000 francs.
  23. Voir plus loin, p. 501.
  24. Voir p. 502.
  25. « Traité sur les droits et prérogatives des rois et des empereurs, et en particulier des rois de France, composé au xve siècle par Jean de Terrerouge, avocat à Nismes, augmenté d’un copieux et intéressant commentaire par Jacques Bonaudi, de Sausete. »
  26. D’après M. Baudrier, 11e série, p. 132.
  27. La citation de M. Baudrier contient ici une lacune regrettable : la somme versée à Barthélemy Aneau ne figure pas au texte.
  28. Baudrier, 11e série, p. 153.
  29. Voir chapitre I, p. 13.
  30. Baudrier, 7e série, p. 265-266.
  31. En 1923, les 400 livres de 1540 équivaudraient à peu près, croyons-nous, à 17.000 francs.
  32. Article 21 de l’édit de Gaillon de 1571.
  33. D’après L. Radiguer.
  34. « En ce faisant et taxant le salaire desdits compagnons, iceux compagnons auront pour leurs gages, salaires et vacations, 18 livres tournois par mois à Paris, et quant aux gages, salaires et vacations des compagnons imprimeurs de Lyon il y sera pourvu par le sénéchal dudit Lyon ou son lieutenant. »
    xxxx Une observation s’impose ici qui s’applique à tous les règlements de l’ancien régime déterminant ou fixant des taux de salaires : d’après M. Mellottée (Histoire économique de l’Imprimerie, t. I, p. 309), le tarif établi ou imposé « était un taux maximum et non pas un taux minimum ; la fixation était uniquement dirigée contre les prétentions des compagnons et en faveur des maîtres ». Mais « le maximum, qui ne devait pas être dépassé, n’était pas un prix uniformément imposé à tous » ; le salaire continua à être, pour chaque cas particulier, l’objet d’une discussion entre le patron et l’ouvrier, suivant la loi de l’offre et de la demande, — et ce dans les limites établies par le Pouvoir. (Voir, page 506, note 4, ce que dit à ce sujet M. Hauser.)
  35. Première série, p. 106.
  36. D’après M. Mellottée (Histoire économique de l’Imprimerie, p. 313), en 1575, l’écu d’or équivaut à 3 livres tournois. La livre tournois, d’après sa teneur en argent et son pouvoir d’achat, représente une valeur réelle de 8 fr. 64 de notre monnaie. L’écu d’or vaut ainsi, exprimé en francs, 25 fr. 92 ; et les 12 écus d’or représentent, pour un ouvrier compositeur de 1905, 311 francs. — Par une suite de déductions assez longues, M. Mellottée estime qu’un compagnon payé dans les conditions de l’édit de 1571, c’est-à-dire non nourri, ni logé, recevait un salaire annuel de 1.000 francs environ (1905), soit à peu près 4.000 francs en 1923. Nous avons vu antérieurement (p. 494) qu’en 1557 un correcteur, Philippe Romain, recevait un salaire semestriel équivalent approximativement, en 1923, à 3.500 francs (soit annuellement 7.000 francs).
  37. Bibliographie lyonnaise, 1re série, p. 232.
  38. P. Mellottée, Histoire économique de l’Imprimerie, t. I, p. 309.
  39. D’après les calculs de M. d’Avenel les 13 sols de 1654 ne correspondaient plus qu’à 2 fr. 90 de notre monnaie (1905) (11 francs en 1923), alors qu’en 1572 les 7 sols représentaient 4 fr. 50 (17 francs en 1923).
  40. Résumés d’après M. Rooses, Christophe Plantin, imprimeur anversois.
  41. Le florin ayant approximativement une valeur représentative de 8 francs en 1883, la somme annuelle accordée par le roi à Arias Montanus aurait été de 4.800 francs. — En Espagne son traitement était de 80.000 maravedis, que M. Rooses estime valoir 2.500 francs environ (1883). — Pour connaître leur valeur réelle en 1923, il est nécessaire de multiplier les chiffres de 1883 par le coefficient 3,50.
  42. D’après M. Max Rooses, Christophe Plantin, imprimeur anversois, p. 243.
  43. Vitré imprima la fameuse Bible polyglotte de Lejai, dont l’impression se prolongea dix-sept années durant, de 1628 à 1645 ; le Corps de Droit de 1638, 2 vol. in-folio ; une Bible latine, I vol. in-folio. Comblé d’honneurs, Vitré fut l’imprimeur du roi pour les langues orientales, et l’imprimeur du clergé.
  44. Cramoisy fut le premier directeur de l’Imprimerie Royale installée au Louvre par Louis XIII.
  45. Sous la réserve faite antérieurement, d’après M. Mellottée (voir p. 500, note 1).
  46. Histoire des classes ouvrières et de l’industrie en France.
  47. Soit 21 à 22 francs en 1923.
  48. « Il est certain que les lois sur le maximum des salaires ont dû être, qu’elles ont été violées bien des fois par des conventions particulières, et que ces conventions ont été exécutées, encore qu’illégales. À défaut d’autre preuve de ce fait, il suffirait de citer les prescriptions, tant de fois répétées, qui interdisent aux ouvriers de réclamer, aux maîtres de leur donner une rémunération supérieure ; on ne défend pas avec cette énergie les lois qui sont respectées par tous. » (H. Hauser, Ibid., p. 107.)
  49. « Nous savons qu’à Lyon, ville libre, les typographes étaient beaucoup moins payés, et pour un travail supérieur, qu’à Paris, ville de jurandes. » [H. Hauser, Ouvriers du temps passé (xve et xvie siècles), p. 104.]
  50. Voir p. 501.
  51. P. Mellottée, Histoire économique de l’Imprimerie, t. I, p. 289.
  52. Nous rappelons que, pour connaître la valeur approximative de ces chiffres en 1923, il est nécessaire de les multiplier par le coefficient moyen 3,50.
  53. Josse Bade, en 1499, vint de Lyon à Paris (p. 56) ; — Gilbert Ducher, né à Aigueperse en Auvergne, fut correcteur à Paris (p. 63) et à Lyon ; — en 1583, Gabriel Chappuis, qui habitait Lyon, alla se fixer à Paris (p. 11, note 6).
  54. L. Radiguer, Maîtres imprimeurs et Ouvriers typographes.
  55. Voir p. 161 et 171.
  56. Voir p. 161, 504 et 531.
  57. Cette somme représentait à peu près 1 fr. 30 à 1 fr. 40 de notre monnaie (1910), ce qui équivaut à un salaire annuel de 300 à 310 francs (1.000 francs environ en 1923), à raison de 230 jours de travail annuel.
  58. D’après M. Mellottée.
  59. Voir p. 501.
  60. Voir p. 501.
  61. Le salaire moyen d’un typographe en province, au début de 1914, oscillait de 4 fr. 50 et 5 francs environ à 5 fr. 50 et 6 francs. En acceptant la moyenne de 5 francs, le salaire annuel pour 300 jours de travail était de 1.500 francs. Mais nous pouvons dire que les 1.500 francs du compositeur de 1914 étaient fort inférieurs, comme valeur et pouvoir d’achat, aux 1.350 francs du compagnon de 1725. — « La valeur sociale des marchandises a considérablement évolué depuis le début du xviiie siècle ; les exigences de nos pères n’étaient pas les nôtres en ce qui concerne le logement, ni le vêtement, ni l’alimentation, ni l’hygiène, ni les jouissances d’un ordre élevé. » (P. Mollottée, Histoire économique de l’Imprimerie, t. I, p. 305.)
  62. T. II, p. 489.
  63. D’après le Barème typographique de Couret de Villeneuve.
  64. L. Radiguer.
  65. Voici ce que disait, à ce sujet, Bertrand-Quinquet en l’an VII : « Mais il arrive quelquefois que la besogne est forcée, qu’elle doit être rendue à jour fixe, que les bras manquent, alors il faut passer des nuits ou des demi-nuits. On compte une nuit entière, quand on travaille sans interruption pendant l’absence du jour. Pour la demi-nuit, l’on compte du moment où les ouvriers devraient quitter l’ouvrage jusqu’à minuit précis.
    xxxx « Pour une nuit pleine, on paye à l’ouvrier en conscience le prix de la journée et moitié en sus ; pour une demi-nuit, une demi-journée et moitié en sus.
    xxxx « On paye aux ouvriers aux pièces, outre leur travail, le prix d’une demi-journée d’homme en conscience, pour une nuit pleine ; et le quart d’une journée, pour une demi-nuit. Telle est, à cet égard, la règle générale, qui cependant varie quelquefois d’après le genre de besogne, les soins qu’elle exige et le talent de l’ouvrier. » (Traité de l’Imprimerie, p. 245.)
  66. D’après le Barème typographique de Couret de Villeneuve.
  67. Histoire économique de l’Imprimerie, p. 448.
  68. Voir également, sur ce point particulier, page 488, note 2.
  69. Histoire économique de l’Imprimerie, t. I, p. 322. — M. P. Mellottée est, à Châteauroux et à Limoges, l’un de nos plus réputés maîtres imprimeurs de province.
  70. Max Rooses, Christophe Plantin, imprimeur anversois, p. 243.
    Le journal de Marguerite Plantin, la fille aînée du maître imprimeur, met particulièrement en évidence cette situation pour le moins singulière « Les ouvriers n’ont-ils pas eu l’idée, l’autre jour, d’interrompre tous le travail au moment du plus grand coup de feu, espérant ainsi forcer mon père à les rétribuer plus grassement. Ils disent à cela que les compagnons employés à des occupations purement manuelles gagnent davantage qu’eux avec moins de peine ; et que là où un typographe, compositeur ou pressier, gagne en moyenne 7 sous par jour, soit 105 florins par an à trois cents jours ouvrables, un compagnon ardoisier gagne 16 sous, un maçon 10 sous, et un charpentier 18 sous ; soit, en comptant pareillement l’année à trois cents jours ouvrables, 150 florins pour le maçon, 240 pour l’ardoisier, et 255 pour le charpentier. Il est certain que tout cela n’est que trop vrai ; mais c’est précisément l’honneur des choses de l’esprit de ne pas rapporter seulement que des bénéfices ils… » — Cette grève, qui eut lieu en août 1577, dura deux jours : « Dès l’aube du troisième jour les ouvriers étaient tous à la porte de l’imprimerie en vêtements de travail et leur barrette à la main ; et depuis, ils ont si bien besogné qu’ils ont rattrapé le temps perdu. »
  71. Le prote.
  72. Couret de Villeneuve, Barème typographique, p. 7, 8 et suiv. (Bib. Nat., nouv. acq. franc. 4664), en 1797.
  73. À en croire l’opinion de Couret de Villeneuve que nous venons de citer.
  74. Traité de l’Imprimerie. — Au sujet du mot prote employé ici par Bertrand-Quinquet, voir notre observation page 12, note 7.
  75. Ces expressions sont celles de M. Mellottée (voir p. 512). — Il ne semble pas, toutefois, que tous les maîtres imprimeurs aient sur ce même sujet une manière de voir analogue à celle de M. Mellottée. Le lecteur pourra s’en convaincre aisément à la lecture du procès-verbal de la séance tenue, le 20 décembre 1920, par le Comité central de l’Union des Maîtres Imprimeurs, procès-verbal dont nous donnons quelques extraits particulièrement suggestifs, page 554.
  76. La situation, disons-le, n’a pas changé ; et toutes les tentatives analogues à celles préconisées par M. Didot se heurteront à « cette nécessité inéluctable du pain quotidien ».
  77. Grand Dictionnaire universel du xixe siècle, par Pierre Larousse, t. V, art. Correcteur, p. 182 (1869).
  78. Le correcteur en premières reçoit un salaire moins élevé que le correcteur en secondes. Cette anomalie paraît exister depuis longues années. D’après Breton, « en général, la lecture en premières est confiée à des gens trop inhabiles. On rétribue moins un correcteur en première qu’un correcteur en seconde, et pourtant il est bien démontré que la seconde ne saurait être parfaite si la première a été négligée. » (Physiologie du Correcteur d’imprimerie, p. 11 ; Paris, 1843.)
  79. Dictionnaire de l’argot des typographes, p. 48.
  80. Depuis 1920, les heures supplémentaires sont rétribuées (voir p. 522, art. 11) ; mais le salaire hebdomadaire est décompté sur six jours, le stagiaire recevant, comme le lecteur de 9e classe, 120 francs pour 48 heures de travail.
  81. Tout lecteur d’épreuves, lors de son entrée à l’Imprimerie Nationale, est soumis à un stage d’instruction et d’examen d’une durée de dix mois (voir p. 138).
  82. Voir pages 139 et suiv.
  83. Voir page 144.
  84. Cet arrêté nous a été obligeamment communiqué, en mars 1923, par le service de la Direction de l’Imprimerie Nationale.
  85. Nous disons « salaire horaire de base », sans nous préoccuper de l’indemnité dite de « vie chère », dont le taux fort variable était encore, en juin 1923, de 0 fr. 90 par heure de travail pour les catégories envisagées ici.
  86. Voir plus loin, page 555, les résultats de l’accord syndical des correcteurs français avec leurs patrons.
  87. « 1er septembre 1592 : Contrat de mise en apprentissage par François Durelle, maître imprimeur, citoyen de Lyon, de Jacques Durelle, son filz, chez Jehan Gillet, aussi maître imprimeur audit Lyon, pour le temps et terme de troys ans et demy commençant ledit jour 1er septembre pendant lesquels ledit Jacques sera au service dudit Gillet, et ne pourra s’absenter sans cause légitime, sous peine de dépens, dommages et intérêts, sera nourri, logé et chauffé par ledit Gillet qui lui monstrera et enseignera sondit mestier d’imprimerie bien et deuement à son pouvoir, et ce pour la somme de 6 écus dont ledit Durelle a payé 3, avec promesse de payer les 3 autres à la fin de la première année, moyennant laquelle ledit Gillet promet entretenir ledit Jacques, selon sa qualité durant ledit temps. » [Bibliographie lyonnaise, 10e série, p. 322 (Combet, not., A. N.).] — Jean II Gillet était en 1580 compagnon imprimeur à Lyon ; dans un acte de 1586, il est qualifié imprimeur ; en 1594, il travaillait pour « les frères Gabiano » ; il quitta Lyon pour aller s’établir à Montpellier, puis à Orange. — François Durelle, compagnon imprimeur avant 1557 (étant vers 1535), parvint à la maîtrise vers 1565 ; neuf fois il fut élu syndic des maîtres imprimeurs lyonnais. Son fils, Jacques Durelle, étant né vers 1579, aurait eu treize ans environ lors de la signature du contrat qui fit de lui un apprenti.
  88. Étude sur les libraires, les relieurs et les imprimeurs de Toulouse au xvie siècle.
  89. Baudrier, Bibliographie lyonnaise, 3e série, p. 172. — Voir également p. 493.
  90. Nous rappelons qu’aux temps anciens les différences ou les erreurs orthographiques étaient fréquentes et considérées comme de peu d’importance dans les noms patronymiques.
  91. Baudrier, Bibliographie lyonnaise, 3e série, p. 34.
  92. Baudrier, Bibliographie lyonnaise, 4e série, p. 404.
  93. L. Radiguer.
  94. Il s’agit de François Raphelengien qui devait devenir le gendre de Plantin (voir p. 85, 504).
  95. Voir p. 161 et 504.
  96. Christophe Plantin, imprimeur anversois, p. 231.
  97. 1. Voici en quels termes sévères un auteur inconnu — bien que l’ouvrage que nous avons eu entre les mains soit anonyme et ne comporte pas de privilège, nous supposons qu’il s’agit ici de Marchand — appréciait en 1740 la situation créée au monde des lettres par l’attitude des compositeurs et des compagnons imprimeurs : « Enfin, quelque soin que j’eusse pris, pour qu’il [ce livre] parust comme il le devoit, aux foires de Francfort et de Leipsic de 1739, la lenteur et la dissipation des ouvriers l’a fait trainer jusqu’à la fin de ce mois de mars de la présente année 1740 : retardement fâcheux dont je suis obligé de me plaindre publiquement ici, afin de ne point me trouver en contradiction avec moi-même ; et mauvais procédé tout-à-fait propre à confirmer les plaintes continuelles des gens de lettres concernant les abus de l’imprimerie. — Ce 31 mars 1740. » (Histoire de l’origine et des premiers progrès de l’Imprimerie, Avertissemens, p. xii. À La Haye, ches la Veuve Le Vier et Pierre Paupie, MDCCXL.)
    xxxx Un demi-siècle plus tard, Bertrand-Quinquet écrivait à son tour, en situant les responsabilités : « Un vieux proverbe, qui n’est pas tout à fait dénué de fondement, dit : ouvrier en conscience, ouvrier sans conscience ; c’est la faute du maître, presque toujours, quand ce malheur arrive. C’est par son exemple qu’il doit donner à tous ses coopérateurs une impulsion vigoureuse ; il ne doit pas souffrir le paresseux frelon au milieu des laborieuses abeilles ; en le chassant promptement de la ruche, on évite bien des dangers. Diligence, activité, telle doit être la devise d’une bonne imprimerie. »
  98. Dans son ouvrage intitulé Maitres imprimeurs et Ouvriers typographes, M. Louis Radiguer fait un résumé pittoresque et intéressant des luttes que les compagnons soutinrent et contre le Pouvoir royal et contre les maitres. Ce travail nous a été d’une réelle utilité dans l’étude que nous avons entreprise sur ce sujet aussi spécial que l’est celui du correcteur d’imprimerie.
  99. Voici les termes mêmes du prologue de l’Arrêt du Conseil du roi portant Règlement de discipline pour les compagnons imprimeurs, en date du 30 août 1777 : « Sur ce qui a été représenté au roi, étant en son Conseil, par les syndic et adjoints de la Chambre syndicale de Paris, et par quelques imprimeurs de la même ville, que les abus qui résultent de l’inobservation du titre V du Règlement de 1723, tant de la part des maîtres que de celle des compagnons imprimeurs, nécessiteroient un règlement de discipline, qui, en réprimant les abus, pût servir de loi pour toutes les imprimeries du royaume ; Sa Majesté se seroit fait rendre compte du titre V, et auroit reconnu que ces abus venoient moins de l’insuffisance des règlements que de leur inexécution ; pour quoi elle se soroit déterminée à les rappeler et à y ajouter quelques précautions que les circonstances exigent : à quoi voulant pourvoir… »
  100. Voir ci-dessus, page 446, note 1, le texto de l’article 19, relatif aux volumes prélevés par les compagnons sous le nom d’« exemplaires de chapelle ».
  101. Les articles 22 à 25 sont relatifs aux alloués ; nous ne les donnons pas, ils sont en dehors du sujet qui nous intéresse.
  102. Ms. fr. 21830.
  103. Traité de l’Imprimerie, p. 279.
  104. L. Radiguer.
  105. François Ier disait dans sa déclaration du 19 novombre 1541 : « Ce n’est point mestier que l’imprimerie et n’y faict-on aulcun chef-d’œuvre, mais est maistre qui veult. »
  106. Jean Petit fit travailler plusieurs imprimeurs, Jean Morand, Pierre Le Dru, André Bocard, etc. « L’on peut dire de luy qu’il a esté celuy de son tems qui a le plus faict imprimer, puisqu’il entretenoit les presses de plus de quinze imprimeurs. » André Bocard l’appelle le « meillour des libraires » (bibliopolarum optimus).
  107. Édit de Villers-Cotterets du 31 août 1539, art. 17.
  108. Baudrier, Bibliographie lyonnaise, 1re série, p. 104.
  109. D’après Rooses, Christophe Plantin, imprimeur anversois, p. 127.
  110. Lettres patentes du 31 août 1539, données à Villers-Cotterets.
  111. C’est-à-dire, sans doute, « après les heures de la messe et des vêpres ».
  112. Paris, 1703.
  113. Augmentée en 1654, cette quantité de travail fut rétablie par un arrêt du Parlement du 12 juillet 1659.
  114. Voir art. 15, p. 538.
  115. D’après Restif de la Bretonne et Dufrène dans Misère des Apprentis.