Aller au contenu

Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/07/03

La bibliothèque libre.
Imprimerie de Chatelaudren (2p. 125-130).


III

LA MISE EN MAINS


a) Le composteur justifié, le typographe reçoit la cote qu’il doit composer.

De manière générale, on appelle cote une fraction du manuscrit : elle comprend, suivant les circonstances, plusieurs feuillets de copie, parfois une seule page ; plus rarement, dans des cas exceptionnels, la page est divisée en plusieurs cotes, en vue d’une exécution plus rapide.

Une bonne cote se dit d’une copie irréprochable, facile à lire, ne présentant aucune difficulté d’exécution, et également d’une copie d’étendue suffisante pour occuper le compositeur durant un temps assez long, généralement presque une journée entière, et ne point l’obliger à des dérangements inutiles et répétés.

Là cote est courte, si elle ne comprend qu’un nombre restreint de lignes à composer ; et elle est mauvaise, si la composition est lardée de caractères étrangers à ceux de la casse, hérissée de difficultés inhérentes autant à l’écriture défectueuse qu’à un texte obscur.

b) Obligatoirement, le metteur en pages doit passer en revue avec le compositeur tous les feuillets formant la cote. Il appelle son attention sur les annotations portées à la copie et indiquant les caractères à employer pour les titres, les sous-titres, les intercalations, les notes, etc. Il lui signale, de manière particulière, les accidents de composition : signes algébriques ou autres, lettres de langues étrangères, caractères italiques ou gras à insérer dans le texte, en définitive tout ce qui est en dehors de la composition courante. Il lui indique la marche suivie pour la préparation du manuscrit et lui rappelle les principales règles typographiques appliquées ou les exceptions qui y sont apportées : nombres à mettre en lettres ou en chiffres, abréviations à respecter ou à écrire en texte clair, noms à composer avec grandes capitales ou bas de casse, nombre de cadratins à placer au début des alinéas dans les longues justifications, règles du renfoncement des vers, renfoncement des alignements, genres d’appels de notes, etc.

Les tableaux, les intercalations, les notes, les titres, les textes en plusieurs colonnes ainsi que les citations que le paquetier ne doit pas composer, sont entourés sur le côté gauche, au crayon bleu ou de tout autre manière.

c) En dehors des renseignements généraux, le metteur en pages est, d’ailleurs, tenu de fournir à ses paquetiers toutes les indications utiles pour résoudre les difficultés imprévues rencontrées au cours de la composition, soit au point de vue lecture, soit au point de vue règle typographique exceptionnelle : alignement, renvoi, alinéa à faire ou, au contraire, à supprimer. Il faut observer, toutefois, que certains de ces renseignements, tels ceux relatifs à la lecture, ne sauraient être que de simples conseils et n’engagent en rien la responsabilité du metteur : le paquetier doit être suffisamment instruit des principes de sa langue, il doit être familiarisé avec toutes sortes de manuscrits, enfin il doit connaître les principes de son art, et ce n’est que justice de lui faire supporter les lacunes de son éducation professionnelle ou grammaticale.

d) Sur le premier feuillet de la cote, le metteur en pages indique par un crochet, dont les pointes sont tournées vers le texte ([) l’alinéa par lequel la copie débute ; en face de cet alinéa, afin d’éviter toute erreur dans le début de la composition, il inscrit le nom du paquetier, puis les numéros des feuillets composant la cote, le, caractère du texte, des intercalations, des notes, enfin l’interlignage de ces diverses parties.

Fréquemment, le texte ne se termine pas avec le dernier feuillet de la cote, mais se prolonge sur le premier feuillet de la cote suivante : c’est le rattrapage que le compositeur doit exécuter pour que sa cote soit complètement terminée.

e) D’autre part, un metteur en pages soigneux note sur un registre spécial, et dans l’ordre de remise de la copie, d’abord les noms des compositeurs et les numéros des feuillets qui leur sont confiés :

Benoît 
 01-05
Gauthier 
 06-12
Perrin 
 13-17


puis, sur ce même registre, et dans la colonne qui suit les indications correspondantes, il annote, au fur et à mesure de leur rentrée, les numéros des cotes qui lui sont remises et la date ou l’heure à laquelle elles ont été terminées.

Cette manière de faire est indispensable lorsque la même copie doit passer successivement entre les mains de plusieurs compositeurs : pour le texte, pour les notes, pour les intercalations, puis enfin pour les tableaux et les opérations. On évite de la sorte des erreurs ou des omissions toujours préjudiciables, sans parler des recherches intempestives.

f) Dans nombre d’imprimeries, le metteur en pages, en même temps que la copie, remet au paquetier les interlignes et la distribution nécessaires à la composition de sa cote ; il y ajoute les ficelles et les porte-pages voulus ; il s’assure, en outre, que le chef de matériel est en mesure de délivrer les sortes particulières (pie la distribution ne renferme pas et qui sont indispensables pour la composition.

Dans d’autres maisons, le metteur en pages se borne à la remise de la copie, des ficelles et des porte-pages. Le matériel est seul chargé de fournir aux paquetiers la distribution, les interlignes et, les sortes spéciales nécessaires. À cet effet, le chef de matériel est prévenu par le prote de la mise en mains d’un labeur nouveau, du caractère choisi pour le texte courant, de la justification sur laquelle il est établi, enfin des caractères particuliers que sa composition exigera et dont il faudra, le cas échéant, préparer les casses.

Quel que soit le système accepté, il importe surtout que la distribution soit, convenable, c’est-à-dire débarrassée des folios, titres, tableaux, opérations, notes, blancs ou lingots et garnitures, etc. ; elle doit encore, lorsqu’elle est rare, être partagée aussi également que possible entre chacun des compositeurs ; si elle est abondante, seule l’habileté de l’ouvrier sert, pour le metteur ou le chef de matériel, de guide dans la répartition à faire : la chose qui alors importe est que l’ouvrier, généralement aux pièces, n’éprouve ni interruption ni gêne dans son travail du fait de la maison qui l’emploie.

g) Sa cote terminée, le paquetier remet celle-ci au metteur, et, le cas échéant, reçoit une autre cote à composer. Les folios de la copie rentrée sont, ainsi qu’il a été dit, pointés sur le registre de Distribution de la copie.

Le nombre de lignes de composition données par ces feuillets, pour le texte et aussi pour les intercalations, est indiqué par le paquetier sous son nom inscrit au début de la cote, et est reporté sur le registre ; on mentionne également sur la cote et sur le registre le nombre des surcharges de toutes sortes : parangonnages, fractions, caractères étrangers, en un mot tout ce qui est en dehors de la casse et a occasionné au compositeur un dérangement dont il y a lieu de lui tenir compte. Le metteur en pages — qui obligatoirement assure la tenue de cette comptabilité fort simple — doit en affirmer l’exactitude : à cet effet, il a le devoir de vérifier sur les épreuves mêmes les indications données par les compositeurs.

h) En comparant sur son registre de Distribution de copie la rentrée des différentes cotes, le metteur s’informera des raisons qui exceptionnellement retarderaient la composition d’une copie. Il prendra aussitôt les mesures nécessaires pour parer aux inconvénients qui peuvent en résulter : 1o si la cote est trop longue, ou si la distribution manque, répartition à un ou deux paquetiers supplémentaires de l’excédent ou d’une fraction de la copie en retard ; 2o si le compositeur est absent, remise de la cote suspendue au premier paquetier inscrit ;  3o dans le texte, un crochet ([) précède le mot formant le début de la composition à continuer ; 4o dans la marge, en face la ligne de texte, est portée l’indication À reprendre, accompagnée du nom du compositeur.

i) Avant la mise en mains ou aussitôt après la rentrée de la copie, le metteur en pages compose lui-même ou, plus fréquemment, fait composer, suivant ses indications, les titres, les sous-titres, ainsi que, le cas échéant, les alignements, les opérations, les tableaux, tous travaux qui ressortent plutôt du domaine de la conscience et sont rarement exécutés aux pièces. Si les épreuves sont à envoyer en pages, il ajoute : les notes marginales ; les folios dont il donne le texte et, s’il est nécessaire, les coupures ; les signatures ; les légendes, dont il a soin de faire établir la justification suivant la grandeur des bois ; les filets et couillards, dont il prévoit l’emploi ; les blancs, enfin tout ce qui lui est indispensable pour l’exécution rapide et irréprochable du travail qui lui est confié.

Le metteur en pages s’assurera donc, au fur et à mesure de la rentrée de la copie, que la composition des textes accessoires suit une marche parallèle à celle du texte principal et qu’aucune omission n’est à craindre.

j) Les fonctions des metteurs ne diffèrent point des règles générales ici exposées, qu’il s’agisse de composition linotypique en lignes blocs ou de composition mécanique en lettres mobiles. Toutefois, les cotes sont plus importantes, en raison de la production plus rapide du claviste et du linotypiste et de la nécessité impérieuse d’éviter les pertes de temps dues à des dérangements trop fréquents.

k) Les indications qui viennent d’être résumées sont d’une application générale, dans toutes les imprimeries. Les modifications qu’elles subissent, ne proviennent que des habitudes particulières et de l’organisation spéciale de la maison ou du genre de travail lui-même. Par exemple, la distribution de la copie d’un quotidien comporte une manière de faire plus simplifiée, plus expéditive, qu’il est bon de rappeler :

1o Tous les articles sont classés par le metteur suivant leur urgence ; ils comprennent un ou plusieurs feuillets, répartis en une ou plusieurs cotes ; ils sont numérotés de 1 à … ; chacun des numéros est accompagné de la première ou, au plus, des deux premières lettres — lorsqu’il s’agit d’éviter une confusion entre deux articles voisins — figurant au titre de l’article lui-même ; le dernier feuillet de l’article porte une croix (✖) accompagnant le numéro.

Les feuillets manuscrits isolés, ne comportant pas de numéro d’ordre, sont dits sans cote.

2o Les caractères qui doivent être utilisés pour la composition de chacun des articles, suivant leur importance, — leader, faits divers, politique, échos mondains, chronique financière, etc. — sont indiqués en tête, près du titre.

3o L’interlignage s’indique de manière particulière : un trait vertical barre la copie, pour l’interligne de 1 point ; deux traits, pour l’interligne de 2 points ; trois traits, pour l’interligne de 3 points, etc. L’article à composer compact ne reçoit aucun trait et ne comporte aucune mention spéciale.

4o Les articles sont rangés par le metteur en pages, ou le second, dans l’ordre où ils doivent être composés et en cotes de longueur égale autant que possible. Les cotes ne sont pas données par le metteur, mais prises au fur et à mesure du besoin par les piétons eux-mêmes qui inscrivent leurs noms.

5o La réunion des cotes — celles-ci n’étant généralement pas assez importantes pour constituer un paquet — est faite par les piétons eux-mêmes et par appel, en descendant de 1, ou de 2, ou de 3 au suivant, selon l’ordre dans lequel les cotes sont terminées, ou en remontant de 5 à 4 ou de 4 à 3, par exemple, si la dernière cote est la première qui soit finie. Les paquets, lorsque l’ensemble des cotes comporte une composition assez étendue, sont toujours autant qu’il est possible coupés à une ligne comportant une division en fin de justification.

6o L’un des piétons, appelé pigeur, inscrit sur un registre ou sur une feuille, à titre de contrôle, le numéro de la cote désignée par sa lettre ainsi que le nombre de lignes composées par chacun des ouvriers.