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Le Divorce de l’Amour et de l’Hymenée

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LE DIVORCE DE L’AMOUR ET DE L’HYMENÉE1.

Vous, qui des lois de l’Hyménée
Savez si bien tous les malheurs,
Et qui souvent parmi vos pleurs
Avez maudit la destinée
Qui vous fit choisir un époux,
Malgré l’Amour et malgré vous ;
Belle Iris, les malheurs des autres
Doivent vous consoler des vôtres :
C’est un destin commun à tous.
Amour et l’Hymen, en querelle,
Depuis long-temps sont séparés.
Lisez-en dans cette nouvelle
L’histoire, que vous ignorez.

Jadis l’Amour et l’Hyménée
Étoient frères et bons amis.
Trop heureux dans leur destinée
Ceux à qui le ciel a permis
De voir la saison fortunée
Où, parmi les nœuds les plus doux,
Une ardeur toujours mutuelle,
Toujours tendre et toujours fidèle,
Confondoit l’amant et l’époux !
Sitôt que l’Amour dans une âme
Avoit fait naître quelque flamme,
Hymen venoit la couronner.
Ces dieux, ainsi d’intelligence,
Eux deux seuls y faisoient régner
La paix, la joie et l’innocence ;
Mais l’union des deux enfants,
Égaux en attraits, en puissance,
Ne devoit pas durer long-temps.

Ce fut aux noces d’Elizène,
Qu’épousoit l’amoureux Ismène,
Qu’on les vit la dernière fois
Unir leur pouvoir et leurs droits.
Cette noce fut d’importance ;
Deux rois, pères des deux amants,
Pour montrer leur magnificence,
Célébrèrent leur alliance
Par mille divertissements.
Pour faire honneur à la couronne,
L’Amour et l’Hymen en personne
Vinrent pour serrer les beaux nœuds
Qui lioient ces amants heureux.
Jamais leur amitié fidèle
Ne parut tant que dans ce jour ;
Et jamais, la voyant si belle.
On n’eût cru qu’Hymen et l’Amour
Pussent jamais être en querelle.
Lorsqu’on mena les deux époux
Pour assister au sacrifice,
Dont l’effet héureux et propice
Au cœur des amants est si doux,
Ces jeunes dieux pleins d’allégresse
Charmèrent par cent tours d’adresse
Les yeux du peuple et de la cour.
Tantôt Hymen tenoit Ismène,
Laissant Elyzène à l’Amour,
Et tantôt lui-même, à son tour,
Folâtroit avec Elyzène.
Quelquefois tous deux embrassés
S’offroient aux yeux embarrassés2.
L’air enfantin, la tresse blonde,
Changeant d’armes et de flambeau,
Ils trompoient si bien tout le monde
Par un spectacle si nouveau,
Que cent fois dans cette journée
On prit l’Amour pour l’Hyménèe,
Et cent fois dans ce même jour
On crut qu’Hymen étoit l’Amour.

Le vieux roi père d’Elyzène,
Ravi de voir sa fille reine,
Et que ces dieux si bien unis
La combloient de biens infinis,
Songeant à sa dernière fille
Psyché, l’honneur de sa famille,
Le soir, quand on fut au festin,
Les prit toutes deux par la main,
Et fit entre eux asseoir la belle,
Croyant, par ce présage heureux,
Les obliger d’être pour elle
Encore mieux unis tous deux.

Psyché brilloit de mille charmes ;
Tous les cœurs lui rendoient les armes,
Et, la voyant en ce moment,
Chacun devenoit son amant.
Amour, sujet au badinage,
Folâtroit, parloit, la baisoit.
Hymen, plus discret et plus sage,
La regardoit et se taisoit.

Leur flamme commençoit à peine
Que l’on en remarqua l’ardeur,
Et, menant coucher Elyzène,
On s’aperçut de leur froideur.
L’Épouse marchant la première,
Ils regardoient toujours derrière
Pour trouver les yeux de Psyché ;
Et, laissant la cérémonie,
Si tôt que l’époux fut couché,
Ils se faussèrent compagnie.
Ainsi de deux frères amis
La Beauté fit deux ennemis.
D’abord leur âme fut saisie
Et de haine et de jalousie,
Et, se voyant rivaux tous deux,
Chacun songea, faisant mystère,
Aux moyens de se rendre heureux
Sans en dire mot à son frère.

Hymen, rempli de bonne foi,
Crut, s’adressant au parentage,
Que, demandant Psyché, le roi
Consentiroit au mariage ;
Et l’Amour, s’assurant du cœur,
Fier de ses traits et de ses charmes,
Crut aussi que tout son bonheur
Ne dépendoit que de ses armes.

Hymen, rempli de son dessein,
Voit le roi dès le lendemain,
Et demande Psyché pour femme.
Le roi, le voyant sans l’Amour,
Et craignant leur rivale flamme,
Le remit à la fin du jour,
Afin qu’un oracle fidèle
Terminât bientôt leur querelle.
Hymen, toujours sage et discret,
Y consentit, mais à regret3.

Amour, averti de l’affaire,
Chez Apollon se transporta ;
Tant d’amitié lui protesta,
Qu’il l’engagea dans le mystère,
Et ce dieu, pour plaire à ses vœux,
Rendit cet oracle fameux,
Que Psyché, cet objet aimable,
Conduite en un endroit affreux,
Attendroit un monstre effroyable
Que tous les dieux, dans leur courroux,
Avoient choisi pour son époux.

Le roi, comme pieux et sage,
Obéit, quoique outré de rage.
Psyché, dans la fleur de ses ans,
Fut conduite en triste équipage
Dans les bras du dieu des amants.
Hymen, affligé de l’oracle,
Respectant le décret des dieux,
La perdit sans y faire obstacle,
La suivant les larmes aux yeux ;
Et l’Amour, caché dans la presse,
Rioit des pleurs et des soupirs
Qu’Hymen donnoit à la princesse
Qu’il alloit combler de plaisirs.
Ah ! que ce dieu trouva de charmes
À voir l’Hymen plein de douleur
Qui donnoit à Psyché des larmes
Qu’il ne devoit qu’à son malheur !

La nuit vint. Psyché fut laissée,
Avec la cruelle pensée
Qu’un monstre l’alloit dévorer.
Mais l’Amour, en des lieux si sombres,
Parmi le silence et les ombres,
Prit le soin de la rassurer.
Dans une demeure enchantée,
Au milieu de tous les plaisirs,
Sur l’aile des jeunes zéphyrs
Elle fut doucement portée ;
Et c’est dans cet heureux séjour
Que sans parents, sans Hyménée,
Seule, contente et fortunée,
Elle se rendit à l’Amour.
Le dieu, dans ce lieu solitaire
Goûtant le plaisir du mystère,
S’aperçut de tout son pouvoir,
Et s’étonna de sa foiblesse
D’attacher toujours sa tendresse
Aux lois d’Hymen et du devoir.

La nuit, leur seule confidente,
Cacha leurs feux d’un soin discret.
Mais Psyché, se voyant contente,
Ne put pas garder le secret.
Voulant que sa sœur Elysène
Fût témoin de tant de grandeur,
Elle fait venir cette reine,
Et lui déclare son bonheur,
Ignorant encor son vainqueur.

Hyménée, à cette nouvelle,
Commence de voir son erreur,
Et, par un conseil plein d’horreur,
Il fit tant, enfin, que par elle
Il fut assuré que l’Amour
Voyoit Psyché dans son séjour.
D’abord il avertit sa mère
Que son frère s’étoit caché.
Vénus, instruite de l’affaire,
S’en prend à la seule Psyché.
Par plus d’un tourment effroyable
Elle la veut faire mourir.
Le pauvre Amour, inconsolable,
Gémissoit de la voir souffrir,
Et, plein d’une juste colère,
Jura le Styx, serment des dieux,
Qu’il n’iroit plus avec son frère,
Et qu’il la suivroit en tous lieux,
Quelque chose que l’on pût faire4.
Dans cet état si dangereux,
Sans décider lequel des deux
Psyché devoit prendre pour elle,
On lui déclara que la belle,
Pour remettre la paix entre eux,
Ne seroit à pas un des deux.

D’un autre côté, l’Hyménée,
Et plus modeste et plus discret,
Voyant sa triste destinée,
N’en jura pas moins en secret,
Et se promit, pour sa vengeance,
De tourmenter et désunir
Tous ceux qu’Amour, par sa puissance,
Prétendroit joindre à l’avenir.

Aussitôt la troupe immortelle,
Instruite de cette querelle,
Mariant l’Amour à Psyché,
Croyoit raccommoder l’affaire.
Mais les dieux ne le pouvoient faire ;
Le mot de Styx étoit lâché.
De ce serment inviolable
Amour prétexta son courroux,
Et, demeurant inébranlable,
Il ne voulut point être époux.
Psyché demeura sa maîtresse.
Jamais époux, toujours amants,
Unis par leur seule tendresse,
Ils eurent de si doux moments,
Qu’Amour, pour tenir sa promesse,
N’eut plus besoin d’aucuns serments.
Il commença lors de connoître
Le doux plaisir d’être seul maître
Et de régner seul dans les cœurs,
Et, flatté de tant de puissance,
Il ne goûta plus de douceurs
Que celle de l’indépendance.

Hymen, d’abord, dans son courroux,
Crut se rendre bien redoutable
Donnant de sa main un époux
Pour rendre un amant misérable ;
Mais, quand il vit ses plus beaux jours
Marqués de soupirs et de larmes,
Et que l’Amour venoit toujours
Y mêler de tristes alarmes,
Il connut que les plus doux nœuds,
Lorsque l’Amour ailleurs engage,
N’avoient au plus que l’avantage
De faire bien des malheureux.
N’osant leur montrer sa foiblesse,
Afin d’avoir toujours la presse
À ses tristes solennités,
Il fit inventer par adresse
Ces folles inégalités
De rang, d’éclat et de richesse,
Et mit encore à ses côtés
La Raison, l’Honneur, la Sagesse.

Mais l’Amour, malgré tant d’appui,
Fut seul encor plus fort que lui.
Il rit de leurs folles intrigues,
Dédaignant l’Hymen et ses brigues,
Et, loin d’en être plus soumis,
Il se flatte de plus de gloire
À remporter seul la victoire
Sur tant de puissants ennemis.

Voilà la source infortunée
D’où naquit la division
Qui rompit la belle union
De l’Amour et de l’Hyménée.
Le temps n’a fait que l’augmenter.
Tous deux, appliqués à se nuire
Et travaillant à se détruire,
Se plaisent à se tourmenter.
On ne les voit jamais ensemble.
Les époux que l’Hymen assemble
Sont à peine unis un seul jour,
Amour les quitte et les sépare ;
Et l’Hyménée, aussi barbare,
Sitôt qu’il peut avoir son tour,
Sépare ce qu’unit l’Amour.
Que d’ennuis, de maux et de plaintes,
Que de tourments et de contraintes
Leur querelle nous coûte à tous,
Et que ces dieux, par leurs caprices,
Causent de rigoureux supplices
Aux amants ainsi qu’aux époux !

Mais l’Hymen, quoi qu’il puisse faire,
Est toujours le plus malheureux ;
Tout le monde maudit ses nœuds,
Parceque Amour leur est contraire.
Sans ce Dieu, les plus doux moments
Sont pleins de troubles et d’alarmes,
Et l’Amour seul, avec ses charmes,
Suffit au bonheur des amants.

Profitez de cette querelle,
Vous que l’Hymen fit tant souffrir
Que l’on vous vit prête à périr
Sous sa loi pénible et cruelle,
Et, pour vous venger, dès ce jour
Prenez le parti de l’Amour.



1. J’ai rétabli le moins mal que j’ai pu ce petit poème, dont je n’ai vu qu’une seule édition, très défectueuse. Beaucoup de vers y sont transposés ; il en manque même quelques uns. (S.-Marc. )

Ce morceau est tiré d’une assez singulière édition du Voyage de Chapelle, édition imprimée sans date, avec de simples faux-titres, et citée dans les catalogues comme une sorte de rareté.

Saint-Marc a rétabli, en effet, des transpositions choquantes. Quant aux vers dont il lui a plu de remplir quelques lacunes, je crois devoir les laisser subsister, contrairement à ce que j’ai fait ailleurs, d’abord parceque cette pièce n’est pas assez certainement de Bachaumont pour que cela soit, comme dans le Voyage, une espèce de sacrilège ; ensuite et surtout parceque je n’ai pas, ainsi que je l’avois alors, le véritable texte à y substituer.

2. Il manquoit un vers en cet endroit. Celui-ci, quel qu’il soit, remplit un vide désagréable. (S.-Marc.)

3. J’ajoute ce vers et le précédent pour qu’une rime féminine ne soit pas suivie d’une autre rime féminine d’espèce différente, l’auteur me paroissant avoir eu dessein d’être exact au mélange des rimes. (S.-Marc.)

4. Une raison pareille à celle de la note précédente m’a fait ajouter ce vers. (S.-Marc.)