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Le Drame d'Alexandre Dumas (Parigot)/03/11

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CHAPITRE XI

DUMAS PÈRE ET DUMAS FILS.


I

VINGT ANS APRÈS.

Le critique G. Brandès dit de Dumas : « Il ne fut artiste que dans sa première jeunesse ; dans la période romantique il écrivit en romantique ; dans celle de l’industrie il écrivit en industriel[1]. » Ce jugement banal, et qui a le tort (fréquent chez les écrivains étrangers qui touchent à notre littérature dramatique) de mettre toutes les œuvres d’un écrivain en un ou plusieurs blocs, et toutes les œuvres de chaque bloc sur le même plan, — je crains qu’il ne contienne autant d’erreurs que de mots. Romantique, Dumas le fut, et de toute sa fougue, si l’on entend par là qu’il fut révolutionnaire ; mais, si je n’ai point abusé des textes, il fut dramaturge davantage, et surtout indépendant par son imagination. Industriel, il ne commence ni ne cesse de l’être : il l’est, dès son premier vaudeville. C’est la production qui importe, non l’étiquette. En vérité, même après 1840, il fit maint effort d’artiste, et dans un sens qu’il faut préciser, si l’on ne veut pas tomber dans l’erreur commune à ceux qui n’ont lu ni ne connaissent tout son théâtre.

Oui, quand il eut extrait d’Antony toute la substance, il continua. Il continua, au hasard des collaborations et des entreprises, à jeter dans ses drames ou parmi ses énormes machines historiques des gaillards découplés, musclés, friands de la lame et de l’amour, et dont les passions dirigent et illuminent l’histoire ou la vie à leur gré. Lorsqu’Antony se fut apaisé en d’Artagnan, il continua à peupler la scène d’Antony et de d’Artagnan, et de ces faibles femmes sensibles et sensuelles, héroïques et moites, soucieuses de leur réputation plus que de leur vertu, et qui se fondent en des langueurs au son de la voix des hommes. Il continua, peignant les mêmes figures populaires, à enrichir la scène de situations dramatiques souvent neuves, et à éprouver tous les ressorts nécessaires au drame de ses successeurs.

M. Victorien Sardou ne le contestera point, qui a écrit Patrie, un chef-d’œuvre à la façon de Dumas, qui a vingt fois à Dumas juxtaposé Scribe, et qui, poussant à bout la conception du drame historique selon le genre d’Henri III et de Caligula, a enfermé, pour le plaisir du public et les exigences nouvelles de l’érudition, l’intrigue passionnelle de Theodora dans les minutieuses splendeurs du décor archéologique. Ni Émile Augier ne fut rebelle à l’influence de cet inventeur de situations[2], ni même MM. Meilhac et Halévy, qui par leurs fines railleries, n’ont pas peu contribué à le démoder[3]. Il me plaît d’entendre Piquillo, dans le cachot des maris récalcitrants, s’écrier : « Femme de toutes les voluptés[4] ! » et cet acte de la prison est une impayable parodie de celui de la Tour de Nesle. Je me réjouis du roi Ménélas imitant son ancêtre Louis le Hutin[5], et les exclamations d’Antony : « Adèle ! mon Adèle ! » font un plaisant écho dans la Cigale[6]. Et j’aime aussi la Belle Hélène qui craint pour sa réputation[7], comme la duchesse de Guise, sans compter la Grande-Duchesse qui élève Fritz jusqu’au grade de général, aussi lestement qu’un Henri III anoblit un Saint-Mégrin[8]. Cette ironie me délecte par sa qualité, et par ce qu’elle dénote d’ingratitude. Pendant que MM. Meilhac et Halévy s’amusent de la phraséologie de Dumas, ils recueillent les situations de ses drames, et au besoin les personnages. La Cigale même, je la reconnais. Cigale ressemble fort à la Ketty de Kean et à Rose de Noël des Mohicans de Paris. Quant à Fanny Lear, vous en trouverez le sujet et les scènes principales dans Paul Jones, drame en cinq actes et en prose d’Alexandre Dumas père, remis au goût du jour par MM. Meilhac et Halévy. La marquise d’Auvray, qui a commis une faute, pour sauver son bon renom chambre son mari fou ; Fanny Lear, qui a commis beaucoup de fautes, et encore celle d’épouser un gentilhomme ruiné, enferme son Noriolis atteint de folie… On voit l’analogie, et les ressemblances inévitées. Quand ces auteurs auront à se débarrasser de Froufrou, petite fille d’Adèle, ils la feront mourir de la poitrine, comme Henri Muller et la dame aux Camélias. Je n’incrimine point ; je note à quel point l’« industriel » fournit de matière l’industrie du drame moderne. Et, à mesure que j’avance en cette direction, le nom et les pièces d’Alexandre Dumas fils se trouvent plus fréquemment sous ma plume.

Vingt ans après, Dumas père fait, de son œuvre, fascine à Dumas fils. Il tâche à s’adapter à la société qui évolue. Entre 1840 et 1855, son idéal dramatique se transforme. C’est toujours le même homme (mêmes muscles, même imagination, même allégresse dans l’exécution), qui n’observe pas beaucoup davantage, qui procède encore par intuitions, et chez qui l’instinct est du génie. Toutefois, pendant que les actes s’ajoutent aux actes, les tableaux aux tableaux, que les romans se muent en drames, et les anecdotes de l’histoire en drames-romans ; pendant que se déroulent et se succèdent les images innombrables de la lanterne magique et que s’allongent indéfiniment les soirées des théâtres du boulevard, — alors, par intervalles, Dumas se reprend ; il tâte le public ; il s’oriente au milieu des mœurs qui changent ; il s’écarte de la légende ; il s’accroche résolument à la réalité d’où son imagination prend son essor. La vie moyenne s’insinue dans le Chevalier d’Harmental, avec la contagion et les bals de l’Opéra. Dans ses machines le plus hâtivement expédiées, un drame raccourci, poignant se glisse : drame de petites gens et de la vie bourgeoise. Ses adaptations du théâtre étranger sont des indices. Vingt ans auparavant, il traduit Fiesque ; à présent l’Intrigue et l’Amour, « drame intime ». Même Halifax, qui est une doublure du Figaro de Beaumarchais, pétille de l’esprit familier et avisé, qui va éclater dans la Dame aux Camélias : passavant des plus réalistes audaces dans le Demi-Monde ou Francillon. Il y a beaucoup de cette verve prophylactique au IIe acte d’Halifax, comme au I d’Angèle.

Le 22 mai 1854, Dumas donne au Vaudeville le Marbrier, drame en trois actes. Déjà la Dame aux Camélias et Diane de Lys étaient représentées. Mais Dumas ne subit pas encore l’influence « d’Alexandre », ne croyant pas encore en lui. Le Marbrier n’est point une pièce de qualité littéraire ; mais serrée, ramassée, domestique, significative. N’était la fantaisie mélodramatique de cet Américain, qui vient demander pour son fils la main d’une jeune fille, et, après lettre du jeune homme qui se dégage, s’enthousiasme au point de faire la demande pour lui-même (voir les Corbeaux de M. Henry Becque, dont les rares moyens ne sont décidément ni vraisemblables ni neufs) ; n’était ce trou que creuse avec sans gêne l’invention romanesque, on y prévoit le tour de main qui enlèvera les trois actes de la Princesse Georges et de Francillon. Le marbrier qui vient prendre les ordres ; tableau d’une famille en deuil ; le fils désolé simplement, sans grands mots ni gestes ; préparations indiquées lestement, de scène en scène : c’est déjà l’exécution ramassée, haletante, sinon logique, de Dumas fils. La parenté est manifeste. L’idée même de la pièce, cette jeune fille qui a pris la place de la morte pour éviter au père longtemps absent une douleur qui peut être mortelle, cet enfant supposé qui est « un faux perpétuel et vivant[9] » dans la maison, nous sert d’un passage au drame juridique et passionnel qui va suivre. Songez-y : tout cela — l’intimité du sujet et le serré de la facture — était au fond du drame conjugal d’Henri III et d’Antony. Dumas fléchit aux temps nouveaux, au réalisme, au positivisme. Il tient, comme il peut, l’imagination en bride. Le cadre ni la couleur ne flamboient plus. Et, certes, il y peine : la folle du logis s’échappe ; il n’arrive pas encore à franchir par la seule force de la déduction et de l’observation les passes difficiles ; il a recours à un Américain résolu pour sauver les invraisemblances. Il ne se déchaîne plus ; mais, malgré tout, il s’élance et prend son essor vers l’azur. Et le Marbrier se termine, ainsi que Monsieur Alphonse, par une élévation : « Ô mon Dieu ! Que vous êtes bon ! Que vous êtes grand[10] ! etc. »

Vingt ans après Antony, Richard, Angèle, cette imagination est à la fois attirée par les antagonismes domestiques et les nobles idées simples et symboliques. Il n’est pas douteux que ce symbolisme soit un écho du romantisme. Mais il ne s’agit plus de « tout regardé sous toutes ses faces[11] ». C’est du sein de la réalité, du cœur même de la vie réelle que Dumas l’exprime. Séduit par une trilogie d’Iffland, Crime par ambition, il l’adapte à la scène française et au goût du moment. Mais en même temps, il essaye d’objectiver une idée générale, de mettre à la scène la Conscience. Sans doute, il n’y réussit qu’à moitié, puisque la conscience est l’œil de Dieu et non celui des hommes : du moment qu’Édouard Ruhberg avoue son crime, il ne relève plus d’elle seule. Néanmoins, la tentative est notable de ce drame en six actes, trois dans le monde bourgeois, trois dans un milieu aristocratique, avec, dominant cette opposition, une idée générale personnifiée : sinon la Conscience, au moins l’Expiation. Cette incarnation scénique de notions abstraites date de Corneille ; mais c’est Dumas fils qui en fera un élément constitutif du drame moderne.

Dès le 22 novembre 1849 avait paru, sur le Théâtre-Historique, le Comte Hermann, en cinq actes, un épilogue et une préface, préface « véritable » qui précéda d’un jour la représentation. Or Dumas y disait : « … Il y a des époques où un peuple est calme comme un lac. Il y a des époques où un peuple est tempétueux comme un océan. La voix qui parlera à ce peuple sera-t-elle toujours la même ?… Voilà pourquoi l’auteur du Comte Hermann, quand on lui a dit : « Faites-nous, en 1849, un drame comme vous en faisiez en 1832, un drame simple, intime et passionné, comme Angèle et Antony », a répondu : « — Oui, je vous ferai un drame simple, intime et passionné, comme Antony et comme Angèle ; seulement, les passions ne seront plus les mêmes… Au lieu de l’amour physique, au lieu de la brutalité matérielle, la chasteté d’une femme et le dévoûment d’un homme sont appelés à produire ces effets d’émotions et de larmes que, quinze ans auparavant, l’auteur a demandés à d’autres passions[12]… » Je ne garantirais point que les passions y fussent aussi différentes qu’il le dit. Chastes elles sont avec la même frénésie que lorsqu’elles ne l’étaient point. Mais si le besoin d’exprimer une philosophie générale sur le théâtre, de prêcher devant le peuple est inséparable du romantisme et du drame national de 1830, insensiblement nous nous éloignons, vingt ans après, du théâtre d’Antony et d’Angèle. L’intérêt dramatique est toujours puisé à ces sources, et Dumas en fait foi ; mais il se modifie, il s’épure ; il se prend, sinon aux abstractions vagues (c’est l’erreur de Victor Hugo dans Angelo et ailleurs), du moins aux sentiments très généraux et assez humains pour résister au positivisme envahissant. De là le comte Hermann, symbole de la chevalerie[13], de l’homme qui fait honneur à l’homme ; homme rare, homme d’un autre âge, qui remonte à Arminius, mais un pauvre homme de chair et d’os, qui veut, qui souffre, se dévoue et meurt ; symbole vivant, avec quelque chose d’un Pantagruel dompté par la maladie, ou mieux, d’un Athos, l’Athos de Vingt ans après, père et guide de Raoul, et prêt à se sacrifier pour lui. Ce n’est plus un personnage de l’École des Vieillards ni de Teresa ; il appartient vraiment à la seconde moitié du siècle ; la Jeunesse de 1830 en eût médiocrement goûté l’héroïsme concentré et presque passif. De là Fritz, le médecin athée et empoisonneur, traître de mélodrame, bâti sur le modèle du Frantz de Schiller[14], mais déjà gagné de la fièvre du positivisme pseudo-scientifique. « … Fritz est une de ces exceptions monstrueuses comme en produit parfois la nature. La société, dans laquelle Dieu ne leur a pas fait de place, les détruit presque toujours, et, quand la société ne les détruit pas, elles se détruisent elles-mêmes, comme ces scorpions, qui, enfermés dans un cercle de feu, se tuent avec leur propre dard, s’empoisonnent avec leur propre venin.[15] » Qui parle ainsi ? Dumas ou Rémonin ? Le vieux Dumas ou Claude Ruper[16] ? Qu’est-ce que cette douce Marie de Stauffenbach, sinon l’esquisse de l’immatérielle Rébecca[17] ? Et qu’est-ce que cet épilogue « philosophico-toxicologique[18] », s’il n’est une première ébauche de la Visite de Noces et de l’Étrangère ? Quand ce symbolisme dramatique parut sur la scène, on crut, en dépit de l’émotion pathétique et continue du drame, à une traduction inavouée de l’allemand. Dumas avait tout simplement repris la situation d’une comédie qui sondera « sous les sifflets et les rires[19] ». De Jeune Vieillesse il tira le Comte Hermann, drame simple, drame intime comme Antony, héroïque et symbolique comme la Femme de Claude. Même s’il vous plaît d’avoir un avant-goût de l’Étrangère, dès 1868, étudiez Madame de Chamblay, et arrêtez-vous aux IVe et Ve actes[20].

D’Antony, et non d’ailleurs, est né le théâtre de Diane de Lys. Les drames, où Dumas a fait œuvre d'art — après 1840 — présagent ceux de son fils après 1870. Le réalisme de la passion, brutale chez l’un, logique chez l’autre, aboutit à un idéalisme symbolique, scientifique, et surtout véhément. Car tous deux ont un fonds commun de tempérament, à défaut d’une imagination égale. Dumas, dont j’ai marqué l’évolution, avait préparé et prévu celle de l’auteur de la Dame aux Camélias. « … Du moment, disait-il, où la toile se lève sur une pièce d’Alexandre, du moment où les personnages ont commencé de parler, le spectateur est pris et entraîné par un irrésistible charme ; ce n’est plus un théâtre… c’est un pan de muraille ouvert sur des personnages vivants et laissant voir le drame de la vie… Qui vous dit qu’un jour il ne prendra pas fantaisie au jeune dramaturge de faire à son tour une excursion dans le domaine de l’imagination, dans le royaume du rêve, et qu’il ne complétera pas son œuvre de réalisme par un voyage dans le pays de l’idéalisme[21] ?… »

Vingt ans après, Dumas était doublement le père de cet autre Alexandre.


II

DUMAS FILS RÉALISTE AVANT « LES IDÉES
DE MADAME AUBRAY ».

Il est infiniment probable que Dumas ne connut jamais l’œuvre de La Chaussée, même de nom. Je tiens pour assuré que Dumas fils ne l’avait point lue, le tenant de lui-même. Mais il avait étudié les drames de son père, à fond. Il a dit à plusieurs reprises son admiration, en des termes qui honorent l’un et l’autre, mais qui surtout trahissent les analogies de leurs complexions. Il entre dans cette admiration du fils pour le théâtre et le génie paternels beaucoup du culte de la force, que le père manifeste en ses Mémoires pour les exploits du général. Qu’on se rappelle la page romantique, l’hymme aux colosses qui éclate au beau milieu de la Préface du Fils naturel.

« … C’est sous le soleil d’Afrique, avec du sang africain, dans le flanc d’une Vierge noire qu’elle a pétri celui dont tu devais naître, et qui, soldat et général de la République, étouffait un cheval entre ses jambes, brisait un casque avec ses dents… Tu as fait craquer le Journal, le Livre, le Théâtre trop étroits pour tes puissantes épaules… Quelquefois, tu posais ton lourd marteau sur ta large enclume. Tu t’asseyais sur le seuil de ta grotte resplendissante, les manches retroussées, la poitrine à l’air, le visage souriant ; tu t’essuyais le front ; tu regardais les calmes étoiles en respirant la fraîcheur de la nuit, ou bien tu te lançais sur la première route venue, tu t’évadais comme un prisonnier ; tu parcourais l’Océan, tu gravissais le Caucase, tu escaladais l’Etna, toujours quelque chose de colossal ; et, les poumons remplis à nouveau, tu rentrais dans ta caverne. Ta grande silhouette se décalquait en noir sur le foyer rouge, et la foule battait des mains[22]… »

En cette apostrophe revit la poigne hardie de Porthos. Le fils n’a pas dégénéré. Pendant toute sa vie, il saluera le plastique animal qu’est la femme et observera l’animal vigoureux, qui est l’homme. On trouvera dans l’Édition des Comédiens une note sur la force physique du peintre Marchai, qu’on croirait transcrite de Mes mémoires[23]. Il aime, sans aucun doute, le drame paternel, d’abord et par-dessus toute chose pour l’énergie de l’action, pour la bravoure qui s’y déploie. Puis, arrivant à son tour sur le théâtre, il le prend d’assaut ; il escalade la littérature ; il fonce en avant, tête baissée.

Dumas fils n’a pas la faculté d’invention de Dumas père. Mais (il faut le dire, parce que c’est une vérité trop méconnue) il en a la sensibilité, qu’il s’applique premièrement à contenir par la logique, et qui finira par déborder et rompre les digues dans la seconde partie de son œuvre. Elevé par une mère pauvre, il eut une enfance triste, plus triste encore que celle de son père, qui du moins grandit en pleine nature. Il n’aura jamais ni la même allégresse, ni une telle joie de vivre, ni pareille pétulance. Il cachera d’abord sa tendresse comme une tare du jeune âge ou mieux, une inélégance. Mais c’est une singulière erreur, à mon avis, de croire que sous le sourire impertinent de de Ryons se dissimule « un profond dédain pour les femmes « et « le plus furieux mépris des choses de l’amour[24] ». Les

femmes, qu’il se vantait de fustiger, ne s’y sont pas trompées. Après les Idées de Madame Aubray, cette sensibilité rentrée éclatera en passion vigoureuse, et même effrénée, quelquefois à crédit. Car ils sont parfois crédules, ces athlètes de haute mine, au cœur secret et chaud.

Ainsi s’explique d’abord la Dame aux Camélias, j’entends le drame où Duval père aborde Marguerite d’un ton brutal et puis la bénit, où Duval fils jette[25] Marguerite à ses pieds pour la canoniser ensuite, où la frénésie d’amour et le mal de poitrine font leurs ravages, où la mort de Madeleine (voir Amaury), je veux dire de Marguerite, nous tire de vraies larmes. Et c’est le drame où l’hérédité apparaît chez le dramaturge : même hardiesse aux situations difficiles, même art des préparations, non plus rassemblées au Ier acte, mais jalonnées de scène en scène et d’acte en acte, même tension de tous les ressorts, mêmes résumés vigoureux[26] dans une scène étouffante au détour du III et du IV, et beaucoup du même esprit préventif, beaucoup de la même force et de la même ardeur, et pour tout dire, d’un semblable réalisme dramatique. Certes, il y a déjà autre chose dans la Dame aux Camélias ; mais cela premièrement. Romantisme, si l’on veut ; ou plus véritablement, énergique sensualité dans la peinture de la passion : Manon Lescaut, et non Marion de Lorme[27]. Cela est bien d’un Dumas.

C’en est un aussi, plus logique et concerté, mais non moins audacieux et fougueux, qui a écrit Diane de Lys. Je l’ai dit ailleurs en une étude du manuscrit original[28]. J’ai pu, sans trop presser le texte, faire voir à quel point, dans cette pièce où se précise le système dramatique de Dumas fils, — sujet, exécution, dénoûment, — il a repris Antony sans l’atténuer. C’est la comtesse qui séduit Paul Aubry ; et c’est le mari qui tue. Dans le manuscrit Diane avait une fille, comme Adèle, que le peintre acceptait, comme Antony[29]. Enfin dans cette première œuvre logique et légale, l’amant tombe en soupirant : « Ma mère[30] ! »

À partir de Diane de Lys, il est clair que Dumas fils, venu à une époque où les idées ont supplanté l’imagination, prétend peindre à même la vie et mettre la simple vérité sur la scène. Il est réaliste d’abord, selon une méthode rigoureuse et déductive, qu’il a pu retenir de Corneille. Il met en scène des caractères tout d’une pièce et des passions rectilignes selon la formule de son père, dont l’auteur du Cid est le premier maître. Il est novateur ; et par raison positive, il abat le quatrième pan du mur : ce qui est le rêve de tous les novateurs au théâtre. Il est novateur et réaliste à sa façon, et aussi selon la manière de l’auteur d’Henri III et d’Antony. Il tire ses premiers drames d’aventures personnelles ; le principal personnage n’est autre que lui-même. Il est le Fils naturel, le fils du Père prodigue, Olivier, de Ryons : ou plutôt, ils sont lui, très modifié, généralisé, et tout de même idéalisé, comme Antony est Dumas. Ils sont lui, en même temps que la synthèse de la génération nouvelle, de ses tendances et de son état d’esprit analytique ou dissertant.

Même le cadre vrai, où ils se meuvent et raisonnent, est exécuté dans le goût et selon le procédé du père. Aux actes II et IV d’Antony est appliquée d’une main sûre la formule de la couleur locale et meublante. J’ai dit que, dès Henri III, les tableaux dont Diderot donnait la théorie et Beaumarchais un premier crayon, font partie intégrante du drame historique et moderne. On se rappelle les effets voulus d’exacte restitution : « Or, écoutez, messieurs : moi, Paul Estuert, seigneur de Caussade, etc. [31]… » ou : « Il est trois heures. Tout est tranquille. Parisiens, dormez. » Mais voici le réalisme qui s’en dégage. « Voyons… Boulanger, vingt francs. Boucher, quatre-vingt-dix francs. Épicier[32] … » — ou encore la tirade des « pêches à quinze sous[33] », ou même la recette de « la salade japonaise[34] ». Et j’avoue qu’entre ce réalisme et cette couleur je ne vois que la différence des temps. Affaire d’exécution.

Ce n’est pas tout. Au moment où Dumas fils trouve avec Diane de Lys la clef de son théâtre, et s’apprête à redresser la loi ou l’opinion des hommes, il est encore un héritier direct de son père. La thèse même, la thèse retentissante et envahissante, au début de son oeuvre, la thèse, et un plus tard les préfaces, qui sont des épilogues en forme de thèse, qui n’en voit là l’origine ? Toujours les monologues d’Hamlet et de Figaro, et les parabases de Dumas père, et le « feuilleton » d’Antony. Le fils ne s’y est pas trompé. Il n’ignorait pas sans doute que Molière a glissé une thèse au premier acte de Tartuffe, et ailleurs[35] ; mais la source de celles-ci est autre. « Quand Hamlet nous dit son monologue : « être ou n’être pas », il fait ce qu’on appelle aujourd’hui dédaigneusement des conférences ; et le directeur de théâtre auquel Shakespeare porterait sa pièce, de nos jours, lui conseillerait certainement de couper ces longueurs[36]… » Elles s’abrégeront et s’insinueront plus modestement dans l’organisme du drame, à mesure que le dramatiste aura davantage son métier et son public dans la main ;

présentement, pour dialectiques et dogmatiques qu’elles soient, elles n’en sont pas moins romantiques, par Shakespeare et Dumas.

Dès Diane de Lys, Dumas fils prend une forte position entre la loi et le préjugé, la vérité morale et absolue et la vérité relative et conventionnelle. Qu’est-ce à dire, sinon que la lutte d’Antony le tente, et que ni la scène des « enfants trouvés » ni celle des « préjugés » ne lui sont étrangères ? Au fond de cette âpre et fière raison, qui s’attache à réformer le monde, n’apercevez-vous pas la vaillance d’opinion, la foi en soi-même, l’invincible besoin d’être à part, et encore le muscle, le muscle de famille qui brandit passions et raisonnements ? Cette logique même, qui supplée à l’imagination, est impétueuse et pousse volontiers jusqu’aux défis. Elle considère et traite l’humanité de haut en bas. Elle raisonne, analyse, déduit, aussi impérieuse (mais plus maîtresse de soi) dans ses syllogismes que l’autre dans ses blasphèmes. Surtout elle dénote une vigueur admirable dans le dessin de la pièce et des caractères.

Au reste, tous ces héros positifs sont fils d’Antony par leurs aspirations et quelques-unes de leurs illusions, qui appartiennent décidément en propre à notre société renouvelée. Aucun d’eux ne dédaigne ni les titres ni la particule ni les savonnettes à vilains. Antony, Buridan, Paul Aubry, Jacques Vignot sont tous nés grands d’Espagne : ils convoitent grandement. L’un est un grand artiste, amoureux d’une grande dame, d’une très grande dame. L’autre, M. Jacques Vignot, aspire à la main de la nièce d’une marquise, récente, il est vrai, mais qui tient ferme au parchemin — et lui aussi. Nous retrouvons notre Dumas, le fougueux artilleur républicain, ami de tous les princes, ducs, comtes et marquis ; et, si je ne reconnaissais là les saines traditions de Figaro et de M. Kean, je n’affirmerais pas que la valeur démonstrative du théâtre de Dumas fils n’en fût un peu diminuée[37]. Le faubourg Saint-Germain vit dans l’isolement et le silence ; ailleurs gronde et s’agite le monde moderne ; en d’autres faubourgs fermente la société de demain. Antony a marqué sur ces types nouveaux d’autres empreintes. Du génie, ils en ont par droit de naissance, comme Figaro a de l’esprit. Jacques Vignot sait tout, a tout vu, tout lu, tout appris ; et il fait un excellent secrétaire de ministre vers l’âge de vingt-trois ans[38]. M. René de Charzay, gentilhomme sans fortune, M. de Cayolles, gentilhomme théoricien, ne sont pas moins heureusement doués[39]. Les livres ne leur coûtent aucune peine à écrire. C’est pure modestie si, dès leur majorité, ils n’entrent pas à l’Institut. Pour Olivier de Jalin et de Ryons, ils possèdent en propre le plus rare mérite, et le plus précieux. Quelle maxime leur est inconnue de la subtile science d’aimer ? Et tout cela est observé : car l’observation a succédé à l’imagination, le positivisme à la légende.

À l’importance que prend l’adultère sur ce théâtre, à la façon dont l’amour y est représenté, on reconnaît encore l’influence d’Antony. Ni Olivier ni de Ryons ne s’écrient plus : « Honte au lien de sang !… » Grattez ce vernis d’ironie désabusée (« … Désabusés !… Suzon, Suzon, Suzon ! Que tu leur donnes de tourments[40] ! ») leur sourire trahit la suprématie musculaire ; leur expérience pessimiste dénote un tempérament vigoureux qui s’exerça de bonne heure, avec moins de fracas qu’au IIIe acte d’Antony, mais avec moins de détours que dans le Demi-Monde et l’Ami des femmes. Il n’est pas jusqu’à leur science préventive qui ne révèle des cœurs sensibles, avides et déçus. Ils ont tous le foie un peu gros et le cœur trop tendre ; tous de Montègre, tous un peu taureaux en leur tréfonds. La voix du sang les émeut vivement, non pas celle de Zaïre. Si vous vous en tenez à leurs propos, raisons et analyses, qui ont remplacé le byronisme et le satanisme, il n’est sorte de dédain que ces jeunes hommes ne professent pour les folies amoureuses. Mais observez-les dans le drame et l’action. Si la jalousie les mord, ils sont pâles[41] ; ils tordent les poignets de la femme aimée sans plus de façons que le duc de Guise ou Richard Darlington ; Armand Duval, le correct de Nanjac lui-même se laissent aller à ces violences[42] : il leur arrive même de bousculer l’enfant[43], plus emportés qu’Antony même, qui l’adoptait pour jouir de la mère. Ils donnent l’assaut sans répit : c’est le scandale secret du ménage de Simerose. Cet air de supériorité que les plus forts affectent à l’égard de l’autre sexe, s’humanise alors qu’ils ont les sens en émoi ou le cœur pris.

Après avoir beaucoup discouru, Olivier épouse la jeune fille qu’il brusquait tout à l’heure[44]. Quant à de Ryons, lorsqu’il aura bien étonné les légères cervelles de ces dames par ses sortilèges, qu’on croirait issus de l’imagination de Dumas père, et développé les résultats de ses observations, qui sont de Dumas fils, — il épousera mademoiselle Hackendorf ou s’assiéra, lui, troisième, au foyer de madame Leverdet[45]. Ces raisonneurs, qui ne sont plus des titans, sont des volcans à leurs heures, et quand ils suivent « ces raisons que la raison ne connaît pas ». Ce mot profond de Pascal, ils en ont fait une périphrase honnête, pour exprimer ce qu’on ne dit point. N’est-ce pas un adoucissement notable, et un singulier tempérament de la doctrine : « Tue-la »[46] ?

Dumas fils ne la tuée qu’une fois[47], parce qu’au fond il l’adore, quoi qu’on en dise et quoi qu’il en ait. Pendant qu’il écrit la Femme de Claude, l’idée lui vient que la thèse contraire serait aussi dramatique[48] ; il compose la Princesse Georges, où le pauvre de Fondette paye pour Sylvanie. Il hait la mauvaise femme de toutes les forces du drame et du mélodrame paternels. Mais il aime l’autre, même déchue, de toute la sensibilité et de toute la sensualité que son père étalait, et qu’il cache. Son indulgence est passionnée, il pardonne avec exaltation : c’est le fonds de nature. Son imagination, plus pédestre et positive, ne s’émeut que pour la femme. Sa plume se met en frais ; sa prose rectiligne s’assouplit et s’insinue. Il a des digressions qui sont comme des caresses attendries : la vie de Marcelle, le voyage de Strasbourg[49]. Il en a d’autres qui sont des désirs voilés[50]. Pour sauver Jane de Simerose il métamorphose l’ami des femmes en Joseph Balsamo[51]. Mais quand il découvre en elles l’héroïsme résigné, alors la logique hautaine s’attendrit jusqu’aux larmes : c’est Jenny, c’est Angèle — c’est Marguerite Gautier, Clara Vignot, Elisa de Roncourt.

Ajouterai-je que ces douces créatures sont vraiment des femmes, de chair faible, et nullement immatérielles ? Nous sommes plus proches d’Adèle que de Théodore, vierge et martyre. Jane de Simerose est d’origine grecque ; « le sang d’Epaminondas » tourmente ses veines[52]. Au surplus, superstitieuses presque toutes, en bonnes filles du vieux Dumas. Dans le premier manuscrit du Demi-Monde^ madame de Lornan remettait à Olivier, au moment du duel, une médaille, souvenir de sa mère[53] : presque le talisman de Saint-Mégrin. Et à peu près toutes, même les pires, sont entêtées, enivrées de l’amour idéal, de l’amour de l’âme, éthéré, extatique, que Victor Hugo célébrait et dont Dumas parfumait la scène avant de lâcher l’autre à travers le drame.

Je n’oserais toucher le bout de votre doigt[54]


Cependant elles donnent dans un de Montègre. Jeunes filles et femmes, elles sont comme leurs mères Catherine de Clèves, Jenny, Angèle, sous le charme de la voix des hommes et d’une certaine harmonie, qui leur chatouille l’âme et le corps. L’histoire de Jane est leur histoire, au mariage près. « … Un jour, elle rencontre un jeune homme qui s’occuppe d’elle plus que des autres jeunes filles, qui lui révèle ainsi qu’elle est une femme en âge d’être aimée… La nature, la poésie, la musique deviennent leurs intermédiaires[55]… » Ainsi Angèle devint mère, à Cauterets, au pied des grands monts, vers le déclin de sa quinzième année[56].



III

DUMAS FILS IDÉALISTE À PARTIR DES
« IDÉES DE MADAME AUBRAY ».

« … À travers la campagne, sur les plateaux des falaises, tout seul, je jette dans le bourdonnement des insectes, dans le murmure lointain des flots, dans ces mille bruits qui composent le silence de la nature, je jette au hasard les vers des poètes… Je m’écoute, je m’excite, je m’enivre, jusqu’à ce que, le visage baigné de larmes, je ne puisse plus faire un pas, ni articuler un mot[57]… » Qu’on ne cherche pas ces lignes dans le rôle d’Antony : elles n’y sont point. L’auteur les a mises sur les lèvres d’un jeune médecin, très pieux, qui a nom Camille Aubray. On trouverait malaisément dans le théâtre du père un personnage plus rudement secoué par la passion. Il n’y a pas, dans l’œuvre du fils, de drame dont les intentions soient plus idéalistes ni l’idéal plus haut placé. Les Idées de Madame Aubray forment un drame sacré.

On raconte que Victor Hugo, vers la fin de sa vie, s’étonnait, comme d’une invraisemblance, d’être demeuré romantique. Par une invraisemblance plus singulière, à laquelle il faut pourtant se rendre, la logique intrépide, la dialectique cinglante de Dumas devaient aboutir à réveiller en lui le romantisme paternel, qu’il s’était plutôt efforcé d’éteindre. À compter des Idées de Madame Aubray, qui furent représentées le 16 mars 1867, l’année même où il commençait à publier ses préfaces, le fond du tempérament remonte à la surface, la chaleur et la fougue héréditaires, trop longtemps contenues, bouillonnent et font éclater la dialectique. Il fait des emprunts non voilés à Antony ; il s’inspire de Monte-Cristo ; il incline vers les pièces symboliques, où l’imagination paternelle se reprenait après 1840 ; il voisine avec le Comte Hermann, Conscience et Madame Chamblay. À mesure que ses desseins sont plus élevés, les passions qu’il met en œuvre sont plus fortes et les moyens plus violents. Le théâtre de son père revit dans ses pièces et y prend un autre tour. Le drame et le mélodrame se renouvellent et s’ennoblissent.

Il n’a jamais possédé cette fécondité créatrice des événements et péripéties. Son esprit raisonneur s’en serait difficilement accommodé. Mais sa fantaisie se repaît d’idées générales, qu’elle se plaît à faire vivre sur la scène. Il les pousse à bout, comme son père les situations, avec l’audace d’un Dumas qui ne recula jamais devant les dénoûments. Par un suprême effort, il s’élève jusqu’à une métaphysique théâtrale. Idéalisme et sensibilité, logique et moyens sont extrêmes. Les blasphèmes d’Antony revivent en ces abstraites effervescences. Ce n’est plus la même imagination ; mais tout de même c’est la même joie fougueuse d’imaginer. Jusqu’ici Dumas fils s’était contenté d’incarner en ses personnages, à la façon de Corneille, des notions très simples, que des passions et des sentiments d’ordre commun et des hommes à peu près semblables aux autres hommes, suffisaient à représenter aux yeux. Son idéal, à cette heure, est épuré.

La fantaisie y a plus de part. Il fait ses « excursions », quelquefois périlleuses au théâtre, « dans le royaume du rêve[58] ». Il met en scène la grâce de Dieu dans les Idées de Madame Aubray, la main de Dieu dans la Femme de Claude, la providence dans l’Étrangère, l’hérédité dans la Princesse de Bagdad. Sa métaphysique se complique de théories scientifiques. Il réconcilie sur la scène la religion et la science. Il « voudrait prendre l’immensité dans ses bras[59]». Il ne s’arrête à mi-chemin d’aucune conception humaine. Dans cette seconde partie de son œuvre (si j’excepte une Visite de noces et Francillon), il est de plus en plus le fils de son père. Même il est plus hardi, sinon plus impétueux. Il essaye de réaliser les conceptions les plus déliées. Il lui en coûte presque de prostituer par la bouche de personnages grimés et maquillés la quintessence de ses pensées. Le père, même quand il donnait dans le symbole ou les monologues chimico-physiologiques, mettait au-dessus de tout le reste la vie et l’émotion. Jamais il n’eût écrit ces lignes : « … L’auteur dramatique… se sent pris entre son idéal et son impuissance. Il comprend que ce n’est pas à la forme dont il s’est servi jusqu’à présent que l’humanité demandera jamais la solution des grands problèmes qui l’agitent, bien qu’il croie l’avoir trouvée pour lui-même[60]. » Ce n’est pas lui qui eût été enclin à « tomber dans ces abstractions colorées qu’on reproche à la vieillesse de Gœthe, et dans ces obscurités énigmatiques que l’on prétend trouver dans les derniers quatuors de Beethowen[61] ». Dirai-je qu’il était plus dramaturge, ou plus timide ?

Peut-être était-il seulement plus riche d’invention. Pour objectiver ces idées, Dumas fils a recours à lui. Il revient au mouvement de la passion d’Antony et aux nobles angoisses du Comte Hermann[62]. J’ajoute qu’il y met partout sa marque d’observateur pénétrant et vrai, et qu’aux audaces paternelles il ajoute des créations inoubliables. Ce qui nous intéresse ici, c’est la part d’influence de Dumas père sur ces drames idéalistes et sociaux, et la poussée soudaine d’imagination sur un théâtre dont jusqu’ici l’imagination n’était pas le mérite souverain. Et voici derechef le grand, le noble, le violent, le brutal des transports d’Adèle et de son amant, et le cynisme scélérat des Richard, des Alfred et des Fritz Sturler, aux prises avec une fatalité rajeunie, — providentielle ou physiologique, — souvent les deux ensemble. Et voici les passions en lutte avec le monde, bravant les préjugés, et défiant les lois. L’un dit : « Parce que les hommes ont tout prévu dans leur morale cruelle, qui n’a pas cru devoir rechercher les causes et qui n’a tenu compte que des effets… » — À quoi l’autre, la femme, répond : « … Eh bien, je ne serai pas votre femme. Vivez, c’est l’important. Quant aux lois qu’ont établies les hommes, elles m’ont déjà fait assez souffrir pour que je ne me soucie plus d’elles[63]. » Avec les Idées de Madame Aubray commence l’idéaliste branle-bas.

Ce n’est pas le lieu de discuter les Idées de cette femme excellente[64]. À peine puis-je rappeler que Dumas fils a vu l’idéal chrétien à travers une complexion qu’il tient de famille, peu passive, et peut-être plus exempte d’humilité que de courage. Ce qui nous importe, en cette affaire, ce sont les moyens et les personnages, dont il s’est servi pour arriver à ses fins. Or les moyens sont violents, qui aboutissent à une conclusion « raide[65] », comme dit Barantin. Aussi bien, les personnages ne sont pas des caractères médiocres. En madame Aubray les mères verront une martyre, et les hommes instruits une héroïne d’un drame religieux, qui accomplit le sacrifice d’Abraham, avec le zèle dont Polyeucte aspire aux joies du ciel. Cet idéalisme est dévorant et impérieux, autant qu’une passion plus humaine. Camille Aubray, avec ses transports, n’est pas plus atténué. Il est un Antony, non plus révolté, mais pieux, non pas homme de génie, mais docteur en médecine, que son diplôme et le genre d’études qu’il a faites pour l’obtenir semblaient propres à prémunir contre les tentations de Satan qui se plaît à guetter les jeunes hommes de vingt à vingt-cinq ans et glisse en leur âme les coupables curiosités à l’égard des jeunes femmes du même âge et au-dessous — ou plus souvent même au-dessus. S’il n’est pas phtisique, comme feu son confrère Müller, du moins il relève de maladie. Et il aime sa mère, meilleur fils que chrétien. Il est flatté de ce qu’elle soit encore jolie ; les charmantes frivolités du visage féminin ne lui déplaisent pas : « Oh ! l’adorable maman[66] ! » dit-il pendant qu’il chiffonne d’un doigt léger le front de la sainte femme : autre Saint-Mégrin, mais plus près de nous. Cet homme jeune, dévot, qui a disséqué le corps humain, s’éprend, sur la plage, d’une inconnue, avec enfant, sans mari, et qui n’a pas dit son non : elle à la ligne. Il l’aime follement, depuis une année, pour l’avoir vue passer, pendant que déferlait la vague et que le rossignol chantait. Et il chante, et il arpente la falaise, il lit Musset, il exhale en mélodies ardentes sa flamme intérieure. Si cette passion n’est pas celle d’Antony, qu’est-elle ? Plus raisonneuse et froide, il est vrai, avec une certaine logique formelle, qui est la marque de Dumas fils ; mais plus résolue aussi. Camille apprend la vérité sur Jeanne, il ne bronche pas, il pardonne ; et non seulement il pardonne, mais il veut réparer, épouser, adopter. Il ne dédaigne point les sentiers frayés : il est poète. Il sait le peu qu’est la guenille et le trop d’importance que nous attachons à je ne sais quelles prémices de la chair : il est chrétien et médecin. Cet Antony nourri du pur suc de l’Évangile, prenez garde que malgré le calme du visage, qui a remplacé le rictus athée, prenez garde qu’il est autrement frénétique et forcené : il épouse, dis-je, il épouse. « Je sais, affirme-t-il, plus de choses que n’en savent d’ordinaire les hommes de mon âge[67]. » Antony avait aussi beaucoup appris ; et le savoir est à l’un et à l’autre pareillement vain. Mais, chez Camille Aubray, la passion éclate si forte que rien, non pas même la foi qu’Antony n’avait point, ne le saurait garantir, et que science, poésie, musique, religion, tout plie au gré de cette ardeur irrésistible[68]. C’est l’apologie, la païenne et romantique apologie de l’amour dans une œuvre toute chrétienne. À partir des Idées de Madame Aubray, Dumas fils rejoint son père et le dépasse.

La Femme de Claude est un drame symbolique. Malgré tout, il me plairait qu’il le fût moins. Mais il l’est. De cette conception dramatique on sait les origines. Tout le théâtre de 1830 en fut entiché ou du moins en afficha la prétention. À proportion que les symboles étaient plus ambitieux, le drame, ou même le mélodrame était plus violent. Il paraît que Charles VII en est tout rempli ; Yaqoub incarne l’Orient ; Bérengère l’Occident : on se souvient du reste[69]. Le reste, ce sont les passions rugissantes. Le Comte Hermann aussi est une œuvre symbolique ; et nous avons vu que, si les personnages y sont plus chastes, leurs sentiments n’en sont pas moins exaspérées. La Femme de Claude se rapproche singulièrement du Comte Hermann, sans dédaigner la poétique d’Antony, d’Angèle ou de Catherine Howard. Comme dans le Comte Hermann, le symbolisme se réduit à l’opposition des deux principes du bien et du mal. Et elle se marque énergiquement par les moyens ordinaires du Dumas de 1830. L’homme de bien, le sauveur, le patriote, le savant, c’est Claude, substitut de Dieu sur la terre[70]. À inventer canons et fusils, il a tué en lui l’amour qu’il ressentait pour une femme indigne. Il est grand, il est juste, il est bon, il est supérieur, il sera un jour le premier de son pays. Thane de Glamis, tu seras roi[71]. Fiesque, tu seras doge et libérateur par le fusil et le canon. On le lui dit : il le croit[72]. Il est « dans sa fonction totale », il « se met dans la loi éternelle[73] ». Quand les Dumas se mêlent de faire un grand homme, ils n’économisent pas sur la taille. L’avantage du Dumas fils, plus positif et pratique, est de le concevoir plus utile et de le faire servir à de plus beaux desseins.

Claude absout, damne, tue, comme Dieu même avec qui il « cause »[74], et qui lui répond. Qu’on se rappelle la prière du IVe acte. C’est encore le monologue de Fiesque, où Dumas père a si souvent puisé. « Quelle belle soirée, claire et calme ! Quel silence ! Quelle grandeur ! Quelle harmonie ! Comment se fait-il, nature éternelle, confidente discrète, conseillère inépuisable, intermédiaire toujours prête entre Dieu et nous, comment se fait-il que tu n’apportes pas plus d’apaisement aux passions et aux misères des hommes[75] ?… » Nous retrouvons là, prise à sa source première, l’exaltation héroïque de Richard, du Comte Hermann et de toutes les volontés triomphantes des Dumas. Mais la différence avec Schiller, c’est que cette méditation de Claude n’est pas exclusivement un symbole ou une élévation. Elle nous élève en nous préparant, et, alors même qu’elle semble s’évaporer dans les nues bleues de l’idéalisme, elle va droit au dénoûment. Qu’ils se tuent, le tuent, ou la tuent, le lyrisme est un moyen de théâtre, un acheminement à la conclusion ; et les deux Dumas y sont d’accord. À Claude, à Daniel, à Rébecca, au patriote, au croisé d’Israël, à l’immatérielle fiancée de l’âme, s’opposent Cantagnac et la femme de Claude, l’un et l’autre types de drame et un peu aussi, malgré la rigueur de l’observation, de mélodrame. Où est le mal que le mélodrame s’anoblisse en servant les idées ? Ces rôles-là sont cliez le vieux Dumas ; qu’ils s’appellent Tompson, ou Catherine Howard, Alfred d’Alvimar ou Fritz Sturler, j’ai dit qu’ils procèdent en partie de Fiesque et des Brigands. Le sexe ne fait rien à l’affaire. Cantagnac, espion anonyme et sceptique, est un vrai traître énigmatique et ténébreux, et dramatique à souhait. Cantagnac apparaissant à la fenêtre du jardin pour recevoir les papiers de Claude enlevés de force par une femme scélérate, Dumas père n’avait pas trouvé mieux. Et quelle femme ! La Bête de l’Apocalypse[76] ! Entendez une « créature d’enfer »[77], un Richard, un Alfred, un Sturler femelle, avec même résolution, même sang-froid, même adresse dans l’art de séduire, même rapidité dans l’exécution, même charme de la voix et pareille fascination des yeux. « Tout ce que vous voudrez avec cette voix-là »[78], dit à Césarine le pauvre Antonin sur qui le charme opère. « Étrange phénomène dramatique[79] ! » écrivait J. Janin de Catherine Howard. Césarine aussi tient de l’étrange et du phénomène ; nous sommes dans le vrai de la fatalité du drame moderne. Et certes, il faut reconnaître que ces personnages ne s’en tiennent plus guère aux limites de l’humaine médiocrité recommandée par Aristote. Corneille les eût loués.

À propos de Monsieur Alphonse, dont nous avons noté les rapports avec Angèle, il ne serait pas malaisé de relever ce contraste dramatique de l’idéalisme, qui est le but, et de la passion sensuelle ou brutale, qui sert de moyen. Mais l’Étrangère nous attire, en qui l’ame du vieux Dumas revit avec ses prouesses d’autrefois. Son imagination énorme[80], — non pas uniquement celle qui créa les situations et le dénoûment de Madame de Chamblay ou rencontra l’épilogue philosophico-toxicologique du Comte Hermann, mais aussi celle des premiers jours, de Richard Darlington, d’Angèle, de Paul Jones même, et encore de Monte-Cristo, celle qui se plaisait à l’anxiété des émotions accablantes ou aux luxuriantes sensations des Contes des mille et une nuits, — anime ce drame chimique et passionnel. Cela fait un mélange de lyrisme dialectique, d’invention romanesque et de froide observation, d’amour et de cornues, de théories de laboratoire et de chapitres de Fenimore Cooper. Le mélodrame semblait ressusciter pour des destinées plus hautes.

Si Dumas fils a écrit des pièces plus fortes, nulle part il n’a tendu le pathétique davantage. Même je commence à croire que Dumas père ne fut jamais romantique à ce point. Mais ces deux dramaturges sont également étonnants de lucidité dans l’invention. Pour animer ses formules scientifiques, il fallait à Dumas fils des passions véhémentes ; des acides violents pour « dégager » ses « combinaisons[81] ». Il savait où trouver son affaire. Quand l’auteur distribua ses rôles, il choisit à dessein les deux interprètes modernes du drame de 1830 : madame Sarah Bernhardt et M. Mounet-Sully, — Dorval et Bocage. Et périssent les préjugés ! Et malheur à la société mal faite ! Et vive l’amour éternel, l’amour intangible des âmes ! Voilà ce qu’il leur fit dire, avec des récits d’Amérique, de Quakers, de Gauchos, de nègres nés dans l’esclavage des plantations ! Et nulle part il n’eut une vue plus juste des contresens des classes dirigeantes.

Au beau milieu de cette vaste pièce chimico-sociale, l’autobiographie de Mrs Noémy Clarkson fait une bosse[82]. Avec son expérience dramatique, Dumas fils s’en était assurément aperçu. Il a tenu à la bosse, malgré son talent, malgré sa science du théâtre ; il a voulu l’américaine, l’étrangère, la case de l’Oncle Tom. Même les passions effrénées ne lui ont point suffi ; il lui faut de plus en plus de l’étrange, du merveilleux. Les monstres s’opposent aux vibrions. C’est l’imagination paternelle lâchée à travers le monde et les laboratoires : Antony, Monte-Cristo, Balsamo. Il avait ses raisons.

À cette heure, il prend les abstractions d’assaut comme, plus jeune, il avait fait la réalité. Il en veut à la fatalité, comme son père, mais à une fatalité quasi scientifique. Le problème de l’hérédité le hantait dans l’Étrangère ; il l’attaque de front dans la Princesse de Bagdad. De cette loi obscure il fait une nécessité nouvelle qu’il dramatise. De là naît une pièce extraordinaire, algébrique et forcenée. Lionnette est née d’un roi et d’une prostituée, tout de même que Richard Darlington a reçu le jour d’une grande dame et d’un bourreau. En elle bouillonne le sang royal, qui se reconnaît au goût du luxe, aux aspirations généreuses, au courage viril. Elle envisage la mort sans trembler. Issue de noble souche, elle monte au faite de la société, épouse un honnête homme, riche et de belle naissance, qui l’aime passionnément, qu’elle aime modérément. C’est l’autre race, celle de sa mère et de sa grand’mère, qui agit sur elle ; l’autre influence héréditaire qui l’incline de tout son poids. Après de farouches révoltes, où la princesse paraît, la fille va sombrer dans l’irrémédiable. La mère sauve en elle la femme : la voix du sang ; la préserve : Antony bouscule l’enfant d’Adèle. Dumas père n’a pas écrit de dernier acte plus émouvant.

Pour mettre en lumière ces influences balancées et obscures, l’auteur appelle à soi le paroxysme de la passion. Il ne triche point. Il met en tiers un « Antony millionnaire » et « ténébreux »[83], qui a, lui aussi, sa tare (une épaule plus basse que l’autre), et qui veut vigoureusement ce qu’il désire. Nourvady est un « personnage à part », un « homme bizarre »[84]. Il offre à Lionnette un hôtel somptueux et un million d’or vierge ; il possède le trésor de l’abbé Fariat. Lionnette rejette la clef, la petite clef d’or symbolique, du même geste que Catherine Howard lançait la clef du tombeau dans la Tamise. Au reste, le millionnaire paye les dettes de la princesse, malgré elle, selon le procédé usité dans Madame de Chamblay[85]. Je doute que Dumas fils ait pleinement réussi à objectiver sur la scène l’idée abstraite de l’atavisme ; mais il est aisé de voir, et lui-même l’a indiqué, l’origine des amours qu’il met en jeu. Le mari et l’amant aiment avec même fièvre : « Comme je t’aime ! dit Jean. Tu es ce qu’il y a de plus beau et de plus étrange au monde. Tu as sur moi un pouvoir surhumain. Je ne pense qu’à toi, je ne cherche que toi, je ne rêve qu’à toi… Quand je pense à l’avenir, j’ai le vertige[86]. » Il ne rêve pas de grève ni d’échafaud, mais c’est tout comme. Il est un peu fou, il l’a toujours été ; assez au moins pour épouser sa femme : elle-même en convient[87]. Il n’a pas de génie, il est même un peu sot (l’observation ne perd pas ses droits) ; mais il y supplée par tout ce qui peut y suppléer en ces affaires : l’ardeur et la vigueur. L’autre, le nabab, l’amant magnilique est encore plus frénétique en dedans. C’est Antony et Dantès fondus ensemble. Antony casse les vitres ; Nourvady les remet à neuf. Il a une manière à lui de sauver la vie à une femme et de la déshonorer, que sa fortune lui permet, et dont la fantaisie a quelque chose de l’héroïsme. Il est plus positif, sachant attendre son heure. Il règle les créanciers, comme il arrêterait l’attelage emporté. Il le dit, et il y faut souscrire. « Si je vous avais vue, emportée par votre cheval, vous aurais-je demandé la permission de vous porter secours ? Je me serais jeté à la tête de votre cheval et je vous aurais sauvée, ou il m’aurait passé sur le corps. Si je vous avais sauvé la vie et que j’eusse survécu, vous m’auriez peut-être aimé pour cet acte héroïque[88].  » Il a encore de bonnes paroles, sous lesquelles frémissent les désirs dont pâtit Adèle : « Est-ce bien une femme de votre supériorité qui parle des convenances du monde ? Les femmes comme vous ne sont-elles pas au-dessus de tout cela ? Non, vous le savez bien, les convenances et la dignité ne sont plus rien, quand la passion ou la nécessité commande[89]. » Et puis, comme Antony, cet amant est animé d’une passion tenace jusqu’après la mort. Pour s’assurer l’amour de sa maîtresse dans l’éternité, l’un la poignarde, l’autre lui lègue sa fortune[90]. Ici Dumas fils se retrouve, logique et sensible. Nourvady baise les bras nus de Lionnette, et semble heureux : Antony énigmatique et riche, mais de la fin du siècle[91].

À vrai dire, ni Nourvady n’est Antony, ni Lionnette Adèle, ni le génie du fils ne s’absorbe en celui du père. Il y aurait place ici pour un parallèle en forme que je laisse aux La Harpe de demain. Dumas fils fut de son propre fonds assez original pour qu’on puisse marquer, sans nuire à sa gloire, ce qu’il doit à son père. Il lui est redevable de son tempérament audacieux, de

ses moyens dramatiques exempts de timidité, et d’une conception de la passion scénique qui dévore le cœur et le cerveau. Qu’il ait marqué tout cela de sa pénétrante griffe, il va sans dire. Mais quand, après avoir étudié les origines du drame moderne en 1829, on se place à l’autre extrémité de ce xixe siècle, la tradition se développe à nos yeux dans son unité. Dumas père a renoué avec Beaumarchais et légué à son fils le soin de se rattacher à la même solide chaîne. Ce que l’un a souvent peint d’intuition, l’autre l’a renouvelé d’observation. L’imagination de l’un fut plus féconde, celle de l’autre à la fois plus idéologique et positive ; mais il faut enfin proclamer que leur sensibilité fut pareille et leur réalisme de semblable qualité. Ceux qui tiennent l’auteur de la Femme de Claude pour un dramaturge sec et impersonnel commettent la même erreur que ceux qui prennent l’écrivain d’Antony pour un lyrique Imaginatif. Ce sont les mêmes qui voient en Racine un doux et tendre génie. Que pensera la postérité des idées d’Alexandre Dumas fils ? J’en suis moins sûr que je ne fus jadis ; du moins, je n’ai plus à m’en expliquer[92]. Mais s’il existe une façon de sentir commune aux Français depuis la Révolution, si le rôle moral de la femme s’est développé à contresens de l’une à l’autre extrémité de notre époque, si, par suite, la passion a été renouvelée, sinon en son fond même qui est physiologique, du moins en ses démarches qui sont matière de théâtre, si l’adultère enfin est devenu le principal ressort et peut-être le nécessaire préjugé du drame historique, moderne, social, légal ou scientifique, c’est dans l’œuvre des Dumas qu’il en faudra chercher la fiction réaliste et la raison démonstrative. Les grands emportements de 1830 ont conduit l’un à des pièces idéalistes par leurs tendances, qu’il écrivit après 1840 ; l’idéalisme positif, où l’autre visa dès avant 1870, le ramena aux grands emportements de 1830. À cette heure, apparaît manifeste, avec le rayonnement d’Antony, l’évolution lumineuse du drame : Corneille, Beaumarchais, Dumas, Dumas fils. Rattacher l’auteur du Demi-Monde et de la Femme de Claude à La Chaussée, c’est fausser l’histoire d’un genre, où il ne suffit pas d’avoir « une idée[93] ».

  1. L’École romantique en France, p, 393.
  2. Il est plus près de Scribe mais, dans les scènes dramatiques, il lui arrive de se rappeler Dumas. J’ai indiqué plus haut, p. 319, n. 1, la scène de la pendule à l’acte II d’Antony et celle de Maître Guérin, IV, sc. vi, p. 157. La scène de Poirier décachetant la lettre de son gendre, III, sc. vii, p. 98, est analogue à celle de Delaunay dans Teresa, IV, sc. x, pp. 214 sqq. On trouvera dans le Chevalier d’Harmental un premier dessin de la Contagion.
  3. Voir plus haut, p. 319, n. 3, et p. 320, n. 1.
  4. La Périchole, III, sc. iv sqq., pp. 82 sqq. — Citation, p. 84.
  5. Voir plus haut, p. 271, n. 3.
  6. La Cigale, II, sc. ix, p. 81 et passim.
  7. Voir plus haut, p. 320, n. 1. Cf. l’apostrophe sévère, mais juste, de Dumas fils auxf heureux auteurs d’opérette. Préface du Fils naturel (Th., III), p. 21.
  8. La Grande-Duchesse de Gérolstein, I, sc. viii, xi ; et surtout xii, p. 44. « Non, il n’a pas le droit ! » — « Il faut être officier supérieur ! » — « Il faut être noble. — » etc. Cf. Henri III et sa Cour, II, sc. iv, p. 155.
  9. Le Marbrier (Th., XIX), II, sc. xii, p. 262.
  10. Le Marbrier, III, sc. viii, p. 280.
  11. Voir plus haut, p. 131.
  12. Théâtre, t. XVI, pp. 199-200.
  13. Le Comte Hermann, I, sc. iii, p. 207.
  14. Le Comte Hermann, III, sc. i, p. 252. Fritz lit un passage de Franz Moor des Brigands, comme plus tard la Dame aux Camélias lira un chapitre de Manon Lescaut.
  15. Un dernier mot à mes lecteurs. Théâtre, t. XVI, p. 317.
  16. L’ Étrangère ; la Femme de Claude.
  17. La Femme de Claude.
  18. Le Comte Hermann, pp. 312 sqq. On n’oubliera pas que le docteur Thibaut (voir plus haut, p. 22) eut sur Dumas père, à ses débuts, une influence que devait plus tard exercer sur Dumas fils le docteur Favre. Le père avait étudié l’anatomie, et le fils affronta la microbiologie.
  19. A. Dumas fils. Préface du Théâtre des autres, t. I, p. x.
  20. M. de Ghamblay n’est pas encore un vibrion, mais il est « un homme fatal, il est né sous quelque mauvaise planète, sous Saturne probablement ; il est de ceux qui portent malheur aux autres et à eux-mêmes ; une fois ruiné, et ce ne sera pas long, M. de Chamblay ne survivra pas à sa ruine ; l’adorable créature sera libre, et rien ne t’empêchera plus de l’adorer ». Madame de Chamblay (Th., XXV), V, sc. ii, p. 81. Cf. l’Étrangère, II, sc. I, pp. 257-259. On trouvera dans la même pièce l’idée de l’Antony millionnaire qui paye les dettes et apporte la clef du château ou de l’hôtel racheté ou acheté par amour, III, sc. ix, p. 61. Cf. la Princesse de Bagdad, I, sc. ii, p. 31, et II, sc. ii, p. 47.
  21. Causeries, t. I, p. 51.
  22. Préface du Fils naturel (Th., III), pp. 16, 17, 18.
  23. Plaquette I. Notes de la Question d’argent, n. A., pp. iii et iv : « … Nous revenions à pied, le long du boulevard… d’une première à la Porte Saint-Martin… Marchal se détacha de nous en disant : « Vous allez voir ». Il roula une cigarette et s’acheminant dans la direction de ce drôle, qui, le voyant venir tout seul, distrait et inoffensif en apparence, se dirigea de son coté, comme s’il ne le voyait pas, avec un dandinement imitant le roulis, les épaules haussées à moitié de la tête. Au moment où il allait heurter Marchal, celui-ci se rassembla, serra les coudes au corps et reçut le choc avec une telle unité de contraction et de résistance, que l’agresseur imbécile alla rouler à dix pas de là, les quatre fers en l’air. Furieux, il se releva et courut sur cet adversaire inattendu ; mais Marchal, retroussant lestement ses manches et pliant légèrement sur ses jarrets, immobile et ferme comme un roc, sans abandonner sa cigarette, lui dit : « … Si tu bouges, je t’assomme ». Cf. Mes mémoires, t. IV, ch. cix, p. 284. C’est aussi à la sortie du théâtre de la Porte Saint-Martin : « Deux individus attaquaient un homme et une femme. L’homme attaqué essayait de se défendre avec une canne ; la femme attaquée était renversée, et le voleur tentait de lui arracher une chaîne qu’elle avait au cou. Je sautai sur le voleur, et, en un instant, il fut renversé à son tour et mis sous mon genou. Ce que voyant le second voleur, il abandonna l’homme et se sauva. Il paraît que, sans y faire attention, je serrais le cou du mien outre mesure…  »
  24. Jules Lemaître. Journal des Débats, 31 mars 1894.
  25. La Dame aux Camélias (Th., I). IV, sc. vii, p. 164 : « Écoute, Marguerite, je suis fou, j’ai la fièvre, mon sang brûle, mon cerveau bout, je suis dans cet état de passion où l’homme est capable de tout »… Et p. 166, la fin de la scène : « Décidément, monsieur, vous êtes un lâche » …
  26. « Ainsi, vous n’avez rien dans le cœur ? » — « Rien. » — « Vous n’aimez aucune femme ? » — « Aucune. » — « Pas un regard que vous cherchiez avec plaisir ? » — « Pas un. » — « Pas une main que vous pressiez avec affection ? » — « Pas une. » — « Pas d’enfant d’un premier mariage ? » — « Non. » — « Pas d’enfant d’adoption ? » — « Non. » — « Pas d’enfant naturel ? » — « Non »…
    (Catilina, II, tabl. iii, sc. x, p. 78.)


    Cf. : « Vous m’avez trompé. » — « Non. » — « Vous m’avez dit qu’elle n’était pas veuve, j’ai vu l’acte de décès de son mari. Me direz-vous que cet acte est une invention ? » — « Non,… etc. »

    (Le Demi-Monde, III, sc. xii, pp. 146-147.)


    Cf. le Fils naturel, III, sc. x, p. 157 et p. 163. — Cf. Denise, III, sc. vi, p. 217. — Cf. Monsieur Alphonse, III, sc. ii, p. 133 et passim dans ce théâtre.

  27. Voir la Dame aux Camélias, II. sc. iv, p. 92, et surtout III, sc. vii, p. 139, citation de Manon Lescaut : « Je te jure, mon cher chevalier,… etc. » On notera d’ailleurs que le roman était très proche de celui de Manon Lescaut, qui est la vraie source. Après l’avoir vu, J.-J. Weiss discute, assez inutilement, à mon sens, la question de filiation entre la Dame aux Camélias et la Vie de Bohême (Le drame historique et le drame passionnel, pp. 198 sqq.). Cf. les Théâtres parisiens, pp. 109 sqq.
  28. Voir notre Génie et Métier, ch. viii, pp. 247 sqq.
  29. Voir ibid., pp. 248-249.
  30. Diane de Lys (Th., I), V, sc. v, p. 379.
  31. Henri III et sa Cour, II, sc. iv, p. 155.
  32. La Question d’argent (Th., II), I, sc. x, p. 267. Cf. surtout ibid., II, sc. VIII, pp. 295 sqq. Duo de René de Charzay et de Mathilde que Jean Giraud accompagne en sourdine : « Timbre et courtage… six mille quatre cent cinquante-deux francs quinze centimes ». — Cf. : « … Sire, des dépenses immenses, mais nécessaires… L’approbation du Saint-Père a permis d’aliéner pour deux cent mille livres de rente sur les biens du clergé. Un emprunt a été fait aux membres du Parlement… etc. » (Henri III et sa Cour, II, sc. iv, p. 152), et « … La liquidation a été bonne. Vous avez acheté cent cinquante actions le quinze, à sept cent soixante-dix ; vous avez revendu fin du mois… etc. » (La Question d’argent, II, sc. x, p. 299.) Le procédé est le même.
  33. Le Demi-Monde (Th., II), II, sc. viii, p. 101.
  34. Francillon (Th., VII), I, sc. ii, p. 272. Voir plus haut, p. 167, n. 3.
  35. L’École des maris, l’École des Femmes, le Misanthrope, les Femmes savantes, Don Juan et passim.
  36. Édition des Comédiens. Plaquette I. Note A du Fils naturel, p. ix.
  37. Voir notre Théâtre d’hier, p. 208.
  38. Ibid., p. 209. Voir le Fils naturel (Th., III), II, sc. iii, p. 103. D’ailleurs, Jacques (tels les héros de Dumas père, tel surtout Alfred d’Alvimar), au moment où lui fut révélé ce qu’il pouvait apprendre de plus désagréable, au moment de refaire par lui-même sa vie et son existence, a « douté de la vie », s’est « abandonné à la colère, à la haine " (le Fils naturel (Th., II), III, sc. v, p. 146).
  39. La Question d’argent, III, sc. i, p. 310.
  40. Antony, IV, sc. vi, p. 212 ; et Monologue de Figaro.
  41. La Princesse Georges (Th., V), III, sc. v, p. 157 : « Le voilà qui rugit et qui écume, comme une bête sauvage… etc. »
  42. Le Demi-Monde, IV, sc. xii, p. 180.
  43. La Princesse de Bagdad (Th., VII), III, sc. iv, p. 82. Cf. Don Carlos, IV, sc. ix, p. 128, scène déjà citée, qui a servi de modèle à Dumas père pour Richard Darlington, III, tabl. iv, sc. iii, p. 91. Cf. les Idées de Madame Aubray, III, sc. v, p. 316.
  44. Le Demi-Monde, V, sc, v, p. 205.
  45. L’Ami des femmes (Th., IV).
  46. Conclusion de la brochure l’Homme-Femme.
  47. La Femme de Claude.
  48. Édition des comédiens. Plaquette II. Note A de la Princesse Georges, p. i.
  49. Le Demi-Monde, II, sc. ix, p. 107. L’Ami des femmes, II, sc. iii, pp. 118 sqq.
  50. Les Idées de Madame Aubray (Th., IV), I, sc. i, p. 227.
  51. Dans Diane de Lys, Paul est chiromancien, II, sc. ix, p. 276. Voir plus haut, p. 318, note 1, et p. 167, note 5. La Femme de Claude croit à l’avenir dévoilé par les cartes, I, sc, i, p. 226.
  52. L’Ami des femmes, I, sc. vii, p. 83.
  53. Voir notre Génie et Métier, p. 274.
  54. Ruy Blas, III, sc. iii, p. 164. Cf. l’Ami des femmes, III, sc. ii, p. 134 : « Tenez, je vous aime au-dessus de tout, et je ne toucherais pas à un pli de votre robe…  »
  55. L’Ami des femmes, IV, sc. ix, pp. 176-177. Cf., à l’origine, l’Intrigue et l’Amour, traduction de Schiller par Dumas père (Th., X), I, sc. v, pp. 197-198 : « Quand je le vis pour la première fois,… le sang me monta au visage, mon cœur bondit de joie…  » Cf. (parodie) la Petite Marquise, II, sc. viii, p. 47.
  56. Angèle, acte i.
  57. Les Idées de Madame Aubray, III, sc. i, p. 293.
  58. A. Dumas père, Causeries, t. I, p. 51.
  59. Les Idées de Madame Aubray, III, sc. i, p. 293.
  60. Préface de l’Étrangère (Th., VI), p. 211.
  61. Préface de l’Étrangère, p. 211.
  62. Cf. la Femme de Claude. Rapprocher Claude et Hermann
  63. L’Étrangère, V, sc. iv, p. 349.
  64. . Voir notre Théâtre d’hier, pp. 216 sqq.
  65. Les Idées de Madame Aubray, IV, sc. vi, p. 341.
  66. Les Idées de Madame Aubray, I, sc. iv, p. 239.
  67. Les Idées de Madame Aubray, III, sc. i, p. 297.
  68. Ibid. : « C’est le travail, c’est l’industrie, c’est la science, c’est le génie qui donnent une vie aux sociétés, mais c’est l’amour qui leur donne une âme ». La différence, c’est que pour Antony le génie et l’amour ne faisaient qu’un. Mais Dumas fils croyait fermement aux grandes passions dévorantes.
  69. Voir Préface de Charles VII chez ses grands vassaux, p. 229.
  70. La Femme de Claude (Th., V), III, sc. i, p. 202.
  71. Macbeth, I, sc. iii, p. 408.
  72. La Femme de Claude, II, sc. i, p. 277 : « Je vous aime, parce que vous êtes juste… Et vous serez un jour le premier de votre pays. »
  73. Préface de la Femme de Claude, p. 210.
  74. La Femme de Claude, III, sc. ii, p. 296.
  75. La Femme de Claude, III, sc. i, p. 292. Cf. la Conjuration de Fiesque à Gènes, III, sc. ii, p. 273 : « Que vois-je ?… La lune est couchée… etc. »
  76. Préface de la Femme de Claude, p. 189.
  77. La Femme de Claude, II, sc. ii, p. 287.
  78. La Femme de Claude, II, sc. i, p. 272.
  79. Journal des Débats, 5 juin 1834.
  80. Dans la conversation, Dumas fils avait souvent de ces échappées de fantaisie, par bonds. Un jour, à propos d’une mesure politique qui faisait quelque bruit : « Qu’importe tout cela, me dit-il, si dans cent ans on va de Paris au Pôle Nord en un quart d’heure ? »
  81. L’Étrangère (Th., VI), II, sc. i, p. 252 et passim.
  82. L’Étrangère, III, sc. vii, pp. 305-310.
  83. La Princesse de Bagdad (Th., VII), I, sc. ii, p. 19, et I, sc. iii, p. 39.
  84. La Princesse de Bagdad, I, sc. iii p. 32, et I, sc. iii, p. 22 et p. 25.
  85. Voir plus haut, p. 146, n. 2 ; et p. 384, n. 3.
  86. La Princesse de Bagdad, I, sc. ii p. 27.
  87. La Princesse de Bagdad, I. sc. ii, p. 25.
  88. Ibid., II, sc. ii, p. 47.
  89. Ibid., p. 49.
  90. Ibid., p. 55.
  91. La Route de Thèbes, ou plutôt La Troublante (Dumas fils s’était à la fin arrêté à ce titre), était un ouvrage du genre de la Femme de Claude, de l’Étrangère ; ce que l’auteur m’en avait dit et lu, la manière aussi dont il en parlait, vient à l’appui de ce chapitre. La pièce n’a pas été publiée, conformément à ses dispositions testamentaires. Mais peut-être n’est-ce pas outrepasser sa volonté que de donner, au point de vue qui nous occupe, quelques renseignements précis sur une œuvre à propos de laquelle ont été imprimées beaucoup d’erreurs ou de suppositions erronées.
    Didier, médecin, est un savant et un homme de génie, un homme supérieur (voir Antony). Il s’est marié trop tôt à une brave femme incapable de le comprendre, mais qui lui a donné une bonne fille, Geneviève. Didier a un élève de prédilection, Mathias, matérialiste décidé comme son maître, qui ne croit pas à « l’âme », et dont je me rappelle ces mots : « J’ai déjà vu, disait-il à Geneviève, des cerveaux sans pensée, mais jamais de pensée sans cerveau », et, dans la même scène de l’acte I : « Si je te donnais un violent coup de bâton sur le cerveau, que dirait ton âme ? » — « Elle le pardonnerait ». répond Geneviève.
    Dans cette famille ainsi composée d’hommes supérieurs et de femmes de cœur simple arrive La Troublante, Miliane, qui y reçoit l’hospitalité avec sa mère. Autrefois riche, le père était mort laissant sa femme et sa fille dans la gêne. Et Miliane a conservé un amer souvenir des leçons de piano, des omnibus avec la correspondance. Elle a vingt-deux ans, l’âge où la femme est « toute-puissante ». Elle répand autour d’elle je ne sais quel charme irrésistible. Elle aime le luxe, elle est à la recherche du bonheur ; elle a des idées à elle, nullement routinières, et beaucoup plus que le commun des hommes. Elle va à son but par des moyens qui étonnent. C’est la beauté et l’intelligence réunies. Et c’est la femme. On voit les ravages que peut faire autour d’elle cette superbe créature de libre esprit. On voit le drame, c’est-à-dire les êtres supérieurs, affranchis des préjugés sur le mariage et autres, aux prises avec des âmes tout unies. Et l’on devine la portée symbolique de la pièce : matérialisme et nature, esprits forts et cœurs croyants, la chair et la foi. Dumas fils avait mis en cette œuvre le meilleur de lui-même, ses idées sur la science, la religion, sur le mariage, la société, la femme, la jeune fille bourgeoise et la société contemporaine. Ce que j’en ai pu entendre était d’une imagination et d’une beauté audacieuses.
    Il va sans dire que la passion, pour mettre ces hautes conceptions en valeur, faisait rage. Je me souviens d’une scène, où La Troublante, recherchée par un M. Dominique, qu’elle avait refusé pauvre et qui était devenu riche, et ne voulant pas se « vendre » en mariage (car, disait-elle ou à peu près, lorsqu’une femme se vend, elle ne doit vendre d’elle que ce qu’elle peut reprendre), venait d’essuyer une décharge de revolver dans la rue. Elle disait que le juge d’instruction l’avait interrogée comme une voleuse, et puis lui avait fait des propositions comme à une fille. Puis elle demandait à Mathias du poison. Et le savant médecin, Didier, l’aimait ; et elle offrait à Mathias d’être son camarade dans la vie ; et Geneviève, la douce jeune fille, aimait Mathias…
    C’en est assez de ces souvenirs, pour faire voir que La Troublante, qui semblait un effort admirable de raison pure, mettait en œuvre la passion et l’invention des Dumas. Et je vois encore le bon dramaturge, en son cabinet de Marly, le coude appuyé sur sa table, sa tête blanche, si énergique et expressive, baignée d’une pâle lumière, lisant avec bonhomie et fermeté la scène du matérialiste Mathias avec Miliane, et coupant les théories savantes de remarques personnelles, où la fantaisie s’envolait par delà le connu et le visible. Je songeais à Fritz Sturler, à l’épilogue du Comte Uermann, à Antony, cependant que de chaque côté du foyer souriaient les visages épanouis de Balzac et de Dumas père, formant avec l’auteur de La Troublante une vigoureuse trinité.
    La Troublante sera-t-elle jamais représentée ? — Mais Francillon, la dernière pièce jouée de Dumas fils, dont il a conté les origines (Th., t. VII, Notes sur Francillon, pp. 395 sqq.), doit peut-être son principal moyen scénique à une nouvelle du père, un Bal masqué (Souvenirs d’Antony, pp. 171 sqq.). Il connaissait à fond les moindres ouvrages paternels ; on ne lira pas sans intérêt ces quelques pages, où Francillon semble ébauchée, où la loi du talion est appliquée jusqu’au bout.
  92. Voir notre Théâtre d’hier. Alexandre Dumas fils, § VII et VIII. pp. 200-233.
  93. G. Lanson, Nivelle de la Chaussée et la comédie larmoyante, p. 295. L’ouvrage est remarquable d’ailleurs, mais de pure critique littéraire, et en dehors de la critique dramatique.