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Le Livre des ballades/Il n’est tresor que de vivre à son aise

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Ballade intitulée
les contredictz de Franc Gontier

Sur mol duvtl aſſis ung gras chanoine,
Lez ung braſier, en chambre bien nattéee ;
A ſon coſté giſant dame Sydoine,
fîMttchcj tendre, pollie, & attaintée.
Boire ypocras, à jour & à nuyctée,
Rire, jouer, mignonner & baiſer.
Et nud à sud, pour mieulx les corps j’ayſer,
Les vy tous deux par ung trou de mortaiſe,
Lors je congneu que pour dueil apaiſer
Il n’eſt tréſor que de vivre à ſon aiſe.

Se Franc Gontier & ſa compaigne Heleine
Euſſent ceſte doulce vie hantée,
D’aulx & civotz qui cauſent forte alaine
N’en mengeaſſent biſe crouſitre frottée.
Tout leur mathon, ne toute leur potée
Ne priſe ung ail, je le dy ſans noyſier.

S’ils ſe vantent coucher ſoubz le roſier,
Ne vault pas mieulx lict coſtoyé de chaiſe ?
Qu’en dictes vous ? faut-il à ce muſer ?
Il n’eſt tréſor que de vivre à ſon aiſe.

De gros pain bis vivent, d’orge, d’avoyne ;
El boivent eau tout au long de l’année.
Tous les oiſeaulx d’icy en Babyloine,
À tel eſcot, une ſeule journée
Ne me tiendroient, non une matinée.
Or s’eſbate, de par Dieu, Franc Gontier,
Hélene o luy, ſoubz le bel Eſglantier,
Si bien leur eſt, n’ay cauſe qu’il me poiſe.
Mais quoy qu’il ſoit du laboureux meſtier,
Il n’eſt tréſor que de vivre à ſon aiſe.


ENVOY.


Prince, jugez, pour tous nous accorder ;
Quant eſt à moy, mais qu’à nul n’en deſplaiſe,
Petit enfant j’ay oüy recorder
Qu’il n’eſt tréſor que de vivre à ſon aiſe.


François Villon