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Le Livre des ballades/Comme lors fut mon aventure

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Ballade

Le premier jour du mois de May
Trouvé me ſuis en compaignie
Qui eſtoit, pour dire le vray,
De gracieuſeté garnie ;
Et pour oſter merencolie,
Fut ordonné qu’on choiſiroit,
Comme fortune donneroit,
La fueille plaine de verdure.
Ou la fleur pour toute l’année ;
Si prins la feuille pour livrer,
Comme lors fut mon aventure.

Tantoſt apres je m’aviſoy,
Qu’a bon droit, je l’avoye choiſie.
Car, puiſque par mort perdu ay
La fleur, de tous biens enrichie,
Qui eſtoit ma Dame, m’amie,
Et qui de ſa grâce m’amoit,
Et pour ſon amy me tenait,

Mon cueur d’autre fleur n’a plus cure ;
Adonc congneu que ma penſée
Accordoit à ma deſtinée,
Comme lors fut mon aventure.

Pour ce, la fueille porteray
Ceſt an, ſans que point je l’oublie,
Et à mon pouvoir me tendray
Entièrement de ſa partie ;
Je n’ay de nulle fleur envie,
Porte la qui porter la doit,
Car la fleur que mon cueur aimoit
Plus que nulle autre creature,
Eſt hors de ce monde paſſée,
Qui ſon amour m’avoit donnée,
Comme lors fut mon aventure,


ENVOY.


Il n’eſt fueille, ne fleur qui dure
Que pour ung temps, car eſprouvée
J’ay la choſe que j’ay comptée,
Comme lors fut mon aventure.


Charles d’Orléans.