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Le Livre des mères et des enfants/I/Le petit peureux

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LE PETIT PEUREUX.

Quoi, Daniel, à six ans vous faites le faux brave ;
Vous insultez un chien qui dort ;
Vous lui tirez l’oreille, et, raillant votre esclave.
Sous ses pas endormis vous dressez une entrave !
L’esclave qui sommeille, ô Daniel, n’est pas mort ;
Son réveil s’armera d’une dent meurtrière :
La preuve en a rougi votre linge en lambeaux.
Oui, vous voilà blessé, mais blessé par derrière !

Malgré la nuit, j’y vois. Sauvons-nous des flambeaux ;
Sauvons-nous des témoins… Moi, je suis votre mère…
Je cacherai ta honte, enfant, dans mon amour :
Viens ! j’ai pitié de toi, car la honte est amère ;
Bénis Dieu : sa bonté vient d’éteindre le jour.


Personne ne t’a vu lâche et méchant… Écoute :
Pour t’appeler méchant sais-tu ce qu’il m’en coûte ?
C’est ton nom pour ce soir ; subis-le devant moi :
Va ! personne jamais ne l’entendra que toi.


Personne ne t’a vu d’une bête innocente
Tourmenter l’indolent sommeil ;
Et, pour irriter son réveil,
Lui simuler sa chaîne absente.
Cher petit fanfaron, c’est lui qui t’a fait peur.
Sa gueule était immense, ouverte à la vengeance.
Il te mangeait, Daniel, sans ma tendre indulgence,
Et tu fuyais en vain, lié par la stupeur.

Il m’a cédé sa proie, il a compris mes larmes ;
Et peut-être un gâteau, que préparait ma main
Pour charmer ton loisir demain,
L’a rendu tout-à-fait clément à mes alarmes.
Je l’avais fait si beau, si grand ! Ne pleure plus :
De tes habits l’eau pure effacera la tache ;
Ton âge n’en a pas où le remords s’attache !
Tout ce qui doit survivre à tes cris superflus,
Ce qu’il faut regretter par-delà ton enfance,
C’est mon sang…, oui, le mien, lâchement répandu :
Quoi ! sous la dent d’un chien tu l’as déjà perdu,
Daniel, et ton pays l’attend pour sa défense !