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Le Principe de relativité et la théorie de la gravitation/chap. 13

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CHAPITRE XIII.

NOTIONS DE CALCUL TENSORIEL[1]


S’il est légitime d’employer des coordonnées arbitraires, quelle peut être leur utilité et quel but poursuivons-nous ?

Nous cherchons comment, conformément au principe de relativité généralisé, la covariance des équations de la Physique peut être obtenue ; et si, dans l’Univers réel, nous reconnaissons que les potentiels de gravitation doivent être assujettis à certaines relations, ces relations exprimeront la loi générale de la gravitation.

Dans la théorie de la relativité généralisée, l’invariant joue un rôle fondamental. On est conduit, de plus, à envisager des êtres mathématiques appelés tenseurs ; chacun d’eux est défini par un certain nombre de fonctions qui sont dites « composantes du tenseur ». Le « calcul différentiel absolu », créé par Riemann, Christoffel, Ricci et Levi-Civita (antérieurement à la théorie d’Einstein) donne les règles permettant de calculer les composantes d’un tenseur dans un nouveau système de coordonnées lorsqu’on connaît ces composantes pour un premier système, et lorsque, bien entendu, la transformation qui relie les deux systèmes est donnée.

Les tenseurs sont caractérisés par le fait que les équations de transformation de leurs composantes sont linéaires et homogènes : si toutes les composantes d’un tenseur sont nulles dans un système de coordonnées, elles disparaissent aussi dans tous les autres systèmes. Une loi naturelle formulée par l’annulation d’un tenseur, ce qui veut dire par l’annulation de toutes les composantes d’un tenseur, ou formulée par l’égalité de deux tenseurs, est covariante d’une façon générale : elle est donc mise sous la forme exigée par le principe de relativité.

En cherchant les règles d’après lesquelles on peut former des tenseurs, on obtient les moyens d’exprimer les lois de la Physique sous une forme intrinsèque, où tout système de coordonnées a disparu.

61. Quadrivecteurs contrevariants et quadrivecteurs covariants.

Quadrivecteurs contrevariants. Passons d’un système de coordonnées à un autre système

L’élément de ligne, défini par ses quatre « composantes » est transformé selon les équations

(4 équations)

qu’on peut résumer sous la forme abrégée.

(1-13)

étant le même indice 1, ou 2, ou 3, ou 4 dans les deux membres, et la sommation étant faite, pour chaque indice en remplaçant successivement par 1, 2, 3, 4. L’expression (1-13) représente donc les 4 équations qu’on obtient en faisant successivement 1, 2, 3, 4, et dans chacune de ces équations la sommation est faite par rapport à

Tout groupe de quatre quantités (de mêmes dimensions physiques) qui se transforment suivant la même loi que les c’est-à-dire telles que

(2-13)

constitue par définition un quadrivecteur contrevariant, ou tenseur contrevariant de premier ordre.

On a pris l’habitude de placer l’indice en haut pour synthétiser les quatre composantes d’un quadrivecteur contrevariant, sauf cependant pour qui, bien que contrevariant, est écrit avec indice en bas.

Il est évident que si et sont les composantes de quadrivecteurs contrevariants, il en est de même de (même indice pour et pour dans chaque composante).

Quadrivecteurs covariants. — Quatre grandeurs (indice en bas) sont appelées composantes d’un quadrivecteur ou tenseur de premier ordre covariant si, étant un quadrivecteur contrevariant arbitraire, on a

(3-13)

La loi de transformation des quadrivecteurs covariants résulte immédiatement de cette définition. Dans le second membre de l’équation

remplaçons par l’expression obtenue en inversant l’équation (2-13), c’est-à-dire

nous obtenons

ou, puisque le quadrivecteur est arbitraire,

(4-13)

Notation simplifiée. — On voit sur les équations qui précèdent que la sommation doit être faite en donnant successivement les valeurs 1, 2, 3, 4 à celui des indices qui figure deux fois sous le signe et que la sommation ne doit être faite que par rapport à cet indice qui se nomme indice muet.

L’indice muet n’a pas de signification propre, puisque dans la sommation qui donne le développement complet de l’expression d’une seule et même composante, on doit lui attribuer successivement les valeurs 1, 2, 3, 4. La lettre qui désigne l’indice muet peut donc être à volonté remplacée par une autre lettre quelconque, pourvu que cette dernière lettre ne figure pas déjà dans le terme considéré : ainsi, au lieu de (4-13), on peut écrire

mais non

Les remarques qui précèdent permettent de supprimer le signe sans nuire à la clarté de la notation. Il en sera de même dans la généralisation que nous allons faire : les indices muets sont faciles à reconnaître et il est sous-entendu qu’il faut sommer par rapport à chacun des indices muets.

62. Tenseurs de second ordre et d’ordres supérieurs.

Tenseurs contrevariants. Formons les 16 produits des composantes et de deux quadrivecteurs contrevariants

(5-13)

D’après (2-13) la loi de transformation de ces produits est

d’après la remarque faite plus haut, nous abrégeons l’écriture en supprimant les et nous écrivons simplement

(6-13)

et sont les indices muets et nous savons que dans le développement complet de il faudrait sommer en donnant successivement à chacun d’eux les valeurs 1, 2, 3, 4. On aurait

ceci est l’expression d’une composante, correspondant à deux valeurs déterminées pour et , et pour écrire les 16 composantes, il faudrait donner successivement à et à les valeurs 1, 2, 3, 4 ;

Dans la suite nous n’emploierons plus que la notation abrégée telle que (6-13).

Revenons aux 16 produits (5-13) dans le premier système de coordonnées, d’après (6-13) dans le second système Ils constituent les composantes d’un tenseur contrevariant de second ordre.

D’une façon générale, tout ensemble de 16 fonctions qui se transforment suivant la loi précédente (6-13) forme un tenseur contrevariant de second ordre.

Un tel tenseur n’est pas nécessairement constitué, comme (5-13), par les produits des composantes de deux quadrivecteurs. On démontre que les 16 composantes d’un tenseur sont les sommes des de quatre paires de quadrivecteurs convenablement choisis.

Il est clair qu’on peut généraliser et définir des tenseurs contrevariants d’ordre 3, 4, un tenseur de rang ayant composantes[2] : par exemple, les 64 expressions

 (indices muets )

constituent un tenseur contrevariant d’ordre 3.

Tenseurs covariants. — De même l’ensemble des 16 produits des composantes de deux quadrivecteurs covariants, et d’une façon générale l’ensemble de 16 quantités qui se transforment suivant la loi

(7-13)  (indices muets )

constitue un tenseur covariant de second ordre.

Les 64 expressions

sont les composantes d’un tenseur d’ordre 3,…

Tenseurs mixtes. L’ensemble de fonctions qui participent à la fois des deux modes précédents de transformation

étant le nombre des indices le nombre des indices est un tenseur mixte d’ordre contrevariant d’ordre et covariant d’ordre

Tenseurs symétriques. Un tenseur (contrevariant ou covariant) est dit symétrique, quand les composantes obtenues par permutation de deux indices et sont égales, par exemple

ou

Cette symétrie se conserve dans toutes les transformations de coordonnées.

Tenseurs symétriques gauches. On appelle ainsi des tenseurs dont les composantes sont égales mais de signes opposés quand on permute deux indices

Si le tenseur est de second ordre, les 4 composantes à indices égaux (ou ) sont nulles. Des 12 composantes qui restent, 6 seulement ont des valeurs différentes, au signe près (Sechservektor).

Un tenseur symétrique gauche d’ordre 3 n’a que 4 composantes différentes (au signe près) et un tenseur symétrique gauche d’ordre 4 n’a plus qu’une composante. Il n’y a pas de tenseur symétrique gauche d’ordre supérieur à 4, du moins dans une multiplicité à quatre dimensions comme celle que nous envisageons.

63. Multiplication des tenseurs.

Multiplication extérieure. Si l’on multiplie deux à deux les composantes d’un tenseur d’ordre et celles d’un tenseur d’ordre on obtient expressions. On déduit aisément des règles de transformation précédentes que ce sont les composantes d’un tenseur (ordre ). Par exemple, les produits suivants de tenseurs et sont des tenseurs

Contraction d’un tenseur mixte. — Une opération d’une extrême importance est celle de la contraction.

Avec un tenseur mixte, on peut former un tenseur d’un ordre inférieur de deux unités en égalant un indice de caractère covariant et un indice de caractère contrevariant, c’est-à-dire en imposant la condition que ces deux indices aient toujours même valeur. Par exemple, dans le tenseur mixte imposons la condition nous obtenons un tenseur qui n’est plus que du second ordre. Nous avons en effet

(8-13)

Mais

selon que ou que

Nous avons donc, en effectuant la sommation par rapport à

substituant dans (8-13)

est donc un tenseur covariant d’ordre 2[3].

De même le tenseur de quatrième ordre donne, par une première contraction, le tenseur de second ordre.

a perdu son individualité et est devenu indice muet. Ce tenseur de second ordre donne lui-même, par contraction, le tenseur d’ordre nul

Un tenseur d’ordre nul (1 composante) est indépendant du système de coordonnées ; c’est un invariant appelé aussi scalaire.

En résumé, on voit que si l’on impose l’égalité d’un indice supérieur et d’un indice inférieur, on forme un tenseur dont l’ordre est abaissé de deux unités, parce que les qualités de contrevariance et de covariance, correspondant à ces deux indices, se détruisent mutuellement.

Multiplication intérieure et multiplication mixte. — Nous pouvons combiner la multiplication extérieure et la contraction.

Considérons, par exemple, le tenseur covariant de second ordre et le tenseur contrevariant de premier ordre (quadrivecteur) par multiplication extérieure nous formons le tenseur mixte

puis, par contraction, nous formons le quadrivecteur covariant

Nous appellerons ce quadrivecteur produit intérieur des tenseurs et

De même soit

si, par contraction, nous formons

nous faisons une opération mixte, car c’est une multiplication extérieure vis-à-vis de et intérieure vis-à-vis de et .

64. Procédés permettant de reconnaître le caractère tensoriel.

Procédé par invariance d’un produit intérieur. — D’après ce qui précède, le produit intérieur est un scalaire lorsque et sont deux tenseurs tels que les ordres de covariance et de contrevariance du second soient respectivement égaux aux ordres de contrevariance et de covariance du premier.

Inversement, lorsqu’un groupe de quantités déterminées par indices, comme un tenseur, mais dont on ignore a priori la nature, est tel que

(9-13) invariant

pour un choix arbitraire d’un tenseur à indices dont indices covariants et indices contrevariants, on peut affirmer que est un tenseur contrevariant d’ordre et covariant d’ordre

En effet, d’après (9-13), on a pour une transformation arbitraire

(10-13)

Or, par inversion des formules (6-13) et (7-13) généralisées, on a

transportant dans (10-13), il vient

Cette équation devant avoir lieu quel que soit le choix de la quantité entre crochets est nulle. se transforme donc conformément aux règles de définition d’un tenseur contrevariant par rapport aux indices et covariant par rapport aux indices ce qui démontre la proposition.

Par exemple, si est un invariant pour un choix arbitraire d’un tenseur contrevariant du second ordre, est un tenseur covariant du second ordre

De même, soient et des quadrivecteurs arbitraires ; si le produit intérieur est un scalaire, est un tenseur covariant du second ordre

Ce dernier résultat est encore exact si, pour un quadrivecteur quelconque le produit intérieur est un invariant et si, de plus, la quantité est symétrique On voit en effet aisément que a le caractère tensoriel, d’où il résulte, à cause de la symétrie, que est un tenseur. Bien entendu, si est contrevariant, est covariant, et si est covariant, est contrevariant.

Loi du quotient (Eddington). — Une quantité, qui peut s’exprimer symboliquement comme le quotient d’un tenseur par un quadrivecteur, est elle-même un tenseur ou plus précisément un groupe de quantités dont le produit intérieur par un quadrivecteur (covariant ou contrevariant) quelconque est un tenseur est lui-même un tenseur.

Supposons en effet que le produit de par soit un tenseur covariant par rapport à contrevariant par rapport à quel que soit le quadrivecteur On a

or

substituant, on obtient

étant arbitraire, la quantité entre crochets est nulle, ce qui prouve que obéit à la loi de définition des tenseurs covariants par rapport à contrevariants par rapport à En particulier, si est un quadrivecteur covariant [ou un quadrivecteur contrevariant] pour un choix arbitraire du quadrivecteur (ou ), on peut en conclure que est un tenseur du second ordre covariant (ou contrevariant).

65. Les tenseurs fondamentaux.

Le tenseur covariant fondamental — Dans l’expression de l’invariant (8-12)

(11-13)

joue le rôle d’un quadrivecteur contrevariant arbitraire. Comme est symétrique il résulte d’une des règles indiquées au no 64 que est un tenseur covariant symétrique du second ordre.

Le tenseur contrevariant fondamental — Écrivons le déterminant des

(12-13)

puis formons le mineur de chaque et divisons chaque mineur par la valeur du déterminant. Nous obtenons 16 grandeurs (10 seulement sont distinctes, car ) qui constituent un tenseur contrevariant, ainsi que nous allons le montrer.

D’après une propriété connue des déterminants, on a

(13-13)  ou 

selon que ou que .

Posons

(14-13)

étant égal à 1 ou à 0 suivant que ou que au lieu de l’expression (11-13) de nous pouvons écrire

D’après les règles de multiplication des tenseurs, les grandeurs

forment un quadrivecteur covariant, puisque est un tenseur covariant et un quadrivecteur contrevariant, et comme les peuvent être choisis arbitrairement, ce quadrivecteur est arbitraire.

Nous avons donc

Puisque est un invariant, que est arbitraire, et que est symétrique, il résulte d’une des règles données au no 64 que est un tenseur contrevariant.

Le tenseur mixte fondamental. — et étant deux tenseurs, le premier covariant, le second contrevariant, (14-13) exprime que est un tenseur mixte. C’est un tenseur remarquable car ses composantes conservent les mêmes valeurs dans tous les systèmes de coordonnées.

Nous remarquerons que

(15-13)

Si est un groupe quelconque de quatre quantités, nous avons, puisque 1 ou 0 suivant que ou que

(16-13)

en d’autres termes, est un opérateur de substitution. Ce résultat montre d’ailleurs directement que est un tenseur, car si est un quadrivecteur, le produit intérieur donne toujours un quadrivecteur ; ce qui prouve, d’après la loi du quotient, que a le caractère tensoriel.

Indiquons enfin une relation importante. Désignons par les déterminants ayant pour éléments respectifs les

D’après la multiplication des déterminants, on a

Comme on a aussi

on voit que

(17-13)

66. Tenseurs associés[4].

Les trois tenseurs fondamentaux qui viennent d’être définis permettent de transformer les tenseurs, c’est-à-dire de construire de nouveaux tenseurs de types différents en faisant passer à volonté un indice de bas en haut ou inversement.

Par exemple, partons d’un quadrivecteur contrevariant ou d’un tenseur contrevariant nous pouvons écrire

Nous avons ainsi défini un nouveau vecteur covariant, ainsi que deux tenseurs, l’un mixte l’autre covariant

Nous avons de même

Les vecteurs et sont dits associés l’un à l’autre ; de même les tenseurs sont associés entre eux.

On doit remarquer qu’il n’y a aucune contradiction dans les définitions qui précèdent, car si l’on élève un indice, puis qu’on l’abaisse, on retrouve le tenseur primitif. En effet, on a par exemple

Un cas particulièrement remarquable est celui où les ont les valeurs galiléennes (10-12). Dans le cas de l’espace à trois dimensions où l’élément de ligne est les galiléens ont pour valeurs 1 ou 0 suivant que ou que de sorte que les opérations précédentes ne modifient pas les composantes d’un tenseur d’espace tridimensionnel ; dans le cas de l’Espace-Temps,

les valeurs non nulles des sont −1 pour les termes d’espace et +1 pour le terme de temps ; élever ou abaisser un indice change simplement le signe de certaines des composantes. On peut donc utiliser un quelconque des tenseurs associés pour représenter un ensemble de grandeurs physiques sans entrer en conflit avec les définitions des anciennes théories.

L’existence des tenseurs associés, qui représentent chacun une même entité physique, montre qu’une entité n’est pas, en elle-même, covariante, contrevariante ou mixte ; on peut, à volonté, lui attribuer des composantes ayant celui des trois caractères qu’on veut.

Invariant contracté. — Tout tenseur d’ordre pair permet de former un invariant : il suffit d’amener la moitié des indices en haut, la moitié en bas et de contracter complètement ; on obtient évidemment le même scalaire, appelé invariant contracté, quel que soit celui des tenseurs associés d’où l’on parte.

Soit, par exemple, on forme puis On peut aussi former des invariants dérivés tels que

67. Longueur généralisée d’un vecteur. Condition d’orthogonalité de deux vecteurs.

Dans la théorie vectorielle ordinaire (espace seul), on appelle produit scalaire de deux vecteurs et le produit de leurs longueurs par le cosinus de l’angle que forment leurs directions ; ce produit a pour valeur

(18-13) (en notation abrégée).

Les coordonnées étant galiléennes, les trois qui ne sont pas nuls sont égaux à 1 et il n’y a pas à faire la distinction de vecteurs covariants et vecteurs contrevariants.

Le carré de la longueur d’un vecteur peut être considéré comme le produit scalaire du vecteur par lui-même.

Deux vecteurs sont orthogonaux lorsque leur produit scalaire est nul.

Ces notions se généralisent facilement, dans le cas de coordonnées quelconques, grâce à l’introduction des quadrivecteurs covariant et contrevariant associés. Le scalaire

dont (18-13) est la forme dégénérée en coordonnées galiléennes et pour trois dimensions, est la généralisation du produit scalaire de la théorie ordinaire.

Le carré de la longueur généralisée d’un quadrivecteur (ou ) est le scalaire.

(19-13)

Enfin la condition d’orthogonalité de deux quadrivecteurs et ou et est

(20-13)  ou 

Si un vecteur subit un accroissement orthogonal infiniment petit (ou si subit l’accroissement ), sa longueur n’éprouve qu’une variation du second ordre ; on a, en effet, en n’écrivant pas les termes d’ordre supérieur au premier

puisque, l’accroissement étant orthogonal, on a

68. Expression invariante de l’hypervolume.
Densité tensorielle.

Cherchons d’abord la loi de transformation du déterminant D’après (7-13), on a

ce qu’on peut écrire

(21-13)

ou

(22-13)

Nous prenons parce que est toujours négatif, ainsi qu’on le voit aisément car d’après (21-13) ne change jamais de signe, et pour les valeurs galiléennes (10-12).

D’autre part, la loi de transformation de l’élément de quadrivolume

est, d’après un théorème connu de Jacobi,

(23-13)

Multipliant (22-13) et (23-13), il vient

(24-13)

Dans l’Univers euclidien tangent, et en coordonnées galiléennes coordonnées rectangulaires d’espace, l’élément d’hypervolume est

avec

On a donc

(25-13) invariant.

Densité tensorielle. — Soit maintenant un tenseur faisant partie d’un champ tensoriel, l’intégrale

prise entre des limites définies d’une façon absolue, est elle-même un tenseur, puisque est un invariant.

Il est logique de considérer comme unité de quadrivolume la cellule quadridimensionnelle dont les arêtes ont des longueurs unités par rapport aux coordonnées utilisées ; c’est pourquoi l’on donne à l’expression le nom de densité tensorielle. Lorsque nous verrons intervenir le facteur nous saurons que la signification physique se rapporte plutôt à la densité tensorielle qu’au tenseur.

Quelle que soit la nature de la portion d’Univers considérée (Univers euclidien ou non), il est toujours possible de choisir les coordonnées qu’en tout point-événement on ait Si en effet trois des quatre familles d’espaces coordonnés tridimensionnels ont été prises arbitrairement, on peut toujours choisir la quatrième de façon à diviser l’Univers en cellules ayant toutes le même quadrivolume ; avec ce choix de coordonnées, il n’y a plus de distinction entre tenseurs et densités tensorielles et les calculs sont souvent très simplifiés.

69. Différentiation covariante ou formation de tenseurs par dérivation.

Symboles de Christoffel. — Dans la suite, nous ferons un usage constant des deux symboles suivants :

(26-13)
Premier genre.

(il n’y a pas de sommation),

(27-13)
Deuxième genre.

(sommation par rapport à )

De ces définitions, on déduit

(28-13)

En effet, on a

 [d’après (16-13)].

Nous voyons encore que

(29-13)

Les expressions qui définissent les symboles sont symétriques en et Il existe quarante symboles différents de chaque genre.

Nous verrons plus loin que, de même que les sont les composantes du potentiel généralisé, les sont les composantes de la force généralisée, mais alors que les composantes du potentiel forment le tenseur les ne constituent pas un tenseur.

Dérivée covariante d’un quadrivecteur. — Partons d’abord d’un tenseur d’ordre nul ou scalaire. Sa dérivée est un quadrivecteur covariant.

On a, en effet, étant une fonction de point invariante dans toute transformation de coordonnées :

ce qui prouve (4-13) que est un vecteur covariant.

Mais on ne peut pas continuer dans cette voie ; la dérivée d’un quadrivecteur n’est pas un tenseur.

Nous pouvons cependant trouver une expression tensorielle qui remplacera la dérivée ordinaire[5].

Il nous faut d’abord établir une formule auxiliaire.

Partons du tenseur covariant  ; nous avons, par une transformation de coordonnées :

d’où, par dérivation,

(30-13)

Dans le second terme de la parenthèse nous avons permuté les indices et ce qui est légitime puisque ce sont des indices muets ; de plus, dans le dernier terme, nous avons écrit

Nous avons de même les formules.

(31-13)
(32-13)

Nous avons interchangé dans les derniers termes les indices muets

Ajoutons (31) et (32) et retranchons (30), nous obtenons

(33-13)

et, en multipliant les deux membres par

(34-13)
 [d’après (6-13)]
 [d’après (14-13), (16-13) et (27-13)].

C’est la formule auxiliaire dont nous allons nous servir.

Soit maintenant un quadrivecteur covariant : nous avons

et, par dérivation,

Remplaçant par sa valeur tirée de la formule auxiliaire (34), nous avons

(35-13)

Or et d’autre part nous pouvons remplacer dans le dernier terme les indices muets par En posant alors

(36-13)

l’équation (35) s’écrit

ce qui prouve que défini par (36), est un tenseur covariant. Nous avons donc atteint le but que nous nous étions proposé. Ce tenseur se nomme dérivée covariante de .

Introduisons maintenant le quadrivecteur contrevariant associé à Nous avons

D’après (36), nous pouvons écrire

[d’après (28-13)]
[d’après (29-13)]

Multiplions enfin les deux membres par pour faire indice en haut ; nous trouvons

(37-13)

Le tenseur mixte est la dérivée covariante du quadrivecteur contrevariant (elle est appelée covariante parce que la différentiation introduit un indice covariant ).

Dérivée covariante d’un tenseur. — On peut généraliser les opérations précédentes et former la dérivée covariante d’un tenseur quelconque. Prenons le cas d’un tenseur covariant du second ordre. Un tel tenseur peut être considéré comme la somme de tenseur du type [6] ; d’après (36-13), les expressions

sont des tenseurs. Multiplions la première expression par la seconde par nous obtenons des tenseurs d’ordre 3, dont l’addition donne le tenseur

(38-13)

en posant Comme le second membre est linéaire et homogène relativement aux et à leurs dérivées premières, cette formation reste la même pour une somme de tenseurs tels que c’est-à-dire pour un tenseur covariant quelconque d’ordre 2. Le tenseur est appelé « dérivée covariante du tenseur  ».

Le résultat

(39-13)

montre que la différentiation covariante est une opération distributive comme la différentiation ordinaire.

On obtient d’une façon analogue les dérivées covariantes des tenseurs contrevariants et mixtes du second ordre. On trouve

(40-13)
(41-13)

Pour un tenseur d’ordre quelconque, par exemple on a

Nous pouvons comprendre dès maintenant l’utilité de la dérivée covariante.

Lorsque les sont constants, ce qui est le cas en coordonnées galiléennes, les symboles de Christoffel sont nuls ; les dérivées covariantes des tenseurs se réduisent aux dérivées ordinaires. Donc, lorsqu’une loi physique est exprimée en coordonnées galiléennes par une relation où figurent des expressions qui sont visiblement des formes dégénérées de tenseurs et leurs dérivées ordinaires, nous pouvons, toujours en coordonnées galiléennes, remplacer les formes dégénérées par les tenseurs eux-mêmes et les dérivées ordinaires par les dérivées covariantes ; en coordonnées galiléennes, rien n’est changé et en même temps la loi est mise sous une forme tensorielle générale. Cette forme est celle exigée par le principe de relativité, car elle est indépendante du système de coordonnées : c’est certainement l’expression générale de la loi en coordonnées arbitraires dans un univers euclidien et c’est presque toujours[7] l’expression de la loi dans un univers non euclidien, dans l’Univers réel où règne un champ de gravitation.

Voici un exemple (Eddington) : supposons que nous cherchions l’équation générale de la propagation d’un potentiel avec la vitesse de la lumière. En coordonnées galiléennes

cette équation est

(42-13)

Les valeurs galiléennes non nulles des sont

nous pouvons donc écrire (en coordonnées galiléennes) :

(43-13)

Le potentiel étant un scalaire, sa dérivée ordinaire est un vecteur covariant (la dérivée ordinaire d’un scalaire est toujours identique à la dérivée covariante) ; en coordonnées galiléennes, nous pouvons remplacer la dérivée ordinaire de ce vecteur par la dérivée covariante et écrire

(44-13)

Jusqu’ici les coordonnées galiléennes sont nécessaires.

Mais maintenant nous remarquons que l’équation (44) est sous une forme tensorielle, et il y a même cette particularité que le premier membre est un invariant pour tous les changements de coordonnées. Cet invariant étant nul pour des coordonnées galiléennes est nécessairement nul dans un univers euclidien avec des coordonnées arbitraires :

(45-13)

Telle est l’expression de l’équation (42-13) en coordonnées curvilignes, mais toujours dans un univers euclidien, car une transformation de coordonnées n’altère pas la nature de l’Espace-Temps.

Il est donc démontré que si le potentiel se propage suivant la loi (42-13) en coordonnées galiléennes, il se propage suivant la loi (45-13) dans n’importe quel système de référence et quelles que soient les coordonnées choisies dans ce système, pourvu que l’univers soit euclidien.

Est-ce aussi l’expression générale dans l’Univers non euclidien, c’est-à-dire dans un champ de gravitation ? certainement, si le principe d’équivalence est applicable, c’est-à-dire si nous pouvons, pour le phénomène de la propagation, remplacer en chaque point d’Univers l’Univers réel par l’Univers euclidien tangent. D’après ce que nous verrons plus loin (no 77), il en est bien ainsi parce que les dérivées des d’ordre supérieur au premier ne figurent pas dans (45-13).

70. Signification de la dérivée covariante.
Déplacement parallèle.

Soit un vecteur que nous supposerons d’abord, comme dans la théorie ordinaire, tridimensionnel dans un espace euclidien ; prenons des coordonnées galiléennes : si nous déplaçons ce vecteur sans le faire varier, parallèlement à lui-même, la dérivée est nulle. C’est ainsi que dans un champ de vecteur uniforme, on a en tout point Mais si le champ n’est pas uniforme, la dérivée n’est pas nulle et donne le taux de variation du vecteur suivant la direction Ce résultat s’étend évidemment à un quadrivecteur pourvu que l’espace-temps soit euclidien et que les coordonnées soient galiléennes.

Si les coordonnées ne sont pas galiléennes (espace-temps euclidien ou non euclidien), la dérivée ordinaire ne peut plus représenter le taux de variation absolue, car il se produit une pseudo-variation due à la nature curviligne des coordonnées[8]. Un tenseur seul peut donner le taux de variation absolue et ce tenseur est nécessairement la dérivée covariante puisqu’il doit se réduire à la dérivée ordinaire quand les coordonnées sont galiléennes (symboles de Christoffel nuls). Soit alors un quadrivecteur contrevariant (ou un quadrivecteur covariant) ; la dérivée covariante (ou ) est formée du terme ou qui mesure le taux de variation apparente, auquel il faut ajouter le terme ou le terme attribuable à la courbure des coordonnées et qui disparaît en coordonnées galiléennes. Ainsi la composante (ou ) de la dérivée covariante doit être considérée comme représentant en chaque point le taux de la variation absolue, suivant la direction de la composante (ou ) du vecteur ; ou est le taux de la variation apparente ; enfin ou est le taux de la pseudo-variation.

Supposons qu’on déplace un vecteur suivant un certain contour ; dans un espace euclidien et en coordonnées galiléennes, la condition nécessaire et suffisante pour que le vecteur reste de même longueur et parallèle à lui-même pendant le déplacement est ou Cette condition étant la forme dégénérée de l’équation tensorielle (ou ), nous dirons que l’annulation de la dérivée covariante d’un quadrivecteur en tout point d’un contour exprime un déplacement « sans variation absolue » (Eddington) ou encore un « déplacement parallèle » (Weyl) le long de ce contour, bien qu’il ne puisse être, dans le cas général, question de « parallélisme » au sens de la géométrie euclidienne.

71. Quelques formules utiles.

1o Nous avons vu (13-13) que

ou suivant que ou que

on a donc

(46-13)

d’où l’on déduit

(47-13)

On a de même

(48-13)

2o Soient deux tenseurs associés. Multiplions par les deux membres de l’équation précédente (48) ; nous obtenons

(49-13)

3o étant le déterminant se forme en prenant la différentielle de chacun des en la multipliant par le mineur correspondant à et en faisant la somme algébrique de tous ces produits. Nous pouvons donc écrire

(50-13)

d’où nous tirons

(51-13)

4o Contractons le symbole de Christoffel de deuxième genre (27-13) :

(52-13)

car on peut permuter les indices muets et et l’on voit que les premiers et troisièmes termes des parenthèses disparaissent dans la sommation.

D’après (50-13), cette dernière formule s’écrit

(53-13)

72. Divergence d’un tenseur.

Dans la théorie habituelle des vecteurs d’espace, on appelle « divergence » le scalaire

nous pouvons la représenter, dans notre notation, par

1o Quadrivecteur contrevariant. — La généralisation s’impose ; il faut considérer la dérivée covariante et prendre le scalaire Nous appellerons donc divergence la dérivée covariante contractée.

D’après (37-13), nous avons

 
[d’après (53-13)]
(54-13)

Désignant les densités tensorielles par des lettres de ronde nous pouvons écrire

(55-13)

2o Tenseur mixte du second ordre. — Nous appelons, de même, divergence la dérivée covariante contractée.

D’après (41-13) nous avons

Les deux premiers termes se réduisent, comme plus haut, à

de sorte que la divergence s’écrit

L’expression se simplifie lorsque est un tenseur symétrique, car le dernier terme

se réduit à

et l’on obtient pour l’expression de la divergence

(56-13)

ou, ce qui revient au même, d’après (49-13),

(57-13)

3o Tenseur contrevariant du second ordre. — La divergence est

(58-13)

Le dernier terme disparaît lorsque le tenseur est symétrique gauche.

En résumé, en introduisant les densités tensorielles, nous avons

(59-13) (pour les tenseurs symétriques),
(60-13) (pour les tenseurs symétriques gauches).

73. Le tenseur de Riemann-Christoffel.

Nous nous proposons maintenant de chercher les tenseurs qu’on peut obtenir par différentiation à partir du tenseur fondamental des seul. La solution paraît évidente : il semble qu’il suffise de former la dérivée covariante du tenseur mais on constate, en remplaçant dans (38-13) par que le tenseur ainsi obtenu est identiquement nul.

On arrive cependant au but de la façon suivante :

Formons la dérivée seconde covariante d’un vecteur arbitraire d’après les formules (36-13) et (38-13) nous pouvons écrire

Formons le tenseur dans cette différence, les termes symétriques en et disparaissent ; dans le second terme nous pouvons remplacer par de sorte que le deuxième et le troisième terme disparaissent aussi dans la différence ; il vient finalement

(61-13)

Puisque est un tenseur, et que est un quadrivecteur covariant arbitraire, il résulte de la règle du quotient que est un tenseur. C’est le tenseur de Riemann-Christoffel[9].

On peut lui associer un tenseur entièrement covariant, en faisant passer en bas l’indice

(62-13)

En développant les deux premiers termes de la dernière expression, on constate que est symétrique gauche en et ainsi qu’en et

Il est essentiel de remarquer que ce tenseur appartient à la catégorie des tenseurs fondamentaux, puisqu’il n’est constitué que par les potentiels du champ de gravitation (champ de force) et par leurs dérivées. En partant de ce tenseur nous pourrions former d’autres tenseurs d’ordres de plus en plus élevés, mais nous pouvons aussi obtenir par contraction de un tenseur du second ordre ce dernier présente un intérêt considérable.

Le tenseur contracté, covariant, du second ordre, s’obtient en égalant et il est symétrique et a pour expression

Les deux derniers termes se simplifient, d’après (53-13) et l’on a[10]

(63-13)

Si nous choisissons les coordonnées de manière que se simplifie beaucoup, par disparition des deux derniers termes.

Il est à remarquer que le tenseur (63-13) est le seul tenseur qu’on puisse obtenir par contraction du tenseur de Riemann-Christoffel. En effet, d’une part, en faisant on obtient le même tenseur contracté, étant symétrique en et d’autre part, si l’on fait le résultat obtenu est identiquement nul car

puisque est symétrique gauche en et .

Le tenseur de Riemann-Christoffel, le tenseur contracté et l’invariant contracté jouent un rôle capital dans la théorie de la gravitation.

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  1. D’après Einstein (Ann. d. Physik, 1916, p. 19) et Eddington (Report on the relativity theory of gravitation, 1990 ; Espace, Temps et Gravitation, édition française, traduction par Jacques Rossignol, 1921).
  2. Bien entendu, dans une multiplicité à trois dimensions seulement, le nombre des composantes serait Un tenseur du second ordre, à 9 composantes, est utilisé dans la théorie de l’élasticité ; il est fourni par les tensions internes d’un solide ou d’un fluide visqueux. On désigne par une composante qui est une tension dans le sens de l’axe des et qui s’exerce sur une surface normale à l’axe des chaque composante est ainsi associée à deux directions et le tenseur est du second ordre dans une multiplicité à trois dimensions
  3. Il est à remarquer que l’expression n’est pas un tenseur et ne présente aucun intérêt.
  4. Eddington, Espace, Temps, Gravitation ; traduction française par J. Rossignol, partie théorique, no 18.
  5. Eddington, Report on the theory of gravitation, p. 36. Espace, Temps et Gravitation, partie théorique, no 22.
  6. Von Laue donne la démonstration suivante (Die Relativitätstheorie, II Band, p. 49). Soit un tenseur du deuxième ordre, désignant ses composantes pour un certain système de coordonnées. Donnons-nous d’une manière absolument arbitraire un groupe de quatre quadrivecteurs ayant dans le système considéré les composantes nous supposerons toutefois que le déterminant formé par les est différent de zéro. Nous pouvons alors déterminer un second groupe de quatre quadrivecteurs de composantes tel que

    On aura en effet en considérant les quatre équations linéaires à déterminant non nul

     (1, 2, 3, 4).

    On obtiendra de même etc.

    Les tenseurs du deuxième ordre peuvent donc se décomposer en sommes de produits de quatre paires de vecteurs. Cette démonstration se généralise pour un tenseur d’ordre quelconque.

  7. C’est nécessairement l’expression générale quel que soit le genre d’Espace-Temps lorsque le principe d’équivalence (no 55) est applicable. Nous préciserons plus loin (no 77) les conditions de validité de ce principe.
  8. Par exemple, dans un champ de force uniforme, les composantes polaires de la force varient d’un point à l’autre.
  9. Désigné dans beaucoup d’ouvrages par Le tenseur contracté est souvent indiqué par
  10. Pour les lecteurs qui ne seraient pas encore familiarisés avec la notation abrégée, indiquons les sommations ; les indices muets sont et de sorte que la composante correspondant aux indices et est