Le grand troche, sorite/11

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Éditions Elaia (p. 13-14).

LES GRANDES COMPAGNIES

à René Crevel

À pas de loup-garou
voici les Grandes Compagnies
à travers les champs de betteraves
& l’effroi des passages à niveau
à travers les sous-bois sournois
& les torche-douleur pleins de gelée blanche.

À la fenêtre de Thomar
— Cordes & couronnes
Cœurs en bonbonnes ! —
à la fenêtre de Thomar caracolez au vent de mer
lanternes vénériennes !
Les étoiles sont dans la table de nuit
les poires vaginales mûrissent au verger mystique.

Fleuries d’un liseré de liseron
nuques rasées
les Grandes Compagnies
épient les pênes des cœurs.
Elles forcent les fesses d’amiante
quand les aminches s’amusent
avec les ventres de belladone
& les sexes de cytises.
La mécanique céleste de l’amour

piquetée de lourdes planètes
grince rouillée
sous les regards des frères-tueurs.

Dans leurs chroniques vénéneuses
la main sereine du Faussaire
écarte l’écarlate calicot de la Vérité
tendu dans notre Jardin des Plaintes.

Par les chemins de mâchefer
à l’ombre de leurs ombres
le cœur bloqué par les neiges
vaguent les Grandes Compagnies.
Elles se ruent au bordel de l’Esprit
dans leur odeur d’automne barbare.
Fenêtres grand-ouvertes
vole en mille morceaux
le piano mécanique de la morale
— il râle encore aux pieds du Tout-Pédant
qui se reboutonne en vitesse.
Aux cous nus des flacons giclent les carotides.
Les Grandes Compagnies ne sont pas montées.

Elles s’en vont à pied
vers le Carrefour des Mégardes
où l’on presse sur la gâchette du diable.