Aller au contenu

Les Demi-Sexes/Deuxième partie/VII

La bibliothèque libre.
Paul Ollendorff, éditeur (p. 138-144).
◄  VI.
VIII.  ►

VII

Après une semaine de luttes et de larmes, au moment où le jeune homme pensait sérieusement au suicide, sa porte s’ouvrit tout à coup et Camille entra avec la jolie démarche onduleuse qu’il lui connaissait bien.

Il voulut être digne, mais elle se jeta à son cou avec ces tendres paroles de contrition qui ne laissent point de place au reproche, à la réflexion, au second mouvement.

Elle lui dit : qu’elle était folle, qu’elle avait voulu l’oublier, parce que cet amour était coupable, qu’elle n’avait pu y réussir et qu’elle revenait plus aimante que jamais ! Pleurs, promesses et confessions étaient coupés de baisers et de ces sourires pareils à des rayons dans une averse.

Elle joua, pendant une heure, cette adorable comédie du repentir amoureux. Une heure elle fut grande actrice, elle fut chatte, elle fut femme… Puis, quand elle vit se fondre, sous ses caresses, sous ses regrets, les dernières rancunes de son amant, aux prières qui désarment succéda le rire qui fait oublier.

— Pourquoi as-tu menti ?… demanda-t-il avec un reste de méfiance.

— Je n’ai pas menti.

— Oh ! comment peux-tu dire !… Miss Ketty prétendait que tu soignais ta grand’mère, et tu n’étais jamais chez toi.

— Si, seulement, je ne recevais pas.

— Tu n’es pas sortie pendant cette semaine ?

— Puisque je te l’affirme…

— Tu aurais bien pu me voir, ne fût-ce qu’une minute ?…

— Voyons, Julien, il ne faut pas être trop exigeant. Tu vois tout ce que je t’ai déjà sacrifié !… Quelle est la jeune fille qui en ferait autant ?…

Calmé, il revenait à son idée, insistait tendrement.

— Pourquoi ne veux-tu pas être ma femme, ma chérie ?… Nous serions si heureux !

— Je t’ai déjà répondu que je ne voulais pas me marier.

— Pourtant… un accident pourrait arriver… si… cependant…

— Quoi donc ?…

— Si tu t’apercevais que…

— Ah ! oui, je comprends.

— Eh bien ?…

Mais, elle avait son mystérieux sourire qui le troublait si fort.

— Sois tranquille, mon Julien, cela n’arrivera pas. Ne pense pas à ces choses…

Elle se moquait d’elle-même et d’eux, de leur sottise, de la sienne, surtout, quand ils avaient tout pour être contents, jeunes, libres, avec l’avenir devant eux !… Quelle folie d’avoir été se créer des tourments, des chagrins, d’avoir fait pleurer leur amour !… Comment cela était-il venu ? Qui l’avait poussé ?… Car, c’était sa faute à elle !… Elle était une méchante, une taquine, une mauvaise tête de n’avoir pas écrit de gentilles petites lettres qui auraient bercé son ennui, adouci son attente… Lui, il était trop bon, trop faible ; il aurait dû se fâcher, ne pas la revoir…

Et le flux ne tarissait pas de ces paroles charmantes d’une femme qui se fait petite fille et demande qu’on la gronde quand elle n’est pas sage.

Leur beau roman recommença.

Toute l’occupation de Camille fut de consoler Julien pendant les jours qui suivirent.

Elle l’affectionnait en réalité davantage, depuis qu’elle faisait deux parts de sa personne et se prostituait chaque jour à un autre. Pendant quelque temps, elle eut même l’illusion de l’amour véritable. Elle n’avait plus de regards, elle ne semblait plus avoir de pensées que pour lui. Ils s’enfermaient dans leur chambre, faisaient mille projets, ne se lassaient pas de se répéter leur mutuelle tendresse.

Julien s’était créé un intérieur charmant. Il avait acheté chez un brocanteur une délicate soie de Chine un peu passée, ramagée de papillons d’or et de fleurs mauves, pour en couvrir les murs de sa garçonnière. Des tables fanfreluchées de dentelles portaient tout un jeu de brosses et de boîtes d’écaille blonde pour la toilette de Camille, et les fleurs qu’elle aimait s’épanouissaient autour d’elle.

Lui ne vivait que dans son souvenir et son attente, la comblait, lorsqu’elle était là, de caresses, de baisers, de voluptés… Chaque jour toute leur félicité leur revenait ainsi en un instant et les possédait, tandis que, côte à côte, baignés de moites chaleurs, ils se souriaient avant de se regarder, renaissaient lentement à eux-mêmes en prenant garde de perdre le dernier battement de l’extase en volée.

C’était une étreinte si douce !… Mi-vêtue, frissonnante encore, les cheveux défaits, elle grignotait les gâteaux qu’il avait préparés. Leurs chaises, bientôt, se rejoignaient ; ils se prenaient à la taille et elle lui tendait entre ses lèvres quelque fruit parfumé. Sa bouche humide fuyait Julien, l’attaquait et le fuyait encore. Enfin, près d’être prise, elle appuyait sa joue à la sienne, et, lentement, dans un baiser partageait son butin.

Ces insatiables délices emplissaient tout le petit appartement. À peine si leur paradis était assez vaste pour leur amour et le monde assez loin pour leur bonheur ! Rien, autour d’eux, qui ne fût eux-mêmes, nul regard entre leur regard, nulle voix entre leur voix.

Au dehors, le mauvais temps, les jours sans lumière où le soleil semble noyé dans un étang bourbeux, les pluies glaciales et le vent qui fouette aux vitres les laissaient indifférents.

Il ne sortait plus, passant son temps à l’attendre ; car chez lui, encore, les choses lui parlaient de bonheur. Pas une qui ne fût la confidente ou la relique d’une heure d’enivrement. Le soir, lorsqu’elle était partie, son foyer le berçait comme une voix mélodieuse. Le feu avait rempli la pièce d’une molle chaleur ; la lampe versait une lumière blanche, éclairant un coin de table, un fauteuil, un bout de tapis… Le reste était dans une ombre chaude, égayée, çà et là, d’un accroc d’or sur un cadre, d’une lueur de soie, d’un reflet de cuivre. Lui, dans la demi-nuit, les pieds allongés sur les chenêts, repassait délicieusement ses souvenirs de l’après-midi.

Elle lui avait défendu de l’accompagner au théâtre, comme il le faisait jadis, et il avait cédé, sans chercher ce que cachait son caprice, tant il avait de nouveau confiance en elle. Qu’aurait-il souhaité de plus ?… Chaque jour il la déshabillait, épingle à épingle, s’attardait aux blancheurs douces de ses dentelles, à ses bas de soie qui tenaient dans le creux de sa main, et quand, de toute sa toilette, il ne restait plus guère que la femme, Camille lui tendait les bras, s’abandonnait, et il la prenait, l’emportait dans le lit comme une enfant.

Lorsqu’elle était lasse de ses caresses, il la regardait, restait en contemplation : ses cheveux fins, nuageux, avaient dans la lumière des lampes le rayonnement d’une poussière dans un clair de lune ; son visage s’alanguissait dans la blancheur de l’oreiller, et l’on n’y voyait plus que les longues paupières sombres abaissées sur l’extase du rêve.

Et, dans ces douceurs et ces chatouillements, dans ce bien-être, il laissait le temps aller comme une onde entre des mains ouvertes, ne souhaitant rien de plus. Les heures poussaient les heures, le souvenir succédait à l’espoir, et dans l’instant de la chère présence tout le reste s’abolissait. Nulle amertume, nulle crainte, nul souci, nul doute, nulle menace !… il croyait en sa maîtresse comme il croyait en Dieu !

Et, au sortir de ces étreintes, Camille allait retrouver Philippe.