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Les Expéditions allemandes et la conquête du Pôle Nord

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LES EXPÉDITIONS ALLEMANDES
ET LA CONQUÊTE DU PÔLE NORD.


En 1865, la Société géographique de Londres voulut prouver qu’elle ne renonçait pas à ses glorieuses traditions. On y agita sérieusement la question de reprendre les travaux fatalement interrompus par la mort du capitaine Franklin, et de suivre les traces de son expédition dans l’Archipel polaire, situé au nord-ouest de la mer de Baffin. Le géographe Peterman, éditeur des Mitheilungen, se prononça contre le choix de cette voie. Son opinion, à laquelle les géographes anglais attribuaient malheureusement un grand poids, suffit pour paralyser les efforts des hommes intelligents qui voulaient tenter un grand effort, et d’intrépides marins qui s’offraient pour s’exposer volontairement à des dangers de tout genre. Les scrupules que le Strabon de Gotha est parvenu à faire naître n’ont point encore disparu, et tous les efforts des sociétés savantes d’Angleterre ne peuvent arracher au gouvernement de M. Gladstone la promesse d’un subside en argent et en navires. Malheureusement pour la science universelle, la Grande-Bretagne est administrée par des hommes économes de ses trésors et qui ne sont prodigues que de sa gloire !

Mais les Américains Hayes et Kane avaient fait de trop belles découvertes au nord-ouest du Groenland pour que les sophismes germaniques aient pu faire perdre de vue cette direction si féconde en triomphes. Aussi, dès le mois de juin 1871, le généreux Grinnel remettait au capitaine Hall le drapeau qui a servi à Hayes, et le Polaris partait de New-York pour la glorieuse croisière dont l’issue préoccupe aujourd’hui tous les amis de la conquête du pôle.

Après avoir réussi à paralyser l’effort des entreprises britanniques, le docteur Peterman se préoccupa du soin d’organiser au profit de sa nation et de sa gloire personnelle une expédition dont il prendrait la direction exclusive. Enflammé par le succès facile qu’il obtint en s’appropriant une idée conçue et pratiquée par l’intrépide baleinier anglais Scoresby, le directeur des Mitheilungen ouvrit une souscription nationale pour atteindre la fameuse Mer libre du pôle, en passant par la mer qui sépare le Spitzberg du Groenland, et en suivant les côtes orientales de ce continent glacé. Il y a quelques années, nous étions presque seul à mettre en doute l’existence d’un océan Arctique que personne n’a vu, mais dont les calculs du baron Plana annonçaient l’existence d’une façon considérée comme infaillible. Depuis lors, les doutes sont venus, et l’existence de la Mer libre du pôle n’a plus autant d’adhérents, même en Allemagne, où la renommée du docteur Peterman entretient le zèle scientifique en sa faveur[1]. Nous nous trompons fort si le résultat des expéditions, actuellement bloquées par les glaces, n’aboutit point à un Sedan scientifique, dont la victime serait un savant allemand.

C’est peut-être la première fois qu’un géographe a conçu l’idée de guider du fond de son cabinet des explorateurs chargés d’une tâche si ardue, si périlleuse. C’est aussi la première fois que des navigateurs ont consenti à suivre servilement les ordres donnés par un savant podagre qui ne quittait point le coin de son feu.

Le résultat de ces efforts burlesques n’a point été de nature à justifier cette manière de procéder, si contraire à toutes les règles de la logique.

Les Allemands ont éprouvé deux échecs successifs, qu’ils ne parviendront point à transformer en victoire, quelle que soit la complaisance de leurs panégyristes de profession, dont malheureusement un certain nombre occupent une place dans le journalisme scientifique français.

Deux expéditions, commandées par le capitaine Kolderney, qui ont quitté successivement le port de Brême, en 1868 et en 1869, ont donné l’une et l’autre la mesure de l’incapacité des marins allemands.

Pour dissimuler l’insuccès de la première tentative, on a prétendu qu’elle n’était qu’une simple reconnaissance destinée à préparer les voies à la vraie expédition. Cette dernière était richement pourvue de provisions de toute espèce et d’instruments de toute sorte. Son personnel scientifique comprenait M. Payer, de l’état-major autrichien, lieutenant, chargé de la géologie, M. Borgen, professeur de physique, M. Copeland, astronome, M. le docteur Paulsch, etc., embarqués à bord de la Germania.

La Hansa, qui partit un peu plus tard, portait un renfort de vivres, de charbon et de savants. Il y avait à bord de ce navire un zoologiste et un botaniste. Mais l’équipage manquait de cette agilité, de cette promptitude de coup d’œil que la nature a si complétement refusé aux Allemands. Le navire ne put même pas atteindre la côte orientale du Groenland. L’équipage de la Hansa, se sauvant avec peine sur un glaçon providentiel, fut très-heureux de gagner un des établissements danois du sud du Groenland. La Germania, privée de son complément de vivres, hiverna très-difficilement à l’île Sabine, ainsi nommée parce qu’il y a un demi-siècle le major général Sabine y exécuta ses magnifiques observations pendulaires.

Pour tromper les ennuis d’un long hiver, les marins de la Germania firent quelques excursions sur la côte voisine, où il ne leur fut pas difficile de découvrir le pic Peterman et le fiord François-Joseph. Au printemps, on reconnut que la Germania était hors de service. Il fallut plier bagage et revenir bredouille dans les ports allemands.

Depuis cette époque (printemps de 1871), on prépare un compte rendu des observations qui ont été faites, et à l’aide desquelles on espère consoler les souscripteurs de leur insuccès.

Mais, pendant que les Allemands se livraient à ce cabotage arctique, une expédition scandinave, dirigée par le célèbre professeur Nordenskiold, s’avançait au milieu des glaces du Groenland et révélait à la science des faits inestimables dont nous entretiendrons avec détails nos lecteurs. Nous chercherons également quelle influence les découvertes réelles du docteur Nordenskiold ont pu exercer sur le grand ouvrage que les Allemands publient en ce moment, et où les traces d’innombrables annexions frauduleuses ne seront certainement pas difficiles à retrouver.

À l’époque où la seconde expédition du docteur Peterman hivernait au Groenland, dans les conditions que nous avons indiquées, M. de Heugelin visitait l’archipel du Spitzberg et complétait des descriptions géographiques que les Suédois n’avaient fait qu’ébaucher en 1868. Quoique M. de Heugelin ne soit que Wurtembergeois, il imagina de mettre en pratique les habitudes de M. de Bismark. Apercevant du haut d’une montagne une île faisant partie du même archipel et déjà découverte par les Suédois en 1864, il imagina de la baptiser à son tour et de lui imposer un nom nouveau en l’honneur de son souverain. M. de Heugelin, ayant fait l’année suivante (1871) une excursion dans la Nouvelle-Zemble, vient de publier deux volumes intitulés : Voyages dans la mer Polaire, où il essaye entre autre chose de justifier son procédé tout à fait germanique. Nous ne saurions protester avec trop d’énergie contre le rapt commis au préjudice de nos alliés scientifiques. Nous nous acquitterons de ce devoir avec d’autant plus de soin que nous avons vu les rédacteurs anonymes du Journal officiel enregistrer presque avec éloge l’histoire de ces tentatives des Allemands.

M. Payer, officier d’état-major autrichien, qui avait pris part à la seconde expédition de Peterman, a contracté une noble ardeur pour les expéditions polaires, en même temps, paraît-il, qu’une vive défiance pour la route signalée par le grand géographe de Gotha. Depuis le retour piteux de la Germania, on a vu cet ardent officier prendre part aux deux expéditions polaires. La première, en 1871, entre le Spitzberg et la Nouvelle-Zemble, pour reconnaître la terre de Gillis, découvertes en 1707, mais qui, depuis lors, n’avait point été une seule fois visitée. La seconde expédition qui, commencée en 1872, dure encore, a pour but d’explorer l’océan Glacial, situé au nord de la Sibérie. Nous ne tarderons point sans aucun doute à avoir des nouvelles de cette partie intéressante de l’océan Boréal. En effet, M. Payer et M. Weyprecht, ont hiverné sur la Nouvelle-Zemble, pour se préparer à une expédition qui aura lieu le printemps prochain. Dans cette première partie du voyage, les explorateurs autrichiens ont trouvé les restes de l’hivernage des marins hollandais qui ont découvert la Nouvelle-Zemble, il y a deux siècles et demi. Les nouvelles apportées à Vienne il y a plusieurs mois par le comte Weltschech, chargé du ravitaillement, sont des plus favorables, et tout fait espérer qu’aucun sinistre ne viendra arrêter ces hardis explorateurs dans leur importantes excursions.

Mais les principales espérances du monde scientifique sont concentrées sur une expédition norvégienne qui a hiverné au Spitzberg, sous le commandement du professeur Nordenskiold, et dont les apologistes de l’empire allemand évitent soigneusement de parler.

N’ayant aucun des préjugés scientifiques qui ont paralysé tant d’efforts, le professeur Nordenskiold ne compte point sur un climat plus doux et sur une chimérique mer libre, mais il se repose sur son admirable expérience des régions polaires et sur l’intrépidité de ses marins.

Nous mettrons sous les yeux de nos lecteurs le résultat des nombreuses explorations scandinaves, qui ne sont inconnues en France que parce qu’on dédaigne des hommes libres, entreprenants, qui ont su conserver intacte leur vivace nationalité. La jalousie des Allemands arrive à les écraser jusque chez nous.

Quand même les destins se montreraient contraires à cette poignée de vrais savants marchant à la conquête d’un gigantesque inconnu, le résultat de leurs premières campagnes suffirait pour les immortaliser. Leurs travaux dans l’histoire des explorations célèbres comme un exemple de ce que peuvent faire des hommes intrépides quand ils sont attachés à une mission difficile, mais pour laquelle ils sont suffisamment préparés.

Mais nous aimons à croire que la Providence, qui a permis que notre héroïque Gustave Lambert fût frappé par des balles allemandes, s’apercevra enfin qu’elle nous doit quelque compensation. Puisse-t-elle favoriser ces nobles nations du Nord chez lesquelles notre pauvre France a toujours rencontré de si généreuses sympathies !

Carte des régions polaires.

Si quelque chose peut, en effet, nous consoler de savoir que le drapeau tricolore ne flottera point sur le pôle du monde, c’est de n’avoir point à craindre d’y voir placer le drapeau allemand, ce sera surtout d’apprendre que Nordenskiold y arborera l’étendard de la nation qui s’enorgueillit des Hansteen, des Berzélius et des Linnœe.

Il y a bien des siècles que les Scandinaves, guidés par Erick le Rouge, ont trouvé la route du Groenland, et devancé de trois ou quatre siècles les caravelles de Christophe Colomb ! Qu’ils continuent à être les pionniers de la vieille Europe, marchant à travers les glaces polaires à la conquête de nouveaux continents !

W. de Fonvielle

  1. L’étude de la planète Mars semble fournir un argument qui serait sans réplique contre les calculs de M. Plana. En effet, l’existence de la Mer libre s’appuie sur des considérations thermiques, basées sur l’obliquité de notre axe de rotation. La planète Mars offre une disposition analogue sans que la calotte de glace qui recouvre le voisinage du pôle se trouve interrompue d’une manière visible. Ce serait probablement le contraire si le climat s’adoucissait dans le voisinage du pôle de notre terre, comme le prétend le géomètre italien.