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Les Femmes (Carmontelle)/Chapitre 26

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Delongchamps (tome IIp. 136-148).


CHAPITRE XXVI.

Facile par système.

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— Je ne connais pas madame de Brieux ; mais je la crois aimable.

— C’est une femme charmante !

— D’ailleurs vous lui devez de la reconnaissance, et vous lui devez…

— De l’amour, oui.

— Je penserais volontiers qu’elle avait quelque intérêt à vous détacher de madame de Sainte-Aure.

— Je le voudrais fort, et je ne pourrais assez reconnaître le service qu’elle m’a rendu.

— Occupez-vous en donc essentiellement ; vous n’auriez pas dû revenir avant elle.

— Elle a quitté sa campagne, et nous sommes tous revenus le même jour, qui était hier.

— Revoyez-la aujourd’hui.

— C’est bien mon dessein.

— J’espère que vous vous trouverez, bien du conseil que je vous donne.

— Je n’aurai pas de peine à le suivre, je vous en réponds.

— Je vous attends d’ici à quelques jours, adieu. »

Quelque temps après, Saint-Alvire vint trouver Dinval, qui lui dit : « Je n’ai pas eu de vos nouvelles depuis long-temps ?

— Il est vrai, et je me le suis reproché.

— Moi je ne vous le reprocherai pas si vous avez été heureux.

— Vous savez que nous étions convenus que je m’attacherais à madame de Brieux : je m’occupai donc très-vivement d’elle ; et pour cela j’allai la voir dès le même jour. Je viens, lui dis-je Madame, vous faire tous mes remercîmens.

— De quoi donc ?

— Vous m’avez tiré d’un pas très-délicat, je le sens ; j’aurais été très-embarrassé vis-à-vis de madame de Sainte-Aure, surtout ne voulant pas me marier.

— Vous aimez donc votre liberté ?

— C’est-à-dire raisonnablement, j’aime à suivre ce que me dicte mon cœur, je recherche même les chaînes que peut donner la beauté ; mais je les crois moins agréables lorsqu’on y joint celles des lois ; elles deviennent, dès qu’on s’y engage, trop pesantes ; elles épouvantent les plaisirs, et souvent les font disparaître pour jamais.

— C’est selon la façon de penser.

— Je trouve qu’on dépend de l’honnêteté de son ame, et que lorsqu’on a formé un engagement tel que le mariage, le moindre écart peut devenir dangereux.

— Bien plus pour les femmes encore que pour les hommes.

— Cela me paraît devoir être égal.

— Vous me féliciteriez donc bien de ne vouloir pas cesser d’être veuve.

— Oui, sans doute, si cet état vous plaît.

— Je n’ai pas eu lieu d’être fort contente de mon sort tout le temps que j’ai été mariée ; cependant j’ai supporté mon état avec résignation ; mais dès que je me suis vue libre, j’ai bien projeté de le demeurer toujours ; je ne veux d’autres liens que ceux du monde que j’aime, et avec lequel je veux vivre.

— Et qui vous recherchera toujours.

— Je ferai au moins tout ce qu’il faudra, pour que cela m’arrive ; j’étudie les sociétés des différens âges, où l’on se plaît le plus, et je vois qu’à Paris c’est la manière dont on se conduit qui fait qu’on peut y réussir toute sa vie.

— On ne penserait jamais qu’à votre âge vous pussiez autant vous occuper de l’avenir.

— Il ne faut pas pour cela un grand travail ; quand on a trouvé des modèles il ne s’agit que de les suivre et d’éviter leurs ridicules.

— Ma foi, Madame, je crois que vous serez vous-même le modèle de toujours plaire.

— Ce que je désire, c’est qu’on puisse me le dire encore long-temps.

— Je défie qu’on cesse jamais de vous aimer.

— Je serais fort aise qu’on eût toujours de l’amitié pour moi.

— Et de l’amour ?

— C’est autre chose, ses plaisirs peuvent être vifs, mais ils ne sont pas de longue durée.

— Ce n’est pas à vous à le croire.

— Quand j’aurais toutes les perfections imaginables, pourrais-je changer le cœur des hommes et leurs principes actuels, leur manière d’être ?

— Vous ne comptez donc pas sur leur constance ?

— Eh ! puis-je seulement compter sur la mienne ?

— C’est-à-dire…

— Qu’il ne faut ni désirer, ni espérer l’impossible ; c’est la seule manière de trouver toujours des fleurs où les autres ne trouveront que des épines.

— C’est plaisanter très-agréablement.

— Je ne plaisante point ; on n’est pas toujours physiquement les mêmes ; comment pourrait-on répondre de l’être moralement ? L’un tient trop à l’autre.

— Voilà ce qu’on appelle parler en philosophe.

— Je n’ai point du tout cette prétention là ; mais je connais un peu mon existence, et cette connaissance m’apprend à juger de celle des autres.

— Je voudrais bien savoir ce que vous pensez de la mienne.

— Je vais vous le dire si vous le voulez.

— Je vous en prie !

— Eh bien ! je pense que vous avez déjà été, bien des fois, la dupe de vos beaux sentimens.

— Vous plaisantez ?

— Non ; j’ai vu que madame de Zebelle ne vous convenait pas, ensuite que vous croyiez convenir à madame de Sainte-Aure, et que sans moi vous vous jetiez dans un dédale affreux dont vous n’auriez jamais pu vous retirer. Le charme du romanesque vous entraînait.

— On ne le trouve pas souvent.

— Est-ce une excuse ou une épigramme ?

— C’est ce que vous ne désapprouverez pas.

— Me voilà désarmée, on ne peut vous résister.

— Ce serait bien le vœu de mon cœur.

— Le vœu de mon cœur ! vous croyez parler encore à madame de Ste.-Aure.

— Non, non, Madame ; c’est bien à vous-même.

— Cela est bien imaginé ! Quand je vous traite en ami, vous me parlez en amant.

— L’un n’empêche pas l’autre.

— Vous croyez qu’on peut être amant et ami ?

— Je sens que je vous aimerai toujours.

— Vous l’avez juré mille fois, convenez-en, à celles que vous avez aimées ; le véritable moyen de s’aimer toujours est d’être véritablement ami.

— Sans être amant ?

— L’un n’empêche pas l’autre. »

Je ne lui répondis qu’en lui baisant la main, et j’allais me jeter à ses genoux ; mais il vint du monde.

— Qui vous contraria fort ?

— Sans contredit ; mais depuis ce moment, rien ne s’est plus opposé à mon bonheur, et c’est dans l’excès de sa confiance que j’ai connu entièrement son ame, que tous ses sentimens développés m’ont fait sentir l’excellence de mon choix ; je l’ai vue au-dessus de toutes les petitesses des femmes, de leur envie et de cette basse jalousie qui les humilie à mes yeux ; enfin j’ai trouvé dans madame de Brieux, la plus délicieuse, la plus sensible et la plus essentielle amie !

— Vous avez cru que votre passion pour elle ne finirait jamais.

— Mais oui.

— Que la sienne pour vous serait de même.

— À dire vrai, son goût pour la liberté ne me rassurait pas trop ; mais je ne voulais pas lever le voile qui couvre l’avenir, et je ne m’occupais que de jouir du présent.

— Eh bien ! ce voile est-il tombé ?

— Malheureusement oui !

— Tout de bon ?

— C’est-à-dire que notre bonheur a fait place à un autre.

— Quoi ! vous ne vous aimez déjà plus ?

— Nous avons toujours l’un pour l’autre la même amitié.

— Mais plus d’amour ?

— Nos cœurs ont changé d’objet.

— Tous les deux en même temps ?

— Nous nous sommes aperçus que nous allions être bientôt infidèles. Je me doutais de ce qui se passait dans le cœur de madame de Brieux, et elle était déjà sûre qu’une autre qu’elle commençait à m’occuper. Constante dans ses principes, elle m’avoua que nous feindrions plus long-temps inutilement. Je ne pus le nier absolument, et elle me dit : Croyez que l’amitié ne séparera jamais nos cœurs si nous voulons être vrais, et il serait indigne de vous et de moi de dissimuler et de penser à vouloir nous tromper. Convenez de bonne foi que madame de Cressor vous plaît infiniment.

— Je ne le nierai pas, si son frère le chevalier vous a touchée autant que j’ai pu l’imaginer.

— Madame de Cressor est une femme précisément dans votre goût et dans vos principes.

— Le chevalier est vif, léger et de la plus grande gaieté.

— Voilà comme je l’avais toujours jugé, et je suis fort aise que vous m’approuviez.

— Vous voyez que je suis bien loin d’en être jaloux.

— Et voilà ce que produit la véritable amitié ; c’est une estime réciproque.

— Et qui peut la rendre à jamais durable.

— Et secourable.

— Je compte bien avoir recours à vous quand j’aurai besoin de vos conseils.

— C’est ce que j’espère. Je n’aurai jamais de secrets pour vous, et cette union des âmes qui ne varie jamais fera le charme de notre vie.

— Et voilà donc, dit Dinval, comment vous vous êtes quittés.

— Avec la promesse de nous voir chaque jour.

— Sans difficulté, et je trouve ce parti très-raisonnable ; je ne serais pas même surpris que vous ne vous reprissiez quelquefois par amitié.

— C’est ce que je ne saurais prévoir dans ce moment ; je sens plus que jamais tout ce que j’ai perdu avec madame de Ricion ; nulle femme ne me fera jamais retrouver ce bonheur si pur que je goûtais avec elle, et qui aurait toujours suffi à mon cœur !

— Vous le croyez ?

— Et tout me le prouve ! »