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Les Peaux-Rouges de Paris (Aimard)/II/XXI

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XXI

COMMENT NAVAJA SOUPA AVEC SEBASTIAN QU’IL AVAIT TUÉ, ET LUI SAUVA LA VIE.


Les aventuriers avaient assisté de loin à la scène dramatique qui avait eu lieu entre leur chef, les coureurs des bois et les Sachems comanches.

Bien qu’ils n’eussent pas osé se rapprocher assez pour entendre l’entretien du Mayor avec ses visiteurs, l’obstination de ceux-ci de ne pas mettre pied à terre, d’une part, de l’autre, la contenance froide et presque hostile des chasseurs restés massés et le fusil sur la cuisse à l’entrée du camp, avaient fort intrigué et inquiété les bandits.

À défaut de la parole, les gestes des interlocuteurs, gestes énergiques et faciles à traduire pour des hommes rompus aux coutumes et aux habitudes des errants du désert, avaient suffi pour leur faire deviner presque entièrement les péripéties de cette scène et toute sa gravité.

Une certaine inquiétude régnait donc dans le camp.

Les aventuriers se communiquaient avec force commentaires leurs impressions les uns aux autres.

Ces commentaires, nullement favorables au Mayor, augmentaient encore l’inquiétude générale.

Quelques-uns parlaient déjà d’abandonner le Mayor, et de se retirer au plus vite sur le Haut-Missouri, et même dans l’Oregon, pour échapper à la vengeance des coureurs des bois et des Peaux-Rouges, leurs alliés, toujours mal disposés pour eux, et dont ils redoutaient extraordinairement l’indomptable courage et l’adresse fatale avec laquelle ils se servaient de leurs armes.

Dans l’état où se trouvaient les esprits, une désorganisation, et mémé une débandade complète de la troupe étaient à redouter, si le Mayor laissait se propager les ferments de révolte qui commençaient à exalter toutes les têtes.

Mais le terrible Vautour-Fauve des savanes, ainsi que le nommaient très justement les Peaux-Rouges, dans leur langage si pittoresquement imagé, avait une trop grande expérience, et savait trop bien à quels hommes il avait affaire pour ne pas couper brusquement le mal dans sa racine.

Sa contenance ferme et rassurée, son visage placide et presque joyeux commencèrent à donner le change aux aventuriers.

Ils crurent s’être trompés et avoir mal compris cette scène, à laquelle, d’ailleurs, ils n’avaient assisté que de fort loin.

Les plus décidés hésitèrent ; l’émotion première se calma peu à peu pour faire place à la réflexion.

Quelques émissaires adroits, lancés à propos par le Mayor parmi les aventuriers, achevèrent la victoire, en déclarant que les coureurs des bois étaient venus solliciter leur chef de se joindre à eux pour les aider dans une guerre qu’ils avaient à soutenir contre les Sioux et les Apaches, les amis et souvent les alliés des aventuriers dans leurs expéditions ; le Mayor avait refusé nettement de contracter aucune alliance en ce moment avec les chasseurs et les Comanches, parce qu’il était engagé lui-même dans une expédition très sérieuse que depuis longtemps il préparait.

Le refus du Mayor avait d’abord indisposé les envoyés chargés de négocier avec lui ; mais l’assurance positive donnée par leur chef de rester neutre dans ce conflit, quels que fussent les résultats de la guerre, avait entièrement calmé l’irritation des envoyés ; alors ceux-ci, comme tout le monde avait été à même de le voir, avaient quitté le camp de la façon la plus cordiale, et accompagnés courtoisement jusqu’aux retranchements par le Mayor, ce que celui-ci se serait bien gardé de faire, si la plus légère animosité avait existé entre lui et ses visiteurs.

Les émissaires du Mayor ajoutaient que, sous aucun prétexte, le Mayor n’aurait consenti, si avantageux que fussent les avantages qu’on lui promettait, à se laisser détourner d’une expédition qu’il avait depuis si longtemps préparée avec un soin jaloux, et dont le succès devait enrichir tous ses partisans.

Cette dernière considération, la seule puissante sur des hommes comme les aventuriers, en faisant chatoyer l’or à leurs regards avides, acheva de détruire l’impression mauvaise causée par la visite imprévue et mystérieuse des chasseurs et des Comanches.

De plus, et pour donner un autre cours aux idées des aventuriers, le Mayor fit annoncer, à l’heure du dîner, que l’on se préparât à se mettre en marche, le camp devant être abandonné une heure après le coucher du soleil, afin de rapprocher la cuadrilla du point de la frontière où la surprise devait être exécutée.

Ces diverses mesures avaient été adoptées par le Mayor dans un conseil secret tenu entre lui, Navaja et Felitz Oyandi, et dont il importe que nous fassions connaître les incidents les plus importants.

Rentré dans le jacal, nous ne dirons pas avec ses deux amis — le Mayor n’avait pas d’amis, mais seulement des complices — n’ayant plus à se contraindre, il avait laissé tomber son masque ; pendant près d’une heure, il resta plongé dans un silence farouche ; vainement Navaja et Felitz Oyandi essayèrent de le lui faire rompre par des raisonnements plus ou moins bien adaptés aux circonstances dans lesquels ils se trouvaient tous placés.

Cependant, soit que ces raisonnements eussent enfin produit un certain effet sur lui, soit — ce qui est plus probable — que remis de ce rude assaut, son esprit eût repris son élasticité habituelle, le Mayor retrouva un calme relatif, et il consentit à aviser aux moyens de parer aux effets du coup qui lui avait été si rudement porté.

Lorsque les premières mesures indispensables furent prises pour calmer l’effervescence de mauvais augure qui régnait dans le camp, le Mayor demanda nettement à ses deux conseillers quelle conduite il était à leur avis convenable de tenir dans des circonstances aussi difficiles.

— J’espère, répondit Navaja en souriant, que vous n’avez pas l’intention de vous rendre à l’assignation plus que hautaine du juge Lynch ?

— Pas plus que je n’obéirai aux autres insolentes injonctions que ces drôles ont eu l’audace de m’intimer. Bien leur en a pris de se faire soutenir par des forces nombreuses et que j’aie flairé le piège ; sans cela, ils ne seraient pas sortis vivants de mon camp. Mais laissons ces niaiseries et passons à des choses plus sérieuses. Toi, Calaveras, que penses-tu de tout cela ?

— Je pense que nous sommes dans un guêpier, dont nous aurons fort à faire pour nous tirer sans y laisser pied ou aile, répondit cauteleusement Felitz Oyandi.

— Que supposes-tu donc ?

— Moi ! Je ne suppose pas, je suis certain.

— De quoi es-tu certain ? Voyons, explique-toi clairement une fois en ta vie si cela t’est possible.

— Ah ! voilà ! c’est que ni toi ni Navaja vous n’ajouterez foi à ce que je dirai, car cette certitude que je possède n’est, pour ainsi dire, dans mon esprit que par intuition, et qu’il me serait impossible de donner la moindre preuve à l’appui de ce que j’avancerai,

— Va toujours, quand tu te seras expliqué, nous verrons quelle croyance nous devons accorder à tes suppositions, car cela ne peut être autre chose ?

— C’est vrai ; mais ces suppositions sont pour moi la vérité : les coureurs des bois et les Comanches qui se sont présentés ce matin au camp ont fait alliance avec don Cristoval de Cardenas et le Cœur-Sombre. Ils ne sont venus ici que pour te chercher une querelle d’allemand, et avoir le droit de t’attaquer plus tard, par exemple, lorsque tu tenteras ta surprise contre l’hacienda, et te mettre ainsi entre deux feux.

— C’est bizarre ! dit Navaja, la même pensée m’était venue à moi aussi.

— Ah ! fit le Mayor.

— Oui, cette réunion si nombreuse de coureurs des bois sur un même point m’a semblé extraordinaire, eux qui presque toujours agissent isolément.

— Excepté à l’époque des grandes chasses d’automne, et, si je ne me trompe, nous sommes précisément à cette époque de l’année, dit le Mayor avec un sourire ironique ; d’ailleurs, ils ont eu soin de le constater eux-mêmes.

— C’est précisément cette constatation qui a éveillé mes soupçons, dit Navaja ; ils semblaient, en parlant ainsi, aller au-devant d’une objection probable.

— Et les Comanches, ajouta Felitz Oyandi ; que penses-tu de leur visite ?

— Ceci est encore plus facile à expliquer. Les Comanches sont sur leurs territoires de chasse, et de plus, ils ont de sérieux motifs de plaintes contre moi.

— Soit ; mais ne trouves-tu pas tout au moins cette coïncidence singulière ?

— Non, elle me semble au contraire toute naturelle.

— Ainsi, tu ne crois pas à une alliance entre les chasseurs, les Peaux-Rouges et don Cristoval de Cardenas ?

— Non. J’ajouterai même que je la crois impossible. À la rigueur, peut-être, les Comanches, dont le respect pour l’haciendero est très grand — car ils le considèrent comme étant un de leurs grands sagamores — pourraient s’allier avec lui à tout autre moment que celui où nous sommes.

— Pourquoi pas à présent ? demanda Felitz Oyandi.

— Parce que c’est l’époque des grandes chasses d’automne, je te le répète, et que le succès ou le non succès de ces chasses est pour les Peaux-Rouges une question de vie et de mort, puisque c’est alors qu’ils font leurs approvisionnements pour l’hiver, et se procurent la nourriture pour les femmes, les enfants et les vieillards qui les attendent dans leur atepelt d’hiver : s’ils manquent ces chasses, c’est pour eux la famine, c’est-à-dire la mort, puisqu’ils ne cultivent pas la terre, et que les quelques céréales qu’ils mangent conjointement avec le gibier, ils les échangent dans les comptoirs contre les fourrures des animaux qu’ils ont tués.

— Ces raisons sont tout au moins spécieuses. Il me serait très facile de les réfuter d’un seul mot : Don Cristoval pourrait, s’il le voulait très bien, indemniser les Peaux-Rouges de cette perte des grandes chasses en leur fournissant tous les vivres dont ils auraient besoin, et probablement il s’y est engagé en traitant avec eux.

— Tout cela n’a pas le sens commun.

— Ainsi, tu persistes dans ton erreur ?

— Non, c’est toi qui persistes dans la tienne.

— Soit, qui vivra verra. Je n’ajouterai qu’un mot : Sais-tu le latin ?

— Je l’ai su autrefois. Pourquoi diable me fais-tu cette question ?

— Parce que les Romains avaient un excellent proverbe, que je te recommande de ne pas oublier.

— Quel proverbe ? Ils en avaient beaucoup.

— Celui-ci entre autres : Quos vult perdere Jupiter dementat ; crois-moi, fais-en ton profit.

— Tu ne sais ce que tu dis ; je n’admettrai jamais une telle association panachée de blancs, de sang-mêlés et de rouges.

— À ton aise, compagnon ; l’avenir nous apprendra qui de nous a tort ou raison.

— Ainsi, tu as l’intention de renoncer à notre expédition contre la Florida ? dit le Mayor.

— Nullement, j’y tiens au contraire plus que jamais.

— Alors, comment arranges-tu cela ? Si tu dis vrai, en tentant notre expédition, d’après ce que tu as dit, nous serons pris entre deux feux, et inévitablement écrasés ; n’est-ce pas cela ?

— Oui, ce sont bien mes paroles, et je les crois justes ; mais où la force manque, il reste la ruse.

— Ah ! je te reconnais bien là, toujours tes allures serpentines.

— Ne médis pas des serpents, ils sont prudents et rusés ; l’adresse vaut toujours mieux, crois-moi, que la force.

— Je ne sais trop ; mais voyons, que ferais-tu à ma place ?

— Oh ! je ne suis pas un chef habile comme tu l’es, toi ; mais cependant je crois que je réussirais à me tirer d’affaire sans abandonner un seul de mes projets.

— Sois tranquille ; je t’ai donné ma parole, et je la tiendrai coûte que coûte.

— À la bonne heure. Je feindrais d’obéir aux injonctions des chasseurs ; je lèverais mon camp cette nuit ; je rétrograderais en apparence, et quand j’aurais dépisté mes ennemis par un long détour, je marcherais sur l’hacienda, que j’attaquerais à l’improviste au moment même où on me croirait le plus éloigné.

— Eh bien ! réjouis-toi, cher ami. Sauf quelques modifications que je me réserve d’y apporter, je trouve ton plan excellent, et je le suivrai. Seulement, ajouta-t-il avec un sourire sardonique, je m’arrangerai de façon à n’arriver à l’hacienda que le jour du mariage. Je tiens à danser à la noce de ton ancienne fiancée.

— Bravo ! voilà qui est parler ! s’écria Felitz Oyandi avec joie. Malgré tout, nous réussirons.

— Quant à moi, j’en suis sûr, fit le Mayor en riant. Mais il faut agir avec la plus grande prudence. Navaja, je compte sur vous.

— Parlez.

— J’ai besoin d’un homme brave et intelligent, comme vous l’êtes, pour battre l’estrade et surveiller nos visiteurs de ce matin.

— Diable ! fit Navaja en fronçant le sourcil, la mission n’est pas des plus commodes…

— Ni des plus faciles, interrompit le Mayor. C’est précisément à cause de cela que je vous choisis de préférence à tout autre.

— Je vous remercie, répondit Navaja du bout des dents.

— Hum ! fit le Mayor, vous ne semblez pas enchanté de cette mission ?

— Je l’avoue ; je me souviens de ce que vous ont dit les Peaux-Rouges avant de quitter le camp.

— Refusez-vous ?

— Je ne puis refuser, Mayor, mon devoir étant de vous obéir ; seulement, je vous avoue que j’aurais préféré que votre choix tombât sur tout autre que sur moi.

— Mon ami, je n’ai confiance en personne comme en vous : en vous préférant, je vous donne une grande marque d’estime.

— J’en suis convaincu, j’accepte donc, puisqu’il le faut ; seulement, je vous demande de me laisser agir à ma guise, et surtout de prendre tel déguisement que je croirai convenable afin de me sauvegarder autant que possible.

— Oh ! quant à cela, je vous donne liberté de manœuvre : agissez à votre guise, je ne vous demande qu’une chose, c’est de me rapporter des renseignements positifs.

— Vous pouvez y compter, Mayor. Où vous retrouverai-je pour vous donner ces renseignements ?

— Cela dépendra du temps que vous resterez dehors : dans trois jours je serai au brûlis de l’Élan ; dans six jours, au gué de la rivière Perdue, où je resterai jusqu’à samedi soir. Il est très important que vous soyez de retour au moins vendredi, car si vos nouvelles sont graves, j’aurai probablement certaines mesures supplémentaires à prendre.

— Vous pouvez compter sur mon retour jeudi ou vendredi au plus tard, à moins cependant que je ne sois mort, ce qui pourrait bien arriver ; les Peaux-Rouges sont très habiles à suivre une piste.

— Bah ! il n’y a que les maladroits qui se font tuer, dit le Mayor en riant ; vous nous reviendrez sain et sauf.

— J’en accepte l’augure, répondit gaiement Navaja ; mais encore faut-il tout prévoir ; j’ai aussi une enquête sérieuse à faire.

— Quelle enquête ? demanda le Mayor avec surprise.

— N’êtes-vous donc pas curieux de savoir pourquoi et par qui le cadavre de Sebastian a été enlevé ? Quant à moi, je vous avoue que je suis très désireux de découvrir ce mystère.

— Au fait, vous m’y faites songer ; cette disparition m’intrigue fort. Il est évident que l’homme qui a risqué cet audacieux enlèvement jouait sa vie sur un coup de dé ; il avait donc un but.

— Voilà précisément ce que je veux découvrir ; si je ne parviens pas à deviner le mot de cette énigme, je vous jure que ce ne sera pas de ma faute.

— Oui, vous avez raison ; il faut que nous ayons le dernier mot de cette mystérieuse affaire.

— Nous l’aurons, je vous le jure !

L’entretien se prolongea pendant quelques instants encore, mais sans offrir rien de particulièrement intéressant.

Puis, comme la journée s’avançait, les trois hommes levèrent enfin la séance et se séparèrent.

Ainsi qu’il s’y était engagé, Navaja, après un dernier entretien avec le Mayor, quitta le camp des aventuriers pour commencer son métier de batteur d’estrade.

Navaja était radieux.

Il avait joué son rôle avec une perfection rare et avait réussi à se faire imposer cette mission que secrètement il désirait si vivement obtenir.

Il lui fallait un prétexte plausible pour sortir du camp et aller avertir le Cœur-Sombre des mesures définitives prises par le Mayor.

Ce prétexte, qu’il cherchait vainement, le Mayor le lui avait lui-même fourni.

Tout était donc pour le mieux.

L’aventurier, pour se mettre autant que possible à l’abri de toute attaque des Peaux-Rouges, qui, ainsi qu’ils l’avaient annoncé clairement, devaient être embusqués aux environs du camp, décidés à faire un mauvais parti aux aventuriers qui tomberaient entre leurs mains, avait endossé un costume complet de coureur des bois ; son cheval lui-même avait été harnaché à la manière indienne, afin de mieux donner le change aux rôdeurs qui le dépisteraient.

L’aventurier avait garni sa ceinture d’un véritable arsenal : quatre revolvers à six coups, un long poignard, un couteau à la botte, un machete au flanc, un rifle et une courte carabine de fabrique anglaise à double canon d’une incomparable justesse.

Ainsi armé, l’aventurier ne redoutait pas l’attaque même de cinq ou six hommes.

Il avait de quoi leur répondre.

La nuit était noire et sans lune ; le ciel était couvert de nuages lourds et chargés d’électricité.

Pas une étoile ne montrait le bout de son nez, selon l’expression d’un vieux poète ; le vent soufflait par rafales, l’obscurité était profonde ; tout présageait un orage prochain.

Après sa sortie du camp, Navaja, dès qu’il avait été assez éloigné pour ne plus craindre d’être aperçu par les sentinelles, avait brusquement changé de direction.

Au lieu de suivre la rive droite du Rio-Gila, il avait traversé la rivière à gué, et obliquant légèrement sur la gauche, il avait tourné la tête de son cheval du côté des frontières mexicaines.

Malgré l’obscurité, il marchait rapidement ; son cheval était un mustang des prairies, excellente bête dont le pied était sûr et dans lequel il avait, avec raison, une entière confiance.

Il marchait ainsi déjà depuis plusieurs heures.

L’orage se rapprochait et ne tarderait pas à éclater.

L’aventurier ne se souciant que médiocrement de rester exposé dans la savane à la fureur des éléments, dont il connaissait par expérience la force irrésistible de destruction, essayait de percer les ténèbres presque opaques dont il était enveloppé.

Mais c’était en vain que son regard sondait l’obscurité, il lui était impossible de rien apercevoir qui pût lui présager un abri prochain.

Notre voyageur se dépitait et maugréait contre le sort qui semblait s’acharner après lui.

Navaja ne savait plus comment sortir de l’embarras dans lequel il se trouvait, la situation devenait a chaque instant plus critique pour lui, la pluie commençait à tomber en gouttes larges comme des piastres, des éclairs verdâtres l’aveuglaient, et les roulements du tonnerre grondaient avec une force de plus en plus grande.

L’aventurier s’avisa d’employer le moyen suprême de tous les voyageurs égarés, c’est-à-dire de se confier à l’intelligence de son cheval, et au lieu de le diriger, de se laisser diriger par lui.

Il lui mit donc la bride sur le cou, en lui disant, comme si l’animal eût pu le comprendre :

— Ma foi, Negro mon ami, arrange-toi comme tu pourras ; moi j’y renonce, cherche toi-même ta route, ma bonne bête.

Le cheval qui, depuis plus d’une heure, ne marchait qu’avec une difficulté extrême et commençait même à buter assez souvent, sembla comprendre l’appel pressant de son maître.

Il releva fièrement la tête, s’ébroua, poussa un hennissement joyeux, et faisant un brusque crochet sur la droite, il partit au galop de chasse sans apparence de fatigue.

— Il paraît que Negro m’a compris et qu’il a autant de hâte que moi de trouver un abri ! murmura joyeusement l’aventurier ; laissons-le faire, nous verrons où il nous conduira.

Pendant cet aparté, le cheval continuait à détaler gaiement en s’émouchant les flancs de sa longue queue.

Cette course durait depuis environ une demi-heure, l’orage se déclarait définitivement, lorsque l’aventurier, dont le regard interrogeait anxieusement l’horizon, aperçut une lueur presque imperceptible encore, et brillant dans la nuit comme une étoile.

— Le diable m’emporte si ce n’est pas un feu ! murmura Navaja ; il y a un campement près d’ici… hum ! pourvu que Negro ne m’ait pas fourré dans quelque guêpier.

Il regarda plus attentivement.

— Définitivement c’est un feu, reprit-il ; cette fois il n’y a pas à s’y tromper, c’est singulier ; parfois ce feu disparaît pour reparaître un instant après. Qu’est-ce que cela signifie ? Bah ! nous verrons bien ! Que risquai-je ? Je suis armé, si l’on m’attaque, je me défendrai ; mais pourquoi diable cette lueur s’éclipse-t-elle ainsi ?

Depuis quelques minutes le cheval avait quitté la savane et s’était engagé sous le couvert d’une forêt vierge.

Il n’avait pas ralenti son pas et continuait à galoper avec la même ardeur.

Tout à coup une voix rude se fit entendre criant d’un ton de menace :

— Qui vive !

— Ami ! répondit aussitôt l’aventurier en arrêtant son cheval.

— Quel ami ? reprit la voix.

— Coureur des bois en quête d’un abri contre l’orage.

— Êtes-vous seul ?

— Tout seul avec mon cheval, répondit Navaja.

— Alors, avancez sans crainte et soyez le bien venu.

L’aventurier ne se fit pas répéter deux fois l’invitation.

Il avança résolument.

Deux ou trois minutes plus tard, le cheval s’arrêta.

Tout fut alors expliqué à l’aventurier ; le feu vers lequel son cheval l’avait guidé était allumé non pas dans une hutte, mais bien dans l’intérieur creux d’un énorme mahogany géant, dont l’écorce seule demeurait encore intacte.

Ce creux fait par les ans dans l’intérieur de l’arbre formait une cavité assez grande pour contenir au moins quinze personnes.

Un seul homme l’habitait en ce moment.

Sur l’invitation du propriétaire de cette singulière demeure, l’aventurier mit pied à terre, fit entrer son cheval dans la cavité, puis il le dessella, le bouchonna avec soin, et lui donna la provende ; ce devoir accompli, il prit ses alforjas gonflés de provisions et alla s’installer auprès du feu, en face de son hôte qui, après les quelques mots échangés avec l’aventurier, avait été se rasseoir devant le feu, et avait semblé ne plus s’intéresser à l’homme avec lequel il partageait sa demeure.

Navaja, trop préoccupé pour faire attention à son hôte, et qui l’avait jusque-là à peine regardé, se mit à l’examiner curieusement.

Puis, tout à coup, il fit un mouvement de surprise presque aussitôt réprimé, mais non pas assez rapidement pour ne pas être aperçu par l’inconnu.

— Vous m’avez reconnu, n’est-ce pas ? dit celui-ci avec un sourire triste ; moi aussi, malgré votre déguisement, je vous ai reconnu : vous êtes Navaja.

— Oui ; et vous, vous êtes Sebastian, n’est-ce pas ?

— Je suis Sebastian, en effet.

— Cette rencontre est étrange, murmura l’aventurier ; vous n’êtes donc pas mort ?

— Pas encore ; mais, sans doute, cela ne tardera pas, répondit l’ancien matelot avec un soupir. Si vous êtes à ma recherche, faites de moi ce que vous voudrez, je ne me défendrai pas, je n’en aurais point la force.

— Je ne suis pas chargé de vous arrêter, vous n’avez rien à redouter de moi ; d’ailleurs, tout le monde vous croit mort.

— Le Mayor aussi ?

— Oui ; c’est moi qui lui ai annoncé votre mort.

Un éclair de joie passa dans le regard de l’ancien matelot.

Le pauvre diable n’était plus que le spectre de lui-même : il était horriblement maigre, ses yeux étaient caves, ses traits tirés, son visage d’une pâleur d’ivoire ; son bras gauche était enveloppé de linges ensanglantés ; il semblait ne se soutenir qu’avec peine et n’avoir plus qu’un souffle de vie.

— Nous avons la nuit tout entière pour causer, reprit Navaja, soupons d’abord, je vous avoue que j’ai grand appétit. Vous devez avoir soupé depuis longtemps déjà ; mais, si l’on ne peut toujours manger, on peut toujours boire, et j’espère que vous me tiendrez joyeuse compagnie.

— Depuis trois jours, répondit l’ancien matelot d’une voix sourde, je n’ai mangé que quelques fruits sauvages ; je meurs littéralement de faim.

— Cordieu ! pourquoi ne le disiez-vous pas tout de suite ? s’écria l’aventurier, ému malgré lui d’une si grande détresse.

— J’ignorais quand je vous ai reconnu dans quelles intentions vous veniez.

— Je n’en avais pas d’autres que de me garantir de l’orage. Vous avez eu tort de vous défier de moi ; je ne veux en aucune façon vous faire du mal. Tout est prêt ; mangez et buvez sans crainte, et surtout sans arrière-pensée, vous êtes avec un ami.

— Je le vois maintenant. Merci, j’accepte.

Le repas commença aussitôt et sans plus de préambules.

Il fut homérique.

Nous ne le décrirons pas.

Il suffit de constater que ce que mangèrent et burent les deux hommes fut véritablement prodigieux.

Cependant, malgré sa longue abstinence, ce ne fut pas Sebastian qui fit le plus honneur à ce festin de Gargantua.

Après avoir bu un dernier coup d’eau-de-vie de France, les deux hommes allumèrent leurs pipes ; et Navaja, après s’être commodément installé, pria son compagnon et ancien ami de lui raconter ce qui lui était arrivé depuis qu’ils s’étaient séparés, demande à laquelle Sebastian acquiesça de la façon la plus charmante.

Au dehors, l’ouragan déchaîné faisait rage.

Sebastian se leva, remit du bois au feu, puis il reprit sa place, et entama son récit, que Navaja écouta avec la plus sérieuse attention, mais dont nous passerons la première partie sous silence, car nous l’avons déjà précédemment racontée au lecteur.

Lorsque Sebastian arriva à la scène de la clairière et aux assises du juge Lynch, Navaja l’interrompit brusquement en lui disant :

— Passez tout cela, compagnon, et venez tout de suite à la façon dont vous avez réussi à échapper à la mort.

— Pourquoi donc ? demanda Sebastian avec étonnement, ce passage est peut-être le plus intéressant de tout ce j’ai à vous raconter.

— Je ne dis pas non, mais je le connais certainement aussi bien que vous ; j’ai assisté à toute l’affaire.

— Comment cela ? Je ne vous ai pas vu ?

— J’étais là cependant, et, à ce sujet, compagnon, j’ai un aveu à vous faire.

— Un aveu à moi ? Je ne vous comprends pas.

— Cela ne m’étonne pas, mais bientôt vous comprendrez. Voici la chose en deux mots. J’étais caché ou plutôt embusqué au sommet d’un arbre, et j’ai assisté invisible à tout ce qui s’est passé ; j’ajouterai que le coup de feu que vous avez reçu a été tiré par moi.

— C’est vous qui avez tiré ?

— Parfaitement.

— Et d’après l’ordre du Mayor, sans doute ?

— Peut-être ! répondit Navaja avec un sourire équivoque, qui sous-entendait bien des choses.

— J’en étais sûr, dit Sebastian avec ressentiment ; mais tout n’est pas fini entre le Mayor et moi, ajouta-t-il d’un ton de menace, nous nous reverrons ! Quant à vous, compagnon, je ne vous garderai pas rancune de ce que vous avez fait, et je vous pardonne franchement d’avoir essayé de me tuer pour servir la vengeance d’un autre.

— Vous vous trompez, mon camarade, dit Navaja, je n’ai pas le moins du monde essayé de vous tuer ; j’ai au contraire voulu vous donner une chance d’évasion ; il est vrai cependant que j’ai annoncé votre mort au Mayor, et qu’il a reçu cette nouvelle avec joie, je dois en convenir.

— Oui, je comprends ; il se félicitait d’être débarrassé de moi ; mais, patience !

— Voyons maintenant la suite de vos aventures ?

— À votre coup de feu, tous les chasseurs s’étaient lancés a votre poursuite. Moi, bien que la balle n’eût traversé que les chairs de mon bras gauche, je tombai comme si vous m’aviez tué… Mais, me trouvant seul dans la clairière, abandonné accidentellement par les chasseurs, je me relevai vivement, et m’emparant d’un couteau qui se trouvait par hasard près de moi, je m’élançai dans les fourrés et je me mis à courir avec la rapidité d’un daim poursuivi par les chasseurs. Combien de temps dura cette course affolée ? Je ne saurais vous le dire. Je tombai épuisé au milieu d’un buisson. Je pensai tant bien que mal mon bras, qui me faisait beaucoup souffrir, et presque aussitôt mes yeux se fermèrent ; et, malgré tous mes efforts pour rester éveillé, je m’endormis d’un sommeil presque léthargique. Quand je m’éveillai, le soleil était presque au niveau de l’horizon ; je me remis en route, cueillant çà et là des fruits sauvages pour tromper la faim et la soif qui me dévoraient ; le hasard me fit trouver cet arbre creux dont je fis ma demeure. On n’avait pas songé à m’enlever mon tabac, ma pipe et mon briquet. Ce fut ce qui me sauva, en me permettant d’allumer du feu. Mais, manquant des armes nécessaires pour chasser, j’en fus réduit à ne me nourrir que de quelques fruits insuffisants pour calmer ma faim ; le découragement s’empara de moi, et dans quelques heures peut-être je serais mort, si vous n’étiez pas si heureusement venu à mon secours.

— J’en suis charmé pour vous et pour moi, mon camarade ; je compléterai ma bonne action en vous fournissant les armes nécessaires à votre défense.

— Vous feriez cela ?

— Tout de suite si vous voulez ; voici un rifle, un machete, deux revolvers à six coups, de la poudre et des balles ; êtes-vous satisfait ?

— Oh ! satisfait, oui, s’écria-t-il ; et plus reconnaissant que je ne puis vous dire ; mais, vous ?

— Ne vous inquiétez pas de moi, je suis armé jusqu’aux dents ; je ne sais pourquoi en quittant le camp la pensée m’est venue de prendre toutes mes armes en double ; c’était un pressentiment, ajouta-t-il en riant.

— Merci mille fois ; vous me rendez la vie ; si quelque jour vous avez besoin de moi, vous ne me trouverez pas ingrat.

— Je l’espère, mais, dites-moi, que comptez-vous faire maintenant ? retournerez-vous près du Mayor ?

— Pour rien au monde ! s’écria-t-il avec un geste de dénégation.

— Mais alors où irez-vous ?

— En France !

— En France ? Mais comment irez-vous ? En supposant que vous réussissiez à quitter l’Amérique, comment vivrez-vous là-bas ? La vie est chère, et quand les ressources manquent…

— C’est vrai, mais à moi elles ne manqueront pas ; j’ai dans une cache, que seul je connais, des économies suffisantes pour me faire vivre à mon aise en France, quand même ma vie se prolongerait cent ans encore, ce qui n’est pas probable.

— Alors, puisqu’il en est ainsi, croyez-moi, partez au plus vite, car avant peu la terre brûlera sous vos pieds en Amérique.

— Je vous comprends ; je suivrai votre conseil, avant un mois j’aurai quitté le Mexique.

Le lendemain, au lever du soleil, les deux hommes quittèrent le creux de l’arbre.

Ils marchèrent côte à côte jusqu’à la sortie de la forêt. Puis, après avoir échangé de chaleureux souhaits pour l’avenir, ils prirent congé l’un de l’autre et se séparèrent en se serrant une dernière fois la main.

— Pardieu ! voilà qui est bizarre, dit Navaja dès qu’il fut seul ; voilà un gaillard, dont peut-être j’aurais fait le bonheur en lui tirant un coup de fusil !

Navaja, bien entendu, ne s’occupait nullement de la mission que lui avait confiée le Mayor.

Il avait des affaires plus importantes à terminer.

Il s’agissait de donner au plus vite au Cœur-Sombre les renseignements positifs qu’il lui avait promis.

Il se dirigea donc immédiatement vers l’endroit où il était convenu, dans sa dernière entrevue avec le chasseur, de déposer ses renseignements.

Le temps était magnifique : l’orage de la nuit avait rafraîchi la terre et lavé les feuilles des arbres, qui avaient repris leur teinte verte.

Vers onze heures du matin, Navaja atteignit le lieu du rendez-vous.

Son premier soin fut d’arborer le signal à l’un des arbres.

Cela fait, il donna la provende à son cheval, puis il s’assit, ouvrit ses alforjas, étala ses provisions devant lui et déjeuna de bon appétit.

Sa faim calmée, il bourra sa pipe, qu’il fuma consciencieusement.

Puis, comme la chaleur était pesante, il se coucha sur l’herbe et s’endormit.

Il était un peu plus de trois heures lorsque l’aventurier fut éveillé en sursaut par un hennissement de son cheval.

— Bon ! murmura-t-il en ouvrant les yeux et bondissant sur ses pieds, il y a du nouveau, à ce qu’il paraît, voyons un peu cela.

Il s’embusqua derrière un arbre et inspecta attentivement la plaine.

Un cavalier accourait à toute bride.

Ce cavalier était Julian d’Hérigoyen.

— C’est mon homme ! dit l’aventurier, tant mieux. Pour si bon que soit un intermédiaire, il est toujours détestable ; on ne fait jamais bien ses affaires que soi-même.

Dix minutes plus tard, Julian arriva ; il sauta à terre, salua l’aventurier, et lui dit aussitôt :

— Eh bien ?

— Je vous apporte plus que vous ne m’avez demandé ; vous serez content de moi.

— Je sais que je puis compter sur vous, monsieur.

— Je vous remercie ; votre confiance ne sera pas trompée ; voici ce qui s’est passé depuis notre dernière entrevue.

Les deux hommes prirent alors place à côté l’un de l’autre sur le rocher, et Navaja commença aussitôt son recit.

Sauf ce qui regardait Sebastian, Navaja raconta dan les plus grands détails tout ce qui s’était passé dans le camp du Mayor depuis leur dernier entretien.

Julian écouta ce récit avec la plus grande attention et sans interrompre une seule fois l’aventurier.

Ce ne fut seulement que lorsque celui-ci eût terminé, que Julian prit la parole.

— Je savais déjà par la Main-Ferme, dit-il, une partie des événements que vous m’avez racontés. Cet homme est perdu ; rien ne pourra le sauver. Je vous remercie sincèrement des renseignements précieux que vous me donnez ; j’en ferai mon profit. Tout est prêt pour recevoir les bandits comme ils le méritent ; je tiendrai mes promesses comme vous avez tenu les vôtres.

— Comment pourrai-je pénétrer dans l’hacienda ?

— De la façon la plus simple : au lieu d’un chapeau de poil de vigogne, vous porterez un chapeau de paille de panama, sans golilla, et au lieu d’une faja en crêpe de chine bleu, vous en aurez une en crêpe de chine rouge. Cela vous est-il possible ?

— Très bien, répondit Navaja.

— À l’attaque de la Rancheria, reprit Julian, lorsque nos vaqueros s’élanceront au dehors pour repousser les pirates, vous vous laisserez emporter par votre cheval, et vous vous jetterez dans nos rangs, en criant : Viva Mejico ! Les ordres seront donnés à ce sujet, on vous enveloppera et l’on vous fera prisonnier. Il est bien entendu que dès que vous aurez pénétré dans la Rancheria, vous serez libre. N’oubliez pas mes recommandations.

— Soyez tranquille, monsieur, j’ai trop d’intérêt à me souvenir pour oublier.

— Ainsi, c’est entendu ?

— Oui, monsieur.

— Alors, séparons-nous. Bien que nous soyons gardés par des sentinelles invisibles, il importe qu’on ne soupçonne pas notre entente.

— Vous avez mille fois raison, monsieur. Au revoir, dimanche.

— Au revoir.

Sur ces derniers mots, ils se séparèrent.

Julian retourna directement à l’hacienda.

Quant à Navaja, il s’enfonça dans la savane, où bientôt il disparut.

Cinq jours plus tard, Navaja arriva au gué de la rivière Perdue, où le Mayor avait établi son camp depuis la veille.

La retraite des aventuriers n’avait été inquiétée ni par les Coureurs des bois, ni par les Comanches.

Les nombreux éclaireurs lancés dans toutes les directions par le Mayor n’avaient découvert aucune piste.

L’insouciance et la sécurité régnaient de nouveau dans le camp des aventuriers.

Le Mayor était radieux.

Il se croyait certain du succès. Il escomptait déjà la victoire en faisant les plus formidables châteaux non pas en Espagne, mais au Mexique.

L’arrivée de Navaja fut joyeusement accueillie par le Mayor.

L’aventurier lui fit alors un rapport fantaisiste sur ce qu’il avait fait et avait vu.

D’après lui, tout allait le mieux possible.

Les Chasseurs et les Peaux-Rouges établis sur leurs territoires de chasse, poursuivaient les bisons, les élans et les autres animaux avec un entrain admirable, et semblaient avoir complètement oublié les menaces qu’ils avaient faites aux aventuriers.

En écoutant ce rapport, si le Mayor avait encore conservé quelques doutes, ils se seraient évanouis aussitôt.

Seul, Felitz Oyandi apportait une note discordante dans ce concert joyeux.

Quoi qu’il entendit, il hochait la tête d’un air de doute, fronçait le sourcil, et murmurait d’une voix sourde, avec une inquiétude toujours croissante :

— J’ai le pressentiment d’un malheur.

Le Mayor haussait les épaules et lui tournait le dos en riant.