Aller au contenu

Les Propos d’Alain (1920)/Tome 2/116

La bibliothèque libre.
Editions de la Nouvelle Revue Française (2p. 155-156).
◄  CXV.
CXVII.  ►
CXVI

Les Membres de l’Association Amicale des Hauts Mollusques (Bureaucrates au-dessus de neuf mille francs), réunis en assemblée générale extraordinaire, considérant,

Premièrement que le flot montant de la démagogie vient battre maintenant la citadelle même de l’administration ;

Deuxièmement que les législateurs, oubliant leur noble mission, s’arrêtent de plus en plus à de petits intérêts et à de misérables critiques, de sorte que les hauts administrateurs seront bientôt interpellés aussi souvent que les ministres, et aussi instables qu’eux ;

Troisièmement que les députés se font juges en matière de ponts, de chaussées, de bureaux téléphoniques et autres matières techniques, ce qui affaiblit le respect dû aux compétences, et, par contagion, invite le public lui-même à juger de tout à l’étourdie et d’après ses intérêts immédiats ;

Quatrièmement que le contrôle des dépenses publiques se fait maintenant en dehors des administrations contrôlées et souvent même contre elles ; que les députés et même les ministères cherchent et trouvent dans des révélations sans tact et dans des exécutions sans égards une popularité malsaine ;

Cinquièmement que ces abus de contrôle ne sont pas accidentels, mais que de plus en plus, à mesure que le jeu normal des institutions est faussé par le développement des passions individualistes et anarchistes, le député se fait l’allié du citoyen et du contribuable contre l’Administration ;

Sixièmement que ces tendances subversives ne tiennent pas au caractère des députés, lesquels, par leur origine, par leur éducation, par leurs relations, par leur esprit corporatif, seraient plutôt disposés à collaborer amicalement avec la Haute Administration, au lieu de l’attaquer sans cesse dans son prestige et dans ses prérogatives ;

Septièmement que ce détestable esprit de dénigrement vient de la dépendance étroite où les députés se trouvent placés par rapport à leurs électeurs, comme aussi de l’importance démesurée que prennent, par les mêmes causes, les intérêts particuliers, locaux, momentanés, en face de l’intérêt général.

Huitièmement qu’il est donc hautement nécessaire de ramener l’attention de l’électeur sur les principes généraux de la Politique, comme aussi de rappeler les législateurs à leur véritable fonction, qui est de faire des lois, et non pas de juger les actes et les hommes.

Neuvièmement que la Réforme Électorale ne peut manquer de modifier heureusement les mœurs politiques et l’équilibre des pouvoirs ;

Pour ces motifs, adressent à M. Charles Benoist leurs encouragements et leurs félicitations, et se séparent en criant d’une seule voix : « Vive la Représentation Proportionnelle ! »