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Les Puritains d’Amérique/Préface de la première édition

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Les Puritains d’Amérique ou la Vallée de Wish-ton-Wish
Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 9p. 5-10).
PRÉFACE


DE LA PREMIÈRE ÉDITION[1].




Aujourd’hui que les traditions indiennes sont écoutées avec l’intérêt que nous prêtons aux événements des siècles reculés et peu connus, il n’est pas facile de présenter une image exacte et frappante des dangers que rencontrèrent nos ancêtres, et des privations qu’ils supportèrent en préparant l’état de sécurité et d’abondance du pays que nous habitons. Dans les pages qui vont suivre, notre but a été simplement de perpétuer le souvenir des événements particuliers aux premiers jours de notre histoire.

Le caractère général du système de guerre des peuples indigènes est trop bien connu pour exiger quelques observations préliminaires ; mais il est peut-être nécessaire d’appeler pendant quelques moments l’attention des lecteurs sur les principales circonstances de l’histoire de ces temps, qui peuvent être liées avec les événements de cet ouvrage.

Le territoire qui compose maintenant les trois États de Massachusetts, Connecticut et Rhode-Island, était occupé autrefois, suivant les mieux informés de nos annalistes, par quatre grandes nations d’Indiens, subdivisées comme d’ordinaire en nombreuses tribus dépendantes. Parmi ce peuple, les Massachusetts possédaient une grande partie du pays qui compose maintenant l’État du même nom. Les Wampanoags habitaient celui qui fut depuis la colonie de Plymouth et les districts septentrionaux des Plantations de la Providence. Les Narragansetts possédaient les belles îles si connues et la magnifique baie qui reçurent leurs noms de cette nation, ainsi que les pays plus au sud des Plantations ; tandis que les Pequots, ou, suivant l’orthographe et la prononciation plus en usage, les Pequos, étaient les maîtres d’une immense région qui se projette le long des limites occidentales des trois autres districts.

Il règne une grande obscurité relativement à la forme du gouvernement des Indiens qui habitaient les côtes de la mer.

Les Européens, habitués aux gouvernements despotiques, supposèrent naturellement que les chefs trouvés en possession du pouvoir étaient des monarques auxquels l’autorité avait été transmise en vertu des droits de leur naissance. Ils leur donnèrent en conséquence le nom de roi.

Jusqu’à quel point cette opinion sur le gouvernement des aborigènes est-elle fondée ? C’est encore une question, quoiqu’il soit bien permis de penser que cette opinion est moins erronée à l’égard des tribus des États de l’Atlantique que de celles qui ont été découvertes depuis peu à l’ouest, où, comme on le sait, les institutions existantes approchent plus des formes républicaines que des formes monarchiques. Cependant, il est sans doute souvent arrivé que le fils, profitant de l’avantage de sa position, succéda à l’autorité de son père, par le moyen de son influence, lorsque les lois établies de la tribu ne reconnaissaient point le droit héréditaire. Quel que soit le principe de la succession au pouvoir, il est certain que, dans bien des occasions, on vit le fils occuper la place auparavant remplie par son père ; et que, dans les conjonctures où un peuple si violent était si souvent placé, l’autorité qu’il exerçait était aussi précaire qu’elle était générale. Le titre d’Uncas devint, comme celui de César et de Pharaon, le synonyme de chef chez les Mohicans, tribu des Pequots, parmi lesquels plusieurs guerriers de ce nom gouvernèrent par ordre de succession. Le célèbre Metacom, ou le roi Philip, nom sous lequel il est mieux connu des blancs, était certainement le fils de Massassoit, sachem des Wampanoags, que les émigrants trouvèrent investis de l’autorité lorsqu’ils débarquèrent sur le roc de Plymouth. Miantonimoh, le hardi mais malheureux rival de cet Uncas qui gouvernait toute la nation des Pequots, fut remplacé par son fils Conanchet, non moins héroïque, non moins entreprenant que lui. À une époque plus reculée encore, nous trouvons des exemples de cette transmission du pouvoir qui donnent de fortes raisons de croire que l’ordre de succession suivait la ligne directe du sang.

Les premières annales de notre histoire ne manquent pas d’exemples nobles et touchants de sauvage héroïsme. La Virginie a sa légende du puissant Powhattan et de sa fille magnanime Pocahontas, si mal récompensée[2]. Les chroniques de la Nouvelle-Angleterre sont remplies des actions courageuses et des entreprises téméraires de Miantonimoh, de Metacom et de Conanchet. Ces derniers guerriers se montrèrent dignes d’un meilleur sort, en mourant avec une force d’âme et pour une cause qui, s’ils avaient vécu dans un siècle plus civilisé, eussent inscrit leurs noms parmi ceux des plus célèbres héros de l’époque.

La première guerre sérieuse à laquelle prirent part les planteurs de la Nouvelle-Angleterre fut celle que leur déclarèrent les Pequots. Cette nation fut domptée après un sanglant combat ; et ceux qui ne furent point envoyés dans un esclavage lointain se trouvèrent heureux de devenir les auxiliaires de leurs vainqueurs. Cette première guerre eut lieu environ vingt ans après l’époque où les Puritains cherchèrent un refuge en Amérique.

On a lieu de croire que Metacom prévit le sort de son propre peuple dans l’infortune des Pequots. Quoique son père eût été le premier et le plus constant ami des blancs, il est probable que les Puritains devaient en partie cette amitié à une dure nécessité. On raconte qu’une terrible maladie avait régné parmi les Wampanoags peu de temps avant l’arrivée des émigrants, et que leur nombre se trouvait diminué d’une manière effrayante par ses ravages. Quelques auteurs ont supposé que cette maladie pouvait être la fièvre jaune, dont les invasions, comme on le sait, ont lieu à des intervalles fort éloignés, et qui n’ont rien de régulier. Quelle que fût la cause de la destruction de ce peuple, on croit que Massassoit fut déterminé par ses conséquences à cultiver l’amitié d’une nation qui pouvait le protéger contre les attaques de ses anciens ennemis que le fléau avait moins affligés. Mais son fils paraît avoir contemplé d’un œil plus jaloux l’influence croissante des blancs. Il passa le matin de sa vie à mûrir de grands projets pour la destruction de la race étrangère, et ses dernières années s’écoulèrent dans de veines tentatives pour mettre ses hardis desseins à exécution. Son activité infatigable à réunir la confédération contre les Anglais ; sa manière hardie et cruelle de faire la guerre, sa défaite et sa mort, sont trop connues pour qu’il soit nécessaire de les décrire.

Il y a aussi un intérêt romanesque dans l’obscure histoire d’un Français de cette époque. Cet homme, dit-on, était un officier d’un rang supérieur au service de son roi, et appartenait à cette classe privilégiée qui possédait exclusivement toutes les dignités et tous les émoluments du royaume de France. Les traditions, et même les annales du premier siècle de notre prise de possession de l’Amérique, associent le baron de La Gastine, avec les jésuites, qui joignaient au projet de convertir les sauvages au christianisme le désir d’établir un pouvoir plus temporel sur leurs esprits. Il est néanmoins difficile de deviner si ce furent ses goûts ou la religion, la politique ou la nécessité, qui engagèrent ce gentilhomme à quitter les salons de Paris pour les déserts du Penobscot. On sait seulement qu’il passa la plus grande partie de sa vie sur les bords de cette rivière, dans une forteresse grossièrement bâtie, et qu’on appelait alors un palais ; qu’il avait eu de plusieurs femmes une nombreuse progéniture, et qu’il possédait une grande influence sur la plupart des tribus qui habitaient dans le voisinage de sa demeure. On croit aussi que ce fut par son entremise que les sauvages qui faisaient la guerre aux Anglais se procurèrent des munitions et des armes plus offensives que celles dont ils se servaient dans les premières guerres. On ignore jusqu’à quel point il prit part au projet d’exterminer les Puritains, mais la mort l’empêcha de prendre part aux derniers efforts de Metacom.

Les Narragansetts seront souvent cités dans ces volumes. Peu d’années avant l’époque où commence cette histoire, Miantonimoh faisait une guerre cruelle à Uncas, le Pequot, ou chef mohican. La fortune favorisa le dernier, qui, assisté probablement par ses alliés civilisés, non seulement porta le désordre dans l’armée ennemie, mais parvint à s’emparer de son antagoniste. Le chef des Narragansetts perdit la vie par l’influence des blancs dans le lieu qu’on appelle encore aujourd’hui la Plaine du Sachem.

Il nous reste encore à jeter un peu de lumière sur les principaux incidents de la guerre du roi Philip. Le premier coup fut frappé dans le mois de juin 1675, un peu plus d’un demi-siècle après l’arrivée des Anglais dans la Nouvelle-Angleterre, et juste un siècle avant que le sang fût répandu dans la querelle qui sépara les colonies de la mère-patrie. Le lieu de la scène fut un établissement près du célèbre mont Hope, dans Rhode-Island, où Metacom et son père avaient souvent tenu leurs conseils. De ce point, les massacres s’étendirent sur toute la frontière de la Nouvelle-Angleterre ; on enrôla des troupes de cavalerie et d’infanterie pour faire face à l’ennemi ; des villes furent mises en cendres, des familles furent massacrées, souvent sans distinction d’âge ni de sexe.

Dans aucune querelle avec les naturels du pays le pouvoir naissant des blancs ne courut un si grand danger que dans cette guerre célèbre avec le roi Philip. Le vénérable historien du Connecticut évalue le nombre des morts au dixième des combattants, et la destruction des maisons et des édifices dans une égale proportion. Une famille sur onze vit ses propriétés ravagées par les flammes dans toute la Nouvelle Angleterre. Comme les colons qui habitaient près des bords de la mer furent exempts du danger, on peut se faire une idée, d’après ce calcul, des périls et des souffrances de ceux qui demeuraient dans des lieux plus exposés. Les Indiens souffrirent en proportion des maux qu’ils causèrent. Les principales nations déjà mentionnées furent réduites au point de ne plus offrir dans la suite aucune résistance sérieuse, et les blancs parvinrent enfin à transformer leurs anciennes forêts en champs fertiles et en demeures convenables à l’homme civilisé. Metacom, Miantonimoh et Conanchet, ainsi que leurs guerriers, sont devenus les héros des chansons et des légendes, et les descendants de ceux qui renversèrent leur pouvoir, qui détruisirent leur race, rendent un tardif hommage à leurs actes de courage et à la sauvage grandeur de leur caractère.


  1. Cette préface est remplacée, dans la nouvelle édition, par celle qui est en tête de ce volume ; nous avons cru néanmoins devoir la conserver.
  2. L’histoire de Pocahontas est une des plus touchantes traditions américaines. Cette fille de roi devint la protectrice des premiers colons anglais, épousa l’un d’eux, fit un voyage en Angleterre, et y mourut de la petite vérole, du temps de Jacques Ier. Ses descendants existent encore en Amérique.