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Les Véritables régles de l’ortografe francéze/Chapitre Dernier

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CHAPITRE DERNIER.
Des raizons qu’il faut métre an vzaje pour montrer que nous devons écrire an nôtre Langue, qu’il nous ét trés-utile d’aprandre la Filozofie an Francés ; & que nous pouvons étre ſavans, ſans avoir la conéſance de la Langue Latine.


C omme Ariſtote nous anſégne au premier Chapitre du ſegond livre de ſa Fizique, que celui qui voudrét prouver l’exiſtance de la nature, qui ét trés-claire, ſerét ridicule, on poûrét condamner le deſein que j’ai de prouver que nous devons écrire an nôtre Langue ; puî que céte vérité ét trés-évidante. Mais comme les chozes les plus claires peuvent étre combatuës, il faut répondre aus raizons de quelques eſpris malades, qui ſoûtiénent que ceus qui font des livres an Latin, travaillent ütilemant pour le bien public ; & que ceus qui an compozent an Francés, n’anfantent que des monſstres qu’il faudrét étoufer dans leur naîſance.

La Langue Francéze (dizent-ils) ét défectueuze ; les frazes de la Latine ſont admirables ; le tour de ſes périodes charme l’ouïë ; et on ï peut trouver, aûſi bien que dans la Langue Gréque, un grand nombre des mos qui ſignifient une méme choze. Comme la Langue Francéze ét privée de tous ces avantajes, éle ét inférieure aus autres.

Ces acuzaſions ſont mal fondées ; et ceus qui les font devreent étre châſés de la République des létres, comme les faus délateurs furent banis de céle de Romme.

Ils font parétre qu’ils ne lizent pas les bons livres qui ſe font an nôtre Langue : car s’ils ſaveent que l’on a randu an Francés châque racine Gréque mot pour mot, ils jujereent que la Langue Francéze n’a pas faute de mos pour exprimer ce que ſignifient ceus des Langues qu’on lui préfére. Ele a des frazes trés-riches, et an abondance ; et le tour de ſes périodes ét trés-parfait.

Il ét urai qu’éle n’a pas comme la Langue Gréque, ni comme la Latine un grand nombre de mos qui ſignifient une méme choze. Mais c’ét une perféxion de la Langue Francéze, qui prouve qu’éle doit étre préferée à la Gréque, et à la Latine.

Comme un méme mot de la Langue Gréque ſignifie pluzieurs chozes, éle ét ſujéte aus équivoques, qui ét un grand defaut dans toutes les Langues ; et c’ét le ſujét des veilles, & des méditaſions des Grammairiens, qui travaillent avec plus de ſoin pour ôter les équivoques de la Langue Gréque, et de la Latine, qu’ils ne fereent pour le bien de l’Etat, ni pour détruire les éreurs qui ataquent la Réligion.

Ces grans protecteurs de la Langue Latine, apélent à leurs ſecours un grand nombre de peuples, qui préférent la Langue Latine à céle de leur péïs : mais la raizon doit toûjours l’amporter ſur les éxamples : car éle n’ét que pour les ſajes ; et comme le nombre des fous ét infini, les plus fous ont toûjours leurs ſamblables.

Ie demeure d’acord que l’on doit aprandre le Latin, & les autres Langues, pour pluzieurs üzajes ; comme pour ſe faire antandre aus Etrangers ; pour lire le nouveau Teſtamant ; et pour antandre les divins Interprétes de l’Ecriture Sainte. Mais je ſoûtiens que châque Naſion doit écrire an ſa Langue ; et que celui qui écrit an Langue Etrangére fait préque une ſi grande faute, que celui qui porte les armes contre ſon péïs : car c’ét un ſigne trés évidant qu’il ne veut pas le reconétre pour ſa patrie. Les Romains oblijeent les Colonies qu’ils anvoïeent dans les Provinces qui éteent âſujéties à leur obéïſance, à ſuivre leurs Dieus, et leur Langue. Nous avons été garantis de leur Idolatrie par la Foi ; & la raizon doit nous délivrer de la ſervitude de leur Langue.

Puî que nous devons écrire an nôtre Langue, il nous ét trés-utile d’aprandre la Filozofie an Francés ; car éle nous donne le moïen de bien parler.

Ceus qui dizent que le vulgaire ét l’auteur des mos que nous amploïons pour exprimer nos panſées, poûront douter de la vérité de céte propoziſion ; mais ils doivent ſavoir que les Noms ſont ; ou primitifs ; ou dérivés.

Il ét urai que les premiers depandent du vulgaire : mais comme les autres doivent exprimer la nature des chozes, ou leurs cauzes, ou leurs propriétés, il n’apartient qu’aus Sajes de les invanter ; c’ét pourquoi la Filozofie nous donne le moïen de bien parler. Car comme pour bien parler il faut donner des mos propres aus chozes, & aus axions, il an faut conétre la nature par la Filozofie ; comme éle nous découvre la diferance qui ſe rancontre antre l’amour, la bienveillance, et l’amitié. L’amour ét une pâſion qui nous fait tandre à quelque bien, pour an reſevoir quelqu’avantaje ; la bieveillance nous fait vouloir du bien à la perſonne que nous aimons ; & l’amitié nous oblije à faire quelque choze pour éle.

Nous pouvons facilemant confondre l’indignaſion, et l’anvie ; mais la Filozofie nous anſégne que l’indignaſion ét une douleur que nous avons de la proſpérité de ceus qui ſont indignes des biens qui pôſédent ; et que l’anvie ét une douleur que nous avons de la proſpérité de nos ſamblables.

Nous ne pouvons ſavoir quel nom nous devons donner propremant à celui qui nuit aus autres, ſans le ſecours de la Filozofie, qui nous aprand qu’il peut étre apelé ; ou infortuné ; ou imprudant ; ou injurieus ; ou injuſte ; car il agit ; ou involontairemant ; ou volontairemant.

Il ét trés-évidant que celui qui nuit involontairemant à quelqu’un ne doit étre apelé injuſte ; mais il doit étre apelé infortuné ; comme celui qui bléſe ſon ami, an voulant s’opozer à la violance de l’ennemi qui l’ataque.

Celui qui nuit volontairemant aus autres agit ſans malice ; ou ſon axion ét acompagnée de malice.

Le premier doit étre apelé imprudant.

Tous ceus qui ôfanſent quelqu’un par malice ne ſont pas injuſtes ; car an céte rancontre celui qui obéït à quelque pâſion, comme à la colére, ét diferant de celui qui agit avec chois.

Le premier doit étre apelé injurieus, et le ſegond reſoit propremant le nom d’injuſte.

Nous poûrions montrer par d’autres éxamples, que la Filozofie nous donne le moïen de bien parler, c’ét pourquoi nous devons âſûrer que les Francés doivent l’aprandre an leur Langue. La facilité qu’ils auront à la conſevoir ; et l’üzaje qu’ils an doivent faire, perſüaderont facilemant céte uérité à ceus qui ne ſont pas eſclaves de la coûtume.

Lor qu’on leur anſégne la Filozofie an Latin, leur eſprit ét ocupé à deus chozes ; car il travaille à bien antandre le Latin, & la choze qu’il exprime. Mais lor qu’on leur anſégne la Filozofie an Francés, leur eſprit n’étant ocupé qu’à bien antandre les chozes, ils les conſoivent plus facilemant que céles qui leur ſont expliquées dans une Langue étrangére.

Ils peuvent ſe ſervir de la Filozofie dans la converſaſion, pour ï débiter agréablement les chozes qui ſont ütiles à la ſociété ; dans le bâreau, pour ï faire regner la juſtice ; & dans la chaire pour exciter leurs Auditeurs à faire le bien qu’ils doivent pourſuivre, & à s’élogner du mal qu’ils doivent éviter. Comme ils doivent parler an leur Langue dans la converſaſion, dans le bâteau & dans la chaire, il leur ét trés-ütile d’aprandre la Filozofie an Francés ; car ils an poûront tirer de grans avantajes dans la converſaſion, pour ſavoir ce qu’ils doivent faire cand ils antandent médire de leur prochain ; pour régler le plaizir qu’ils doivent donner aus autres dans les axions ſérieuzes ; & pour conétre les defaus qu’ils doivent éviter dans les railleries. Ele fournira aus Avocas des lumiéres, pour protéjer l’innoſance contre la perſécuſion. Ele donnera anfin aus Prédicateurs la conéſance de toutes les vertus qu’il faut pratiquer, & céle des vices qu’il faut combatre.

Si nous conſidérons les chozes qui doivent étre expliquées dans la Filozofie, nous conétrons clairemant que nous an pouvons tirer de grans avantajes : car nous ï devons principalemant établir les préceptes qu’il faut pratiquer, pour s’opozer à la naîſance de l’éreur qui acompagne ordinairemant les axions de la raizon : on ï doit diſpozer par ordre les principes jénéraus qui ſont les fondemans de toutes les Siances : éle nous doit faire conétre ce que nous ſommes, & ce que nous devons faire, pour nous conduire à la conéſance & à l’amour de Dieu. Ele doit anfin nous faire conétre Dieu, pour l’honorer.

Comme éle nous éclaire dans les chozes que nous devons faire pour la conduite de nôtre vie, éle ét trés-ütile aus fames ; puî qu’éles doivent aûſi bien que les hommes éviter le vice, & pratiquer la vertu. Nous avons prouvé amplemant cét vérité dans le traité que nous avons fait de la perféxion des fames par la Filozofie, où nous avons répondu aus objéxions de quelques enmis de ce ſéxe ; & qui le ſont aûſi de la lumiére, & de la raizon.

Ces vérités prouvent que nous devons enſegner la Filozofie Francés, pour donner aux fames, & à ceus qui ne s’atachent pas à la Langue Latine les conéſances qui leur ſont necéſaires, pour aquerir la perféxion de leur antandemant, & de leur volonté.

La preuve de la troiziéme vérité que nous devons établir pour finir ce petit traité, peut étre facilemant tirée des précédantes ; c’ét à dire, qu’aprés avoir montré que les Francés doivent écrire, & aprandre la Filozofie an leur Langue, il ſera facile de prouver qu’ils peuvent étre ſavans, ſæns avoir la conéſance de la Langue Latine.

Ariſtote ſans doute a été trés-ſavant ; puî qu’il nous a donné des régles infalibles pour éviter l’éreur dans nos raizonnemans ; qu’il a parlé des bonnes mœurs plus parfaitemant que ceus qui l’ont précedé ; que les plus béles concluzions de ceus qui l’ont ſuivi ſont fondées ſur la vérité de ſes principes ; & qu’il a parlé de Dieu plus admirablemant que tous les Filozofes qui n’ont été éclairés que de la lumiére de la nature. Il ét pourtant trés-certain quel la Langue Latine lui a été inconnuë. Comme il a expliqué la Filozofie an ſa Langue, pourquoi ne poûrons-nous pas faire la méme choze an la nôtre ? Ses plus beaus livres ſont traduis an Francés ; & Méſieurs de l’Académie ont travaillé ſi heureuzemant à la perféxion de nôtre Langue, & à la traduxion des plus beaus livres Grecs, & Latins, qu’ils font avoüer à tous ceus qui ſont raizonnables que les Francés peuvent étre ſavans, ſans le ſecours de la Langue Latine.

Si céte vérité été bien imprimée dans l’eſprit des hommes, la plûpart des jans de calité s’apliquereent aus Siances avec autant d’ardeur, qu’ils font parétre de promtitude à les abandonner. Comme les principes de la Langue Latine ne leur donnent point de plaizir ; ils quitent facilemant le Latin, & anſuite les Siances : mais s’ils éteent perſüadés qu’ils poûreent étre Savans, ſans avoir la conéſance de la Langue Latine, comme ils ſont mieus élevés que les hommes ordinaires ; & que la Siance ét agréable, il travaillereent auec ſoin pour ajoûter l’éclat qui rejalit de cét calité à celui de leur naîſance. Ie poûrés confirmer céte vérité par l’éxample d’vn grand Capitaine, îluſtre par le rang qu’il tient dans le monde, & plus îlusſtre ancore par ſon mérite que par ſa naîſance. Ses axions, qui le font eſtimer de tout le monde, me perſüadent facilemant qu’il ſerét trés-ſavant, s’il avét apris les Siances an ſa Langue. On admire dans la guerre ſon couraje, ſon jujemant, & ſa prudance. Il ét ſi intrépide dans le peril, qu’on n’a jamais ûu un plus brâve ſolta : il ét ſi judicieus dans le Conſeil de guerer, qu’on ne ſaurét trouver un plus ſaje politique ; & il conduit les troupes qui depandent de lui avec tant de prudance, que les Capitaines les plus expérimantés font gloire d’imiter ſes axions. Son pére lui avét laîſé une Maiſon ſi charjée de détes & d’âfaires, que le réglemant an paréſét impôſible : mais il lui a fait chanjer ſi parfaitemantn de face, que les hommes les plus éclairés dans les âfaires le reconéſent avec plaizir pour leur Maître. Il écrit & parle trés-propremant : il écoûte avec douceur ceus qui lui parlent : & les réponſes qu’il leur fait, ſont toûjours des preuves de la ſolidité de ſon jujemant. Il ne faut pas s’étonner, s’il n’a pas û beaucoup d’atachemant à la Langue Latine dans ſa jeunéſe ; puî que c’ét un choze commune aus perſonnes de grande calité que l’on ne contraint pas. Mais ! s’il avét apris les Siances an ſa Langue, il ſerét par la Siance, aûſi bien que par ſes autres calités, l’ornemant de nôtre Siécle, & l’admiraſion des Siécles futurs.

Comme la beauté des Siances depand de l’ordre, je découvrirai ici celui que j’ai gardé dans les livres que j’ai fais, pour expliquer la Filozofie ; & pour établir les Fondemans de la Réligion Crétiéne.

Ie découvre dans le premier l’ordre des principales chozes dont il ét parlé dans la Filozofie, qui ét divizée an cinq parties, & contenuë en dis petis volumes.

Ie donne dans le méme traité l’art de diſcourir des pâſions, des biens, & de la charité, pour faire conétre les avantajes qu’on peut tirer de l’ordre des chozes, & de celui des propoziſions qu’il faut prandre pour an bien parler ; pour établir la metôde dont je me ſervirai dans toute la Filozofie ; & pour donner le premiéres conéſances qui ſont necéſaires à ceus qui veulent s’apliquer à ſon étude.

Ie montre à la fin du méme ouvraje, que la Filozofie doit étre diviſée an cinq parties, qui ſont la Logique, la Siance jénérale, la Fizique, la Morale, & la Téologie naturéle. Car comme nôtre raizon ſe trompe ſouvant, nous pouvons tirer de grans avantajes de la Logique, qui s’opoze à la naîſance de l’éreur qui acompagne ordinairemant les axions de nôtre raizon.

S’il ét utile d’éviter l’éreur, il n’ét pas moins necéſaire d’aquerir la conéſance de pluzieurs vérités par les principes de la Siance jénérale.

Nous ne devons pas nous contanter d’éviter l’éreur par la Logique, ni de chercher pluzieurs vérités par les principes de la Siance jénérale ; nous devons ancore tandre à la derniére perféxion de nôtre raizon, qui conſiſte dans la contemplaſion de Dieu.

La Téologie naturéle nous conduit à céte preféxion. Mais comme éle ét tres-relevée, nous n’ï pouvons âriver que par quelques degrés, qui ſont la Fizique, & la Morale. Car comme nous ne pouvons conétre Dieu par lui-méme, nous devons tâcher d’an avoir quelque conéſance par ſes éfés, que nous pouvons conétre par la Fizique.

Puî que les pâſions nous détournent de la contamplaſion de Dieu, nous devons tandre à la pourſuite des vertus qui s’opozent à leur violance ; c’ét pourquoi nous pouvons tirer de grans avantajes de la Filozofie Morale, qui nous donne des préceptes pour des aquerir.

Aprés que nôtre antandemant, & nôtre volonté auront reſû les diſpoziſions qui ſont necéſaires pour conétre Dieu, nous reſevrons beaucoup d’utilité de la Téologie naturéle, qui nous atachera à la contamplaſion de céte premiére cauze.

Le ſegond Volume contient les trois premiéres parties de la Logique ; c’ét à dire, qu’il nous anſégne à bien conſevoir ; à bien jujer ; & à bien tirer toutes ſortes de concluzions.

La catriéme partie de céte Siance ét contenuë dans le troiziéme volume, qui découvre la metôde qu’il faut ſuivre dans toutes les Siances, & dans tous les diſcours.

Le catriéme volume traite de la Siance jénérale, qui ét la ſegonde partie de la Filozofie.

La Fizique ét contenuë dans le cinquiéme.

Il é urai que les Filozofes anſégnent ordinairemant la Fizique aprés la Filozofie morale ; l’explicaſion de la Fizique doit précéder céle de la Filozofie morale : car il faut conétre la nature, & l’origine de l’homme, par la Fizique, pour découvrir par la Filozofie morale ce qu’il doit faire, & où il doit âriver.

Ie divize céte Siance an catre parties.

La premiére traite de nôtre derniére fin, qui reſoit le nom de Félicité.

La ſegonde explique les principes des axions humaines.

La troizéme établit l’ordre des axions humaines.

Anfin la catrième nous découvre les vertus que nous devons pratiquer, & les vices que nous devons combatre.

Il ét parlé de la félicité dans le ſiziéme volume ; des principes des axions humaines, & des actions humaines dans le ſétiéme ; les deus ſuivans traitent des vertus, & des vices ; & le diziéme traite de la Téologie naturéle ; qui ét la derniére partie de la Filozofie.

I’ai fait ancore catre petits volumes an Dialogues, pour établir les Fondemans de la Réligion Crétiéne, avec pluzieurs préceptes pour la conduite de la vie humaine, & principalemant pour l’éducaſion de la jeunéſe.

Le premier Dialogue découvre l’ordre des chozes qui ſont contenuës an ces catres volumes.

Anfin j’ai fait un petit Traité, pour faire conétre les avantajes que les fames peuvent reſevoir de la Filozofie, & principalemant de la Morale.

FIN.