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Les jours et les nuits/I/I

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Société du Mercure de France (p. 7-10).

i
premier jour

« Te tairas-tu, sale rouquin ! » dit Ilane en montrant le poing à l’oiseau dans sa cage invisible. — « Kou ! » répondit sa très haute note de violoncelle, crue en intensité au bruit des convulsions de la fille dans le grand lit par terre, blanc jusqu’au mur et à la porte et sous la grande armoire de chêne dont le vantail, aux heurts, barytonait. L’autre couple, Margot et Valens, se déplaça amusé un peu et effrayé, une griffe lancée d’Ilane ébouriffant Margot et signant en travers Valens au ventre. Sengle[1] trouvant drôles aussi ces péripéties d’un labeur monotone, remuait à peine et respirait sans bruit, joyeux d’être à l’abri, au-dessus des bras latéralement écartés selon le mouvement de rames, comme on dit que peut le plus souvent éviter l’anguleuse patte empoisonnée le mâle de la tarentule.

Il y avait beaucoup de choses puériles dans la chambre, une tortue grattait et éraflait, faisant mobile une petite lampe bleue agrafée sur l’écaille ; et il y avait un réveille-matin en forme de crâne et frotté de phosphure de calcium, dont la mandibule marmonnait et tremblait, et qu’on ne laissait réveiller jamais, son déclanchement nécessitant une trop laide grimace. Et il y avait une ardoise où Ilane, pour un pari, avait dit Sengle, plus puéril que tout le reste, inscrivait de temps en temps, effaçant le précédent, un chiffre. Et il était minuit seulement à l’unisson de l’ardoise et de l’horloge.

La chambre et ceux qui étaient dans la chambre et leurs actes furent les mêmes les autres heures de la nuit, Sengle et Valens répondant peu aux filles parce qu’ils pouvaient plus intelligemment parler entre eux, et ne parlant pas entre eux parce qu’ils se comprenaient assez d’être ensemble. Le jour vint apporté dans les voitures de maraîchers, comme le roulement d’une mer recroquevillé dans une porcelaine ; et après une discussion entre les quatre pour savoir s’il était écrit 17 ou 18 sur son ardoise, Sengle proposant d’effacer et de recommencer tout, les deux couples sortirent en deux tandems, parce que pour ce qui suit Sengle avait besoin que sa fatigue fût grande, et son frère l’avait accompagné partout parce que cette chère tête devant lui et non un astre plus jaune ou plus blanc distinguait de la nuit le jour, afin qu’il ne fût très malheureux.


  1. Singulum : Sans avoir m’a laissié tout sengle (Rutebeuf).